N°34 / Avenir de la démocratie Janvier 2019

La question Catalane : historique et actualité

Esteve Freixa i Baqué

Résumé

VARIA

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Professeur (retraité) en Sciences du Comportement et ancien membre de l’Association Française de Psychologie Politique

SOMMAIRE

Historique de la Nation Catalane

Les débuts

La naissance d’une nation et d’un État

L’époque de l’expansion

Les Rois Catholiques

Le début du déclin

Le début de la renaissance

La consolidation du catalanisme récent

La récupération des institutions

La transition démocratique et le régime de 1978

Les origines récentes de la situation actuelle

La rupture unilatérale du compromis

Le référendum du 9 novembre 2014

Les élections « référendaires » du 27 septembre 2015

Le référendum du 1er octobre 2017 et la proclamation de la VIème République Catalane

L’article 155

L’emprisonnement et l’exile du Gouvernement catalan

Les élections du 21 décembre 2017

Épilogue (provisoire)

On peut affirmer que l’Europe en général (et la France en particulier) ont découvert la réalité de l’indépendantisme catalan le 1er octobre dernier, lorsque les insoutenables images de la brutalité des forces de l’ordre espagnoles en train de tabasser sans ménagement de pacifiques citoyens de tous âges et conditions (dont le seul crime était de vouloir mettre une enveloppe dans une urne) ont fait la une des JT du monde entier. Ce référendum, interdit et réprimé par le gouvernement de Madrid (mais qui a malgré tout mobilisé pratiquement autant d’électeurs que lors du référendum légal de 2006 pour approuver l’actuel Estatut d’Autonomia ou un pourcentage supérieur à celui qui, en Grande Bretagne, s’est prononcé pour le Brexit1), n’est que l’aboutissement d’un très long processus2 dont se sont curieusement désintéressés les médias européens bien que se déroulant au sein de l’Union Européenne.

Rien d’étonnant donc, dans ces conditions, que les journalistes, ayant pris (comme trop souvent) le train en marche et sans presque aucune information sur la longue série de faits qui l’ont précédé, en aient rendu compte de façon très caricaturale, non seulement partielle mais également partiale, se contentant d’invoquer les classiques lieux communs à propos de « nationalismes », « séparatismes », « respects de la légalité », « intangibilité des frontières » etc. lorsqu’ils ne tombaient pas dans les poncifs de « combats d’ego », « lutte de drapeaux » ou le trait injurieux à l’égard de « la riche et égoïste Catalogne qui ne veut plus être solidaire des régions pauvres d’Espagne ». Dans le cas concret de la France, se sont ajoutés à ces « classiques » la grille de lecture et le prisme jacobin dominant et consubstantiel à notre République « une et indivisible3 », rendant la compréhension du processus catalan encore plus difficile aux yeux de ceux, les plus nombreux, qui en ignorent à la fois les origines, les étapes, l’évolution et les circonstances actuelles.

Le but de cet article est donc de fournir au lecteur un ensemble factuel de connaissances lui permettant une approche plus documentée d’un phénomène historique, complexe et multi-déterminé, qui ne peut en aucun cas être appréhendé d’une manière superficielle, biaisée et simpliste.

Se pose alors, comme souvent devant un tel projet, le problème des origines. En effet, l’histoire récente du Procès coïncide avec le début de notre siècle (2006 et 2010)4 ; mais il faut également faire mention de la révolution et de la guerre d’Espagne (1936‑1939), ainsi que de la dictature franquiste qui s’en est suivie et de la Constitution de 1978 qui a restauré la démocratie. Qui plus est, cette histoire (plus ou moins) récente s’enracinant dans des périodes bien plus anciennes mais pas moins déterminantes pour autant, il semble impossible de faire l’impasse sur les événements incontournables de 1714 qui mirent fin à l’État catalan, un État presque millénaire, donc aussi ancien que la plupart des États européens actuels. Un survol chronologique, depuis le tout début, semble donc s’imposer à fin d’éclairer convenablement ce présent si controversé.

Mais avant d’aller plus loin, et tout spécialement pour le lecteur français, « victime » du prisme jacobin précédemment évoqué, il convient de faire une petite clarification terminologique (et, surtout, conceptuelle) autour de deux notions souvent très mal maîtrisées et source de graves malentendus : les vocables « Nation » et « État », constamment confondus ou considérés comme synonymes.

Une Nation est définie comme étant : « un groupe humain, généralement assez vaste, dont les membres sont liés par des affinités tenant à un ensemble d'éléments communs ethniques, sociaux (langue, religion, etc.) et subjectifs (traditions historiques, culturelles, etc.) dont la cohérence repose sur une aspiration à former ou à maintenir une communauté. ». De son coté, un État est défini comme étant : « une entité politique constituée d’un territoire délimité par des frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé. Titulaire de la souveraineté, il personnifie juridiquement la Nation. » Par ailleurs, les dictionnaires nous préviennent qu’il « convient de distinguer en ce sens nation et état. Nation implique une idée de spontanéité, de communauté d'origine. État implique une idée d'organisation politique et administrative. Une Nation peut être partagée, appartenir à plusieurs Etats, un Etat peut comprendre plusieurs nations. »

Il résulte de ces définitions que la Nation est une entité naturelle, forgée au long des siècles (qui ne peut donc pas être crée ou détruite du jour au lendemain d’un simple trait de plume), constituée d’une série d’éléments objectifs (langue, histoire, culture et traditions) et subjectifs (le plus important de ces derniers étant le sentiment d’appartenance à cette communauté et sa revendication affichée). On notera qu’aucune de ces caractéristiques n’est strictement indispensable si les autres sont présentes (il n’existe, par exemple, pratiquement pas de littérature basque) et que certains de ces éléments peuvent ne pas être exclusifs d’une nation (la langue française, par exemple, est commune à plusieurs nations). Tout comme une espèce naturelle, elle est le fruit d’une lente évolution, de transformations graduelles, de croisements multiples qui peuvent la développer considérablement ou, au contraire, la conduire à une lente mais inexorable extinction. Bref, elle s’inscrit dans la durée et ne dépend pas de la reconnaissance (ou non) d’un tiers : elle est ou elle n’est pas (ou plus).

Un État, en revanche, est, par définition, artificiel. Voire arbitraire. Et peut être créé ou disparaître5 par la magie d’un traité6, d’une conquête militaire7, un mariage entre princes héritiers8, voire une transaction économique (achat-vente9). C’est, en langage marxiste, une pure supra-structure. C’est la traduction organisationnelle d’un territoire et de ses habitants (d’où la notion de frontières), qui peut ou non coïncider avec une Nation.

Dans la configuration idéale, celle de l’État-Nation, il y a une correspondance stricte et parfaite entre ces deux réalités : une Nation qui se dote d’un État « qui la personnifie juridiquement », ses frontières recouvrant exactement, se superposant, épousant les limites de son territoire naturel. L’Islande ou le Japon10, mais aussi la Slovénie, la Croatie ou l’actuel Danemark, pourraient en constituer de bons exemples. Mais cet ajustement idéal est loin d’être le cas le plus fréquent. Il existe, en effet, un grand nombre d’États multinationaux, qu’ils le reconnaissent officiellement (comme, par exemple, la Confédération Helvétique, la Belgique ou le Royaume Uni, qui englobe trois11 Nations : l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse12), ou qu’ils le nient tout aussi officiellement, comme l’Italie ou la France, qui préfèrent appeler « régions » les différentes nations, plus ou moins encore vivantes, que ces États englobent. Sans compter également avec les très nombreuses Nations sans un État propre qui se trouvent partagées entre deux ou plusieurs États différents, comme c’est le cas de la Catalogne et du Pays Basque, de part et d’autre des Pyrénées qui séparent l’Espagne de la France, ou encore des Kurdes, écartelés entre l’Irak, l’Iran, la Turquie et la Syrie.

Ainsi, la France n’est pas une Nation mais un État composé d’une série de Nations (au moins : la Bretagne, le Pays Basque, la Catalogne, l’Alsace, la Corse, la Savoie) et de régions (la Picardie, l’Auvergne, le Berry, etc.). Il en est de même pour l’Italie, qui n’existe en tant qu’État que depuis 1861, et qui regroupe plusieurs Nations (au moins : les Républiques de Venise et de Gênes, les Royaumes de Sicile, Sardaigne, Naples et Lombardie) et des régions (Le Latium, la Ligurie, les Marches, la Toscane, etc.). Et, bien sûr, c’est aussi le cas de l’Espagne, qui ne constitue pas non plus une Nation mais un État composé de quatre Nations (la Castille, la Galice (peuple celte mais de langue romane), le Pays Basque et la Catalogne) et de régions (Murcie, Estrémadure, Andalousie, etc.)13.

Une partie d’un État n’est donc pas forcément une région et peut revêtir tous les attributs de Nation. Ce n’est nullement l’existence d’un État (supra-structure arbitraire et modifiable du jour au lendemain) qui définit une Nation (structure naturelle et stable), pas plus que l’absence d’État n’empêche pas une Nation d’exister. De fait, il reste encore beaucoup de Nations sans État, comme le Québec, l’Écosse, le Pays de Galles, la Nation Kurde, le Pays Basque, le peuple Sahraoui ou la Catalogne, pour n’en citer que quelques-unes des plus connues.

Historique de la Nation Catalane

Ceux qui ne souhaiteraient pas procéder à ce rappel historique peuvent s’avancer directement à la dernière partie: « Origines récentes de la situation actuelle ».

Les débuts

Les premiers habitants connus du territoire catalan sont les peuples ibères, tels les Laietans, Ceretans, Ausetans, Indigets, Andosins, etc. Vers 575 avant notre ère, suivant les voies ouvertes par les Phéniciens plusieurs siècles auparavant, des civilisations de la Méditerranée, essentiellement les Grecs, y ouvrent des colonies commerciales. Plus tard, vers 300 avant notre ère, l’ensemble de la péninsule ibérique (ainsi que la France et une bonne partie de l’Europe) devient une « province » de l’Empire Romain et le reste pendant sept siècles avant de devenir terre de conquête pour les Visigoths (tout au long du Vème siècle) et les arabes qui s’y installent durablement à partir de l’an 711, allant même jusqu’à traverser les Pyrénées. L’arrêt de leur progression par le franc Charles Martel à Poitiers (732) marque non seulement le terme de l’expansion musulmane mais permet au vainqueur de succéder à la dynastie mérovingienne. Son fils, Pépin le Bref, et le fils de celui-ci, Charlemagne, devront pourtant continuer à guerroyer contre les musulmans tout au long de leurs règnes.

C’est pour se protéger de ces attaques constantes au sud de ses possessions que Charlemagne, devenu entretemps Empereur, établit sur les territoires de part et d’autre des Pyrénées, à l’emplacement approximatif de la future Catalogne, une sorte de frontière, de zone tampon, entre son Empire et le Califat de Cordoue : la Marca Hispanica. Celle-ci est organisée en Comtés qui jouissent d’une notable autonomie et d’une organisation administrative largement autogérée. Certes, les premiers Comtes dépendent entièrement des carolingiens et sont désignés, tels des fonctionnaires interchangeables, indépendamment de leurs origines géographiques, pouvant ainsi provenir de n’importe quel coin de l’Empire14 ; mais, avec le temps, ils seront choisis exclusivement parmi les autochtones.

Guifré el Pilós (840‑897), douzième (et dernier) Comte nommé par les Francs, est sans doute le premier dans ce cas. Comte de Barcelone, il réussit à unifier les autres comtés catalans (Urgell, Ausona, Conflent, Cerdanya, Girona, etc.) et devient, de fait, le Seigneur de ces territoires dans la mesure où il peut les transmettre en héritage, initiant ainsi la dynastie comtale de Barcelone15, tout en maintenant le serment de fidélité à son suzerain, le Roi des Francs, au secours duquel il accourt lorsque celui-ci (Charles II « le Chauve ») l’appelle à la rescousse. Ce n’est qu’en 988 que Borrell II, un descendent de Guifré, arguant d’une part que son suzerain n’était pas venu à son secours lors de l’attaque de Barcelone perpétrée par le musulman Al-Mansur (la protection et soutien réciproques étaient au cœur des rapports vassal-suzerain) et, d’autre part, l’arrivée d’une nouvelle dynastie en France, celle des capétiens,16 décide de rompre tout lien de soumission et proclamer l’indépendance des Comtés catalans.

La naissance d’une nation et d’un État

À l’aube donc du premier millénaire, une entité déjà existante prend son destin en main et commence à se comporter en sujet politique autonome, c’est-à-dire, en État indépendant, sans pour autant prendre la forme d’un royaume, comme ce fut en revanche le cas de ses proches voisins, les royaumes d’Aragon, de Castille, de Navarre ou de Léon. Au XIIème siècle, les arabes commencent à perdre du terrain sur la péninsule ibérique chassés par la Reconquista17 menée par ces petits royaumes dits chrétiens qui, chacun de son coté, élargit son territoire vers le sud aux dépens des « infidèles ».

En 1137, le comte de Barcelone Ramón Berenguer IV épouse Petronila, princesse héritière de la couronne d’Aragon. Désormais, le comte de Barcelone, ainsi que ses successeurs, est également roi d’Aragon. Mais les deux États ne fusionnent pas en un seul ; ils forment la Confédération catalano-aragonaise, au sein de laquelle chaque entité conserve ses institutions, ses lois, ses us et coutumes, sa langue et, plus tard, son Parlement18. Ainsi, lorsque le chef de l’État gouverne le royaume d’Aragon en tant que Roi il doit le faire en respectant scrupuleusement le droit aragonais ; et lorsqu’il gouverne le Comté de Barcelone, il doit se soumettre au droit catalan. Une seule tête pour deux couronnes : une royale et une comtale.

Néanmoins, au niveau international, le comte de Barcelone s’aperçoit bientôt qu’il est plus respecté et a plus d’influence s’il se présente comme Roi d’Aragon que comme Comte de Barcelone. Et, tout au long du Moyen Âge, on connaîtra la Confédération catalano-aragonaise sous le nom de Royaume d’Aragon et le Comte de Barcelone sous le nom de Roi d’Aragon. Malgré cela, le palais royal se trouvait à Barcelone (il en reste encore la salle du trône (Saló del Tinell) et la chapelle royale adjacente (capella de Santa Àgata), formant la Place du Roi (Plaça del Rei) à deux pas de la cathédrale, au cœur de la vieille ville), mitoyen de l’imposant édifice des Archives de la couronne d’Aragon19, ce qui prouve bien que la capitale de la Confédération se trouvait à Barcelone. Le drapeau catalan devient également le drapeau aragonais.

L’époque de l’expansion

Tout comme ses voisins castillans, les Comtes-Rois catalans poursuivent la Reconquête vers le sud, faisant reculer les arabes jusqu’en Andalousie20. Le point culminant de l’expansion catalano-aragonaise est atteint sous le règne de Jaume Ier el Conqueridor21 qui prend aux Sarrazins les Baléares et le royaume de Valence notamment22. Avant lui, son père, le Roi Père Ier, avait obtenu qu’un certain nombre de Seigneurs occitans le reconnaissent comme Suzerain, élargissant ainsi ses domaines de l’autre côté des Pyrénées, où un certain nombre de territoires lui appartenaient déjà, comme Montpelier (Mon Paller), par exemple. Mais cette expansion vers le Languedoc se voit brutalement freinée par la défaite des troupes catalano-aragonaises à la bataille de Muret (1213) où Simon de Monfort, sous couvert d’une croisade contre les Albigeois, conquiert ces terres pour le compte du Roy de France.

Un autre volet de cette expansion est constitué par les incursions en Méditerranée, arrivant à installer des Duchés même en Grèce, élargissant ainsi les possessions de la couronne d’Aragon qu’étaient Malte, la Sicile et la Sardaigne, auxquelles s’ajouteront, au temps d’Alfons IV el Magnànim, le Royaume de Naples et une partie des Balkans. On peut voir dans la carte ci-dessous l’étendue de ces domaines au moment de leur apogée, entre le XIIIème et le XVème siècles :

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En rouge, les territoires propres de la couronne catalano-aragonaise ; en orange, les éphémères possessions en Languedoc ; en jaune, les domaines ajoutés par Alfons el Magnànim.

C’est à cette époque que naît la légende selon laquelle « aucun poisson n’osait nager en Méditerranée sans porter les 4 barres rouges23 marqués sur le dos ». Dans le bas Moyen-âge donc, les Comtes-Rois catalans se trouvent à la tête d’un vaste État dont la superficie est égale, voire supérieure, à celle de ses deux voisins (et rivaux), la France et la Castille24, et constitue une puissance de premier ordre, incontournable dans la Méditerranée. Témoin de cette hégémonie, le fait que plus d’un Pape de Rome est issu de la Confédération, le plus connu étant le Alexandre VI, né Rodrigo Borgia25, natif du Royaume de Valence.

Sur le plan institutionnel, lors de la transition du régime féodal à l’État monarchique, s’est progressivement dessiné un système politique basé sur le « pactisme », c’est-à-dire, la limitation du pouvoir royal par les corts, assemblée où sont représentés les nobles, le clergé et la naissante bourgeoisie urbaine. Cette configuration constitutionnelle génère des organes de gouvernement qui éclosent dans le courant du XIIIème siècle et qui acquièrent de plus en plus de poids politique, le plus important étant La diputació del General, qui, à partir de 1359, est également connue sous le nom de Generalitat de Catalunya, appellation qui a traversé les siècles et qui est encore, dans l’actualité, celle du gouvernement Catalan (en fait, Carles Puigdemont26 est le 130ème Président de la Generalitat). Le contrôle du pouvoir royal s’exerce essentiellement à travers les Corts Generals (Parlement) qui voient le jour dès 1214, soit un an avant la fameuse Magna Carta (Grande Charte) des anglais27, pourtant considérée souvent comme étant le premier texte constitutionnel en Europe, comme la naissance de la monarchie parlementaire, l’éclosion du premier Parlement.

