N°24 / numéro 24 - Janvier 2014

Bachelet II : Chronique d’un triomphe annoncé

Jacques Le Bourgeois

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Le dimanche 15 décembre 2013 s’est déroulé le deuxième tour des élections présidentielles au Chili. Madame Michele Bachelet a été élue avec une très large avance sur sa concurrente, Madame Evelyn Matthei, 62,16 % contre 37,83 %. Elle prendra ses fonctions le 11 mars 2014 pour un mandat de 4 ans. Sa victoire est sans appel, même si quelques uns de ses adversaires ont osé remettre en cause sa légitimité, invoquant une abstention sans précédent, près de 59 %. C’est d’abord un fait historique pour deux raisons, la première est qu’au cours de l’histoire de cette république seul un président a bénéficié de ce privilège avant elle, Arturo Alessandri,1 la seconde est qu’elle est la première femme appelée deux fois à la plus haute fonction. Mais cette victoire est surtout révélatrice de changements profonds. Elle devrait marquer une inflexion nouvelle de la politique chilienne. Nous pourrions parler d’une rupture tant avec le gouvernement actuel que cherchait à prolonger sa concurrente, qu’avec la politique qu’a menée la Concertation, depuis le retour à la démocratie en 1990, et dont Bachelet fut la dernière présidente de 2006 à 2010. Elle a été élue sur la base d’un programme appelant à des réformes structurelles. La Droite a subi une défaite cuisante, tant le gouvernement en place qui n’a pu approfondir son action, que l’Alliance qui la représente. Outre l’échec aux parlementaires, elle n’a pu imposer sa candidate aux présidentielles. Les fissures en son sein sont profondes. Enfin l’abstention met en évidence une société critique à l’égard de la classe politique et nous permet de penser que le mandat de madame Bachelet ne sera pas une sinécure. Tels sont les thèmes de cette courte chronique, qui met en évidence l’évolution des personnes et des idées.

Une victoire historique et sans appel

Si le premier tour s’était caractérisé par la recrudescence du nombre des candidats2, la campagne pour le deuxième voyait la confrontation entre deux visions politiques radicalement différentes. L’une, celle de madame Matthei, candidate de l’Alliance, autoqualifiée de centre-droit, proposait un certaine continuité de la politique du gouvernement actuel, en fait un véritable conservatisme, la seconde, celle de madame Bachelet, s’inspirait des demandes d’une société de plus en plus effervescente et proposait des réformes fondamentales, tant politiques, sociales et économiques que constitutionnelles. C’est sur cette volonté de changement que s’est forgée la victoire de madame Bachelet au terme d’une campagne qu’elle a menée durant neuf mois, gagnant systématiquement et largement toutes les échéances électorales, les primaires en juin, puis le premier tour le 17 novembre dernier. Le triomphe final est ample, près de trente points d’écart. Elle a battu sa concurrente dans toutes les régions avec des scores impressionants dans certaines comme Coquimbo et Aysen où elle recueille respectivement 70 % et 64 % des suffrages. Même la région du Bio Bio, particulièrement touchée par la catastrophe de 2010 et pour laquelle tous les analystes politiques s’attendaient à une érosion de son avantage du fait de la piètre gestion qu’avait menée son gouvernement, lui offre plus de 60 % des voix. Seules quatre communes de la région métropolitaine, Lo Barnechea, Las Condes, Providencia et Vitacura, lui échappent et expriment une nette préférence à Madame Matthei. Ce sont les quatre communes où se concentrent les plus grosses fortunes, les quatre plus riches, fiefs historiques de la droite la plus conservatrice. L’électorat de madame Bachelet est certes transversal, mais il est surtout populaire, féminin et régional. En région métropolitaine, il se recrute aussi au sein de la classe moyenne, le monde intellectuel et artistique, votant traditionnellement à gauche. En revanche, elle n’a pu capitaliser la totalité des voix de ses concurrents les plus à sa gauche.

Une abstention inédite

L’abstention a été le phénomène le plus caractéristique de ces élections. 59 % des chiliens n’ont pas voté. C’est un record historique. Il est vrai qu’il trouve une première explication dans le fait que le vote a été rendu volontaire, alors que lors des élections de 2009, il était obligatoire. Sur un total de 13 404 684 électeurs, seuls 5 694 291 ont exprimé leur vote. 6 664 838 l’avaient fait lors du premier tour le 17 novembre. La seconde explication avancée est que beaucoup ont considéré acquise la victoire de Bachelet qui avait obtenu 46,8 % des suffrages. La troisième se nourrit des appels au non-vote et révèle un refus caractérisé d’un appui aux deux blocs en compétition et une profonde méfiance à l’égard des propositions de madame Bachelet, dussent-elles correspondre aux demandes de ces mêmes secteurs sociaux. Deux candidats, Roxanna Miranda et Marcel Claude, avaient appelé à ne pas voter, et vraisemblablement leurs électeurs, bien que très minoritaires, ont suivi ces consignes. Si le candidat écologiste, Alfredo Sfeir, s’était engagé à appuyer le programme de Madame Bachelet, il l’avait fait à titre personnel. Quant à Marco Enriquez Ominami, candidat du PRO, il avait prôné lui aussi un désengagement des deux blocs. Mais son électorat semble s’être partagé entre l’appui à la candidate de la Nueva Mayoria et l’abstention dans une proportion que nous ignorons encore. Celui de Franco Parisi, candidat indépendant, était constitué d’électeurs aspirant au changement, mais une bonne partie d’entre eux se recrutait dans la droite libérale. On peut penser que cet électorat a pu avoir trois attitudes, l’abstention, un report vers la Nueva Mayoria, mais aussi vers la candidate de la droite. Quant aux électeurs des deux derniers candidats, Ricardo Israel et Tomas Jocelyn Holt, on peut estimer qu’ils se sont abstenus sinon ont voté à droite, mais leurs scores avaient été marginaux. La dernière explication se situe dans la désaffection à l’égard de la politique en général et une certaine insouciance de beaucoup d’électeurs, aux aspirations plus individualistes. Certains opposants de droite ont donc saisi ce facteur pour remettre en cause la légitimité de la présidente élue, faisant un amalgame douteux des non-vote par conviction politique et le non-vote par manque de civisme. L’argutie n’aura donc pas d’effet, d’autant que cette abstention mérite être relativisée. Elle est du même niveau que celle qui a caractérisé les élections municipales de 20123. Par ailleurs, lors du deuxième tour de 2009 qui avait vu la victoire de Monsieur Piñera, actuel président, alors que le vote était obligatoire, son succès n’a bénéficié que de 94 000 voix de plus en comparaison avec le score obtenu dimanche par Madame Bachelet, différence somme toute dérisoire. Et sa légitimité n’avait pas été invoquée. Le lendemain du deuxième tour 2013, tout le monde sans exception a reconnu l’ampleur de la victoire et les critiques se sont tues. Les commentaires portent davantage sur l’échec magistral de la Droite et les perspectives du futur mandat.

