N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

Freud en liberté

Yvon BresEllipses. Paris. 1996

Jacques Sardes

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L’idée de la mort de Freud , nous dit Y. Bres, en paraphrasant Marc Twain, est une exagération. Car tant bien que mal la psychanalyse reste vivante, au moins en France. Malgré la charge lourde des « behavioristes » et la bruyante prose polémique de M. Onfray dans son dernier ouvrage sur Freud.

Faut-il convenir avec certains penseurs contemporains, séduits par Lacan et ses jongleries discursives, au fonds de commerce philosophique de la pensée freudienne ? L’intérêt pour Freud dépasserait-il donc l’application psychothérapeutique ?

La suggestion bienveillante d’Yvon Bres, lui-même philosophe et directeur de la revue Philosophie, frôle le paradoxe. Car il y aurait une pensée, bonne ou mauvaise, qui déborde la « scientificité » et se place en toute « liberté ».

Les chapitres du livre sont un effort pour nous rendre la lecture de Freud moins lourde et sans couvrir d’un argument d’autorité les questions qui lui échappent et restent des sujets libres d’interprétations. C’est le cas de « la jalousie », problème qui traverse les temps au point de faire de la vie quotidienne sa résidence naturelle. Nous sommes en deçà des images littéraires de Médée ou d’Othello. Curieusement, sa place ne semble pas actuellement très porteuse, comme en témoigne son absence dans des ouvrages de référence de la psychanalyse contemporaine. L’observation est étonnante : n’était-elle au cœur des passions ? Et des rivalités ?  La réponse frise la banalité : la jalousie serait partout parce qu’elle est devenue banale. Et sans intérêt pour l’analyse approfondie. Âpres tout, il est certain que les hommes du Nord sont moins jaloux que les hommes du Sud, et que l’envie est différente d’un contexte à un autre. Le changement des mœurs fait que la jalousie ne s’impose plus comme un thème psychologique capital. Or, curieusement, chez Freud lui-même la question jouait un rôle important, voire vital. Là, l’auteur nous invite à suivre le parcours de cette notion à travers les méandres de la conscience de soi et les spéculations de certains auteurs (Rank et Janet) pour conclure que la jalousie et la rivalité peuvent se révéler d’une pertinence aiguë. Ce qui n’enlève pas la remarque sur le changement d’époque.

Un autre thème classique est évoqué et décortiqué: c’est l’inceste maternel et sororal. Une fine approximation à la fois philosophique et sociale (nous) permet de mieux comprendre que l’inceste relève plus des faits divers dans une interprétation plus libre que celle d’un complexe d’Œdipe omniprésent et tout puissant si cher à l’interprétation de la mythologie grecque. Certes, rappelle Bres, « on a beaucoup fait pour voiler cet impérialisme psychanalytique assez barbare » qui niait la spécificité des sciences sociales en les réduisant à une psychologie appliquée. En revanche, l’inceste sororal reste moins tragique, comme une transgression d’une convention sociale ou des jeux innocents des jeunes enfants. Ainsi, l’auteur s’interroge à travers la littérature et la philosophie sur ce qu’il peu y avoir de spécifique.

La solitude serait-elle de la bouderie ? Voilà une question intéressante et curieuse. C’est le sujet développé dans le troisième chapitre. La solitude de l’adulte ne serait-elle pas la persistance inconsciente d’une bouderie infantile pour obtenir l’amour qu’on lui refusait jadis ? L’hypothèse est séduisante malgré ses limites. Ainsi, comprendre l’expression d’un comportement permet-il de le guérir ? Jusqu’à quel point les dérapages sont-ils irréversibles ?

En fait, chez l’enfant la bouderie est sérieuse, chez l’adulte le chantage n’est pas gratuit et réside dans le besoin de s’arrêter à temps sous peine de tomber dans le ridicule. Ces traits se retrouvent à des degrés divers dans les plus banales des solitudes. L’auteur l’illustre avec les « rêveries » de J.J. Rousseau et ses arguments de « promeneur solitaire ». La cause ? A bien des égards on la trouve dans les bénéfices secondaires. C’est au refoulement que l’auteur nous achemine : capter l’amour des figures du passé. Et il signale qu’on y repère « une conduite » là où on ne voyait qu’un symptôme ou un processus.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Y. Bres réfléchit sur «Freud et la religion des sémites » (chapitre 4), dont la source semble-t-il se trouve dans le travail de W. Robertson Smith (1894) au point de reposer la question de l’emprunt de Freud. Or si la question reste posée, l’auteur semble répondre par une négation : la posture de W.R.Smith n’est pas celle de Freud. La peur et la culpabilité ne seraient pas à la racine des religions. Mais, plutôt le renforcement du lien social autour d’un Dieu bienveillant. Question polémique non tranchée donc.

Il en suit un long et argumenté commentaire sur la relation épistolaire entre Freud et Fliess dont les échos ne cessent d’alimenter les ambigüités et les défaillances de l’homme et du scientifique. La comparaison de la première édition des lettres (168) puis la dernière (287) met en lumière non seulement le choix du nombre, mais l’amputation des contenus. Ainsi la sélection n’est pas anodine, car l’élimination d’un certain nombre de détails personnels pose problème. Certaines coupures touchent à la fois « la vie affective » de Freud, et concernent aussi la genèse de sa pensée « scientifique », dont l’occultation du rôle de Breuer dans la naissance de la psychanalyse et ses techniques de guérison. L’importance des observations de Fliess par rapport à la théorie de la sexualité de Freud, ainsi que le rôle épistémologique de la physiologie dans le psychisme freudien. L’inventaire est approfondi, et les conséquences fort bien mises en lumière. La relation entre l’organique et le psychique demande un entre-deux, mais comment entrevoir ce que pourrait être un niveau spécifique. La réponse reste entièrement à venir. Non sans pertinence M. Onfray s’est enfoncé dans la brèche.

Le dernier chapitre nous renvoie à une interrogation sur l’interprétation lacanienne. Lacan n’y est pas allé avec le dos de la cuillère lors qu’il a déclaré devant un public médusé (Congrès de Rome 1953) que la psychanalyse n’était pas de la psychologie. La notion clef utilisée par Lacan afin d’établir la démarcation fut « das Ding », la chose. Ce qui pouvait faire appel à la philosophie de Kant et celle de Hegel. Or, pour bien cerner l’enjeu, le « das Ding » n’est pas attribuable directement à Kant, mais à Heidegger. Il s’agirait donc d’un problème métaphysique : le « das Ding » enfermerait un « secret ». Une essence psychologique occulte ? Posture philosophique dont les conséquences sont fortement polémiques surtout devant un public de psychanalystes praticiens.

Finalement, si l’ouvrage de M. Y. Bres est une lecture personnelle des problèmes parfois marginaux dans la pensée de Freud, et parfois enfouis dans la masse des réflexions psychanalytiques, la pertinence est incontestable, par la culture de l’auteur et par la finesse de ses analyses. A (re)lire donc avec profit.

Jacques Sardes

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