Les Rois Catholiques

En 1410, le Comte-Roi Martí l’Humà meurt sans descendance masculine légitime. La logique des institutions voulait que ce soit le frère du défunt, Jaume d’Urgell, qui hérite de la couronne. Mais dans le très controversé Compromis de Casp (1412), un noble castillan, Ferdinand 1er, de la famille des Trastamara, est finalement désigné parmi les prétendants à la succession suite à une forte intimidation militaire de la part de celui-ci et des intrigues de Sant Vicent Ferrer. C’est ainsi que s’éteint la dynastie barcelonaise.

Mais, bien que issu de la maison des Trastamara qui régnait depuis 1369 sur la Castille voisine, Ferdinand se comporte en véritable roi de la Confédération catalano-aragonaise, dont il défend les intérêts et respecte les institutions, allant même jusqu’à des guerres ponctuelles contre ses cousins, les rois de Castille.

En 1479, a lieu le mariage d’Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon (connus sous le nom des « Rois Catholiques »), tous les deux issus donc de la maison des Trastamara. Cette union pacifie les rapports entre les deux royaumes et permet la mise en chantier de deux grandes entreprises : l’expulsion totale des Sarrazins de la Péninsule28 par la prise de Grenade (2 janvier 1492) et la découverte des Amériques par Christophe Colomb (12 octobre 1492), suivie de leur progressive colonisation.

Certains historiens « espagnolistes » ont voulu voir dans les Rois Catholiques la naissance de l’État espagnol, et c’est d’ailleurs ce qui était enseigné dans les manuels scolaires de l’époque franquiste. Rien de tel en réalité. Les deux États sont restés complètement indépendants, chacun régi par ses institutions propres (Parlements, us et coutumes, etc.). Processus identique à celui qui s’était produit lors du mariage du Comte de Barcelone avec la princesse d’Aragon. Comme les poupées russes, de nouveaux ensembles se créent se superposant aux antérieurs ; mais en aucun cas en les détruisant : ils continuent à avoir leur propre existence autonome. Il est donc impropre de parler, suite à ce mariage, d’Espagne ou de nation espagnole, constructions bien plus récentes29. À cette époque, on continuait de parler du Royaume de Castille, d’Aragon, etc. Ainsi, lorsqu’Isabelle de Castille décède (1504), son époux Ferdinand, qui assume alors la Régence du Royaume castillan (en plus de régner de plein droit sur son Royaume aragonais), convole en nouvelles noces avec Germana de Foix, nièce du Roi français Louis XII, dont il a un fils. Cet enfant, s’il avait survécu, aurait hérité de la Couronne d’Aragon, revenant ainsi à la situation antérieure à celle du mariage des Rois Catholiques, à savoir : deux couronnes et deux États séparés. D’ailleurs, les partisans de l’unité de la Couronne reprochent sévèrement à Ferdinand30 de l’avoir mise en danger par son remariage.

Lorsque la fille des Rois Catholiques, Jeanne la Folle, reçoit en héritage les deux royaumes, on assiste à la réunification de la couronne, et non des États. Une seule et même couronne, transmise à travers les générations, pour deux États différents et autonomes. Situation analogue à celle de la Commonwealth, où des États tout à fait indépendants (Canada, Australie, Nouvelle Zélande, etc.) ont une couronne commune : la Reine d’Angleterre.

Mais, en réalité, Jeanne la Folle n’arrive pas vraiment à régner, son père Ferdinand assurant la Régence de Castille à la mort d’Isabelle. Mariée à Philipe le Beau, de la maison des Habsbourg, leur fils Charles (I d’Espagne, V du Saint Empire Germanique) hérite de ces deux couronnes (la royale et l’impériale, toujours suivant le principe des poupées russes) et s’installe à Madrid, d’où lui-même et ses descendants (notamment son fils, Felipe II, qui annexa le Portugal et toutes ses colonies) gouverneront un des plus vastes Empires de l’histoire. La maison des Trastamara cède donc la place à une des plus puissantes maisons royales d’Europe, celle des Habsbourg.

Voici la carte de l’étendue de ces domaines au moment de leur apogée (XVIème siècle) :

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En marron, les possessions espagnoles ; en vert, celles apportées par l’annexion du Portugal.

Le début du déclin

Isabelle la Catholique avait obtenu l’exclusion de la Couronne d’Aragon du commerce avec le Nouveau Monde bien que l’expédition de Christophe Colomb fut entièrement financée par la communauté juive catalano-aragonaise31. Cette flagrante discrimination32 signe le début du déclin de la Confédération catalano-aragonaise et de sa toute-puissance sur la Méditerranée. L’or des Amériques n’enrichit que la Couronne castillane33, qui le dilapide en grande partie en finançant les constantes guerres pour maintenir sous son contrôle les Flandres insoumises (réelles bénéficiaires, in fine, de cette immense manne).

Le fabuleux marché ouvert par la découverte de la nouvelle route commerciale déplace l’hégémonie de la Méditerranée vers l’Atlantique (tout comme, quelques siècles plus tard, le Pacifique, avec la Chine, le Japon et l’émergence des « Dragons asiatiques », viendra se substituer à la puissance atlantique). Privés donc du juteux commerce avec « les Indes », l’économie de la Couronne d’Aragon entre dans une longue phase de dépression, avec la perte d’influence politique que cela implique toujours. La société catalane (et tout spécialement les nobles) se résigne donc à se « castillaniser » pour essayer de garder ne serait-ce qu’un reste de son influence.

L’ultérieure arrivée sur le trône des Habsbourgs, de tradition résolument absolutiste et centraliste, diamétralement opposée aux conceptions « pactistes » et parlementaristes des Rois de la maison de Barcelone (et même des Trastamara) génère une constante tension. Cette tension trouve son apogée, sous le règne de Felipe IV, dans la guerre dite dels Segadors34 (1640‑1652, en pleine Guerre de Trente Ans35), provoquée par la prétention tout à fait anticonstitutionnelle du Conde-Duque de Olivares (bras droit du Roi et partisan résolu du centralisme36) d’unifier les deux royaumes, nivelant par le bas les contre-pouvoirs des institutions37 et instaurant de nombreux nouveaux impôts.

Ainsi, le jeudi 6 juin 1640, fête du Corpus Christi, les paysans, armés de leurs faucilles, entrent dans Barcelone et de sanglants tumultes en résultent38. Ce qui avait démarré comme étant une révolte paysanne contre les troupes du Roi, contre la noblesse et la bourgeoisie, se transforme bientôt en une guerre civile entre catalans royalistes et catalans indépendantistes39. Ces derniers l’emportent dans un premier temps et obtiennent la chute du très haï Conde-Duque.

Pau Claris, le Président de la Generalitat de l’époque, se réunit alors avec l’ambassadeur de France, Bernard Du Plessis Besançon40 et lui demande son appui pour transformer la Catalogne en une République indépendante sous la protection du Roi Louis XIII. L’accord est signé le 16 décembre 1640 et la Catalogne proclame la Ière République, théoriquement sous la protection de Louis XIII, le 17 janvier 1641. Mais la puissance des armées des Hausbourg et la faible contribution des soldats français rendent l’indépendance insoutenable. Claris se voit donc contraint, pour se libérer du joug castillan, de reconnaitre Louis XIII comme Comte de Barcelone et Suzerain le 23 janvier de la même année41. La Ière République catalane avait donc duré moins d’une semaine.

Par la suite, les Français, une fois le Roussillon42 sous leur contrôle (ce qui était le but principal de l’aide proposée aux Catalans par Louis XIII sous les conseils de son bras droit, le cardinal Richelieu), se désengagent progressivement du conflit permettant aux troupes castillanes une reconquête, tout aussi progressive, du territoire catalan. Barcelone, après plus d’un an de siège, tombe en 1652. Le traité des Pyrénées (1659) met définitivement fin aux hostilités : l’Espagne renonce définitivement au Roussillon43 tandis que Louis XIV renonce au titre de Comte de Barcelone. Parallèlement, au niveau interne, les Catalans retournent sous le giron du Roi Philipe IV auquel ils se soumettent, celui-ci de son côté jurant (par écrit) de respecter les lois et les institutions catalanes.

Après toutes ces sanglantes péripéties, la situation reste donc à peu près la même (perte du Roussillon mise à part) qu’avant le début des hostilités, à savoir : une seule et même Couronne pour deux États indépendants, pourvus de Constitutions, institutions, us et coutumes, langues et traditions bien différentes. Cette situation perdurera jusqu’au début de la Guerre de Succession à la Couronne d’Espagne, conflit au début purement interne mais qui finit par embraser toute l’Europe devenant une véritable guerre internationale.

Les origines lointaines de la situation actuelle : le Decreto de Nueva Planta.

La Guerre de Succession d’Espagne (1701‑1715) est un conflit armé international qui, en plus de toucher l’ensemble de l’Europe, a même des répercussions en Amérique du Nord dans la mesure où elle inclut la Guerre de la Reine Anne44. Lors de cette confrontation, outre la question de la succession à la Couronne espagnole, se joue la redistribution des cartes et l’équilibre des pouvoirs entre les différentes puissances européennes ; c’est pourquoi on la considère comme étant l’un des premiers, sinon le premier, conflit global.

En essayant de résumer une affaire particulièrement complexe, on peut affirmer que tout débute avec la mort, le 1er novembre 1700, du Roi Charles II, qui n’avait pas eu de descendance. Deux candidats « naturels » prétendent alors à la Couronne espagnole : le Duc Louis d’Anjou, petit-fils de Louis XIV (un Bourbon, donc) et cousin du défunt, et l’Archiduc Charles, l’autrichien, deuxième fils de l’Empereur Léopold qui était aussi cousin du Roi décédé. Conformément à la légalité de chacun des deux États que comprenait la Couronne, c’est à leurs Parlements respectifs de choisir le nouveau Roi. Et il se trouve que la Castille désigne le Bourbon, de tradition centraliste et unificatrice, tandis que l’Aragon penche pour le candidat autrichien (un Hausbourg, comme le Roi qui venait de mourir), qui promet de respecter les Constitutions catalanes.

Et il n’y aurait pas eu de conflit si chacun avait accepté de devenir le Roi de l’État qui lui offrait sa Couronne, ce qui signifiait la fin de la Couronne unique pour deux États et le retour aux deux Couronnes pour deux États. Mais aucun des deux prétendants n’était disposé à se restreindre à la moitié d’un aussi vaste Empire qui depuis un peu plus de deux siècles était gouverné par un seul et unique monarque.

La guerre civile éclate donc inévitablement. Le conflit devient presque immédiatement européen dans la mesure où, tout naturellement, les alliances de famille entrent en jeu : l’Empire autrichien soutient donc son candidat tout comme la France soutient le sien. Quant à l’Angleterre, (éternelle rivale de la France), elle se rallie aux autrichiens de peur de voir s’instaurer un puissant axe Paris-Madrid, trop dangereux pour ses intérêts. Enfin, le Portugal et la Maison de Savoie intègrent également la coalition anti-bourbonienne.

Au début, chaque prétendant prend néanmoins possession du royaume qui lui était offert et s’installe, avec sa cour, pour diriger les affaires du pays tout en guerroyant contre son rival. Charles45 se marie même à Barcelone en 1708 et y règne avec son épouse.

Le sort des armes s’avère, après moult rebondissements, plutôt favorable à l’autrichien, qui parvient même (de façon éphémère) à s’asseoir sur le trône à Madrid en 1710. Mais il se produit alors un évènement qui change radicalement le cours de l’histoire et dont les conséquences seront on ne peut plus funestes pour les Catalans. L’Empereur autrichien46 trépasse en 1711, lui aussi sans descendance masculine. Les Grands Électeurs de l’Empire désignent alors son frère, l’Archiduc d’Autriche et Roi de Catalogne, comme Empereur du Sacre Empire Roman Germanique sous le nom de Charles VI.

Ses nouvelles et prenantes obligations, la disproportion entre une Couronne Impériale qui lui est offerte sur un plateau d’argent et une Couronne Royale qui lui est belliqueusement contestée et qu’il doit défendre par les armes, sans compter l’éloignement géographique de Barcelone47, l’amènent à se désintéresser progressivement de la bataille pour la Couronne d’Espagne et à abandonner à leur sort ses fidèles sujets catalans. Par ailleurs, une éventuelle Espagne à nouveau autrichienne (comme au temps hégémoniques de l’Empereur Charles I deux siècles plus tôt) risque de menacer la puissance de l’Angleterre qui opte (sans aller jusqu’à renverser les alliances et à ts’unir à la France, son ennemie héréditaire) pour se retirer tout simplement du conflit, tout en se payant de sa contribution à l’effort de guerre en conservant la place forte de Gibraltar48, hautement stratégique de par le contrôle de la Méditerranée qu’elle confère.

Lâchée par les Autrichiens, les Anglais49 et le reste des alliés, qui signent avec les Bourbons le Traité d’Utrech (11 avril 1713), la Catalogne se trouve seule face à la puissance militaire conjuguée de la Castille et de la France, prise en tenaille par ces deux États gouvernés par des monarchies résolument absolutistes et centralisatrices. L’issue du combat ne fait, dès lors, aucun doute. C’est juste une question de temps. Mais la résistance catalane, malgré le déséquilibre des forces en présence, est surprenante et inespérée. Le siège de Barcelone en est l’exemple paradigmatique. La ville (et, avec elle, l’État catalan indépendant, l’un des plus anciens d’Europe, au passé glorieux) finit par tomber le 11 septembre 171450.

La conséquence immédiate de cette défaite est une répression, des personnes comme des institutions, sans précédent51. De nombreux historiens s’accordent à signaler l’obsession quasi-maladive du Bourbon (qui devient Roi sous le nom de Felipe V) contre la Catalogne. Dès 1707, lors de la prise du Royaume de Valence, Philippe promulgue le tristement célèbre Decreto de Nueva Planta, qu’il étend ensuite, au fur et à mesure de ses conquêtes militaires, aux Royaumes d’Aragon, de Catalogne et des Baléares, en vertu duquel toutes les libéralités que le « pactisme » déjà évoqué avait obtenu des Rois, toutes les institutions et lois propres, toutes les structures d’État, sontt anéanties et remplacées par le nouvel ordre que le nouveau Roi voudra bien imposer.

Un seul exemple du niveau de cette répression : la loi interdit aux foyers catalans d’avoir le moindre objet tranchant pouvant être utilisé comme une arme ; seul un couteau par famille, attaché à la table de la cuisine par une chaîne dont même la longueur est règlementée, reste autorisé. Et pour s’assurer du contrôle total et permanent de la population, une forteresse, la Ciutadella, est construite en plein quartier populaire de La Ribera. Les habitants dont la maison devait être démolie pour ériger cette forteresse non seulement ne recevront aucune indemnisation d’aucune sorte mais seront, qui plus est, obligés à participer (gratuitement) à la destruction de leur foyer et à la construction de la Ciutadella.

Ainsi donc, pour la première fois de son histoire, la Catalogne devient une Nation sans État. Le Procès actuel a pour but de récupérer ce qui lui fut ôté par les armes de deux forces d’occupation étrangères. Et le fait que trois siècles se soient écoulés depuis n’enlève rien la légitimité de cette aspiration. Mais, comme il va être montré par la suite, l’indépendantisme catalan actuel ne repose pas que sur cette revendication historique et légaliste : il s’appuie également sur des facteurs économiques, sur une exigence de démocratie (qui fait cruellement défaut au régime actuel de l’Espagne, issu d’un compromis avec le franquisme), sur une volonté réelle de gouvernement de proximité, sur une aspiration profonde à la prise en main du destin collectif pour bâtir une République moderne. Cette aspiration n’a cessé de se maintenir vivante, avec plus ou moins d’intensité, depuis. En fait, la récente proclamation d’une République Catalane indépendante représente la cinquième tentative depuis celle de Pau Claris. Légalement parlant, Carles Puigdemont, depuis son exile gaullien à Bruxelles, est le Président de la VIème République52 Catalane.

Le début de la renaissance

Vers la fin du XVIIIème siècle démarre, portée par le dynamisme de la société catalane, la renaissance économique du pays, prélude à la puissante Révolution industrielle du siècle suivant, elle-même berceau d’un vaste mouvement artistique (La Renaixença53). L’ensemble de ces facteurs est à la base de l’essor du catalanisme politique moderne (1898).

Le catalanisme du XIXème siècle se vertèbre autour de trois secteurs différents mais convergents : le républicanisme fédéral, dont le leader fut Valentí Almirall ; l’Église, à travers le mouvement impulsé par le cardinal Torres i Bages et l’œuvre de Mossèn Jacint Verdaguer ; les intellectuels, regroupés autour de la figure d’Àngel Guimerà et la revue La Renaixença.

Au niveau proprement politique, le XIXème siècle débute avec la « Guerre du Français » (1808‑1814), c’est-à-dire, la résistance à l’invasion napoléonienne. Entre 1810 et 1812, Napoléon concède l’indépendance (sous tutelle française) à la Catalogne, qui connaît alors sa IIème République. Mais en 1812, l’Empereur décide de l’annexer, purement et simplement, à la France54, qui s’agrandit ainsi de quatre nouveaux départements jusqu’en 1814, date de la fin de la Guerre, où la Catalogne retourne sous le giron de la Couronne d’Espagne, représentée alors par Ferdinand VII.

À la mort de ce monarque sans successeur mâle (1833), s’ouvre une période de guerres civiles, connues sous le nom de Guerres Carlistes, entre les partisans de Carlos, frère du défunt, et ceux de sa fille, Isabelle, conséquence de l’acceptation ou pas de la loi salique, interdisant la couronne aux femmes. Les Catalans, ainsi que les Basques, se rangent du côté carliste car le prétendant Charles, aux orientations plus « girondines », promet (et réalise pendant les courtes périodes où il parvient à contrôler ces territoires) le retour des Institutions propres à ces deux nations historiques. Les isabellins, en revanche, partisans farouches de la centralisation et de l’unité « jacobines » et finissent par s’imposer.

