N°24 / numéro 24 - Janvier 2014

La Bataille de cerises de Günther Anders

Günther Anders, La Bataille de cerises, Ed. Rivages

Jean-Pierre Fléchard

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Dialogues avec Hannah Arendt

« La Bataille de cerises » est un texte rédigé en 1984 dans lequel Günther Anders se remémore un dialogue avec Hannah Arendt, à partir de notes prises lors de leur installation à Drewitz en 1930. En 1929, Hannah Arendt avait épousé Günther Stern (nommé plus tard Günther Anders), un jeune philosophe allemand qu'elle avait rencontré dans le milieu universitaire.

Cette conversation philosophique, qui s'inscrit dans la lignée du « philosopher ensemble » de l'Allemagne romantique, permet surtout à Günther Anders de présenter une critique d'une certaine anthropologie philosophique et d'en dénoncer les conséquences politiques et historiques, qui se manifestaient en particulier dans le consentement des intellectuels au militarisme prussien.

En s'appuyant sur la Monadologie de Leibniz, et en particulier sur le concept de monades aux fenêtres fermées (Fensterlos), Anders élabore une conception du cosmos se composant d'une pluralité d'étants uniques ; ces étants se présentant comme des individualités oscillant dialectiquement entre isolement et communication.

Günther Anders peut ainsi dénoncer ce « mono-anthropisme » qui suppose une nature immuable de l'Homme, alors qu'il perçoit au contraire une multiplicité d'humains dont le sentiment premier « d'étrangeté au monde » conditionne non seulement leur ouverture à celui-ci mais aussi la liberté qui les amène à toujours être autres.

Anders décèle ainsi une indéfinition et une pluralité potentielle chez chaque individualité, attestant que les humains s'inscrivent dans un processus historique.

Le texte fait la part plus belle aux raisonnements d'Anders qu'à ceux de Hannah Arendt. Compte tenu des décennies écoulées entre les dialogues rapportés et leur publication, on ne peut pas être certain que la pensée de H. Arendt soit fidèlement rapportée. Toutefois, cela correspond bien avec ce que l'on sait de ses préoccupations philosophiques à cette époque : intériorisation de l'enseignement de Heidegger, puis de Husserl, recherches sur Saint Augustin, auquel elle consacre sa thèse de doctorat, Le Concept d'amour chez Augustin, et la préparation d'une biographie de Rahel Varnhagen, une Juive allemande de l'époque du romantisme.

La seconde partie du livre est consacrée à l'étude de Christian Dries sur la relation de Hannah Arendt et Günther Anders, mais surtout sur l'existence d'une « symphilosophie » éventuelle des deux penseurs, déterminante dans la construction de leur anthropologie philosophique bien sûr, mais aussi dans leur analyse critique de la culture et de la modernité.

Nous découvrons ainsi dans ces pages, des pensées en écho entre la philosophe qui voyait ressurgir le fantôme du totalitarisme dans la réduction des humains à des mécaniques corporelles assignées à la reproduction des tâches et le penseur de l'ère atomique qui annonçait l'annihilation de l'homme par la technique.

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