La fin de la politique des blocs ?

La victoire de Madame Bachelet a mis en évidence davantage la profonde détérioration de la droite qu’un ancrage approfondi du conglomérat qu’elle représente. La droite sort groggie. Le score de sa concurrente, madame Matthei, est le plus faible obtenu par la droite depuis le retour à la démocratie. Elle obtient 37 % des voix, très loin derrière le score obtenu par Piñera en 2009. Si elle a amplifié son avantage de 12 points par rapport au premier tour, elle n’a pas capitalisé la totalité des voix qui avaient migré vers Parisi, Israel et Jocelyn Holt et a aussi été victime de l’abstention. Elle s’appuie sur le noyau dur de l’électorat de droite, mais a vraisemblablement perdu une partie de la droite dite libérale dont beaucoup avaient voté pour Parisi. Ceci est révélateur de la fracture apparue au cours de la campagne entre les défenseurs inconditionnels du legs dictatorial et ceux appelant à une révision de l’image classique de la droite vers une plus libérale, se démarquant des premiers principalement sur le thème des violations des droits de l’Homme, mais non exclusivement. Un sénateur RN, l’un des deux partis constituant l’Alliance, monsieur Horwath, avait outrepassé les limites en affirmant qu’il se sentait plus proche des propositions du programme de Bachelet que de celui de Matthei. L’Alliance va se caractériser par une succession de convulsions, révélant les fissures dans une unité de façade. Pour affronter le deuxième tour, Matthei avait pourtant restructuré son équipe en y incluant des visages nouveaux, ceux de la droite libérale, et mis en retrait les représentants du noyau dur. Elle avait aussi adouci son discours en annonçant des « réformes révolutionaires », sans les préciser ni les chiffrer. Elle avait pour cible la classe moyenne. Mais cela a eu peu d’effet et ne suffit pas. Le délai était évidemment trop court, (un mois entre les deux tours), et le changement trop peu crédible. En dépit de sa combativité et de son habileté lors des débats, elle ne pouvait occulter son environnement véritable, ni son parcours et encore moins son histoire. Celle-ci était à son désavantage. Fille d’un général ayant participé à la dictature, elle ne pouvait pas renier son héritage, ni ses convictions. Elle véhiculait donc une image conservatrice qui se heurtait de plein fouet aux demandes de changement émanant de la majeure partie de la société. Par ailleurs, elle avait pris le train en marche. Désignée tardivement en juin après les défections des deux candidats précédents4, elle apparaissait comme un choix par défaut et sa position fut longtemps fragilisée, car elle incarnait la droite dure. La commémoration du quarantième anniversaire ne fera que renforcer cette image dont elle ne pourra jamais se défaire. Sa défaite est l’illustration de l’affaiblissement du centre droit, mais aussi du gouvernement qui n’a jamais su s’attirer les sympathies du monde social. Le gouvernement de Piñera incarne le monde des affaires et, à ce titre, en dépit de véritables succès économiques5, symbolise un système néo-libéral vivement critiqué pour les abus commis et l’inégalité flagrante qui en résulte. Il n’avait jamais su gérer les différentes crises sociales qui se sont succédé au cours des trois dernières années. Au dialogue, il opposait un autoritarisme violent que les élections successives vont sanctionner. La droite et le gouvernement vont essuyer trois défaites électorales consécutives, les municipales en octobre 20126, les parlementaires de novembre 20137 et les présidentielles. Le gouvernement Piñera n’a pu prolonger son action et devra céder le pouvoir à l’opposition, ce qui constitue un échec patent. Quant à la droite, elle voit non seulement ses positions sérieusement érodées, mais surtout, elle a révélé des dissensions profondes entre deux courants, l’un fortement conservateur, l’autre libéral. Le seul point commun entre ces deux tendances se situe sur les thèmes valoriques, comme l’avortement et le mariage homosexuel. Matthei, candidate de la droite et ex-ministre du travail du gouvernement Piñera, représentait l’ensemble et en justifiait l’action, ce qui lui sera fatal.