En 1868, suite à l’impopularité croissante de la Reine Isabelle II, débute dans toute l’Espagne une période révolutionnaire à laquelle les Catalans contribuent très activement et qui culmine par l’exil de la Reine et, après avoir offert la Couronne à un parfait étranger (Amadeus Ier de Savoie55) par la proclamation de la Ière République Espagnole (1873‑1874). Les propres républicains étant eux aussi divisés entre unionistes et fédéralistes, la République, bien qu’éphémère, se veut tantôt centraliste tantôt fédéraliste. Dans ce contexte, la Catalogne proclame sa IIIème République (État Catalan), au sein de la République Fédérale Espagnole. Mais un pronunciamiento militaire56, dans la plus pure tradition putschiste espagnole, met fin à cette parenthèse et procède à la Restauration des Bourbons en la figure d’Alfonso XII, fils d’Isabelle II qui, depuis son exile parisien, avait abdiqué en sa faveur. Il ne règne que dix ans 1875‑1885), victime de la tuberculose, et la Couronne passe à son fils, Alfonso XIII.

Comme conséquence de l’industrialisation accélérée de la Catalogne, la nouvelle classe sociale qu’elle engendre (la classe ouvrière) prend un essor considérable et très vite s’organise en puissants syndicats, d’orientation majoritairement anarchiste. Les sanglants événements produits lors de ce qui est connu sous le nom de La SetmanaTràgica57 (25 juillet-2 août 1909) montrent à toute l’Europe aussi bien la force du mouvement prolétaire que la féroce et atavique58 répression de l’État espagnol.

La consolidation du catalanisme récent

L’embryon de la récupération des institutions piétinées par la défaite de 1714 se trouve, sans aucun doute, dans l’obtention d’une nouvelle structure fédérant les quatre provinces59catalanes (Barcelona, Tarragona, Lleida et Girona) sous une autorité politique unique, La Mancomunitat, qui voit le jour le 6 avril 1914. Certes, il ne s’agit pas de la restauration de l’ancienne Generalitat ni de l’ancien Parlement, mais cela représente néanmoins un certain retour de la capacité de gestion administrative autonome et une première reconnaissance, de la part de l’État espagnol, de la personnalité propre et de l’unité territoriale de la Catalogne. Les deux premiers Présidents de cette nouvelle institution, qui répond enfin à une longue demande et aspiration historique des Catalans, sont les charismatiques Enric Prat de la Riba (depuis sa création jusqu’à en 1917) et Josep Puig i Cadafalch (entre 1917 et 1923).

Les tensions sociales ne cessant de s’accroitre, le général Primo de Rivera, très influencé par le fascisme italien (sans pour autant s’en réclamer ouvertement), exécute, le 13 septembre 1923, un coup d’État avec la bénédiction d’Alfonso XIII, le soutien inconditionnel des militaires et les applaudissements de la bourgeoisie d’affaires, les propriétaires terriens et, bien entendu, comme d’habitude, les milieux ecclésiastiques. Dès 1924, Primo de Rivera dissout La Mancomunitat et interdit à nouveau l’usage de la langue et du drapeau dans l’administration et la vie publique. La Catalogne devient alors l’un des foyers les plus actifs d’opposition et de résistance à la dictature60, ce qui contribue au développement d’un catalanisme républicain qui trouve dans le parti (clandestin) Estat Català61 et son leader Francesc Macià son expression la plus achevée.

Au vue du mécontentement croissant et de l’inefficacité de la politique menée par la dictature de Primo de Rivera, Alfonso XIII exige sa démission le 28 janvier 1930. Mais le mal est fait et l’animosité envers le dictateur s’est également étendue à la monarchie qui l’a plus que toléré. Ses jours sont donc comptés. Par le Pacte de San Sébastien (17 août 1930), l’ensemble des forces républicaines d’Espagne se conjuguent afin d’assumer le pouvoir à la première occasion et établissent un modèle global de gouvernement fédéral à appliquer lors d’un changement de régime, devenu imminent et inévitable.

La récupération des institutions

Lors des élections municipales du 12 avril 1931, les républicains l’emportent largement62 et le Roi, sans abdiquer pour autant, part en exile à Rome. Dès le 14 avril, Francesc Macià, leader du nouveau parti Esquerra Republicana de Catalunya63 proclame unilatéralement, depuis le symbolique balcon du Palais de l’ancienne Generalitat, « la république catalane, en attente que les autres peuples d’Espagne se constituent en République afin de former la Confédération Ibérique », quelques heures avant qu’à Madrid on ne proclame la IIème République Espagnole. Mais le gouvernement provisoire central, soucieux de préserver la République issue presque de façon inespérée d’une simple élection municipale qui n’avait nullement vocation à changer de régime et que les monarchistes contestaient, impose à Macià, en violation flagrante du Pacte de San Sébastien, de revenir sur sa déclaration et de se contenter de ressusciter la vielle institution de La Generalitat, qu’il présidera. Ce que Macià fait le 17 avril. La IVème République catalane n’a donc duré que trois jours.

Malgré cette imposition, la Catalogne récupère une large autonomie, bien supérieure à celle de la Mancumunitat, dans la mesure où elle dispose d’un Gouvernement et d’un Parlement propres, ainsi que d’un Statut d’Autonomie64, voté en référendum par les Catalans dès le 2 août 1931, puis voté par le Parlement espagnol, après l’avoir retouché, le 12 septembre 1932.

Le jour de Noël de 1933, Macià décède et le Parlement élit Lluís Companys comme nouveau Président.

Lors des élections législatives espagnoles de novembre 1933, après deux ans marqués par une politique plutôt progressiste (réforme agraire) mais également très ouvertement anticléricale, les monarchistes et la nouvelle droite fascisante de Gil-Robles65 l’emportent et prennent leur revanche en appliquant un programme d’extrême de droite. En réaction, les mineurs asturiens se révoltent66 et la Catalogne proclame à nouveau son Indépendance le 6 octobre 1933. En effet, Companys, toujours depuis le balcon du Palais de la Generalitat, déclare, encore une fois unilatéralement, « un État Catalan de la République Fédérale Espagnole ». Le jour même, après quelques escarmouches avec les Mossos d’Esquadra67, le gouverneur militaire de Catalogne étouffe le mouvement et emprisonne Companys et tout le gouvernement. Le Statut d’autonomie est suspendu et la Présidence de la Generalitat est désormais exercée, sous le nom de « gouverneur général », par des fonctionnaires désignés par Madrid. La Vème République catalane est donc la plus éphémère de toutes, car elle n’aura tenu même pas 24 heures.

En février 1936, de nouvelles élections législatives sont convoquées. Un Front Populaire, analogue à celui qui s’est formé en France, se constitue avec, au programme, la libération des prisonniers politiques et la restauration de la Generalitat. Pour la première fois de l’histoire, les anarchistes appellent à voter et le Front Populaire remporte les élections. Companys reprend alors son poste de Président, revenant ainsi à la situation précédant les évènements d’octobre, à savoir, une Catalogne autonome mais pas indépendante.

Cette fois-ci, ce sont les droites qui n’acceptent pas les résultats des urnes et, le 18 juillet de la même année, Franco et un quarteron de généraux sanguinaires68 se soulèvent contre la République avec l’appui des monarchistes, des fascistes, des grands propriétaires terriens, des banquiers et avec la bénédiction inconditionnelle de l’Église. Dans certaines villes ils l’emportent. Dans d’autres, ils échouent. C’est le cas à Barcelone, où les milices populaires, constituées essentiellement d’anarchistes, trotskistes et socialistes, avec une démonstration exemplaire de courage et de détermination et au prix de beaucoup de pertes, étouffe le soulèvement dans des combats de rue avec l’aide décisive de la Guardia Civil, qui la veille encore les pourchassait et qui reste fidèle à la légalité. La Guerre d’Espagne69 (18 juillet 1936, Ier avril 1939), prélude et champ de manœuvres70 de l’imminente deuxième Guerre Mondiale, vient de commencer.

Au début de cette période, les anarchistes, qui tout en conservant formellement la Generalitat et son Président, détiennent en fait le pouvoir réel, mettent en œuvre, pour la première et unique fois dans l’histoire, leur programme révolutionnaire, avec leur mesure phare : la collectivisation des terres et des entreprises. Ce fut le Premier Ministre71 de Companys, Josep Tarradellas, qui, à la tête d’un gouvernement d’union des gauches, signe, dès le 24 octobre, le décret dans ce sens. Mais, progressivement, la rivalité historique entre anarchistes et trotskistes d’une part et communistes de l’autre, vire à une lutte intestine pour le pouvoir et, en mai 1937, une véritable guerre civile à l’intérieur de la guerre civile éclate72. Les communistes, forts de l’appui de Staline73, finissent par avoir le dessus.

Sur le plan militaire, l’efficacité d’une armée de métier, avec la Légion étrangère en tête, des milliers de combattants africains des colonies espagnoles dans le Maroc et l’aide massive, en hommes et en matériel, des Allemands et des Italiens, l’emporte face à des milices mal armées, sans formation et autogérées, malgré leur ultérieure intégration dans « l’Armée Populaire » voulue par les communistes qui en prennent le contrôle. Le 26 janvier 1939, les franquistes74 entrent dans une Barcelone bombardée et affamée. Le gouvernement de la République et celui de la Generalitat, ainsi que plusieurs centaines de milliers d’ex-combattants et de civiles partent en exile vers la France75. Une féroce répression est exercée par les vainqueurs, qui démantèlent à nouveaux les institutions catalanes et s’acharnent sur son identité avec autant de violence que Philipe V l’avait fait en 1714. La langue et la sardane sont interdites76, ainsi que tous les partis politiques et les syndicats77, remplacés, respectivement, par la Falange, le mouvement fasciste espagnol fondé par José-Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur de la période 1923‑1930 déjà évoquée, et des syndicats « verticaux », corporatistes, d’idéologie phalangiste.

L’exécution du Président Lluís Companys constitue un élément paradigmatique de cette répression. Lors de l’exode républicain vers la France, Companys traverse la frontière comme tout le Gouvernement de la Généralitat et celui de la République78. Arrivés à Paris, la plupart de ses membres réussissent à s’embarquer vers l’Amérique Latine, notamment vers le Mexique79 et le Chili80. Companys, qui a un fils handicapé mental qu’il a perdu de vue dans la cohue de l’exode, ne veut pas quitter l’Europe sans l’avoir retrouvé. Il se trouve donc encore à Paris lorsque les Allemands occupent la France et, à la demande de Franco, la Gestapo l’arrête et le remet au dictateur qui, après une parodie de procès en Cour Martiale, le fait fusiller dans les douves de la forteresse militaire qui domine Barcelone depuis la colline de Montjuich, le 15 octobre 194081.

Dans les années 50 et 60, l’immigration massive de familles entières en provenance d’Andalousie, Murcie, Estrémadure, Galicie, etc., est fortement encouragée par le régime82 afin de diluer l’identité catalane sans jamais réussir, toutefois, à l’éradiquer complètement. Cette stratégie va, au contraire, générer un mouvement de résistance qui va prendre progressivement de l’ampleur au fur et à mesure que le franquisme vieillit. Sur le plan culturel, cette résistance est incarnée par une organisation civile : Omnium Cultural.

Comme pour toute dictature issue d’un coup d’État contre un régime légitime, la question de la succession finit par se poser. Franco, qui s’était soulevé en faisant croire aux monarchistes que son but était de rétablir au trône le Roi Alfonse XIII en exile, aux carlistes et leur organisation paramilitaire los requetés83, qu’il allait introniser leur prétendant et, aux phalangistes, qu’il allait faire réalité la « révolution » fasciste de leur programme84, les trompa tous une fois la guerre gagnée avec leur soutien commun, en restant au pouvoir pendant presque 40 ans. Jouant sur le chantage du « moi ou le chaos », sur la peur d’une nouvelle guerre civile de la part des gens qui l’avaient connue et sur l’efficacité de son appareil répressif85, il se maintient malgré l’animosité de ces différentes sensibilités politiques. Il tente même de prolonger son régime après sa mort en instaurant une très habile loi de succession.

En effet, dès 1947 il fait acter que l’Espagne reste une monarchie (il contente ainsi partiellement les monarchistes) mais dont le trône ne sera occupé qu’à sa mort. Et l'année suivante, il se réunit avec le Roi (toujours en exile et toujours réclamant que le dictateur lui restitue la Couronne) Juan de Borbón86, fils d’Alfonso XIII mort en exile en 1941, et lui propose d’élever en Espagne son fils le Prince Juan-Carlos, alors âgé de 10 ans, le confiant à une série de mentors, civils et militaires, franquistes inconditionnels.

En 1969, se sentant vieillir, il désigne le Prince comme son futur successeur, en contrevenant ainsi au rang héréditaire puisque son père est toujours en vie et n’a pas abdiqué en faveur de son fils. Franco justifie cette anomalie protocolaire en insistant sur le fait qu’il ne rétablit en aucun cas l’ancienne monarchie mais qu’il en instaure une de nouvelle, dont la légitimité réside dans les principes du régime né du soulèvement militaire du 18 juillet (1936), couramment appelé « Movimiento Nacional », et que le fait que son choix se porte sur un descendant de l’ancien régime n’est qu’un gage de bonne volonté pour réconcilier tous les espagnols. Le 22 juillet 1969, à presque 30 ans, jour pour jour du soulèvement franquiste, Juan Carlos jure solennellement « fidélité aux principes du Mouvement National ».

Ce plan de franquisme après Franco87 repose, en fait, sur une pièce maitresse : son alter ego l’Amiral Carrero Blanco, le fidèle parmi les fidèles de la première heure. En effet, la loi de succession concède au monarque uniquement le titre de Roi (donc, de Chef de l’État) sans aucune attribution de pouvoir réel. Le pouvoir se concentre entièrement sur les épaules du Chef du Gouvernement, poste dévolu à l’Amiral. La royauté n’est donc prévue que comme pure façade diplomatique, les anciens du Régime restant, de fait, aux commandes pour le faire perdurer88. C’est pourquoi le spectaculaire attentat89 perpétré par les séparatistes basques de l’ETA le 20 décembre 1973, où le dauphin trouve la mort, change radicalement la donne.

La transition démocratique et le régime de 1978

Franco décède le 20 novembre 1975. S’ouvre alors une période de transition qui culmine avec la Constitution de 1978. L’opposition démocratique, qui timidement commence à sortir de la clandestinité, est partisane de refermer la parenthèse de la dictature pour revenir à la légalité précédente, à savoir : la République. Le régime, quant à lui, est divisé entre les purs et durs90, défenseurs intraitables des « Principes du Mouvement National », et les réformistes, convaincus que pour s’intégrer à l’Europe (et donc, pour que la bourgeoisie d’affaires puisse se développer dans le marché européen) il était indispensable d’évoluer vers un système démocratique dont ils conserveraient la maîtrise. Ces derniers l’emportent et Juan Carlos, devenu Roi, se détourne de son serment et impose, avec la complicité de son vieil ami Adolfo Suárez, ex-haut gradé de la Phalange devenu Premier Ministre, une transition démocratique (sous son égide) à la vieille garde et l’abandon de la revendication républicaine à l’opposition. Le marché fut donc : la démocratie en échange de la monarchie91. Et, contrairement à ce qui arriva en Allemagne à la fin de la Guerre, il n’y eût aucun nettoyage idéologique dans l’administration, la plupart de dignitaires et de hauts fonctionnaires franquistes restant, de façon tout à fait opportuniste, en place. Une amnistie générale met sur le même plan les bourreaux et les victimes et empêche toute ultérieure recherche de responsabilités pour les innombrables crimes du franquisme, aujourd’hui encore impunis et dont les victimes n’ont toujours pas été réhabilitées.

Suite aux élections générales du 15 juin 1977, la Généralitat est rétablie et présidée par Josep Tarradellas92, ancien membre du gouvernement de Lluís Companys, qui avait assuré la continuité de l’institution depuis son exil dans le sud de la France et qui revient triomphalement à Barcelone le 23 octobre. La restauration de la Generalitat est donc antérieure à la promulgation de la nouvelle Constitution et n’en découle pas, « détail » à retenir pour comprendre la situation actuelle.

La rédaction de la Constitution devient une suite de compromis entre toutes les forces en présence, mais se fait sous la tutelle de l’armée. Certains « Pères de la Constitution » raconteront par la suite que le fameux article 2, sacralisant l’unité de l’Espagne93, fut directement apporté, entièrement rédigé, par les militaires qui conditionnaient leur acceptation de la transition démocratique à son adoption à la virgule près. Mais elle reconnaît également l’autonomie des trois nations historiques (Catalogne, Pays Basque et Galice) tout en les noyant dans une organisation territoriale de 17 « Communautés Autonomes », politique connue sous le sobriquet de « café para todos »94.

Malgré cela, un parti ne vote pas la Constitution. En effet, Alianza Popular, fondé et dirigé par Manuel Fraga-Iribarne, un ex-ministre de Franco, parti devenu ensuite le Partido Popular (PP) dont le leader actuel est le Premier Ministre Mariano Rajoj95, estimant que la Constitution est trop laxiste face à la question des nationalismes96, ne la vote pas et n’aura de cesse, comme nous allons le voir, que de réduire les compétences des gouvernements autonomes.

Conformément donc à cette Constitution, promulguée le 6 décembre 1978, les Catalans rédigent leur Statut d’Autonomie, qui entre en vigueur fin 1979. Ce statut confère au Parlement et au Gouvernement catalans plus de compétences, en fait, que n’en possèdent, par exemple, les Lands en Allemagne (qui est pourtant un État fédéral), puisqu’ils gèrent pleinement la Santé Publique, l’Éducation, la Police autonome, etc. dans les limites du financement que lui accorde l’État. Et c’est là l’une des principales pierres d’achoppement. En effet, contrairement aux Basques, qui gèrent entièrement l’ensemble des impôts et versent à l’État leur contribution de solidarité, les Catalans sont dépendants de la somme que l’État veut bien leur rétrocéder, allant même jusqu’à devoir payer des intérêts pour les sommes qu’on lui « avance » sur ce qu’on lui a pris. Il a été reconnu par des dirigeants même du PP que si Catalogne bénéficiait du même régime fiscal que le Pays Basque, le manque à gagner pour l’État serait de 16 milliards d’euros annuels.

