N°24 / numéro 24 - Janvier 2014

La violence des riches de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La violence des riches, Chronique d’une immense casse sociale, Paris : Éditions La Découverte, 2013

Jean-Pierre Fléchard

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L'ouvrage s'ouvre sous le patronage de Paul Nizan, cité en exergue : « La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. […] Monsieur Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui. » (Les Chiens de garde, 1932) 

Les auteurs analysent  trois sortes de violence. La violence physique pure et simple, celle de l'insécurité et de la délinquance, ils assimilent à cette violence, celle des conditions de travail de plus en plus difficiles à supporter non seulement dans les ateliers, mais aussi dans les bureaux. Il y a la violence des inégalités qui s'aggravent de plus en plus entre les riches et les pauvres, alors que les dividendes versés aux actionnaires sont de plus en plus juteux et et que lesdits actionnaires ne s'offusquent pas des licenciements de plus en plus nombreux. Et enfin la violence  de classe, de nature culturelle, dont les auteurs prennent comme exemple le rôle de potiches attribué aux représentants des salariés au conseil d'administration de certaines grandes entreprises.

Michel Pinçon, originaire des Ardennes, prend cette région comme exemple de la casse sociale engendrée par la quasi totale désindustrialisation mise en œuvre par des fonds de pension,soucieux uniquement de la rémunération de leurs investissements. Double violence pour les travailleurs : la fréquentation sans grand espoir de Pôle Emploi et, moins évidente, celle de vivre dans une région sinistrée où le décor quotidien n'est plus formé que de friches industrielles. Ce « décor sinistré leur dit qu’ils n’ont guère plus de valeur que les pièces moulées ratées que l’on mettait au rebut ».

Une autre violence difficile à supporter par les travailleurs de France et d’ailleurs : le dogme néolibéral selon lequel leur salaire est une « variable d’ajustement », qu'il a un coût insupportable et que ce n'est pas un dû, alors que, rappellent les auteurs, dans le calcul du prix d’une voiture (ou d’une paire de tennis) la main d’œuvre de production n'entre que pour 1/20ème dans le prix final.

Autrefois, la bourgeoisie décrivait l’ouvrier comme une brute inculte, un alcoolique en puissance. Aujourd’hui, c'est un fraudeur aux allocations sociales, alors que les fraudes des assurés représentent tout au plus 1% des comptes de la Sécu, contre 80% (16 milliards) liés aux cotisations patronales impayées et au travail dissimulé. Bien plus, la fraude fiscale est devenue un « sport de classe », une transgression perverse. Pourtant, les paradis fiscaux sont bien connus et ils coûtent à l’État français 40 milliards d’euros par an. C’est en s'affranchissant sans vergogne des règles que la classe dominante « prend le pas sur le dominé, lui-même tenté de se replier sur un individualisme de dernier recours en abandonnant utopies et luttes collectives. »

 Il ne faut donc pas s’étonner que des travailleurs désespérés et exaspérés puissent avoir des accès de violence et casser du matériel. Cette exaspération n’est qu’une faible et très sporadique réponse aux humiliations endurées quotidiennement, comme le racontent des ouvriers des Ardennes reçus par le préfet : « Il nous a facturé le nettoyage de la moquette du bureau où nous avons été reçus, car nos chaussures portaient encore la trace des pneus que nous avions fait brûler pour donner de la visibilité à notre action. »

Pour relier la situation  politique à leurs observations et analyses sociologiques, les auteurs renvoient au célèbre discours du Bourget où le futur président expliqua qu’il n’avait qu’un seul ennemi, sans nom et sans visage : la finance. Les auteurs font un sort à ce mensonge flagrant, car les personnalités qui  comptent dans l'entorage de François Hollande sont en rapport étroit avec la finance ou en relèvent directement : Jean-Jacques Augier, Jean-Pierre Jouyet, Henri de la Croix de Castries, Christophe de Margerie et bien d’autres encore, dons les auteurs analysent le parcours professionnel. En pleine connaissance de cause et en pleine lumière, Bien plus, Pierre Moscovici est un familier du fief de Peugeot. Nicolas Dufourcq, le directeur de la Banque publique d’investissement (qui compte en son conseil d’administration Ségolène Royal et Jean-Paul Huchon), a participé à la privatisation de Wanadoo et a été directeur financier de Cap Gemini.  Les auteurs rappellent qu'en 1983, F. Hollande a publié, sous un pseudonyme, La Gauche bouge, ouvrage qui ne figure plus dans sa bibliographie officielle, une simple citation annonce sans ambages la politique actuelle : « Finis les rêves, enterrées les illusions, évanouies les chimères. Le réel envahit tout. Les comptes doivent forcément être équilibrés, les prélèvements obligatoires, les effectifs de la police renforcés, la Défense nationale préservée, les entreprises modernisées, l’initiative libérée. »

Le discours dominant concocté par le néo-libéralisme, les auteurs le rapprochent de la « novlangue » de G. Orwell, édulcore la réalité. Il n’y a plus de clochards mais des SDF, plus de chômeurs mais des sans-emplois. Les plans de licenciement sont des plans sociaux, voire des plans de sauvegarde de l’emploi. Les privatisations sont des cessions d’actifs publics. Le discours néolibéral « arrache aux individus un consentement volontaire aux règles qu’il impose ». En premier lieu, son temps, qui doit être productif, même la nuit. Il faut que le travailleur « désire » faire des heures supplémentaires, et que, comme dans tout univers totalitaire, il « aime » Big Brother, son exploiteur.

La classe dominante fait preuve d’une inventivité inouïe dans les techniques d’asservissement. Par exemple, la société Nestlé a proposé aux salariés de plus de cinquante ans d’une filiale italienne de diminuer leur temps de travail de 40 à 30 heures par semaine, avec une baisse de salaire de 25 à 30%, afin de promouvoir la candidature d’un de leurs enfants à un emploi aux mêmes conditions dans la même entreprise. Ceci est révélateur du désarroi et de la désorganisation du monde salarial. Au point que l'autrefois emblématique Maison de la Mutualité est désormais gérée par le groupe international GL Events et que Sarkozy y a prononcé son discours du 22 avril 2012 pour y reconnaître sa défaite ! Billancourt n'existe plus. Les navires de plaisance ont envahi les ports de pêche. Il y a aujourd’hui dix fois moins d’emplois industriels à Paris qu’en 1999.

Quoi qu’ils fassent, « les dominés ont tort », nous disent les auteurs. Ceux des syndicats qui luttent encore un peu, qui n'acceptent pas l'ordre financier du monde, sont taxés de populisme. Tout comme – et ce n’est pas un hasard – le Front de Gauche. Le Figaro, quant à lui, n’est pas taxé de « bourgeoisisme ». Et Pinault de « richichisme ».

Le constat est rude, et la conclusion n'est pas optimiste. La bourgeoisie a gagné la guerre des classes. La démocratie représentative a été confisquée par la classe dominante, au profit d'une oligarchie politique et technocratique à sa dévotion. Les possédants, et le personnel politique à leur service, vont pouvoir continuer de plus belle à défendre leurs propres intérêts de classe en clamant qu'il œuvrent  dans l'intérêt du plus grand nombre.

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