La victoire de madame Bachelet n’est pas pour autant la preuve du renforcement des positions de l’ex-concertation. Si celle-ci a reconquis des sièges tant de députés que de sénateurs, si son image s’est améliorée, ce n’est pas l’ex-concertation qui a gagné, mais bien la Nueva Mayoria et plus exactement madame Bachelet. Les élections parlementaires de novembre 2013 ont été marquées par l’échec de personnages emblématiques de l’ex-concertation, l’arrivée de nouveaux visages, le plus souvent indépendants, issus des mouvements sociaux, étudiants et régionaux. L’image de l’ex-Concertation selon les ultimes sondages effectués avant le premier tour n’était créditée que de 30 % de soutien, alors que madame Bachelet, dans ces mêmes sondages, caracollait en tête des personages politiques avec plus de 60 %. C’est bien elle qui cristallisait le soutien apporté à ce nouveau conglomérat que les partis eux-mêmes, même si leur action sur le terrain au cours de la campagne a vraisemblablement été déterminante. Elle a su attirer le soutien du parti communiste, lequel durant toutes les années du gouvernement concertationniste s’est tenu à l’écart et a renforcé son ancrage dans les mouvements sociaux. Les élections parlementaires ont permis l’entrée à la chambre des députés de quatre des ex-dirigeants étudiants, et deux leaders sociaux, dont le porte parole du mouvement Aysen, ainsi qu’un certain nombre de représentants indépendants, mais se déclarant de la mouvance Nueva Mayoria. Sans l’intervention de madame Bachelet, un certain nombre de ces nouveaux députés se seraient heurtés aux prétentions des candidats de la Concertation traditionnelle. Or le fort taux d’abstention, même si l’on fait abstraction de ceux qui n’ont pas voté par manque d’esprit civique, est révélateur de la désaffection des citoyens à l’égard du monde politique traditionnel. Il démontre le désaccord profond avec la politique concertationniste et la méfiance du citoyen moyen à l’égard du monde politique en général. Il relativise la victoire du centre gauche classique et contraint la Nueva Mayoria à adopter une politique moins idéologique et davantage à l’écoute du monde social. Madame Bachelet joue, dans cette perspective, le rôle fondamental.

Une nouveau leadership, le Bacheletisme ?

Dans le monde politique et journalistique, on a coutume d’attribuer une définition aux formes de gouverner en ajoutant au nom de la personnalité visée un « isme » qui lui confère une portée théorique, voire doctrinale, mais souvent surfaite. Madame Bachelet n’y a pas échappé. On a parlé de bacheletisme pour la différencier du Laguisme, du nom d’un président antérieur, Ricardo Lagos, ou bien encore du pinierisme pour qualifier le président actuel. On le disait de son premier mandat, de 2006 à 2010. Or il me paraît inadapté de parler, pour cette période, d’une nouvelle doctrine. Madame Bachelet avait été élue comme candidate de la Concertation et, selon moi, n’a fait que poursuivre une politique et une forme de gouverner déjà en place, dans la lignée de celles de Aylwin, de Frei ou de Lagos, les trois présidents de la Concertation qui l’ont précédée. Sa seule particularité, mais non la moindre, était qu’elle était la première femme élue aux plus hautes responsabilités de l’Etat chilien et qu’à ce titre, elle a apporté à la politique de ce pays un regard nouveau, celui d’une femme qui s’est intéressée au monde social et particulièrement à la condition féminine. Mais limiter le bacheletisme à ce seul centre d’intérêt me paraît insuffisant pour en faire une doctrine, même si c’était dans l’air du temps.

En revanche pour la période qui s’initie, la formule me paraît plus appropriée. Elle a été élue sur un programme radicalement différent de celui qu’a mené la Concertation durant ses 20 premières années de gouvernance. Si elle maintient le cap économique, elle lui apporte un certain nombre de corrections non négligeables. Elle introduit dans sa future politique économique l’idée d’un rôle plus actif de l’Etat conduisant à une redistribution plus équitative des ressources, par une profonde réforme fiscale et un contrôle plus strict avec le souci de veiller aux intérêts des individus contre les abus qui ont caractérisé de manière stupéfiante les pratiques observées jusque là. Ensuite, elle affirme vouloir abandonner l’idée d’une Etat subsidiaire, en lui redonnant l’autorité perdue dans pratiquement tous les domaines, à commencer par celui de l’éducation, de la santé et des pensions. Enfin elle a promis un changement constitutionnel qui devrait se faire, selon ses propres termes, dans une perspective « démocratique, participative et institutionnelle. Elle rompt donc avec la politique de compromis qui avait caractérisé la Concertation, dans un souci de transition douce après la dictature. Même si elle affirme, ce qui a toujours été sa conduite durant son premier mandat, préserver le dialogue et le respect des opinions de tous, ses propositions constituent un changement fondamental si elles sont menées à leur terme. On peut donc parler d’un changement doctrinal.