Malgré ces limitations, le soulagement et le progrès que représente la sortie de la dictature rendent la situation globalement, sinon satisfaisante, du moins acceptable pour la majorité des Catalans. La langue catalane a un statut de co-officialité avec la castillane ; l’école se fait en catalan97 ; des journaux, des radios et des télévisions en catalan se développent, contribuant ainsi à une récupération et normalisation linguistique et à une réelle intégration des populations immigrées, socle de l’égalité des chances entre les autochtones « de souche » et les « nouveaux catalans ».

Tout cet ensemble contribue à l’émergence d’un fort renouveau du sentiment national et du souhait d’une autonomie accrue, sans pour autant, à l’époque, se traduire par une demande d’indépendance. Et c’est ainsi qu’en 2005, alors que l’Espagne est dirigée par le gouvernement socialiste de Zapatero, les Catalans négocient avec Madrid la rédaction d’un nouvel Statut d’Autonomie, avec davantage de compétences. L’exécutif espagnol s’engage à faire voter par Las Cortes, (le Parlement espagnol), le Statut tel qu’il aura été voté par les Catalans. Le Parlement catalan le vote le 30 septembre 2005, le Parlement espagnol l’adopte, après un premier coup de rabot, le 30 mars 2006. Le Senat espagnol le ratifie, après une deuxième série de coupes, le 10 mai et le Catalans l’approuvent par référendum le 18 juin de la même année malgré la promesse non tenue de Madrid de le voter « tel que » avec un taux de participation de seulement 48,85 %.

Cet ensemble de navettes, prévues par le « pacte démocratique » de la transition, a pour but de s’assurer que rien ne puisse être fait sans l’aval de Madrid mais que rien ne puisse non plus être imposé sans le consentement des Catalans, le Statut d’Autonomie ayant rang, conformément au titre VIII de la Constitution espagnole, de Loi Organique de l’État, c’est-à-dire, faisant partie du corps constitutionnel lui-même.

Les origines récentes de la situation actuelle

La rupture unilatérale du compromis

Le « pacte démocratique », le compromis évoqué il y a un instant, vole en éclats en 2010 et ne fait qu’augmenter considérablement la désaffection croissante des Catalans envers une Espagne qui la traite de plus en plus comme une colonie. Voyons la chronologie des événements.

Dès le 31 janvier 2006, le PP, alors dans l’opposition, avec Rajoy en personne en tête, se lance dans une vaste campagne de recueil de signatures98 pour présenter devant le Tribunal Constitutionnel (TC) un recours d’anticonstitutionalité à l’encontre du nouvel Statut. En 2010, le PP, qui dispose alors de la majorité absolue au Parlement et au Sénat, nomme au TC des magistrats proches de sa famille politique (certains possèdent même la carte du Parti) et obtient enfin (28 juin 2010) que celui-ci vide de toute sa substance le Statut voté par les élus aussi bien catalans qu’espagnols et approuvé par référendum par le peuple de Catalogne, le ramenant même, sur certains points, à un niveau moindre de compétences qu’auparavant et réfutant même le caractère de Nation, pourtant inscrit, en toutes lettres, dans la Constitution espagnole99.

Le recours, qui par la suite s’avèrera systématique, à la « judiciairisation » d’un problème qui de toute évidence demandait une solution politique, marque le début d’une montée inexorable et ininterrompue de l’aspiration indépendantiste, jusqu’alors minoritaire100, canalisée essentiellement, outre par les partis politiques, par la société civile, transversale et trans-générationnelle, regroupée autour de la déjà citée et bien rodée association Omnium Cultural, et d’une nouvelle mais encore plus puissante association, l’Assamblea Nacional Catalana (ANC). Ce sont elles, épaulées par plus de 1 600 entités de la société civile, qui organisent le 10 juillet suivant une gigantesque manifestation à Barcelone sous le slogan Som una nació101 et qui réunit environ 1 million et demi de personnes (pour une population totale d’environ 7,5 millions, ce qui représente très exactement 20 %102). Depuis, tous les 11 septembre (Fête nationale catalane), une manifestation de cette ampleur, complètement pacifique, festive et familiale, très bon enfant mais très déterminée, a lieu à Barcelone, montrant ainsi à l’Espagne et au monde entier le profond attachement bien enraciné des Catalans au droit de décider de leur destin.

Pendant ces dernières sept années, pas moins d’une bonne douzaine de demandes de référendum d’autodétermination ont été, formellement et officiellement adressées au pouvoir central qui, au mieux, a opposé une fin de non-recevoir (retranché derrière cette même Constitution103 qu’en son temps son parti refusa d’approuver) et, au pire, les a tout bonnement ignorées. Pourtant, pendant cette période, l’Écosse, tout comme le Québec avant elle, ont pu se prononcer sur leur indépendance alors que les Constitutions respectives du Royaume Uni et du Canada ne le prévoyaient pas non plus104. Et si Rajoy n’avait pas fait de son intransigeance un point d’honneur105, il aurait lui aussi sans aucun doute remporté la consultation, profitant du fait que l’indépendantisme n’était pas encore majoritaire. Et, dans cette hypothèse, personne n’aurait pu y trouver à redire.

Mais le sens du dialogue, de la négociation et du compromis, si chers à la commerçante Catalogne, ne font malheureusement pas partie de la tradition castillane, plutôt inflexible et « jusqu’au-boutiste ». Et au lieu de céder sur certaines revendications plus ou moins symboliques, qui auraient contenté une partie de l’électorat catalan, Rajoy, en s’obstinant dans son refus de négocier106, n’a fait que le braquer et augmenter de ce fait le nombre des indépendantistes, comme nous allons le montrer dans les paragraphes qui suivent.

Au niveau du financement, l’État a régulièrement sous-doté la Catalogne, allant souvent jusqu’à ne pas verser la totalité de ce qu’elle avait promis et voté, le déficit de la Generalitat ne cessant alors de se creuser107 et obligeant le gouvernement catalan à emprunter, avec intérêts !) auprès du même État qui l’asphyxiait. Du coup, les TER, faute de personnel et de maintenance des installations, génèrent des retards quotidiens monstres ; les queues à l’aéroport s’allongent interminablement ; les autoroutes deviennent toutes payantes (tandis qu’elles sont complètement gratuites dans beaucoup d’endroits de la Péninsule) ; les délais d’attente pour la prise en charge dans les hôpitaux publiques deviennent critiques108 et mettent en danger la santé et parfois la vie des usagers109, etc… Le summum étant atteint avec l’affaire du fameux « Corridor de la Méditerranée », cet axe routier qui devrait relier l’Europe et le Maghreb pour le transport de marchandises et que Madrid s’entête à boycotter tant qu’il ne prévoit pas un détour par la capitale espagnole qui, comme chacun sait, se trouve au centre du pays et non sur les rives de la Méditerranée.

Ainsi, la Catalogne, qui représente à-peu-près 16 % de la population espagnole, contribue pour approximativement 19 % au PIB de l’État et ne reçoit de celui-ci qu’un peu plus de 8 %. Le différentiel, le déficit, est donc d’environ 10 % par an. Le résultat est donc incroyable : alors que la Catalogne figure parmi les Communautés Autonomes les plus riches du pays en considérant sa production « brute », une fois amputée de ces ressources, en « net », elle se trouve parmi les dernières positions. Le système dit de solidarité entre Autonomies est tellement injuste qu’il aboutit à une inversion de l’ordinalité : il ne s’agit pas seulement de réduire les écarts, les Communautés les plus riches contribuant au développement des plus pauvres, principe légitime s’il en est auquel souscrivent sans réserve les Catalans, il s’agit de faire que les plus riches deviennent les plus pauvres et vice-versa. Du jamais vu nulle part. Les Catalans ressentent cela comme une véritable spoliation, politique classique d’une métropole envers ses colonies. Loin donc du reproche récurrent d’une Catalogne riche110 et égoïste qui ne veut plus payer pour les pauvres, nous sommes face à une toute autre réalité, très différente, d’exaspération devant son impossibilité d’apporter à ses concitoyens le niveau de vie digne auquel ils ont droit. Cette spoliation sert ainsi, par exemple, à ouvrir ailleurs des lignes de TGV sans passagers, des gares fantômes et des aéroports déserts juste pour la gloire (et la réélection) d’un cacique local quelque part dans la Péninsule111.

Mais les raisons financières sont loin d’être le seul moteur de l’indépendantisme. L’impossibilité progressive de la Generalitat à légiférer dans les domaines pour lesquels elle bénéficie de compétences propres est devenue criante ; et ce, au détriment de la population toute entière, qu’elle soit pro ou anti indépendance. En effet, suivant la stratégie de judiairisation de la politique (et de la politisation de la Justice qu’elle suppose) dans un État où la Justice est tout sauf indépendante de l’Exécutif, le PP, via son bras armé, le TC, s’est employé à invalider systématiquement les lois votées par le Parlement catalan, y compris celles qui n’avaient rien de « sécessionnistes » mais qui visaient simplement à réguler le bien-être social de ses administrés.

Ainsi, pas moins de 34112 recours d’anti-constitutionalité ont été présentés depuis 2012 contre des lois catalanes sous le prétexte fallacieux qu’elles rompaient l’égalité entre tous les espagnols113. En voici quelques-unes, toutes à net caractère social ou environnemental : loi sur l’imposition des transactions bancaires114 ; loi contre la pauvreté énergétique garantissant les fluides à ceux qui ne peuvent pas payer les factures115 ; loi d’imposition de l’énergie nucléaire ; loi sur la taxation des opérateurs d’Internet ; loi de taxation des logements non occupés, loi de l’égalité hommes-femmes ; loi d’interdiction du fracking dans la recherche du gaz de schiste ; loi d’interdiction des grandes surfaces en dehors des agglomérations ; loi d’urgence d’hébergement interdisant les expulsions ; loi de mesures contre le changement climatique ; loi interdisant les corridas sur le territoire catalan ; loi régulant les horaires d’ouverture des commerces… faut-il continuer ?

Cette impossibilité de fait à s’autogouverner et à construire un pays meilleur, conformément à la volonté des citoyens via ses représentants élus, est l’autre facteur essentiel de la montée de l’indépendantisme. Beaucoup de Catalans, qui n’appartenaient pas à la mouvance indépendantiste, l’ont rejointe non pas pour des raisons historiques ou idéologiques mais simplement sociales, convaincus désormais que le seul moyen de construire l’avenir qu’ils souhaitent pour eux et leurs enfants est de bâtir une République indépendante. Et c’est un projet très motivant que celui de tout recommencer à zéro, sans contraintes extérieures. Pour cette partie de la population, l’indépendance n’est pas essentiellement un but mais un moyen, le seul à l’heure actuelle à leurs yeux, pour atteindre ces buts. Pour y parvenir, deux possibilités (qui ne s’excluent pas l’une l’autre, d’ailleurs) : un vote du Parlement catalan ou un référendum.

Le référendum du 9 novembre 2014

L’idée du référendum naît avec une consultation organisée par la municipalité de la petite localité d’Arenys de Munt (une commune de moins de 10.000 habitants) le 13 septembre 2009 sur la question de l’indépendance. Cette initiative spontanée fait vite tâche d’huile et bientôt un grand nombre de villes procédèrent de même. En décembre 2011 se constitue l’Association des Municipalités pour l’Indépendance (AMI) qui regroupe les communes dont le Conseil Municipal a voté une motion favorable à l’exercice du droit d’autodétermination ; à l’heure actuelle elle regroupe 83 % de municipalités catalanes.

Après l’historique démonstration de force des indépendantistes du 11 septembre 2012, qui frôla les 2 millions de manifestants, et aussi comme conséquence du refus de Rajoy d’ouvrir des négociations sur la proposition du nouveau pacte fiscal116 votée par le Parlement catalan, le Président de la Generalitat à ce moment-là, Artur Mas, jusqu’alors simplement autonomiste, se convertit à l’indépendantisme et convoque des élections anticipées en novembre, avec la question du droit à décider et de l’autodétermination au centre de la campagne, élections qu’il remporte.

Conformément à ses engagements, il décide d’organiser un Référendum le 9 novembre 2014. L’Espagne s’y oppose et frappe d’anticonstitutionnalité cette initiative. Artur Mas la transforme alors en simple « consultation populaire » à valeur indicative mais non-contraignante. L’Espagne la déclare tout aussi illégale mais, malgré cette interdiction et les risques encourus, plus de 2,3 millions de citoyens bravent le danger117 et se rendent aux urnes, 80,91 % d’entre eux se prononçant en faveur de l’indépendance. L’État espagnol, fou de rage, met par la suite en examen le Président Artur Mas118et le condamne, ainsi que trois autres membres de l’exécutif catalan, à des amendes et des peines d’inéligibilité.

Les élections « référendaires » du 27 septembre 2015

N’ayant pu réaliser un référendum dans des conditions normales119, Mas décide alors de convoquer de nouvelles élections anticipées avec un caractère référendaire120. Ce subterfuge a pour but de permettre aux électeurs de s’exprimer dans une élection tout à fait légale et juridiquement inattaquable et de savoir, sans contestation possible, si les indépendantistes sont ou non majoritaires dans le pays.

Elles ont lieu le 27 septembre 2015. Deux des trois partis indépendantistes (l’historique ERC, de centre gauche, et le parti du Président121, de centre-droit), ainsi qu’un bon nombre de personnalités de la société civile très estimés par la population122 s’y présentent ensemble sous une coalition dont le nom est explicite : « Ensemble pour le Oui123 » ; la troisième force favorable à la République indépendante, la CUP124, d’extrême gauche altermondialiste et anticapitaliste, se présente sous ses propres couleurs. Mais, tandis qu’un référendum véritable est forcément binaire et dégage donc mathématiquement (une fois les bulletins blancs ou nuls ignorés) une majorité et une minorité, une élection à un Parlement consiste en un vote pour des députés appartenant à des partis. Et s’il est vrai qu’il était aisé de délimiter parfaitement un camp du « oui » (les trois partis explicitement indépendantistes) et un camp du « non » (les trois partis explicitement unionistes125), il fallait compter avec une troisième formation, nouvelle, les « Communs », issue du Mouvement des Indignés et sa traduction politique sous la forme du parti « Podemos126 », avec un discours socialement progressiste mais ambivalent quant à l’indépendance. En effet, partisans résolus du droit à décider (contrairement aux partis unionistes, qui la rejettent car non conforme à la Constitution), ils sont divisés quant à la question de l’indépendance, avec une majorité contre et une minorité pour. En d’autres termes, ils réclament eux aussi un référendum d’autodétermination, négocié avec Madrid (à l’écossaise ou à la québécoise), mais plutôt pour y appeler à voter non, au profit d’une hypothétique modification de la Constitution instaurant une Espagne fédérale, faisant semblant d’oublier qu’un pacte ne peut s’établir si l’une des deux parties (L’Espagne, en l’occurrence) refuse obstinément de négocier.

La présence de cette troisième force, de type fédéraliste, incarnant un évasif « ni-ni » à un moment où l’esquive n’aurait pas dû être de mise127, rendra, on va le voir, l’interprétation des résultats sujette à polémique. En effet, au soir des élections, le camp du « Oui » obtient la majorité absolue à la Chambre (72 députés sur 135), le camp du « non » en cumula 52 (dont seulement 11 pour le PP) et les « ni-ni » les 11 restants. La victoire des indépendantistes est donc claire et incontestable en termes de sièges, d’autant plus que le taux de participation fut extrêmement élevé, l’un des plus forts pour des élections « régionales » : 77,4 %, légitimant ainsi les résultats. Mais, en termes de voix, ils ne franchissent pas la barre symbolique des 50 %, restant à 47,74 %128 ; ce qui permet aux unionistes et au gouvernement de Madrid129 de proclamer que les indépendantistes ont perdu le plébiscite, ajoutant sans vergogne les voix des unionistes (39,17 %, dont seulement 8,49 % pour le PP) aux voix des fédéralistes (8,94 %) dont on sait qu’une partie tout au moins, en cas de référendum binaire, voterait « oui », dépassant alors le seuil de 50 %.

Il est pourtant évident que, en termes de voix s’étant réellement prononcées par rapport à la question indirectement posée par le biais d’une élection (puisque la poser directement à travers d’un référendum se révélait impossible), à savoir : oui ou non à l’indépendance, la comparaison pertinente est 47,74 % versus 39,17. Et là encore, la victoire indépendantiste est très nette (plus de 8 points d’écart).

Mais le mal était fait et la pression médiatique, reprise souvent à l’étranger, ne cessa de marteler que les indépendantistes étaient en fait minoritaires et ne pouvaient pas appliquer leur programme, même en disposant d’une majorité absolue au Parlement, parce que leur échec à atteindre le 50 % des voix les rendait illégitimes.130

C’est dans ce contexte de mise en question permanente de sa légitimité que le nouveau gouvernement, présidé par Carles Puigdemont131, qui devenait ainsi, le 10 janvier 2016, le 130ème Président de la Generalitat, commence à dérouler son programme. Celui-ci prévoit, loin de toute précipitation ou improvisation (dans un délai de 18 mois approximativement) de créer les structures d’État indispensables et de promulguer les lois132 nécessaires pour pouvoir, en passant d’une légalité autonomiste à une légalité républicaine133, se « déconnecter » de l’Espagne, accomplissant ainsi le « mandat démocratique clair (…) qui devra culminer par la création d’un état indépendant pour la Catalogne ».

Le référendum du 1er octobre 2017 et la proclamation de la VIème République Catalane

Bien que la majorité absolue des forces indépendantistes au Parlement ait légitimé largement une déclaration unilatérale134 d’indépendance (DUI), le fait de ne pas avoir atteint le fameux seuil de 50 % de voix motive la convocation d’un nouveau référendum, cette fois annoncé comme contraignant et non pas simplement consultatif, avec le but de s’assurer, en cas de victoire, le soutien de la communauté internationale en général et de l’Europe en particulier.

