Le nouveau livre de Constantin Salavastru reprend le chemin de l’ancienne rhétorique, afin de rétablir les points de reconnaissance de l’art de l’éloquence dont M. T. Cicéron (Ier siècle avant JC) est reconnu comme la grande référence. D’autant que les auteurs de la nouvelle rhétorique contemporaine, Perelman et Mayer, sont largement inspirés par l’ancienne, et ont réactualisé la pertinence du classique. Mais c’est la dynamique sociale et politique actuelle qui montre l’importance de se référer aux classiques pour mieux comprendre la présence de cette approche dans le discours qui traverse les enjeux du moment. De plus la forte domination de la rhétorique de l’image, qui a déplacé apparemment la rhétorique du discours, montrer comment l’ancienne rhétorique reste la matrice première de la problématique communicationnelle.de nos jours.
Ce livre, solide et cohérent, réussit à articuler dans cinq études la rhétorique cicéronienne et à décrire efficacement ses enjeux. Salavastru souligne les problèmes essentiels de la rhétorique classique et l’apport de Cicéron : c’est l’idée d’argument qui semble prioritaire à saisir dans l’un des écrits fondamentaux de Cicéron : Les Topiques. Aussi, le modèle, qui est encore utilisé de nos jours, de fabrication de l’orateur par excellence, subtilement montré dans son ouvrage célèbre, De l’Orateur. De plus, l’idée d’une mise en scène théâtrale dans la manière d’agencer la parole, sans oublier l’importance dans cette conception du discours d’une analyse de la gestuelle et du rôle explicatif ornemental joué par la notion d’harmonie dans toutes les constructions théoriques de Cicéron. Enfin, impossible de ne pas le mentionner : la relation traditionnelle entre la philosophie et l’art oratoire qui rappelle la culture humaniste de Cicéron et l’adaptation au contexte.
De manière méthodique sont discutées et articulées les grandes étapes de la construction du discours par la préparation et la présentation d’un discours à prononcer devant un public : D’abord, l’invention. Véritableart de sélectionner et d’identifier les arguments les plus productifs, et les plus forts par rapport à l'intention. Suivis dela disposition commeart d’ordonner et d’organiser efficacement les arguments préalablement identifiés. L’élocution rappellel’art de donner de la beauté au discours conformément aux exigences de l’expressivité. La mémoire, qui doit introduire avec grâce et délicatesse les citations choisies pour la circonstance chez les classiques. Et, enfin, l’action qui doit accompagner avec des gestes efficaces la volonté du discours.
On doit reconnaître non seulement l’élégance théorique de l’œuvre cicéronienne, mais encore ses talents de praticien. Car l'orateur, indiscutable lui-même, lie la pratique politique et la réflexion sur la cité qui lui donne une grande aisance mentale pour comprendre et expliquer d’autres modes oratoires. D’où la puissance et l’originalité de l’art cicéronien. Unique dans son genre et universel dans sa portée.
Il y a ainsi une tentative chez Cicéron de brosser le portrait de l’orateur idéal. Certes, c’est un orateur qui n'existe pas, mais est l’idéal pour tous ceux qui aspirent et espèrent y arriver. Comment faire, quand les orateurs sont si différents ? L’auteur nous suggère que là on est en face d’une question de goût. Un problème esthétique. Cicéron ne manque pas de nous donner quelques indices qui persistent malgré le temps et la modification des contextes. Là, intervient l’éducation, la philosophie et la culture pour faire un bon orateur avec une compétence dialectique et un style, voire une expression utopique. Autrement dit : accorder une importance à la distance entre ce qui est et ce qui doit être. Aussi une place non moindre est donnée à la gestuelle, celle qui anticipe et accompagne l’action de l’orateur. Car les gestes sont différenciés entre eux grâce à leur force de signification. Mais ce sont les gestes (l’action en général) selon Cicéron qui assurent dans la plus grande mesure le succès de l’orateur
Rien d’étonnant qu’une place si grande soit offerte à Cicéron durant presque 20 siècles dans l’enseignement et l’histoire de l’éloquence.
En filigrane tout au long du livre, une question revient : Que se passe-t-il aujourd’hui dans le domaine de la rhétorique ? En somme cette démarche a pour but d’identifier les origines et les principales tendances dans l’explication et le succès d’un discours. Et de faire le contrepoint de la rhétorique ancienne avec la rhétorique actuelle.
Ce retour aux sources fondamentales de l’œuvre de Cicéron, est un effort de systématisation à la fois de la rhétorique, de l’argumentation et du discours lui-même en général, afin d’assurer une compréhension de la pensée de Cicéron à partir de sa rhétorique, véritable matrice de la pensée. C’est le pari de C. Salavastru en nous racontant cette utile reconstitution de la pensée cicéronienne. Finalement, demandons-nous pourquoi l’art de la parole est un acte de civilisation dont les racines sont gréco-latines : parce qu’elle exprime la beauté, le bien et le vrai en toute l’harmonie de l’ethos. Voila le pouvoir des mots qui se révèle dans l’éclat du bel ordre, non point avec la cadence métrique des poètes, mais la cadence de l’âme de l’orateur comme un tout.