Ce changement est annoncé également dans l’action politique. Elle se fonde sur une écoute plus attentive des demandes citoyennes, des appels de la base populaire, aspect que la Concertation avait délibéremment écarté sur les avis de deux idéologues de l’époque, Enrique Correa et Eugenio Tironi, pourtant actifs inspirateurs du mouvement qui avait conduit à la politique du « No » en 1988. Il ne s’agit pas d’un retour au passé, ni d’une régression, comme cela a été répandu durant la campagne électorale en particulier par la Droite dans un but évident de discrédit, à la politique de l’Union Populaire qui avait conduit Allende au pouvoir en 1970. En effet, son projet ne s’apparente pas à une vision marxiste du rôle de l’Etat, mais bien plutôt à une vision syncrétique d’un Etat plus affirmé dans un contexte néo-libéral revisité, une sorte de troisième voie entre deux pôles contraires, la vision marxiste et la vision néo-libérale sauvage. Ceci est le résultat d’un regard neuf sur les 40 ans qui viennent de s’écouler, une sorte de leçon de l’histoire que semble avoir apprise madame Bachelet, le regard d’une femme d’Etat qui a appris tant durant son mandat de présidente qu’au prisme de ses responsabilités planétaires lors de son activité de Secrétaire chargée des femmes pour l’ONU. Ce n’est pas rien, elle cumule une expérience mondiale et locale, institutionnelle et sociale. C’est cette perception multiple qui caractérise aujourd’hui, du moins ce que l’on attend d’elle, madame Bachelet, car elle l’a promis et l’a montré, donc l’idée de ce que sera son rôle de présidente. S’il ne s’agit pas d’une doctrine au sens idéologique que l’on sous entend souvent en utilisant les formules en « isme », il est clair que cette nouvelle orientation politique constitue une nouvelle forme de gouverner. Sur ces deux premiers points, parler de bacheletisme ne me paraît pas incongru, bien au contraire.

Mais à ceci s’ajoute un autre aspect non négligeable, sa personnalité. C’est une femme et, forte de cette caractéristique, elle porte à la politique un regard de femme, plus empathique8, plus sensible, davantage conciliant qu’autoritaire. Certains lui avaient souvent reprocher son manque de leadership, son manque d’autorité. Ils s’appuyaient sur des prises de décision antérieures, erratiques, comme ce fut le cas du Transantiago9, la Loce10 ou encore la gestion de la terrible catastrophe de 201011. Il convient de reconnaître qu’elle n’a pas démontré les qualités d’un stratège aux prises de décision tranchées et à l’autorité imposante. Mais je me permettrais de souligner que la représentation classique de l’autorité est fortement imprégnée d’une vision machiste de la façon de faire de la politique. Le président actuel, Monsieur Piñera, en est d’ailleurs une certaine incarnation. Or on a observé chez lui les limites de telles pratiques : les intrusions souvent déstabilisantes dans la gestion des problèmes12, l’absence de délégation de pouvoir qui interdit aux ministres une part d’initiative particulièrement déterminante lors des crises13, une discipline rigide qui a tendance à figer l’action du gouvernement plus que flexibiliser les comportements des premiers responsables de l’Etat et pour clore, une perception très négative au sein de la société14. Madame Bachelet n’est pas autoritaire, loin de là, mais elle a un certain leadership et surtout un charisme extraordinaire. Son leadership, elle l’a démontré durant sa campagne électorale en permettant la convergence au sein de son mouvement de partis divergents sur des points fondamentaux. Il se peut que ce soit un simple calcul électoral des responsables sachant bien que la seule personne capable de cristalliser une opposition en perte de crédibilité était madame Bachelet. Mais cette alliance n’est pas une nouveauté, elle s’inscrit dans une perspective historique ; ces partis ont tous lutté contre la dictature et s’étaient réunis dans une alliance pour mettre un terme au régime de Pinochet. Seul le parti communiste s’était exclu du groupe durant les gouvernements de la Concertation. En outre, ils se sont tous engagés sur les réformes fondamentales, ce qui constitue un engagement difficilement négociable à l’avenir sous peine d’y perdre leur crédibilité. Et le seul leader politique de ce bord susceptible de permettre cette convergence est bien madame Bachelet. Elle l’a fait d’une manière novatrice en s’intéressant avant tout à la base, au point qu’on lui a reproché de se démarquer des partis et de marginaliser leur rôle. On pourrait à ce stade évoquer un certain populisme. Mais ce n’est pas non plus le bon qualificatif. Car elle aspire au respect institutionnel et a toujours fait état des conditions d’application de son programme. Si certaines de ses promesses s’appuient sur des « bons » ou subsides, donc des mesures circonstancielles, la majorité d’entre elles sont fondamentales. De plus, elle a pris soin de les inscrire tant dans ses futures capacités parlementaires que dans le temps. Elle va effectivement bénéficier d’une majorité aux deux chambres, mais ce ne sera pas suffisant pour la mise en œuvre de certaines réformes. Elle devra gouverner avec suffisamment d’habileté pour obtenir les voix qui lui manqueront au sein même de l’opposition. Ses objectifs budgétaires sont certes critiqués par les opposants les plus farouches, mais ils ont été considérés comme viables par la plupart des économistes de renom. Ce ne sont donc pas des promesses infondées, et encore moins des mesures cosmétiques ou publicitaires. Elle a aussi donner un calendrier dont la caractéristique, au vu de la profondeur des réformes envisagées, est que certaines dépassent largement la durée effective de son mandat limité à quatre ans. Il serait donc incongru de parler de populisme, même si elle a construit son programme en phase avec les demandes citoyennes, en parcourant l’ensemble du territoire chilien au cours des neuf mois de campagne. La large victoire obtenue lors des parlementaires est autant le fait de l’émergence d’une forte volonté de changement émanant de l’ensemble de la société qu’elle a su écouter que de sa propre action personnelle. Si à ce stade, on lui dénie encore l’absence de leadership, je pense qu’il s’agit alors davantage d’une critique systématique et subjective d’opposants irréductibles que d’une appréciation objective. Certes, le passé laisse toujours des traces dans les jugements et la représentation que l’on peut se faire de madame Bachelet n’y échappe pas. Son mandat passé n’est pas dénué de déficiences. C’est d’ailleurs l’explication principale à cette réticence observée au sein d’une partie de l’électorat de gauche. Mais pour eux, le leadership de madame Bachelet sera jugé sur pièces, durant son prochain mandat, il sera alors plus objectif que subjectif. Deux qualités la caractérisent et renforcent la crédibilité de son aptitude aux plus hautes fonctions, ce sont sa détermination et son engagement, toutes deux fondant son leadership. Son engagement est sincère, honnête et vraisemblablement dénué de tout calcul, même si ceux qui misent sur sa victoire ont pu effectivement parier sur la préservation de leurs propres intérêts. Madame Bachelet fut la responsable de ONU Mujeres durant trois années au siège de cet organisme international, donc le personnage numéro deux. Son action a été saluée par tous ceux qui l’entouraient. Elle disposait alors d’une perspective de carrière du plus haut niveau en terme de compétence planétaire. Elle a renoncé à sa charge pour se lancer dans une carrière politique compliquée et somme toute de moindre intérêt. Elle l’a fait, certainement mue par son attachement sentimental à son pays, mais aussi, comme elle l’a dit, parce qu’elle se sent engagée dans le devenir de ses concitoyens. Peut-être, est-ce une façon inconsciente de sa part de surmonter la douleur qu’elle a vraisemblablement ressentie lors de la gestion du tremblement de terre qu’elle n’a pu poursuivre parce qu’elle parvenait à la fin de son mandat. Comme une dette qu’elle devrait au peuple chilien. Si c’est le cas, on ne peut que saluer cet engagement risqué, mais sincère. On remarque dans cette perspective la profondeur de sa détermination, autre fondement d’un responsable de haut niveau. Car à ce stade, tout responsable n’a de valeur que s’il a la volonté, l’audace et la persévérance pour mener à bien ce qu’il croit juste et nécessaire pour le bien de ses pairs.