Ce référendum, convoqué pour le 1er octobre 2017 et aussitôt interdit135 par le pouvoir central, devient l’enjeu majeur aussi bien pour les autorités espagnoles, décidées à l’empêcher à tout prix136, que pour les catalanes, tout aussi motivées et engagées à le célébrer. Le 15 septembre, le Ministre espagnol de l’Économie prend le contrôle total des finances de la Generalitat sous prétexte de s’assurer qu’aucun argent public ne puisse être destiné à la préparation du référendum, notamment à l’achat des urnes137.

La recherche des urnes que le gouvernement catalan assure s’être procurées autrement (et 8.000 urnes ne se cachent pas aussi simplement que cela) devient l’obsession de toutes les polices et services de renseignement de l’État. Des centaines de perquisitions sont organisées sans succès. Seuls des bulletins de vote sont découverts dans des imprimeries, et la Guardia Civil se fait photographier devant ce précieux butin comme s’ils venaient de faire une importante saisie d’armes ou de drogue. Grâce à la complicité et à l’incroyable et absolue discrétion d’un millier de conjurés, les urnes138 apparaissent comme par miracle le matin du vote dans chacun des 2.294 bureaux de vote139. Cela représentera une humiliation que Rajoy, qui avait assuré que le référendum n’aurait jamais lieu140.Il le fera très chèrement payer aux Catalans : des enseignants sont poursuivis pour avoir évoqué le sujet avec leurs élèves ; 712 maires (sur les 94O que compte la Catalogne) sont convoqués pour comparution comme de vulgaires délinquants ; un usager de Tweeter est poursuivi pour un tweet anodin ; le centre de communications de la police catalane est perquisitionné dans le but de récupérer les enregistrements des conversations radio le jour du référendum ; le PDG d’Unipost (l’entreprise de messagerie qui avait distribué le matériel électoral) est interpelé ; le Major Trapero (le chef de la police catalane qui avait géré de façon exemplaire le terrible attentat djihadiste à la fourgonnette sur les Rambles du 17 août 2017) est destitué et muté dans un bureau où il effectue désormais des tâches administratives subalternes, etc... Il poussa le ridicule jusqu’à incriminer els Segadors, l’hymne national catalan, pour incitation à la haine (l’équivalent de porter plainte contre La Marseillaise pour apologie de la violence). 

Mais, dès le 20 septembre, quelques jours avant la tenue du référendum, le gouvernement Rajoy, en outrepassant largement ses pouvoirs, franchit un pas supplémentaire dans sa tentative désespérée de l’empêcher et tente un véritable coup d’État contre le gouvernement catalan. En effet, il fait procéder à l’arrestation d’un certain nombre de très hauts fonctionnaires, perquisitionne des locaux officiels, notamment les bureaux du Ministère catalan de l’Économie, mais échoue face à la résistance massive de la population, qui à l’appel de l’ANC et d’Omnium s’est massée autour des lieux occupés et les protège, toujours pacifiquement et sans la moindre violence, comme l’attestent des dizaines de vidéos amateur. La vengeance de Madrid ne tarde pas à s’abattre sur Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, les dirigeants respectifs de ces deux organisations citoyennes, qui, accusés d’incitation à la violence et de sédition, sont arrêtés et jetés en prison ferme (sans caution possible), où ils croupissent depuis le 16 octobre141. Ils sont les deux premiers prisonniers politiques142 du processus.

On peut dire que la question catalane fait vraiment irruption dans l’actualité lorsque le monde entier découvre médusé les images de l’extrême et sauvage violence des forces de l’ordre face à des pacifiques citoyens qui ne voulaient que déposer un bulletin dans une urne et que cette urne ne leur soit pas volée143. Leur détermination, faisant massivement corps de façon ininterrompue depuis 5 heures du matin, pour empêcher la police de fermer les bureaux de vote, jusqu’à 9 ou 10 heures du soir, pour s’assurer du recompte et de la transmission des résultats au Ministère de l’intérieur catalan, force l’admiration. Mais le maximum du courage fut montré dans les bureaux où la police intervient, avec parfois une agressivité criminelle, et où les votants, jeunes et âgés, se laissent matraquer sans opposer de résistance. Il y aura un millier de blessés, légers ou graves, dont une personne qui perd un œil suite à un tir de balles en caoutchouc, pourtant interdites en Catalogne depuis 2014144.

Les résultats du scrutin sont les suivants : sur un corps électoral de 5,3 millions, 2.286.217 bulletins sont comptabilisés, ce qui représente un taux de participation de 43,1 %. Mais il a pu être officiellement établi que les fermetures et confiscations policières intervenues dans 692 bureaux de vote représentaient environ 770.000 inscrits qui n’ont pu donc s’exprimer. Malgré cela, un nombre indéterminé d’entre eux réussissent tout de même à voter dans d’autres bureaux grâce aux « listes universelles » mises en ligne par la Généralitat pour parer à ces perturbations attendues, ce qui rend le calcul du taux exact de participation très difficile. Quoi qu’il en soit, on est en présence d’un taux de participation réel aux alentours de 45 %, semblable à celui de certaines élections « normales145 » et, surtout, extraordinaire pour une consultation interdite qui se déroula, qui plus est, sous la violence policière.

Le « oui » l’emporte avec 90,18 %. Il semble donc indiscutable que, dans une éventuelle consultation normale autorisée par Madrid, le vote en faveur de l’indépendance, tout en n’atteignant pas ces scores quasi-soviétiques146, serait tout de même resté majoritaire.

Mardi 3, le Roi Felipe VI, dans un discours très dur qui contrevient ouvertement au devoir de réserve et de neutralité que lui impose la Constitution, descend dans l’arène et prend ouvertement le parti de la répression (pas un seul mot à l’intention des centaines de victimes de la violence policière, menaces à peine voilées), se comportant non pas en arbitre mais en procureur. Les rares catalans qui attendaient encore qu’il joue un rôle de médiateur en sa qualité de Roi de tous les espagnols, sont définitivement dépités. La suite ne fait désormais plus de doute pour personne.

Le mardi 10, Puigdemont se présente devant le Parlement catalan et déclare que le 1er octobre, la Catalogne « a acquis le droit à être indépendante, écoutée et respectée » et du fait de la victoire du « oui », il a décidé d’assumer « le mandat du peuple pour que la Catalogne devienne un état indépendant sous la forme d’une République ». Les milliers de citoyens qui se massent aux portes de l’édifice explosent de joie. Mais, dans la minute qui suit, c’est la douche froide : le Président demande au Parlement de suspendre temporairement les effets de cette déclaration pour ouvrir une période de négociation avec le gouvernement espagnol dans l’espoir que celui-ci consente enfin à l’organisation, avec toutes les garanties, d’un référendum contraignant et définitif, réclamé depuis si longtemps147. Que s’est-il passé en coulisses pour que Puigdemont prenne cette décision, si décevante pour ses partisans ?

On apprendra par la suite que jusqu’à la dernière minute il a été au centre de pressions de toute sorte, venant de tous les côtés ; mais que le facteur décisif avait été un long entretien téléphonique, une heure juste avant son allocution, avec Donald Tusk148, le Président du Conseil de l’Europe. Celui-ci l’assure que s’il proclame unilatéralement l’indépendance, personne ne la reconnaîtra ; mais que s’il fait un geste, il s’engage personnellement à convaincre Rajoy de s’asseoir à la table de négociations. Hélas, une fois le péril écarté, l’Europe continuera à regarder ailleurs, à expliquer qu’il s’agit d’une affaire interne à l’Espagne, voire à soutenir Rajoy en proclamant que nul ne peut désobéir à la Constitution149.

Dans les jours qui suivent, le chef de l’exécutif de Madrid, étranger comme toujours à toute culture de dialogue et de négociation et conforté par l’attitude de l’Europe, interprétant la main tendue par le Président de la Generalitat comme un signe de faiblesse, menace ouvertement d’appliquer l’article 155 de la Constitution. De son coté, constatant l’absence totale de dialogue de Madrid et encouragé par la citoyenneté qui a payé un lourd tribut le 1er octobre pour obtenir l’indépendance et qui lui demande de lever la suspension de celle-ci, Puigdemont demande au Parlement de se réunir en session plénière et de déclarer solennellement la République, conformément au mandat électoral reçu et aux dispositions de la Loi de Transition votée par le Parlement catalan quelques semaines auparavant.

Le vendredi 27 octobre ont lieu deux processus parlementaires parallèles et antagonistes : d’une part, le vote solennel des députés catalans150 proclamant la République ; d’autre part, le Senat espagnol151 habilitant le gouvernement de Rajoy à appliquer le fameux article. Quelques heures seulement séparent ces deux événements majeurs, le premier précédent de très peu le second et chacun se justifiant comme étant une réponse de défense face à l’agression de l’autre.

Le soir même, une fête bon enfant et enthousiaste se déroule, dans le calme total, devant le Palais de la Generalitat. On attend la traditionnelle allocution du Président depuis le balcon principal où, aussi bien Macià que Companys, avaient, des années auparavant, proclamé la République Catalane. Mais il ne se passe rien.

L’article 155

En se prévalant de cet article de la Constitution, Rajoy, avec l’appui de Ciudadanos et des socialistes (ces derniers pourtant à l’opposition), décide la destitution du Président Puigdemont et de tout son gouvernement, la dissolution du Parlement et la convocation de nouvelles élections pour le 21 décembre. Aucune de ces trois mesures n’est pourtant prévue par l’article en question, comme le déclareront dans un document conjoint une centaine de juristes espagnols de tout bord dans les jours qui suivent leur annonce, et représentent, au sens strict, un double coup d’État : contre le Statut catalan et contre la propre Constitution espagnole.

En effet, que dit cet article ? Textuellement et in extenso :

« 1. Si une Communauté Autonome venait à ne pas accomplir les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent, ou si elle agissait de façon qui porte une atteinte grave à l’intérêt général de l’Espagne, le Gouvernement, après injonction auprès du Président de la Communauté Autonome et, au cas où elle ne serait pas prise en compte, avec l’accord par majorité absolue du Senat, pourra adopter les mesures nécessaires pour obliger la dite Communauté à l’accomplissement forcé des dites obligations ou pour la protection de l’intérêt général.

2. Afin de rendre effectives les mesures prévues dans le paragraphe précédent, le Gouvernement pourra donner des instructions à toutes les autorités des Communautés Autonomes. »

C’est tout. Rajoy peut « donner des instructions » aux autorités de la Generalitat, mais en aucun cas les destituer152. Et encore moins dissoudre le Parlement de Catalogne. Et les recours que le Gouvernement et le Parlement catalans présentent auprès du TC devant cet abus manifeste de pouvoir, ce véritable coup d’État judiciaire, ne sont pas, comme on pouvait s’y attendre, acceptés par celui-ci. Certes, ils seront ultérieurement examinés par la Cours de Justice Européenne, mais le verdict n’interviendra, hélas, que dans plusieurs années.

Il faut insister sur ce viol de la Constitution par Rajoy. La façon dont l’exécutif espagnol a appliqué l’article 155 ne repose pas sur une simple interprétation partisane et opportuniste de celui-ci, ce qui serait déjà grave ; il a appliqué des dispositions qui non seulement n’existent point sur le texte, mais qui avaient été explicitement écartées et interdites par les constituants eux-mêmes, qui avaient acté l’impossibilité de dissoudre le Parlement.

Ce que la Catalogne met sur la table n’est pas un simple problème de dysfonctionnement dans l’exercice de certaines compétences autonomiques ou de comportements irréguliers de certaines instances autonomiques (qui auraient pu, en effet, être résolus par une coercition correctrice de ces écarts), mais un problème politique majeur. En effet, les Parlements espagnol et catalan avaient accordé une forme d’intégration de la Catalogne à l’Espagne (le nouvel Statut) et le résultat de ce pacte fut soumis, comme nous l’avons vu, à référendum. Pacta sunt servanda. Nulle communauté politique, nulle culture juridique ne peut survivre sans le respect de cet axiome. Ce que le PP fut de ce pacte est la plus haute expression de l’anti-juridicité, qui est encore plus grave que l’anti-constitutionnalité. Et si le pacte ne satisfait plus, il faut en établir un autre. En aucun cas on ne peut accepter qu’on remplace un contrat par un diktat. Si le dictat était une option, il n’y aurait jamais de pacte. Le pacte est possible justement parce qu’il n’existe aucune autre option pour résoudre les problèmes.

La Catalogne se réveille donc dirigée depuis Madrid par un parti qui, incroyable paradoxe, ne dispose au Parlement Catalan que de 11 sièges sur 135, qui n’a obtenu que 8,49 % des suffrages aux dernières élections153 et qui ne gère qu’une seule commune sur les 940 municipalités catalanes154. Il usurpe donc par la voie soi-disant juridique ce que les urnes lui ont obstinément refusé. Un parti, qui plus est, qui prône le respect des lois aux autres tout en étant considéré comme étant le plus corrompu d’Europe.

En effet, pas moins de 700 membres de ce parti, parmi lesquels figurent des hauts responsables, des Présidents de Communautés Autonomes et même des ex-ministres ou des ministres en exercice, font actuellement l’objet de poursuites judiciaires malgré tous les obstacles qu’oppose le Ministre de la Justice155. Des doubles comptabilités, des caisses noires, des enveloppes sous la table, des malversations et autres délits similaires, éclaboussant même Rajoy en personne, ont été formellement établis et reconnus par les tribunaux, qui ont prononcé de nombreuses condamnations fermes156. Le volume global de la corruption que les tribunaux ont ainsi pu établir (sans compter celle qui est restée cachée) est estimé à plus de 120 milliards. Et ce ne sont pas que les individus qui sont poursuivis : le parti lui-même, en tant que tel, fait actuellement l’objet d’une mise en examen qui, si elle aboutissait, entraînerait sa mise hors la loi et sa dissolution. Même le Parlement Européen a ouvert une enquête suite à des soupçons de financement illégal dans les campagnes électorales de Rajoy.

Cette corruption, de notoriété publique, constitue également l’une des raisons qui alimentent l’indépendantisme ; les Catalans ne supportent plus qu’un parti corrompu ne cesse de faire appel au respect de la loi pour les empêcher de décider de leur destin. Échapper à une telle emprise est devenu l’une des motivations d’honnêtes citoyens qui n’étaient pas indépendantistes au départ.

L’emprisonnement et l’exile du Gouvernement catalan

La feuille de route de l’indépendantisme, mûrement réfléchie et longuement préparée, comportait plusieurs étapes : l’obtention de la majorité au Parlement ; l’élaboration des lois de déconnexion et la mise en place des structures d’État ; la célébration d’un référendum d’autodétermination ; la proclamation de la République et le début d’un processus constituant devant culminer, via le vote du Parlement et la ratification par référendum, par l’adoption d’une nouvelle Constitution Catalane.

Les quatre premières pierres de cet édifice avaient été posées avec succès. Pour rendre effective la nouvelle République proclamée et continuer à dérouler cette feuille de route, les citoyens étaient disposés à descendre dans la rue, pacifiquement mais de façon massive, protégée si nécessaire par la police autonome catalane (qui, désormais, n’aurait d’ordres à recevoir que du ministre catalan de l’intérieur) pour défendre le Gouvernement, le Parlement et tout ce qu’il faudrait défendre. Ils l’avaient amplement prouvé le 20 septembre en faisant avorter la tentative de mise sous contrôle des institutions (alors que l’article 155 n’était pas encore en vigueur) ou en défendant les urnes le 1er octobre. Mais les choses se passeront tout autrement.

En effet, les trois jours qui suivent la proclamation de l’indépendance sont marqués (après la joie, l’émotion, les larmes et l’euphorie de la soirée du 27) par un grand flou qui laisse les Catalans très déconcertés. Non seulement le Président ne s’est pas montré au balcon du Palais du Gouvernement (sur lequel le drapeau espagnol continue à flotter à côté du catalan) mais aucune consigne n’est lancée à la population. On sait que le Gouvernement au complet, ainsi que des personnalités du premier cercle, se sont réunis à la Generalitat après la proclamation, dans une séance marathon dont ils ne sortiront qu’au petit matin, visiblement tendus et fatigués. Dimanche 29, Puigdemont fait une très courte et énigmatique apparition officielle à la télévision en demandant de la patience, de la persévérance et de ne jamais abandonner la voie du pacifisme. Et, mardi 31 au matin, on apprend qu’il tiendra une conférence de presse à Bruxelles, où il se trouve désormais avec une partie de son gouvernement, tandis que le vice-Président Oriol Junqueres et le reste du Gouvernement demeurent sur place. La surprise et la stupéfaction, voire la déception, sont énormes. Et tout le monde attend ses explications à fin de pouvoir comprendre ce que cela signifie et ce qui s’est passé dans ces jours de flottement du pouvoir (du moins, en apparence).

Les révélations de Puigdemont depuis Bruxelles dissipent tous les doutes et donnent un éclairage nouveau, qui fait sens, aux étranges évènements des derniers jours. Il explique que lui et son gouvernement avaient été alertés, par des canaux différents et concordants157, du fait que l’Armée espagnole avait reçu l’ordre de se tenir prête à intervenir si la population se massait autour des institutions pour les protéger et les défendre. Et il ajoute que ces menaces incluaient explicitement l’assurance qu’il y aurait de la violence, avec du sang (sic) et des morts. Prenant cette menace très au sérieux (étant donné le comportement des forces de l’ordre le jour du référendum) et fidèle à son engagement résolument gandhien en faveur de la non-violence, il avait décidé, avec son gouvernement, de ne pas exposer des civiles à un tel risque et de leur épargner ce sacrifice, quitte à les décevoir.

