Manipuler et propager furent des verbes positifs dans la maïeutique socratique et dans la bonne volonté de la propagation de la foi chez les chrétiens. Avec les modernes, ces deux termes se sont renversés, la manipulation se faisant aux dépends de celui qui consent en étant abusé et trompé comme l’enseigne Bernays, la propagande visant à influencer les populations jusqu’au viol des foules par la propagande politique selon la terrible expression de Tchakhotine. Dans ces temps modernes, la propagande se manifeste au moment où l'on commence à douter de la véracité des propos et s'interroger sur l'intention de ceux qui propagent. Ce doute tient à des écarts entre ce qui est entendu et ce qui est perçu ou connu par ailleurs, ces écarts avec ce réel perçu manifestent une forme de dissonance cognitive. Il nous faudra ré-étudier Festinger et ses travaux sur la dissonance cognitive où les idées et les comportements évoluent sous la pression d’une description dissonante du réel ou des pratiques à changer.
Dénommer une communication ou des actions en les traitant de propagande, c’est interroger les modalités d'une construction des vérités communes. C’est potentiellement signifier son désaccord sur les relations qui président à l’édification d’un propos acceptable. C'est pourquoi ces constructions des vérités méritent toute notre attention en commençant par comprendre ce qu'il est entendu par vérité commune, car cela ne va pas de soi, sauf à être nous-mêmes dans la Doxa des opinions communes. Le piège est là, dans l’absence d’esprit critique et de démarche expérimentale pour s’autoriser une mise en perspective de ces communications, permettant ensuite de les dénommer : manipulation ou propagande. C’est pourquoi le regard de quelques linguistes ou sémiologues à l’instar de l’article de Jacques Fontanille sur le consentement par les nudges apporte une vue sur une psychologie du langage comme l'article de Dorgelès Houessou sur la défiguration des représentations de D. Trump. De même, les articles consacrés à Bernays de David Colon et Alain Deniau attestent de l’instrumentalisation des enseignements de la psychanalyse. Mais la propagande n’est-elle pas aussi la fille de la modernité et du règne sans partage de la technique ? C’est l’intérêt du travail de Patrick Chastenet consacré à Ellul. Et la manipulation se fait grâce aux médias. Deux articles abordent cette question de la manipulation médiatique où les médias sont acteurs et victimes des manipulations organisées à leur insu. C’est le sens des articles de Stéphane François consacré aux manipulations d’Alain de Benoist et à son obsession identitaire, c’est le sens de celui de Bertrand Labasse reprenant les contributions de Katz sur l’utilité et la satisfaction des usagers de la communication. La propagande aussi s’étudie sur pièce dans l’analyse des événements. Merci aux jeunes chercheurs dont Képler Aurélien et Maram Tebini qui étudient les dérives politiques haïtienne et tunisienne. Pour terminer, comment ne pas aborder la question du populisme avec prudence et sagesse comme le fait Pierre de Senarclens s’intéressant à la question de la fin de l’universalisme. En ces temps où les scientifiques sont eux-mêmes soupçonnés de participer à des désinformations et des propagandes partisanes ou intéressées, était-il possible de ne pas étudier le rapport à la peur dont André Comte-Sponville a récemment magnifiquement resitué la force de tétanisation des esprits en relisant Montaigne ? C’est le sens de deux démarches, celle de Nicolas Gueguen et Sébastien Meineri qui interrogent en psychologues cette « croyance » en une peur influençant les comportements et celle Pierre-Antoine Pontoizeau interpelant l’enseignement de l’expérience de Milgram, manipulant ses résultats pour nous enseigner la soumission plus que l’abus d’autorité.
Nous appelons nos lecteurs et contributeurs à participer à notre numéro 39 conformément à notre appel à communication sur Manipulation et Propagande, parce que l’actualité mondiale mérite certainement un travail rigoureux et fidèle à la démarche expérimentale de Claude Bernard, pour mieux comprendre les phénomènes qui sont à l’œuvre aujourd’hui.