Mais la grande caractéristique de Madame Bachelet est son charisme. Alors qu’elle était encore hors des frontières de son pays, durant les quatre années de gouvernement de Piñera, elle a toujours été considérée comme la personnalité politique la plus estimée et de loin la mieux placée dans les sondages. Elle a eu jusqu’à plus de 60 % d’appui. Ce n’est qu’avec le début de sa campagne, avec l’émergence de candidats nouveaux, et son entrée sur la scène politique locale, que son avantage s’est érodé. Le pourcentage de rejet est le plus faible de tous les politiques. Son appréciation est transversale. Elle incarne véritablement une volonté de changement et est, comme l’a dit un politique, le « ton du pays ». Si nous devions donc qualifier l’action politique de madame Bachelet, nous pouvons effectivement parler de bacheletisme.

Mais ce qualificatif s’applique à mon sens véritablement maintenant davantage qu’antérieurement. La future présidente n’est plus celle que nous avons connue lors de son premier mandat. Elle s’inscrit dans cette nouvelle tendance de leader charismatique qui émerge des études actuellement menées dans les sciences cognitives. « Le leader charismatique n’est pas l’individu le plus intelligent, mais celui qui rend l’affectivité raisonnante »15. il possède la maitrise des émotions en même temps qu’il dégage des émotions fortes. Comme l’affirme Bass16, le leader doit se caractériser par sa « capacité transformationnelle », laquelle s’appuie sur quatre dimensions, l’inspiration, la considération, l’encouragement et l’identification, Nous percevons chez madame Bachelet ces quatre traits. Elle est capable d’inciter les partis qui l’appuient à dépasser leurs différences pour accomplir le projet commun. Elle l’a prouvé, avec difficultés certes, dans l’intégration de candidats nouveaux et jeunes, porte-paroles de certains mouvements citoyens au sein de son conglomérat. Elle jouit d’une considération indéniable, prouvée par le faible taux de rejet. Et à ce titre, elle reporte sur les partis qui l’appuient, pourtant au plus bas dans les sondages, une bonne part de sa propre popularité. Elle est considérée et reconnue comme une personnalité inspirant la convergence. Elle ouvre son programme non seulement aux demandes citoyennes, en allant chercher à la base, les motifs des critiques, mais aussi à des secteurs nouveaux, sinon ignorés, comme la vision écologique. L’adhésion de Alfredo Sfeir, candidat écologiste malheureux du premier tour, et l’appui reçu de la part des maires élus sur les listes du parti PRO, sont les signes de sa capacité d’encouragement. Madame Bachelet s’ouvre à une nouvelle politique, alors même qu’au sein de son propre conglomérat, cette ouverture allait à l’encontre des intérêts de certains. Enfin, elle incarne véritablement cette ouverture au changement. Il est clair que sans elle, ce projet avait peu de chance de se concrétiser. Elle le fait non sur la base d’une idéologie, ni sur celle d’une autorité au dessus de tout, mais bien grâce à son charisme, son engagement, son attachement à son pays et à son peuple, c’est à dire davantage une perception émotionnelle et empathique, qui en font un leader de nouvelle facture. Comme l’écrit Alexandre Dorna17, « il ne faut pas oublier que les mouvements charismatiques sont en dernière analyse la volonté du peuple pour re-humaniser la politique ». C’est effectivement le soubassement des revendications de la plupart des mouvements citoyens. Et Madame Bachelet intervient à un moment clé de l’histoire du Chili. Il y a convergence entre sa personnalité et l’aspiration au changement affirmé par la majeure partie de la nation chilienne. Pour toutes ces raisons, je dirais qu’aujourd’hui, nous pouvons parler de bacheletisme.