Il précise également qu’il ne demande pas l’asile politique mais qu’il souhaite être au cœur des institutions européennes pour les sensibiliser au problème et poursuivre le combat158 et déclare qu’il participera aux élections imposées par Rajoy159 et en acceptait par avance le résultat, quel qu’il fut, exigeant publiquement de Rajoy qu’il prenne le même engagement, chose qu’il n’a toujours pas faite160. Il rappelle enfin que son seul crime consiste à avoir scrupuleusement respecté les promesses électorales inscrites dans le programme de la coalition indépendantiste, programme dûment déposé en temps et en heure, conformément à la loi, auprès de la Commission électorale espagnole qui n’en avait demandé aucune modification ni émis la moindre restriction.

Le lendemain, une partie des ministres qui l’avaient accompagné à Bruxelles rentrent au pays pour rejoindre ceux qui y étaient restés. Cette répartition entre deux équipes, une extérieure et une intérieure (qui risquait d’être arrêtée à tout moment), avait été librement décidée, d’un commun accord, entre les membres du Gouvernement.

Et, en effet, dès le jeudi 2 novembre (vulnérant tous les droits de la défense, qui ne disposera que de 24 heures pour préparer ses argumentaires) le vice-président Junqueras ainsi que les 7 ministres présents sur le territoire sont incarcérés, sans possibilité de caution, à Madrid. Les conditions de leur transport vers le centre pénitencier se révèlent tellement humiliantes, vexatoires et violentes que la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT) publie un communiqué les dénonçant sans ambiguïté. Le nombre de prisonniers politiques161 s’élève ainsi à 10.

Les chefs d’accusation retenus contre eux sont extrêmement graves : dans l’ordre : désobéissance, malversation de fonds publics162, sédition et rébellion (celle-ci passible de 30 ans de prison ferme !) La qualification de rébellion suscite un grand émoi parmi les juristes puisque ce délit ne s’applique qu’à ceux qui « se soulèveraient de façon violente ». La violence est, en effet, l’élément constitutif du délit. Sans violence, il n’y a pas de rébellion. Et si quelque chose est absente tout au long du processus catalan, dont le monde entier a pu constater (et a loué) le pacifisme profond, c’est justement la violence. Mais dans ses attendus, la juge Carmen Lamela163 estime que les « murailles humaines qui défendaient de façon active les bureaux de vote faisant reculer les forces de police ou les obligeant à utiliser une force qui n’aurait pas été nécessaire autrement, constituent une claire et plurielle expression de la violence. » L’inversion des rôles est ici totale164. Et aussi : « La concurrence de violence physique peut ne pas être nécessaire lorsque le soulèvement, de par ses caractéristiques ainsi que par le nombre indéterminé de personnes impliquées, atteint une dimension telle qu’il présente une capacité intimidatrice suffisante pour dissuader les forces de l’ordre d’un possible passage à l’acte dans la mesure où une opposition aux plans des rebelles deviendrait violente et belliqueuse. » Le lecteur jugera par lui-même.

En réponse à ces emprisonnements, syndicats, partis, étudiants, transforment les CDR (Comités de Défense du Référendum) en Comités de Défense de la République et multiplient les actions de protestation : un arrêt total du pays le 6 novembre, réussissant une paralysie des activités sans précédent, y compris au niveau des transports (TGVs à l’arrêt, routes coupées, etc.) ; manifestation nocturne impressionnante du plus d’un million et demi d’habitués des défilés annuels du jour de la Fête Nationale et, en point d’orgue, une concentration de soutien à Puigdemont et son gouvernement à Bruxelles, où se déplacent, malgré le froid glacial, la pluie ininterrompue et les 1.300 Km de distance, 60.000165 catalans enveloppés de capes, bonnets, foulards ou écharpes jaunes, la couleur choisie pour revendiquer la liberté des leaders emprisonnés et interdite depuis (neutralité électorale oblige) y compris, sommet du ridicule, au niveau des jets d’eau des fontaines lumineuses de Barcelone.

Ce regain d’autoritarisme, cette attitude viscéralement antidémocratique de l’État espagnol, surtout lorsqu’il est gouverné par le PP, cet héritier du franquisme166 qui a toujours rêvé de discipliner et uniformiser les Communautés Autonomes167, d’anéantir « les tendances gravement dissolvantes accroupies dans le terme nationalités168 » pourtant bel et bien présent dans la Constitution qu’il refusa de voter, a décanté encore une nouvelle tranche de la population vers l’indépendantisme. Encore une fois, non pas par idéologie mais par simple attachement à la démocratie. Ils sont arrivés à la conclusion que ce qui est actuellement en jeu n’est plus une question d’indépendance, mais, tout bonnement, une question de démocratie, devenue impossible au sein de l’Espagne.

Dès le lendemain (vendredi 3 novembre) de ces emprisonnements, l’Espagne poursuit sa logique et émet un mandat d’arrêt européen à l’encontre de Puigdemont et les ministres restés à Bruxelles. Ceux-ci se présentent immédiatement aux autorités belges pour être entendus par la Justice, qui, après audition, les laisse en liberté provisoire sous contrôle judiciaire. La Belgique dispose alors de plusieurs semaines pour étudier le dossier et décider de les extrader ou pas.

Le 9 novembre, c’est au tour de Carme Forcadell169, la Présidente du Parlement catalan dissout et aux membres du Bureau du dit Parlement d’être arrêtés. Ils sont libérés sous caution en attente de jugement, Forcadell ayant été obligée de passer une nuit en prison comme mesure vexatoire.

Le 4 décembre, six des ministres incarcérés sont laissés en liberté provisoire sous caution, mais pas le vice-Président Junqueres ni un dernier ministre, qui restent derrière les barreaux.

Le 5 décembre, en pleine campagne électorale, Pablo Llarena, le Président du Tribunal Suprême espagnol (qui désormais centralise les poursuites contre tous les inculpés de l’affaire), annonce qu’il retire le mandat d’arrêt européen mais que les « fugitifs » restent mis en examen et seront arrêtés s’ils reviennent au pays. Un important dispositif policier est d’ailleurs déployé aux frontières pour procéder à leur arrestation dès qu’ils les franchiraient.

Il y a deux raisons essentielles à ce revirement judiciaire. En premier lieu, la Justice belge s’apprêtait, dans les jours suivants, à rendre son verdict sur la demande d’extradition et elle avait déjà avancé officieusement que seul le délit de désobéissance pouvait être retenu. Si la procédure était arrivée à son terme et que la conclusion des juges belges avait été celle-là, cela aurait supposé un violent camouflet pour la Justice espagnole dans la mesure où il serait devenu évident aux yeux du monde qu’un tribunal impartial ne considérait pas que Puigdemont et les membres de son gouvernement se soient rendus coupables de détournement de fonds, sédition et encore moins de rébellion. Autrement dit, cela aurait démontré que la Justice espagnole était au service du pouvoir politique en place. Qui plus est, cette décision aurait dû concerner également les membres du Gouvernement poursuivis en Espagne sous les mêmes chefs d’accusation.

Et cela nous mène à la deuxième raison : si la procédure avait suivi son cours, l’Espagne n’aurait pas eu le droit de juger le Président, le vice-Président et l’ensemble du Gouvernement que pour le délit de désobéissance, qui est beaucoup moins sévèrement puni par la loi (des simples peines d’inéligibilité, à mettre en balance avec les 30 ans de prison ferme encourus par le délit de rébellion). Or, l’Espagne tient non seulement à se venger du coup que lui ont assené les Catalans en proclamant une République indépendante, mais à faire aussi un exemple, à décourager pour longtemps toute tentative séparatiste.

En retirant à temps son mandat d’arrêt, l’Espagne échappe donc au désaveu international tout en se réservant la possibilité de prononcer, le moment venu, de lourdes peines contre les inculpés et en empêchant le retour de Puigdemont, ce qui représente un sérieux handicap pour un candidat dans une campagne électorale.

Les élections du 21 décembre 2017

La convocation express de ces élections est une surprise pour tout le monde. En effet, les intentions publiquement exprimées par le chef de l’exécutif espagnol lors de sa demande au Sénat d’autorisation d’appliquer l’article 155 étaient de garder la Catalogne sous contrôle le plus longtemps possible et de ne convoquer des élections que lorsque la situation serait redevenue « normale ». Certes, depuis leur défaite aux élections du 21 septembre 2015, les unionistes, mauvais perdants, rêvaient de revanche et ne cessaient de réclamer de nouvelles élections, même si la législature n’en était qu’à la moitié de son mandat. Mais il n’y avait aucune raison d’appeler à nouveaux les électeurs aux urnes puisque ceux-ci s’étaient, en toute légalité, prononcés deux ans auparavant et avait donné mandat aux partis indépendantistes pour proclamer la République. Les seules élections qui étaient au programme étaient les élections constituantes.

Si, malgré tout et contre toute attente, Rajoy avait précipité la tenue de ces élections dont il ne voulait pas c’était, comme il a déjà été évoqué plus haut, parce que cela représentait une solution de compromis entre convoquer enfin le référendum contraignant que les Catalans demandaient depuis longtemps (mais dont la simple célébration, indépendamment du résultat, signifiait un désaveu insupportable pour le Premier Ministre espagnol), et être lâché par l’Europe.

L’annonce de nouvelles élections autonomiques (régionales, en terminologie française), justement parce qu’elles n’avaient aucune raison d’être, non seulement prend de court le bloc indépendantiste mais représente pour eux, de fait, un redoutable piège à plusieurs détentes. En effet, il les place face à plusieurs dilemmes, tous capables de les diviser et, donc, de les affaiblir.

En premier lieu, il se pose la question d’y participer ou pas. En toute logique, et si l’on voulait rester cohérent, il fallait les boycotter. En effet, comment justifier qu’un pays qui vient de proclamer son indépendance et s’apprête à convoquer des élections pour élire les députés d’une Assemblée Constituante se rende aux urnes pour participer à une élection convoquée par les autorités du pays dont on vient de faire sécession pour élire un nouveau parlement « régional » ? Cela équivalait à revenir deux ans en arrière, à accepter de rejouer un match qui avait déjà eu lieu et qui avait été gagné « à la régulière » et à passer en pertes et profits tout le travail accompli, tout le chemin parcouru depuis. En d’autres termes, cela signifiait renoncer à (ou, au mieux, mettre entre parenthèses) la République, c’est-à-dire, se renier, trahir leur électorat, reconnaître qu’ils n’avaient pas réussi à proclamer l’indépendance et à se séparer de l’État espagnol. Cela signifiait également une acceptation, de facto, de l’article 155 et de toutes ses conséquences. Cette option n’était pas seulement incohérente ; elle était, surtout, suicidaire.

Qui plus est, ces élections n’étaient absolument pas en mesure de régler le conflit puisque les tenants de l’article 155 avaient déjà publiquement annoncé que si le camp indépendantiste l’emportait la confiscation de la Generalitat par Madrid se poursuivrait. Autrement dit, quelle qu’en soit l’issue, les élections ne pouvaient que sonner la défaite de l’indépendantisme. Les dés qu’on leur imposait de jeter étaient manifestement pipés.

Mais il était très difficile de faire admettre ce raisonnement, parfaitement cohérent au niveau interne et tout à fait conforme à la réalité objective, à une Europe qui, de l’extérieur, n’ayant pas les tenants et les aboutissants de l’affaire, ne percevait (ou faisait semblant de ne pas apercevoir) qu’un simple différent entre deux parties, dont le vote était la solution. N’oublions pas que, depuis un bon moment déjà, la partie se jouait non pas à deux mais à trois : l’Espagne, la Catalogne et l’Europe. Et beaucoup de stratégies, de l’Espagne comme de la Catalogne, n’avaient pour but que de se ménager le soutien des Européens. Dans cette perspective, comment expliquer qu’un peuple qui demande depuis des années à pouvoir décider de son avenir par un vote170 refuse, quand on le convoque aux urnes, de s’y rendre ? Pire, cela serait interprété comme craignant les résultats, comme un aveu de ne pas être sûrs d’être majoritaires171, comme un refus de démocratie, ce qui ne pourrait que ternir l’image du mouvement indépendantiste qui apparaitrait alors comme totalitariste172. Par ailleurs, ayant choisi l’option du non-affrontement frontal, de ne pas résister pour éviter toute violence et toute effusion de sang, il était impossible de déployer, de rendre effective la République et d’ignorer les élections ; et ne pas y participer équivalait à faire cadeau de la Generalitat aux anti-indépendantistes qui, aux yeux du monde, seraient alors arrivés au pouvoir en toute légalité. Le piège se refermait donc.

Une fois donc la décision de se présenter assumée, avec tout ce qu’elle pouvait représenter de renoncement (et, par voie de conséquence, de déception et découragement), un deuxième dilemme se présentait aux forces indépendantistes : reconduire l’alliance électorale entre les deux grandes formations indépendantistes (voire entre les trois, si cette fois-ci, devant l’importance des enjeux et pour en faciliter la lecture depuis l’étranger, la CUP acceptait de se fondre dans la coalition pour présenter une liste unique et unie conduite par Puigdemont) ou se présenter séparément afin de ratisser le plus large, au risque d’une compétition interne qui pourrait s’avérer néfaste. Chacune des deux options présentait donc des avantages et des inconvénients et la polémique qui devait en résulter, tout comme le constat de l’impossibilité d’arriver finalement à une entente, ne pouvait pas ne pas laisser des traces. Le deuxième piège avait donc aussi fonctionné.

Pour couronner le tout, les indépendantistes ne concourent pas à égalité de conditions et doivent affronter une campagne électorale aux enjeux cruciaux avec de nombreux handicaps, le plus évident étant l’impossibilité de certains candidats à mener campagne normalement du fait de leur emprisonnement ou de leur condition d’exilés. Plus sournoisement, les candidats qui ont obtenu une libération conditionnelle sous contrôle judiciaire voient leur liberté d’expression gravement réduite du fait qu’ils peuvent à tout moment être à nouveau incarcérés si la Commission Électorale (composée uniquement de personnalités proches du PP) estime qu’ils contreviennent aux engagements de respecter la Constitution que leur stratégie de défense, comme à l’époque de Galilée, leur a obligé à accepter pour pouvoir être libérés. Cette « abjuration » sera d’ailleurs largement utilisée par les médias espagnols pour les décréditer aux yeux des Catalans et il est probable qu’elle ait fait augmenter le sentiment de déception de certains.

Le rôle partisan de la Commission Électorale (instance pourtant censée garantir l’impartialité du processus électoral) a été une constance depuis le début de la campagne : interdiction d’arborer des signes distinctifs jaunes pour se rendre aux urnes, d’illuminer en jaune les fontaines de Barcelone173, d’utiliser l’expression « prisonniers politiques », « Président Puigdemunt »174, « Ministre Untel », etc. La radio (Catalunya Ràdio) et la télévision (TV3) publique catalane, de grande audience et d’un professionnalisme sans comparaison avec celui de leurs homologues espagnoles, se trouvent sous étroite surveillance et font l’objet de critiques constantes de la part des unionistes, qui voudraient les réduire au silence ou les contrôler175. Un exemple entre mille : TV3 n’a pu retransmettre en direct et dans son intégralité la manifestation de Bruxelles. En revanche, que des candidats soient maintenus en prison ou contraints à l’exile ne constitue pas, aux yeux de la dite Commission, une atteinte à l’égalité des chances.

Dans ce contexte vicié, des rumeurs persistances176 de préparation de fraude massive, dans la plus pure tradition de bourrage des urnes de l’Espagne du XIXème siècle177, ont circulé sur les réseaux sociaux. C’est dire la méfiance de la population face à la prise de controle de tous les ministères catalans par les homologues espagnols à laquelle a abouti l’application abusive de l’article 155. Tout laisse supposer donc que ces élections « sous contrôle178 », cruciales entre toutes, seront tout sauf normales.

Épilogue (provisoire)

Au moment où je dois rendre ce texte, moins d’une semaine nous sépare des élections. Beaucoup de coups de théâtre, dans un sens comme dans l’autre, peuvent encore se produire et influencer ainsi une élection qui s’annonce serrée du fait du taux de participation historiquement élevé attendu (au-delà de 80 %), où toute une frange de la population qui ne s’intéresse pas d’ordinaire à la politique et/ou qui n’a pas d’avis tranché sur la question179 va être fortement sollicitée. A l’heure actuelle, il serait très risqué d’avancer un pronostic. Mais, au moment où le lecteur aura ce texte entre les mains, le dénouement électoral, même s’il risque de ne pas se traduire par un déblocage de la situation ni par une solution au problème posé (pour les raisons précédemment exposées), aura eu lieu.

Tout comme pour les précédentes élections, la tentative (toujours imposée par des tiers) de régler une question binaire (oui ou non, sans contestation possible) par des élections de députés risque d’aboutir à des résultats qui, loin de trancher le différend, pourront être interprétés de façon partisane. En effet, à moins que le bloc favorable à la sécession ne soit majoritaire aussi bien en sièges qu’en voix, les unionistes clameront que les indépendantistes ont perdu, même s’ils obtiennent plus de voix et de sièges que les espagnolistes180 ; car la présence des « Communs-Podemos », avec leur « ni-ni », viendra brouiller la lecture des résultats.

Quoi qu’il en soit, une chose est absolument certaine : la rupture entre la Catalogne et l’Espagne, qu’elle se soit traduite par une indépendance à plus ou moins court terme ou pas, est consommée et rien, dans l’immédiat, ne pourra la réduire. La désaffection des Catalans pour le Royaume d’Espagne est désormais trop profonde et irrattrapable, les doléances trop nombreuses, le désamour trop définitif. Et même s’ils venaient à être vaincus, ils ne se soumettront jamais.

L’Europe en général, et la France en particulier, n’ont donc pas fini d’entendre parler de « la question catalane ».

Neuville sur Saône, le 16 décembre 2017

1 Sans que sa validité ne soit nullement mise en cause, malgré l’importance des enjeux...

2 El Procès, c’est justement le nom (en majuscule) par lequel ce processus est communément désigné dans les médias.

3 Ce qui n’a pas empêché le gouvernement actuel d’annoncer, pas plus tard que le 3 novembre 2017, la tenue d’un référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie courant 2018.

