Jung, son postulat et son intuition du monde moderne
Cet ouvrage est un énorme travail de synthèse de l’œuvre de Jung, de ses écrits, de ses commentaires, de ses expériences, de son approche globale dans une perspective très spécifique : la place du mystique et sa nature dans l’œuvre de Jung ainsi que son « utilité » dans l’approche thérapeutique jungienne.
La clarté avec laquelle l’auteur expose son sujet, l’illustre, l’argumente et le commente, est remarquable. Développer les théories de Jung n’est jamais simple, et vouloir démontrer combien son intuition de l’évolution du monde moderne, du monde d’aujourd’hui, avec ses manques, ses blessures, ses souffrances rejaillissent sur l’individu est un défi que ce livre, avec beaucoup de simplicité, de pertinence, d’érudition a relevé. Mettre en évidence la conception du monde oriental et occidental pour faire émerger les freins, les obstacles que l’hypertrophie rationnelle chez l’homme occidental a érigée pour empêcher ou gêner la rencontre de ces deux complémentarités, représente là également, un moment particulièrement riche de la démonstration.
Le sujet n’est pas simple, et le postulat sur lequel il repose, ne l’est pas davantage. Il est évident en effet, que le principe de l’explication du monde dans lequel la transcendance y proposerait un schéma, et Dieu y jouerait un rôle, reste une hypothèse à laquelle certains adhèrent tandis que d’autres lui vouent une hostilité qui n’a d’égale que l’intensité du rejet personnel qu’ils réservent à ce principe.
Ce livre est important aujourd’hui, pour de multiples raisons, parmi lesquelles son intérêt comme regard sur la société et sur le monde contemporain. D’une part, il propose un réel approfondissement des recherches de Jung par une présentation argumentée, très détaillée sans être pesante, et très intelligible. Par ailleurs, ce livre permet un exposé clair des concepts de Jung, et une démonstration de son approche thérapeutique qui, ne sera pas immédiatement interrompue, comme fréquemment, pour être immédiatement comparée à d’autres théories en vigueur, afin très rapidement de conclure que finalement, tout a déjà été dit et inclus par d’autres, et que le bilan de l’apport de Jung est discutable, ce qui est bien entendu synonyme de dérisoire. Cette appréciation, cette estimation de l’apport de Jung aura tout le loisir de s’exprimer le livre fermé, une fois la lecture terminée. D’autre part, s’il est vrai qu’il s’agit là d’un postulat, mais au même titre que le sont les autres !, celui-là a « l’inconvénient » pour certains, d’aborder la notion de transcendance, de spiritualité, de mystique. Or, à ce sujet et sans se laisser aller ni à un quelconque fanatisme, ni à un quelconque radicalisme absolu, il est essentiel malgré tout de nous souvenir qu’à moins de succomber à « la pensée unique » et à la voie « dominante » et donc royale, il est difficile d’écarter une partie des individus simplement parce qu’ils font appel à des notions suspectes, ou d’écarter une thérapeutique qui a témoigné de son efficacité également. Le postulat d’une transcendance, divine ou non, comme celui du contraire restent des postulats, à propos desquels nous pouvons partager une proximité intellectuelle avec l’un plutôt que l’autre, sans rapidement faire appel au « radicalisme » pour exécuter l’un et promouvoir l’autre. Ne serions-nous pas, dans ce cas, pour reprendre la théorie de Gödel, en train d’affirmer la complétude d’un ensemble, tout en participant à sa composition interne, sans avoir la latitude de nous placer à l’extérieur de cet ensemble, ce qui légitimerait une telle affirmation !
Une lecture extrêmement intéressante et enrichissante d’un travail dense, invite à entrer en « empathie » avec la vision du monde suggérée par Jung, d’en comprendre les composantes, leur dynamique et leurs perspectives d’évolution. A ce titre, il est essentiel d’insister sur l’intérêt de ce livre pour bien éclairer les acceptions des fondements de son approche, et en particulier puisque mystique fait penser à religieux et que religieux renvoie à Dieu, de bien situer le sens attribué à chacun. En effet, les relations que Jung tisse avec chacun n’ont que peu en commun avec l’acception classique. Aujourd’hui, la physique quantique cite parfois Jung en évoquant l’énergie, ce que font les médecines alternatives également. Or, certains de ses commentaires l’ont « contemporanéisé » avec une pertinence actuelle. L’individualisme redéfini et réhabilité par Jung laisse le privilège à l’individuation, processus par lequel l’individu, guéri, devient lui-même, en fixant par ses choix, la nature de son évolution et son degré et en trouvant ainsi la voie de sa guérison. Jung avait établi un parallèle avec le bouddhisme, et tout en se référant à Nietzsche « deviens qui tu es », il propose à Dieu, au travers de la somme des individus, « de devenir qui il est ».
Jeanine MUDRYK-CROS