Quelles sont les perspectives pour le futur gouvernement de Madame Bachelet ?

La victoire de madame Bachelet est sans conteste d’une ampleur exceptionnelle. Mais son mandat ne sera pas pour autant aussi aisé qu’il y paraît. Elle va devoir faire face à au moins deux fronts extérieurs et un intérieur au conglomérat de partis qui l’ont appuyée.

Le premier front est évident. Ce sera la droite redevenue opposition. La programme de madame Bachelet, si tant est qu’il s’applique dans son intégralité, va à l’encontre des intérêts de la droite que celle.ci a historiquement imposés et cherché à protéger, y compris avec l’appui implicite de la Concertation durant les 20 années de gouvernement de celle-ci. Il va sans dire que le programme de madame Bachelet est considéré comme radical par cette droite qui n’hésite pas à faire un parallèle entre cette perspective et celui de l’Unidad Popular de Salvador Allende. Faire cette analogie18 tout en argumentant que justement c’est cette radicalisation qui a conduit au coup d’état montre bien le niveau de phobie que la droite entretient à l’égard de ce futur gouvernement. Il faut donc attendre de sa part une opposition dure qui va saisir toutes les occasions possibles pour attaquer et discréditer le nouveau gouvernement. Sur le thème de l’éducation, la droite met en avant la liberté du choix. Or le projet de supprimer les subventions aux lycées et collèges privés au profit du public annoncé par la Nueva Mayoria s’attaque directement aux intérêts financiers des propriétaires de ces établissements qui se trouvent majoritairement à droite. Portant atteinte à leur perennité, il peut effectivement débiliter leur qualité, donc nuire à la liberté de choix. S’agissant des universités, le problème se pose avec les mêmes critères, mais avec une différence, le projet de gratuité des universités publiques n’interviendra qu’au terme de quatre ans, ce qui repousse le problème en fin de mandat, voire au suivant.

S’agissant maintenant de la réforme fiscale qui doit permettre le financement de la réforme de l’éducation, il est clair qu’elle s’attaque aux entreprises nationales qui jusque là jouissaient d’une totale impunité fiscale ainsi qu’aux entreprises internationales qui bénéficiaient de privilèges spécifiques leur permettant d’investir à un coût minimal. L’autre finalité de la réforme fiscale est d’assurer une meilleure redistribution des ressources en s’attaquant à ceux qui détiennent la majeure partie des richesses du pays. En clair, la réforme a comme objectif une redistribution pénalisant principalement les riches, lesquels votent majoritairement à droite. Il est vraisemblable que si le contexte économique mondial s’avère incertain ou entre en phase de crise, les rentrées budgétaires futures se feront dans un contexte délicat, donc seront plus difficiles. Il est probable qu’en l’absence d’une loi du travail qui protège le travailleur, le taux de chômage risque d’augmenter, ce que ne manqueront pas d’exploiter les partisans du gouvernement actuel, donc le secteur de la droite. Le discours de l’opposition aura au moins deux axes, le premier sera la fuite des investisseurs, le second sera la faiblesse de l’emploi.

Le troisième grand axe du programme de madame Bachelet porte sur l’établissement d’une nouvelle constitution. La constitution en vigueur est celle imposée par la dictature en 1980 modifiée partiellement par les réformes apportés au cours de la présidence de Lagos. Madame Bachelet ne s’est pas prononcée sur la mise en place d’une assemblée constituante qu’elle considère comme une possibilité parmi d’autres. Mais son intention est bien celle d’une refonte totale qui porte principalement sur le droit fondamental rendu à la population, dans un esprit d’égalité, de participation et d’universalité. La droite agite l’épouvantail de l’anarchie suspectant la situation d’ingouvernabilté que pourrait entrainer la création d’une assemblée qui déciderait du futur du Chili sans parvenir à un compromis acceptable de tous, sous entendu d’elle. Car la constitution actuelle la favorise et toute atteinte à ses privilèges constitue une menace à son essence. Or les remises en cause énoncées par les différents mouvements sociaux qui vont contribuer à la rédaction sinon à la discussion de la future constitution portent justement sur ces privilèges, la propriété des ressources qu’elles soient minérales ou hydrauliques, les valeurs fondamentales qui redonnent aux minorités originelles des droits confisqués depuis la colonisation. Il est clair qu’en matière de discussion d’une future constitution, la droite va se poser comme un farouche opposant. Or à moins de disposer d’une majorité des 2/3 qui permettrait de modifier la constitution par la simple action du parlement, ce qui ne pourra se faire, la Nueva Mayoria devra compter sur des compromis avec une partie de la droite. Il est fort probable que l’opposition de droite fasse valoir ses exigences en bloc plutôt que laisser à ses représentants la liberté de se prononcer individuellement. Elle va vraisemblablement s’opposer d’une manière idéologique, faisant valoir la confrontation de deux manières de regarder le futur du Chili, l’une qu’elle va qualifier de rétrograde, celle de madame Bachelet et une autre qualifiée de progressiste, la sienne. La droite sent qu’on s’attaque à ses fondements. Elle va donc livrer un combat sans pitié.