4 Voir plus loin pour la signification de ces deux dates capitales (et des suivantes).

5 La Tchécoslovaquie, la Yougoslavie ou la propre URSS ont soudainement cessé d’exister. De leur côté, les trois républiques baltes sont soudain redevenues indépendantes (de fait, 36 nouveaux pays ont émergé lors des 20 dernières années).

6 C’est ainsi, par exemple, que se consolida la Prusse suite au Traité d’Aix-la-Chapelle en 1748 ou que l’Europe fut redessinée à la fin de la deuxième guerre mondiale par le traité de Yalta.

7 C’est ainsi, par exemple, que l’Algérie est devenue française en 1830 ou qu’une partie de l’Allemagne est devenue un État séparé (la RDA, sous influence soviétique).

8 C’est ainsi, par exemple, que la France a annexé la Bretagne.

9 C’est ainsi, par exemple, que la Corse est devenue française (Louis XV racheta l’île aux Génois en 1768) ou que la Louisiane devint américaine (Napoléon la vend en 1803).

10 On remarquera que dans les deux cas on a affaire à des territoires insulaires, ce qui simplifie les choses…

11 Quatre, même, si on considère l’Ulster, cette partie de la Nation irlandaise restée annexée au Royaume.

12 Très souvent, le seul moyen de faire comprendre à un français la différence entre État et Nation a été en passant par le rugby et le très populaire « Tournoi des 5 –depuis quelques années, 6- Nations ». En effet, quand on lui demande de citer les 6 Nations, il énumère la France, l’Italie, l’Irlande, l’Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles. Et lorsqu’on lui fait remarquer que ces trois dernières, contrairement aux trois premières, ne sont pas des États, qu’il n’y a que quatre États (avec le Royaume Uni) mais bel et bien six Nations, il est obligé d’admettre qu’il y a une différence entre une Nation et un État.

13 L’article 2 du titre préliminaire de la Constitution actuelle (1978), tout en déclarant son « unité indissoluble » parle bien des « nationalités et régions qui la composent ».

14 Un peu à la façon dont les multinationales actuelles choisissent les PDG de leurs filiales nationales.

15 Guiffredus primus comes Barchinone.

16 Hug Capet est couronné Roi des Francs en 987.

17 La Reconquête.

18 En catalan, Les Corts.

19 Enfant, endoctriné par l’enseignement de l’histoire imposé par le franquisme, je me demandais souvent pourquoi les archives de la Courone d’Aragon se trouvaient dans le quartier ghotique de Barcelone...

20 Où ils restent encore quelques siècles sous la forme du Califat de Cordoue d’abord, du Royaume de Grenade ensuite.

21 Jacques Ier le Conquérant.

22 Ainsi naît le concept de « Pays Catalans », qui englobe la Catalogne au sens strict (sans l’Aragon), connue sous le nom de Principat, le Royaume de Valence et le Royaume de Majorque, ce dernier incluant à l’époque également le Roussillon, ce qui explique la présence à Perpignan (insolite pour celui qui n’en connaît pas l’histoire) du « Palais des Rois de Majorque ».

23 Qui, sur fond jaune, constituent le drapeau catalan.

24 Probablement, le fait de se situer entre les deux a facilité le fait d’être pris dans un étau qui se refermera progressivement.

25 Nom italianisé de la famille Borja, d’origine aragonaise mais installée depuis le XIIIème siècle à Xàtiva, au cœur du pays valencien.

26 L’actuel Président, sous lequel l’Indépendance vis-à-vis de l’Espagne a été proclamée le 27 octobre 2017.

27 Qui introduit, entre d’autres garanties, le droit d’habeas corpus.

28 Façon raccourcie pour se référer à la péninsule ibérique, un peu comme on désigne la France par « l’Hexagone ».

29 En fait, le premier monarque à utiliser le titre de Roi des Espagnes (au pluriel) fut Joseph Bonaparte, imposé aux Espagnols par Napoléon en 1808, à l’époque de ses conquêtes. Ce n’est que très récemment, au moment de la rédaction de l’actuelle constitution espagnole (1978) qu’apparait officiellement l’appellation « Royaume d’Espagne ».

30 Qu’ils appelaient, très péjorativement, « vieux catalonard ».

31 En fait, certains historiens prétendent même que Colomb lui-même était un juif catalan qui, de ce fait, avait toujours entretenu un flou sur ses origines (Genevois ? Catalan ? Baléare ? Portugais ?) ainsi que sur sa religion (juif ? chrétien ?) et n’eut de cesse à brouiller les pistes, détruire des documents, etc. pour échapper aux foudres de la toute-puissante Inquisition. Une chose est néanmoins établie : il signa toujours Colom, à la catalane, et non pas Colón, à la castillane ou Colomb, à l’italienne.

32 De ce fait, les Catalans ne participèrent en rient au génocide des Indiens, des peuples autochtones.

33 Preuve, s’il en faut, que les deux royaumes restaient deux États bien différenciés et séparés.

34 Guerre des Faucheurs. L’hymne national catalan porte toujours ce nom (Els Segadors) et date de cet épisode.

35 Ce vaste conflit européen qui s’étala de 1618 à 1648 (paix de Westfalia) mais qui, en ce qui concerne le contentieux particulier entre l’Espagne et la France (voir plus loin la Guerra dels Segadors), se prolongea jusqu’en 1659.

36 En somme, un jacobin avant l’heure.

37 En effet, la Couronne de Castille fonctionnait comme une monarchie absolue tandis que la Couronne catalano-aragonaise se régissait par un modèle de monarchie parlementaire qui limitait sérieusement le pouvoir du Roy.

38 On connaît cette date dans les manuels d’histoire sous le nom de « Corpus de sang ».

39 Déjà…

40 N’oublions pas que l’Espagne et la France sont en pleine guerre l’un contre l’autre en ce moment-là.

41 Il le resta, du moins nominalement, jusqu’à sa mort en 1643. Son successeur, Louis XIV, le Roi Soleil, conserva le titre jusqu’en 1652.

42 L’actuel département des Pyrénées Orientales.

43 Cession totalement illégale du point de vue juridique puisque la Constitution catalano-aragonaise stipulait clairement que le Roi n’avait pas le pouvoir d’amputer une partie du territoire sans le consentement explicite du Parlement ; et Felipe IV ne demanda jamais cette autorisation, agissant selon les usages absolutistes de la monarchie castillane et non en tant que monarque constitutionaliste de la Confédération catalano-aragonaise, dont il ne respecta pas la Constitution.

44 En effet, sous le nom de « Guerre de la Reine Anne » (1702-1713) on connaît la deuxième d’une série de quatre guerres entre la France et l’Angleterre en Amérique du Nord pour le contrôle du continent. Elle fut le pendant de la Guerre de Succession Espagnole en Europe.

45 Qui avait été couronné en 1705 Roi à Barcelone sous le nom de Charles III.

46 Joseph, fils aîné de l’Empereur Léopold et, par conséquent, frère de Charles.

47 Il s’installe à Vienne laissant dans un premier temps son épouse à Barcelone en gage de son implication dans la cause catalane. Il la réclame ensuite près de lui et les Catalans, qui auraient pu la retenir pour forcer leur Roi à ne pas se désinvestir de l’affaire, lui font confiance et la laissent partir. L’engagement du Roi dans la lutte pour la Couronne touche alors à sa fin.

48 Qu’elle avait conquise en août 1704 et qu’elle détient toujours.

49 Qui s’étaient pourtant engagés par traité à soutenir sans défaillir et jusqu’au bout l’Indépendance de la Catalogne.

50 Cette funeste date fut plus tard choisie comme Fête Nationale. En effet, contrairement à la plupart des pays, les Catalans ne célèbrent pas une victoire mais le souvenir de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont perdu et de ce qu’ils veulent devenir à nouveau.

51 Bien entendu, la langue catalane fut, tout simplement, interdite. Malgré cela, elle ne disparut jamais et, au début du XXème siècle elle était, encore et toujours, la langue majoritaire et naturelle des gens. Sa grammaire, syntaxe et orthographe furent définitivement fixées en 1913 par l’illustre linguiste Pompeu Fabra.

52 Une de plus, donc, qu’en France…

53 Mouvement culturel catalan du XIXème qui se consolide autour d’une bourgeoisie cultivée qui découvre dans le courant Romantique de l’époque un intérêt vers le passé, intérêt manifesté parallèlement par la plupart des nations européennes. La Renaixença (Renaissance) s’identifie clairement avec le redressement culturel catalan et, surtout, avec la récupération de la langue. En effet, si le peuple n’avait jamais cessé de parler dans un catalan ordinaire, une bonne partie de la bourgeoisie, pour mieux défendre ses intérêts économiques, avait choisi l’intégration et de s’exprimer exclusivement en castillan, la langue de l’occupant. Cette collaboration lui valut la juteuse ouverture du commerce vers Cuba et le Costa Rica, source de véritables fortunes rapidement cumulées par ces opportunistes connus sous le nom d’indianos (commerçants avec les Indes…).

54 Le lecteur aura remarqué la grande influence de la France sur le sort de la Catalogne, depuis ses débuts carolingiens jusqu’aux combats contre Napoléon, en passant par l’instauration bourbonienne suite à la Guerre de Succession (l’Espagne est le seul pays où un Bourbon est encore sur le Trône…).

55 Le premier à utiliser le titre de « Roi d’Espagne », au singulier.

56 Le 29 décembre 1874, sous l’égide du général Martínez-Campos.

57 La Semaine Tragique.

58 Déjà en 1842, le général Espartero avait lancé sa terrible sentence : « Barcelone doit être bombardée au moins une fois tous les 50 ans ».

59 L’équivalent des départements français.

60 En effet, on connait cette période de l’histoire sous le nom de : « Dictature de Primo de Rivera ».

61 État Catalan.

62 Du moins, dans toutes les grandes villes. Lorsque, plusieurs jours plus tard (à l’époque on ne disposait des moyens actuels) seront proclamés les résultats définitifs, il apparaît que, grâce au vote rural, les vainqueurs ont été, en fait, les monarchistes. Mais il était trop tard.

63 « Gauche Républicaine de Catalogne », parti qui a perduré jusqu’à nos jours et qui fait partie de la coalition indépendantiste qui a proclamé l’indépendance le 27 octobre dernier.

64 Une sorte de Constitution catalane.

65 Admirateur d’Hitler et qui se faisait acclamer, lors des meetings, au cri de « Jefe ! Jefe ! » le stricte équivalent de « Führer » ou de « Duce ».

66 Le gouvernement de Madrid y dépêche, pour mâter la révolte, un très jeune et prometteur général qui bientôt fera beaucoup parler de lui, un certain Francisco Franco, qui se livre à une répression sauvage et impitoyable (d’innombrables exécutions sommaires, des mineurs pendus par leurs testicules, etc.).

67 La police autonome catalane.

68 C’est à l’un d’eux, le général Millán-Astray, que l’on doit le sinistre cri : « Viva la muerte ! » ou encore : « À mort l’intelligence ! »

69 Qu’en Espagne on appelle « la guerre civile » ou, tout simplement : « notre guerre » (par opposition à la deuxième Guerre Mondiale).

70 Hitler, sans l’aide duquel (et de Mussolini) Franco ne l’aurait jamais emporté, fait les essais grandeur nature de son aviation en rasant la tristement célèbre ville basque de Guernica, premier bombardement massif et systématique de population civile de l’histoire, immortalisé par Picasso dans son fameux tableau éponyme.

71 En catalan : Conseller primer.

72 Georges Orwell, membre des brigades internationales, participa et fut blessé dans ces combats.

73 Le seul (à part la petite escadrille de Malraux, plus romantique qu’efficace) à aider militairement (pour des motivations intéressées, bien entendu) les républicains, les démocraties occidentales ayant signé avec Hitler un honteux pacte de non-intervention que celui-ci, comme à son habitude, ne respecta jamais.

74 Qui se faisaient appeler « les nationaux » (et non « les nationalistes », comme on peut le lire souvent en France alors que les franquistes étaient viscéralement opposés aux nationalismes indépendantistes catalan et basque, d’où la fameuse maxime de Franco, toujours d’actualité : « l’Espagne, plutôt rouge que rompue »).

75 Qui les parque honteusement sur des camps improvisés à Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien, Rivesaltes, etc., gardés par les terribles Sénégalais, dans des conditions d’hygiène et de subsistance inhumaines et où ils meurent par dizaines de milliers avant de pouvoir émigrer vers l’Amérique Latine où de s’engager dans la Résistance française pour poursuivre leur combat antifasciste (les premiers tanks de la division Leclercq qui entre dans paris à la Libération appartiennent à une unité de républicains espagnols).

76 Mes parents me racontaient comment, si on parlait en catalan dans la rue, on s’entendait dire : « tiens, encore des chiens qui aboient » ou « veuillez parler en chrétien » (lorsqu’on n’était pas, tout simplement, arrêté).

77 Obligés de rentrer dans la clandestinité.

78 Qui, dans les derniers mois de la guerre, et après s’être déjà déplacé une fois de Madrid à Valence, s’était installé à Barcelone.

79 Seul pays qui ne reconnaîtra jamais le régime franquiste et qui abritera jusqu’au bout le Gouvernement Républicain en exile.

80 Où un tout jeune ministre de la Santé, du nom de Salvador Allende, déplie une infatigable activité pour accueillir un maximum de réfugiés.

81 À l’heure actuelle, l'État espagnol ne l’a toujours pas réhabilité. Pire : dans les jours qui ont précédé la récente proclamation d’Indépendance, Pablo Casado, vice-secrétaire à la communication du parti au pouvoir en Espagne (le PP, dont on parlera plus en détail dans les pages suivantes) a publiquement menacé le Président Puigdemont de finir comme Companys.

82 Et facilité par la misère endémique de ces régions et la vitalité économique de la Catalogne.

83 Structurés suivant le modèle français des Camelots du Roi, ils sont très actifs et efficaces pendant la Guerre Civile.

84 Une des photos les plus connues de lui le montre affublé de la chemise bleue des phalangistes et du béret rouge des requetés.

85 Il n’hésite pas, par exemple, à emprisonner Manuel Hedilla, chef de la Phalange qui lui résiste et à le remplacer par un phalangiste à sa botte.

86 Qui adopte, ne pouvant pas régner pour l’instant, l’ancien titre de Comte de Barcelone.

87 Un peu sur le modèle portugais, où à la mort du dictateur Salazar, son successeur Caetano poursuivit la même politique.

88 D’où l’expression, maintes fois répétée par Franco : « Todo está atado, y bien atado » (« Tout est ficelé, et bien ficelé »).

89 La fameuse opération « Ogro » (« Ogre »).

90 La plupart des militaires en faisaient partie.

91 On apprendra également, des années plus tard, que Suárez et Juan Carlos disposaient de sondages secrets indiquant clairement qu’en cas de consultation par référendum sur le système politique à adopter (comme ce fut le cas en Italie à la fin de la Segonde Guerre Mondiale, où les Italiens firent payer au Roi sa compromission avec le fascisme de Mussolini), les Espagnols se seraient déclarés pour la restauration de la République (dernier régime en date, d’ailleurs, avant le soulèvement militaire de Franco).

92 Le même qui avait signé le décret des collectivisations au début de la Guerre Civile (voir plus haut).

93 « Patrie commune et indivisible de tous les espagnols »

94 Du café pour tous.

95 Galicien, comme Fraga-Irribarne et comme le propre Franco.

96 Il faudrait, une fois pour toutes, dédiaboliser le concept de nationalisme, censé être presque le Mal suprême dans la bouche d’un jacobin. Il convient, en effet, de différencier un nationalisme « de conquête », celui exercé par un État sur un autre État et qui comporte souvent une forte dose de chauvinisme, de xénophobie et de discrimination (voire de suprématie ethnique ou raciale) et qu’il faut, en effet, combattre, d’un nationalisme « de résistance » d’un peuple qui a été victime du premier et qui aspire à retrouver son État pour, ensuite, cesser d’être nationaliste. Dans le premier cas de figure on a affaire à un nationalisme atavique et pérenne alors qu’il n’est que transitoire et provisoire dans le second.

97 C’est la fameuse « immersion linguistique », tant décriée par les espagnolistes, alors même que de nombreux experts internationaux ont salué comme un succès incontestable et préconisé son exportation, grâce à laquelle les enfants et petits-enfants des immigrées de la première vague est parfaitement bilingue comme le reste des Catalans.

98 Il en récoltera plus d‘un million.

99 « La Constitution (...) reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et régions qui l’intègrent...  »

100 En effet, en 2010, le Parlement catalan ne comptait que 14 députés indépendantistes sur les 135 qui le composent, soit environ 10 %. Nous verrons que lors des élections de 2015, ils sont 72, soit 53 %. En tout juste 5 ans, l’intransigeance et la désastreuse politique envers la Catalogne de Rajoy, que nous allons exposer dans les pages suivantes, ont donné aux partis indépendantistes la majorité absolue.

101 Nous sommes une nation.

102 En comparaison, cela équivaudrait à réunir à Paris 14 millions de manifestants… Tout simplement impensable !

103 Qui, certes, ne reconnait pas le droit à l’indépendance, mais qui recueille et intègre l’ensemble des traités internationaux signés et ratifiés par l’Espagne, parmi lesquels la Charte des Nations Unies (ONU) qui, elle, reconnaît, de façon expresse « le droit à l’autodétermination des peuples » ou « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Si, comme le martèle sans cesse Rajoy, la Constitution Espagnole a un rang supérieur aux lois promulguées par le Parlement catalan, la charte de l’ONU est bel et bien de rang supérieur à la Constitution...

104 En fait, pratiquement aucune Constitution au monde, même dans les États fédéraux, ne prévoit la possibilité de sécession d’une partie de leur territoire. Pourtant, dans un passé très récent, 36 nouveaux États sont apparus en l’espace de 20 ans...

