Ramón Bayés est une figure légendaire dans le contexte de la psychologie hispano-américaine. Un peu comme Marc Richelle dans le contexte de la francophonie. Ce fut lui qui, avec sa collection « Conducta humana » de la maison d’édition barcelonaise Fontanella et avec son magistère à l’Université Autonome de Barcelone, mais aussi à travers de centaines d’articles, spécialisés ou de divulgation, introduit l’œuvre de Skinner dans les pays de culture hispanique à partir de la fin des années 60. J’eus le privilège d’être son élève entre 1973 et 1975, puis de devenir un ami, enfin un intime. Comme je l’écrivis au moment où il recevait un hommage lors de sa mise à la retraite (forcée, ayant atteint la limite d’âge de 70 ans), il fut pour moi, et pour des centaines d’autres jeunes étudiants (auxquels il dédie, d’ailleurs, cet ouvrage), non pas un professeur, mais un maître.
Tous ceux qui le connaissent témoignent de l’extraordinaire humanité, bonté, gentillesse, humilité, disponibilité, affabilité, mais aussi espièglerie et sens de l’humour, de ce scientifique humaniste, pour qui la science, loin d’être seulement un défi intellectuel, est avant tout un outil générateur de connaissances dont le but essentiel est d’améliorer le quotidien de l’humanité, dans ses différents aspects (physiques, biologiques et psychologiques).
Cet ouvrage en constitue un exemple paradigmatique.
En effet, âgé maintenant de 80 ans, il nous livre, un peu en guise de testament, une série de réflexions, philosophiques et éthiques, mais surtout personnelles et citoyennes, sur des sujets qui, d’habitude, n’intéressent pas spécialement la psychologie scientifique (dont il fut -et reste- pourtant un intraitable défenseur et propagateur) mais qui ont occupé de plus en plus son temps et constitué de plus en plus son champ d’intérêt ces dernières années.
Ainsi, il met au centre de ses préoccupations la façon dont la société (politiciens décideurs, professionnels exécutants) traite d’une série de problèmes, essentiels pour chacun d’entre nous (devenus entre temps des véritables enjeux de société), tels que la souffrance, la vieillesse, la mort, et, en creux, le bonheur (comme le dévoile très explicitement le titre de l’ouvrage). Le quart de couverture résume parfaitement ce que j’aurais (probablement moins bien) dit : « Avec le style profond et agréable qui le caractérise, Ramón Bayés réfléchit au long de ces pages sur le sens de la vie, le passage du temps, la douleur, la capacité de surpassement de l’être humain, et aussi aux questions qui ont occupé sont attention ces dernières années, telles les soins palliatifs et la vieillesse.
Pour clore cette présentation, voici quelques-unes des phrases dont l’auteur avoue qu’elles ont représenté des phares pour son voyage : Ceux qui souffrent, ce ne sont pas les corps ; ce sont les personnes (Eric Cassell). Le sens de la vie constitue la question la plus angoissante (Albert Camus). Le but de la vie humaine est d’atteindre le bonheur, la plénitude. On ne peut se contenter de moins. Nous nous dirigeons tous vers cela comme la flèche de l’arquer vers la cible (Diego Garcia).