Le second front, et non le moindre, sera le peuple lui-même. L’abstention est un révélateur de plus de cette défiance. Madame Bachelet a été élue, car elle incarne une espérance, la possibilité d’un véritable et profond changement politique, social et économique. Il est évident que les réformes qu’elle propose et qu’elle s’est engagée à conduire et à accomplir ne pourront pas se faire dans leur intégralité durant son seul mandat. Elle-même l’a affirmé. Mais nous savons très bien que le décalage entre les exigences des demandes et leur réalisation sera toujours perçu sous l’angle d’un déficit. La réalité avec ses vicissitudes quotidiennes ne sera jamais à la hauteur de la représentation du futur meilleur dont on a rêvé et que l’on a imaginé. On doit donc s’attendre à des réactions sinon d’impatience, du moins d’insatisfaction, Or le Chili que nous connaissons a bien changé. Le citoyen moyen n’est plus un personnage ignorant, passif et craintif. Il est devenu dynamique, connaisseur de ses droits et exigeant. La multiplication des mouvements sociaux a révélé la disparition de la peur qui leur collait au ventre, sans doute séquelle lointaine, mais bien présente datant de la dictature ; elle a généré un phénomène qui est loin de s’éteindre, d’autant plus qu’il s’inscrit dans un contexte d’intercommunication planétaire. Les étudiants ont été déterminants dans ce processus et ils continueront de l’être. Ils seront très attentifs à la suite donnée à leurs revendications. La nouvelle génération de leaders sortie des urnes universitaires au cours du début décembre est claire sur ce point. Leur lutte continue. Ils n’ont pris aucun engagement avec aucun politique encore moins avec Madame Bachelet dont ils mettent en doute les promesses, compte tenu de sa politique passée, mais aussi de son entourage concertationniste qui a contribué à la consolidation du système qu’ils fustigent. Il est possible aussi que le thème de l’éducation perde de son importance une fois les réformes engagées. Mais restent les autres revendications. A commencer par la nouvelle constitution. Curieusement, alors que le thème était ignoré il ya encore un an, il est devenu transversal. Plus de 75 % des Chiliens sont aujourd’hui favorables à ce changement. Un mouvement national s’est constitué appelant à une assemblée constituante. Dès les élections il s’est imposé en appelant à marquer chaque bulletin de vote du sigle AC, pour assemblée constituante. D’autres mouvements sont apparus en régions prônant cette transformation. Ils ont déjà engagé des débats et ne vont pas manquer de faire valoir leurs conclusions. On le sent bien, sur ce seul sujet, le debat est en cours et tous ces mouvements vont prendre davantage de consistance au fil du temps. Mais il existe aussi d’autres thèmes, la santé, les pensions, la propriété de l’eau, celle des autres richesses, comme le cuivre, mais aussi le lithium que le gouvernement actuel a littéralement bradé à un groupe privé. La population a pris l’habitude de s’exprimer et de manifester ; elle appelle à davantage de démocratie. Elle va donc être très attentive à la façon dont tous ces sujets vont être traités. Une majorité a placé ses espérances en la personne de madame Bachelet, mais elle pourrait aussi facilement basculer dans un vaste mouvement de frustration si les promesses ne sont pas tenues. Impatience et frustration vont être les dynamiques de ces mouvements sociaux si ceux-ci sont déçus ou se sentent trahis. Le taux d’abstention est un avertissement.

Le troisième front est interne. La Nueva mayoria est un conglomérat de partis allant de la Démocratie chrétienne au parti communiste et incluant aussi le parti socialiste, le parti populaire et démocratique et le parti radical. Si ces trois derniers ne présentent pas de différences idéologiques, les deux premiers s’opposent nettement au moins sur deux thèmes sociaux, l’avortement et le mariage pour tous. Le PC a pour sa part affirmé qu’il garderait toujours le contact avec la rue, avec les mouvements sociaux, quant à la DC, son secrétaire général a clairement laissé entendre qu’il lui en coûterait beaucoup de voir participer les communistes au gouvernement. Comme on le voit, ce conglomérat est loin d’être univoque. Dans un sens, c’est salutaire, car cette diversité est vraiment représentative de ce que doit être une organisation démocratique. Mais lorsqu’il s’agira de se prononcer sur des réformes complexes, on peut s’attendre à des défections en particulier si les intérêts de la collectivité et plus précisément ceux de leur électorat sont menacés. Ainsi le PC, pour préserver son ancrage social, sera un défenseur intransigeant pour tout ce qui va concerner les projets de loi sur le travail, sur la syndicalisation au risque d’affronter au sein même du conglomérat de la Nueva Mayoria des positions davantage néo-libérales, en particulier au sein de la DC. Et cette situation se fera d’autant plus aiguë que le sentiment de frustration ou d’impatience se ressentira au sein même de la société chilienne.

Un conclusion provisoire

Comme on le voit, si madame Bachelet a été élue triomphalement avec un score exceptionnel et bénéficie d’un capital politique indiscutable, le futur de son gouvernement ne sera pas de même facture. Elle génère et incarne une espérance si ample, si enthousiaste, si idéalisée qu’on ne lui ne pardonnera pas le moindre manquement à ses promesses. Elle va disposer d’une large majorité parlementaire pour initier les premières réformes, dont la principale celle de l’éducation. Mais pour ce qui concerne la refonte de la Constitution, ce ne sera pas suffisant. Elle va devoir conquérir des appuis en dehors de son conglomérat, parmi les indépendants et au sein même de la droite. Sinon, elle devra initier un processus légal pour mettre sur pied le dispositif nécessaire, vraisemblablement une assemblée constituante. Il faut espérer qu’elle aura l’autorité et la conviction suffisantes pour ce faire, sous peine de devoir vivre un mandat difficile.