105 Il faut dire aussi que l’anti-catalanisme est électoralement très payant dans le reste de l’Espagne…

106 Pourtant, à l’époque des violents et meurtriers attentats de l’ETA, le pouvoir central avait répété des dizaines de fois que « en l’absence de la violence, on pouvait discuter de tout ». Les Catalans qui l‘a pris au mot s’entendent nonobstant dire aujourd’hui : « au sein de la Constitution, on peut parler de tout », ce qui n’est pas du tout la même chose. D’ailleurs, l’une des choses les plus préoccupantes du refus, aussi bien de la part de l’Espagne que de l’Europe, de la revendication pacifiste des Catalans est que le gouvernement envoie le message que seuls les peuples qui choisissent la violence (l’Irlande en son temps, par exemple) obtiennent gain de cause.

107 En 2014, par exemple, il atteint la somme colossale de 16,57 milliards d’euros, soit 8,3 % de son PIB ; soit le double de son Budget pour la Santé ; le triple de son Budget pour l’Éducation ; ou encore, plus de 8 fois son Budget pour la Protection Sociale.

108 Il y a quelque temps a été rendu public un enregistrement dans lequel un haut fonctionnaire espagnol, à la tête de ce qu’ils avaient appelé « Opération Catalogne » (et qui a fait l’objet d’un documentaire –« Les égouts de l’État »- très bien informé sur la cellule secrète mise en place pour dynamiter le Procès) se réjouit d’avoir « niqué » (sic) le système de santé catalan en ajoutant qu’ils allaient maintenant s’attaquer à l’enseignement, ce que l’actualité, hélas, confirme tous les jours.

109 Tous les ans, les Catalans voient partir vers l’État approximativement le double de leur budget de la Santé. Ainsi, entre 2002 et 2014, la Catalogne a cumulé un déficit d’environ 200 milliards d’euros, soit pratiquement l’équivalent de son PIB. Ou, autrement dit, les Catalans ont travaillé un an entier, sur les 13 derniers, rien que pour « faire cadeau » de ce déficit à l’État.

110 À l’opposé, on se moque souvent des velléités indépendantistes de la Corse en arguant que sans les subventions de la France elle serait économiquement inviable. Si être riche ou être pauvre constitue un obstacle à l’indépendance, quand est-ce alors qu’un peuple peut s’émanciper ?

111 Ce fut le cas à Albacete, par exemple.

112 Rien que pendant que je rédigeais ce papier (3 semaines), le chiffre est passé, sous mes yeux, de 32 à 34.

113 Alors qu’il aurait suffi que le Parlement espagnol les adopte également pour le reste des citoyens...

114 Une sorte de « Taxe Tobin ».

115 Votée à l’unanimité, c’est-à-dire, avec les voix des députés du PP catalan comprises…

116 Semblable à celui dont bénéficient les Basques et qui aurait permis d’en finir avec l’injustice flagrante du déficit fiscal (dont il a déjà été fait mention plus haut) inhérent à système en vigueur.

117 Convaincu qu’elle n’aurait pas lieu, Rajoy ne donne pas à la police, à cette occasion, l’ordre de l’empêcher et tout se déroule dans le calme, la fierté et la joie.

118 Pour prix de leur liberté sous contrôle judiciaire en attente de jugement, Artur Mas et les 3 autres membres du gouvernement doivent s’acquitter d’une caution de… 5,25 millions d’Euros ! En fait, ils en versent 2,9 millions et gagent leurs biens personnels pour combler la différence. Et le hasard a voulu qu’au moment même où je rédigeais cette note en pied de page, est tombée sur mon ordinateur la nouvelle de la saisie « à titre préventif » de ces biens (appartements notamment) ordonnée par la Cour des Comptes espagnole.

119 Du fait de son caractère non-contraignant, qui réduisait drastiquement l’enjeu réel de la consultation, la plupart des unionistes ne se déplace pas. Le résultat est clairement biaisé et n’est donc pas significatif.

120 L’expression utilisée en Catalogne, mais aussi en Espagne, était : « élections plébiscitaires », ce qui devait être plébiscité (ou pas) n’étant pas une personne (le Président Mas) mais un projet : l’indépendance.

121 « Convergència democrática de Catalunya », devenu depuis « Partit dels Demòcrates europeus de Catalunya »

122 Parmi eux, le très populaire chanteur catalan Lluís Llach, icône de la résistance au franquisme et du combat pour l’indépendance. Le nom de « Révolution des sourires » sous lequel on désigne souvent le Procès catalan est tiré du titre de l’une de ses chansons : « Avec le sourire, la révolte ». Et son « tube » « L’estaca », traduit dans plusieurs langues (dont le corse) est devenu un hymne national bis, repris en cœur dans toutes les manifestations.

123 Junts pel Sí (JxS).

124 Candidatures d’Union Populaire.

125 À savoir, le déjà mentionné PP, un relativement nouveau venu : Ciutadans (C’s), sorte de « marque blanche » du précédent, et le PSC (socialistes).

126 « Nous pouvons », dénomination qui fait un clin d’œil au victorieux « yes, We can » d’Obama.

127 Artur Mas avait, en effet, proclamé que ces élections constitueraient la « consultation définitive ».

128 En chiffres absolus, il ne manqua que 79.667 voix pour dépasser ce seuil.

129 Ainsi qu’aux médias espagnols, dévolus au Gouvernement qui les tient via la publicité institutionnelle, sans laquelle ils seraient tous en faillite.

130 Un peu comme si l’on prétendait que Donald Trump ne pouvait pas diriger les États-Unis dans la mesure où il obtint environ 2 millions de voix en moins que sa malheureuse rivale Hilary Clinton.

131 Qui, contrairement à Artur Mas (pourtant du même parti et ami de longue date) est un indépendantiste de la première heure.

132 Elles aussi, évidemment, toutes suspendues par le TC.

133 Tout comme l’Espagne avait réalisé sa « transition démocratique » partant des lois franquistes pour instaurer une monarchie parlementaire.

134 Puisque Madrid mésestima toute demande de négociation et refusa catégoriquement la tenue d’un référendum. Par ailleurs, toutes les déclarations d’indépendance sont, par définition, unilatérales…

135 On a entendu partout que ce référendum était illégal car contraire à la Constitution. Juridiquement parlant, c’est inexact. En effet, dès sa convocation officielle au Journal officiel de la Generalitat, l’exécutif espagnol présente un recours au TC, qui l’accepte. Mais l’acceptation d’un recours, tout en laissant temporairement en suspens, selon le principe de précaution, la loi incriminée, ne présuppose en rien la décision à venir lorsque le TC en examinera le contenu. Tant qu’il ne s’était pas définitivement prononcé sur sa légalité, c’est-à-dire, sur sa conformité ou pas à la Constitution, (et le Tribunal ne le fit pas avant la date de sa tenue), le référendum était simplement interdit, pas illégal.

136 Et personne n’imaginait alors quel serait ce prix.

137 Achat rendu nécessaire puisque Madrid n’autorisait pas d’utiliser celles habituellement en service lors des élections normales, qui appartiennent à l’État.

138 Achetées de ses propres deniers via Amazon à la Chine par un industriel de Perpignan, descendant des républicains exilés à la fin de la guerre civile, puis cachées dans la petite localité d’Elne avant d’être introduites en catimini par petits lots en Catalogne.

139 Ce qui traduit une détermination, mais aussi une organisation (clandestine, comme aux « bons vieux temps » de Franco) exemplaire et qui donne la mesure de la volonté de voter du peuple catalan, qui ne savait pas encore qu’il devrait défendre ces urnes, acquises de haute lutte, avec leurs propres corps lorsque les forces de sécurité espagnoles tentèrent de les séquestrer tout au long du 1er octobre. Un livre, racontant l’héroïque épopée des urnes, vient d’être publié à Barcelone.

140 Le soir du 1er octobre, il osa affirmer à la télévision qu’il n’avait pas eu lieu malgré que plus de 2 millions de citoyens se soient rendus aux urnes.

141 Alors que, par exemple, les membres du groupuscule néo-fasciste qui saccagent les locaux de la délégation de la Generalitat à Madrid en septembre 2013 et qui sont condamnés à 4 ans de prison ferme par le Tribunal Suprême en janvier 2017 sont encore en liberté ; ou qu’un homme accusé de meurtre est laissé en liberté provisoire sans la moindre caution, sans parler du beau-frère du Roi, Iñaki Urdangarin, condamné pour corruption aggravée et trafic d’influence à une peine de 6 ans et trois mois de prison ferme, qui coule des jours paisibles en Suisse et reçoit même de l’État un subside de 3.000 euros mensuels en compensation du préjudice suivi du fait de son impopularité qui l’a « contraint » à s’exiler… Deux poids, deux mesures…

142 Le pouvoir central conteste cette appellation en arguant que dans la mesure où il ne s’agit pas de professionnels de la politique, ils ne peuvent pas être considérés comme des prisonniers politiques.

143 Personne n’avait imaginé une chose pareille. Il semblait acquis que l’Espagne de 2017 ne pouvait pas agir comme celle de 1936 et qu’elle ne pouvait pas se permettre que des images d’une police séquestrant des urnes et, encore moins, matraquant de pacifiques votants fassent la une de tous les médias mondiaux. On étai persuadés que l’Europe, bâtie sur les principes de démocratie et de droits humains, ne le lui pardonnerait jamais. Quelle naïveté !

144 Quelques jours plus tard, lors d’une campagne de la diplomatie espagnole pour tenter de réhabiliter la mauvaise image de l’Espagne suite aux violences policières, le Ministre espagnol des affaires Extérieures, Alfonso Dastis, est interviewé en direct par la BBC anglaise et le journaliste, lui montrant les vidéos des dites violences, lui demande de se justifier. Le Ministre affirme que beaucoup de ces images étaient, en fait, des faux. Après le lui avoir fait répéter, le journaliste lui assène : « Quant à moi, je crois qu’elles sont réelles puisqu’elles ont été tournées par nos propres équipes dépêchées sur place »...

145 En effet, ce pourcentage n’est pas loin de celui constaté lors du référendum légal de 2006 pour approuver l’actuel Estatut d’Autonomia ou à celui qui, en Grande Bretagne, s’est prononcé pour le Brexit.

146 C’est ainsi, en effet, que certains journalistes espagnols le qualifient.

147 Un sondage publié le 30 octobre 2017 par El Mundo (un journal de droite de Madrid), montre que 75,6 % des catalans veulent un référendum, ce qui n’est pas une surprise ; mais il révèle aussi que la majorité des espagnols (57,4) y est également favorable.

148 Qui, le 21 octobre, en même temps que Jean-Claude Junker, Président de la Commission de Bruxelles, et d’Antonio Tajani, Président du Parlement de Strasbourg, recevait des mains du Roi et de la Reine d’Espagne le Prix « Princesse des Asturies » de la concorde décerné à l’Union Européenne. Cela ressemble fort à une récompense pour services rendus…

149 Les catalans ont été très déçus par le positionnement de l’Union Européenne, en qui ils avaient une grande confiance, lorsque celle-ci se contenta de protester, du bout des lèvres, face aux violences policières pour tout de suite marteler qu’on ne peut pas agir en contrevenant à la Constitution et que jamais elle ne reconnaîtrait une Catalogne indépendante.

150 Les députés unionistes quittèrent ostensiblement l’hémicycle au moment du vote.

151 Où le PP possède la majorité absolue.

152 Le Président de la Generalitat, par exemple, ne peut être destitué que par le propre Parlement qui l’a investi. C’est écrit noir sur blanc dans l’article 152.1 de la propre Constitution espagnole. De même, seul le Président a le pouvoir de convoquer de nouvelles élections.

153 Et qui se débat comme un forcené pour ne pas en récolter encore moins lors des élections du 21 décembre.

154 Et qui, même en Espagne, gouverne à l’heure actuelle en minorité, avec la complaisante complicité des socialistes espagnols (PSOE) à qui il suffirait de déposer une motion de censure pour le faire tomber. Mais l’union sacrée pour l’unité de l’Espagne les en empêche. En retournant le célèbre aphorisme de Franco déjà évoqué, le PSOE se dit : « plutôt brune que rompue ».

155 Lui-même ayant reçu, en mai 2017, un blâme du Parlement espagnol pour ingérence !

156 Bien que très peu de condamnés soient effectivement derrière les barreaux, certains étant toujours derrière leurs bureaux. C’est ce qu’on appelle la Justice à deux vitesses et à géométrie variable.

157 Corroborés par la suite par plusieurs acteurs de premier plan.

158 Attitude très gaullienne somme toute, que les médias français ne sauront reconnaître, préférant parler de « rocambolesque escapade » et le faisant presque passer pour un lâche qui, après avoir commis son forfait alors qu’il avait été mis en garde de façon répétée, fuit ses responsabilités et court se cacher tel un enfant désobéissant qui craint la correction qu’il mérite.

159 En fait, ce fut l’Europe qui les imposa à Rajoy qui, lui, avait l’intention de les rapporter aux calandres grecques afin de pouvoir gérer la Catalogne le plus longtemps possible, aussi longtemps qu’il le faudrait pour y détruire la graine séparatiste, et ne les convoquer que lorsque le camp unioniste serait en mesure de les remporter. Mais l’Union Européenne souhaitait régler au plus vite la crise, ne serait-ce que pour des raisons de stabilité des marchés. Et ne voulant pas humilier un membre du club en lui imposant de convoquer le référendum qu’il avait juré ne jamais permettre, lui imposa ces élections immédiates dont les résultats seront interprétés, c’est une évidence, en clef référendaire. D’où leur importance.

160 Au contraire : Pedro Sanz, le vice-Président du Senat, corroboré ensuite par Enric Millo, le délégué du gouvernement central (le Préfet, dirions-nous en France) à Barcelone, déclare officiellement que si les indépendantistes l’emportaient et persistaient dans leur volonté de déployer la République, l’article 155 s’appliquerait à nouveau, avec toutes ses conséquences. En d’autres termes, même s’ils gagnent, ils perdent.

161 Ne pouvant pas cette fois, s’agissant de membres du Gouvernement, prétendre qu’ils n’étaient pas des professionnels de la politique, le pouvoir central explique qu’en fait il n’y a toujours pas de prisonniers politiques, mais des politiques emprisonnés.

162 Ceux destinés à la campagne institutionnelle pour le référendum (dans les rares médias qui osèrent l’accepter, étant donné les risques encourus et les menaces reçues).

163 Détentrice d’une médaille accordée par la Guardia Civil

164 Même les inoffensifs concerts de casseroles ont été brandis comme des preuves incontestables de violence…

165 Chiffre donné par la propre Police Fédérale Belge. Du jamais vu à Bruxelles, habituée pourtant, en tant que siège de la Commission Européenne, à des cortèges de mécontents de toute sorte.

166 Il faut garder à l’esprit que le PP, fort de sa majorité absolue, avait tenté de revenir sur le droit à l’avortement, de redonner à l’église catholique un droit de regard sur les manuels scolaires, etc. Et qu’il imposa une réforme du TC ou une loi interdisant aux journalistes d’information d’enquêter sur certaines affaires (loi dite « mortaza », ce qui signifie : baillon) contre l’avis de l’ensemble des partis de l’opposition.

167 Qui ne devraient s’occuper que de « l’entretien des routes et de choses similaires », comme le déclara Rajoy lorsqu’il était le chef de l’opposition.

168 Interview accordée par José María Aznar (ancien Premier Ministre Espagnol et prédécesseur de Rajoy à la tête du PP) au journal La Nueva Rioja en 1979 (déjà !). La crise catalane offrait enfin l’excuse tant attendue pour tenter de désactiver l’esprit autonomiste que préside la Constitution.

169 Issue de la société civile et indépendantiste de la première heure, elle présida l’ANC avant de se présenter aux élections de 1977.

170 « Votarem » (nous voterons) était, en effet, le cri de ralliment pour exiger le référendum.

171 Comme ne cessaient de le marteler les unionistes, en se référant à la « majorité silencieuse » dont l’appropriation est si aisée.

172 Plusieurs leaders espagnolistes n’avaient pas hésité, d’ailleurs, à comparer les indépendantistes aux nazis.

173 Même l’arbre de Noël de la Generalitat a du être expurgé des rubans jaunes qui le décoraient.

174 Alors que, tout comme en France, les anciens Présidents ou Premiers ministres gardent l’usage de ce titre et que l’on le donne à tous les autres anciens Présidents de la Generalitat encore en vie.

175 Le leader du PP en Catalogne, Xavier Garcia Albiol, a récemment osé proclamer publiquement qu’il faudrait fermer TV3 et la rouvrir « avec des gens normaux » (sic). Ou encore, dans la bouche de Josep Borrell, un dirigeant socialiste : « Avant de renfermer les plaies, il faut désinfecter. Il faut désinfecter, pour commencer, les moyens de communication ». Ces propos ont engendré une vive polémique.

176 Ce qui ne signifie pas forcément qu’elles soient fondées.

177 Période où s’est instauré un bipartidisme presque institutionnel entre conservateurs et libéraux, qui avaient accordé une alternance systématique à chaque élection quel qu’il soit le résultat du vote de la population et qui est à l’origine de la celèbre expression « pucherazo » (« tupinada », en catalan), qu’on pourrait traduire par « coup de marmite », en référence à cet ustensil de cuisine, rempli d’enveloppes contenant le vote qui devait l’emporter, qui était ouvertement et sans vergogne vidé dans les urnes au moment de procéder au dépouillement.

178 Certains disent même : « sous occupation ».

179 Ce qui la rend particulièrement sensible à la propagande officielle.

180 Hypothèse que la plupart des sondages privilégient.

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Alternative éthologique aux inconséquences de la théorie des biais cognitifs de Kahneman

Pierre-Antoine Pontoizeau

VARIA Kahneman et Tversky s’appuient sur une conception scientiste de vérités psychologiques élémentaires pour imposer une théorie des biais en arguant, à tort, de vérités de perception par exemple. Leur méthode et leurs résultats sont en de très nombreux points dès plus contestables. Sur le plan des connaissances psychologiques, leur ignorance de la science des décisions sociales et des perceptions limite la portée de leurs travaux. Plus encore, leur absence de maîtrise de la logique analytique les conduit à exposer...

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