1  Arturo Alessandri fut président élu en 1920, puis en 1933. Il y eut un second cas que j’exclus. Il s’agit de Carlo Ibanez qui lui aussi fut deux fois président, mais la première fois il prit le pouvoir par un coup de force.

2  Le premier tour avait vu une multiplication inédite des candidatures, 9 au total. Les résultats avaient été les suivants : Madame Bachelet, 46,68 %Madame Matthei, 25,01 %, Marc Enriquez Ominami, 10,98 %, Franco Parisi, 10, 11 %, Marcel Claude 2,81 %, Alfredo Sfeir, 2,35 %, Roxanna Miranda, 1,27 %, Ricardo Israël, 0,57 %, Tomas Jocelyn Holt, 0,19 %

3  Aux Municipales de 2012, sur 13 404 684 votants, seuls 5 794 617 se sont exprimés. Abstention importante, alors que ce type d’élection, de par sa proximité citoyenne, suscite généralement un fort intérêt.

4  L’UDI avait initialement désigné un premier candidat, Laurence Golborne, qui avait dû abandonner à cause de problèmes financiers personnels. Un second l’avait remplacé, Pablo Longueira. Celui-ci gagna de justesse les primaires de l’Alliance en battant le candidat de la RN, Andrès Allamand. Malheureusement, pour des raisons de santé, Longueira dut lui aussi renoncer. L’UDI va donc imposer Evelyn Matthei, issue de ses rangs, comme candidate pour l’Alliance, provoquant du même coup de sérieux remous au sein de la RN, son allié. La candidature de Matthei sera longtemps questionnée au sein de la droite, même si elle bénéficiait de l’appui du gouvernement.

5  Création de 800 000 emplois et une croissance supérieure à 5 %, sauf en 2013 où celle-ci retombera à à 4,5 %.

6  Lors des municipales de 2012, la droite perd 34 communes, elle passe de 144 à 118 alors que l’opposition conquiert 43 % des communes dont 6 emblématiques : Santiago, Providencia, Recoleta, Concepcion, Arica et Punta Arenas.

7  Lors des parlementaires de novembre 2013, l’UDI perd 11 députés et 2 sénateurs. Ces deux derniers au profit de la RN. La Nueva Mayoria obtient la majorité absolue à la chambre des députés et relative au Sénat.

8  Je fais référence ici à la thèse de Jeremy Rifkin qui s’appuie sur un changement de perception en cours, le facteur empathique. Selon lui, c’est un trait inhérent à la spécificité humaine, perceptible à travers une rétrospective historique, mais occultée par deux lois, celle de la raison pure et celle d’une spiritualité dictée par les religions. Voir Jeremy Rifkin, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie, LLL, 2011. Paris.

9  Le Transantiago est le titre donné au transport urbain de la capitale. Il a été mis en place en 2009 par une réforme structurelle radicale, imposée en l’espace de 24 heures, modifiant ainsi brutalement les habitudes d’une société et générant des problèmes profonds qui perdurent encore.

10  La LOCE est le nom donné à la loi de l’éducation promulguée après les manifestations lycéennes de 2006. Cette réforme fut le résultat d’un compromis mais n’a jamais répondu aux attentes des élèves.

11  Le 27 février 2010, le Chili subit les ravages d’un tremblement de terre et d’un tsunami d’une magnitude exceptionnelle qui va mettre en évidence une gestion erratique des catastrophes naturelles de la part du gouvernement.

12  Le fait le plus symptomatique fut l’annulation du projet de centrale thermo électrique de Barrancones sur un simple coup de fil du président.

13  La gestion des crises de Magallanes ou de Aysen. Dans le cas particulier de la crise de Aysen, le ministre délégué par le gouvernement, Rodriguo Alvarez, révélera cette situation à la suite de sa démission.

14  La cote du Président a été de la fin de 2010 à novembre 2013 au plus bas, entre 25 et 33 %. Lors du dernier sondage Adimark de novembre 2013, sa cote est remontée à 40 %, mais sa gestion a toujours été vivement critiquée et le reproche général est son excès d’autoritarisme, une gestion de l’Etat davantage à la manière d’un chef d’entreprise qu’en homme politique.

15  Alexandre Dorna, Le leader charismatique, Desclée de Brower, Paris, 1998, p. 34.

16  Cité par Alexandre Dorna, in opus cité, p. 34.

17  Idem, pp. 34 et 35.

18  Quelques jours avant le deuxième tour, on a vu un chef d’entreprise, Von Appen, menacer que si madame Bachelet conduisait le pays au chaos, il faudra faire appel à un « autre Pinochet ». On a également assisté à la parution d’un ouvrage critique du programme de la Nueva Mayoria avec une illustration de couverture montrant la destruction des édifices les plus emblématiques du Santiago moderne, comme la tour de Paulman.

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L’auteur, historien, vivant au Chili, depuis 8 années, est un témoin privilégié de la politique locale. Ce pays qui a connu durant 17 années une dictature particulièrement brutale a bien du mal à affronter son histoire récente. Deux récits, deux mémoires s’opposent. Mais les événements récents, marqués par la concomitance du contexte électoral et la commémoration du quarantième anniversaire du coup d’état, révèlent une attitude nouvelle de la population. Elle semble décidée à écrire sa version. Le problème est qu’en...

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