N°25 / numéro 25 - Juillet 2014

Les familles sous emprise de l’État : le lien, la langue, et la démocratie familiale

Jean-Luc Viaux

Résumé

Éclaircir la logique institutionnelle, c’est faire sens avec ce qui fait l’ordre et le désordre du monde, les conflits, les mouvements sociaux, les « faits divers », le rituel de la loi. Durant ces dernières années, rappelle A. Dorna, de nombreux travaux de psychologie politique se sont intéressés au discours politique mais « l'ensemble de ces travaux fait du discours seulement le lieu d'articulation entre la langue et les conditions (sociologiques) de la production discursive. Il y manque aussi, ce qui interroge le lien et le sens, ou plus exactement la casuistique du lien, point nodal d’une analyse psychopathologique du langage de l’État face au sujet.
La psychopathologie en se référant à la dualité signifiant/signifié comme toute clinique, permet de développer selon le modèle de la casuistique, une discussion jusqu’au bout des arguments – non pas en théologien résolvant les cas de conscience, mais en discutant la valeur référentielle des contradictions : chaque sujet, isolément et en tant que partie d’une foule, est lié/délié à l’humain (humanisé/déshumanisé) dans des processus analysable du point de vu de la langue politique celle qui au nom même du discours démocratique lie le sujet à sa condition de citoyen solidaire du pouvoir qu’il contribue à mettre en place. D’où cette question centrale : en quoi l’État manie par le langage le lien individu-société (ou sujet-groupe social) comme un outil pour d’un coté contenir les pulsions individuelles parricides ou filicides, et de l’autre réguler et normer les familles pour qu’elles produisent « du » sujet qui rejette autant que possible la déviance – c'est-à-dire un langage qui ne serait pas politiquement adapté. La culture de la précaution et de la réparation qui est devenu étatique et moderne conduit à faire du discours psychologique non une ressource mais un instrument idéologique.

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« Nous les descendants de l’Europe, enfants de guerres qui furent des holocaustes, promoteurs du Bonheur industriel, conquérants de science inouïes, nous avons oublié que la Fabrique de l’homme est précaire. Nous avons oublié que la Fabrique de l’homme, partout sur la planète, est la fabrique des fils – fils de l’un et l’autre sexe, comme le dit la tradition juridique de l’Occident. La fabrique des fils est fragile, comme est fragile le lien qui relie chacun à l’humanité, comme est fragile le lien de la parole ». (Legendre 1992) Cette citation de P. Legendre positionne assez exactement ce qu’on pourrait proposer comme une lecture psychopathologique « du » politique en général : éclaircir la logique institutionnelle, c’est-à-dire faire sens avec ce qui fait l’ordre et le désordre du monde, les conflits, les mouvements sociaux, les « faits divers », le rituel de la loi. Soulignons qu’il s’agit bien « du » politique, c’est-à-dire le politique comme objet, et non de la politique en tant que système, et son application triviale, quotidienne et partisane. L’objet politique diffère de « l’objet de » la politique : ce matériau qui nous intéresse est composé d’écrits et de discours, de décision et de textes de régulation (lois, décrets etc.), de jurisprudences, mais aussi de fait sociaux et de leurs interprétations relayées par les médias, tout ce par quoi la politique agit, le pouvoir et l’administration du pouvoir. Il ne s’agit pas de jauger de l’efficacité ou de l’influence de la communication politique mais seulement d’en décrypter le sens – en ce qu’il fait effet d’inconscient et dans l’inconscient. Cette approche de l’objet politique repose sur le postulat que ce qui rend nécessaire l’existence de systèmes de gouvernements, de lois, de codes, n’est ni plus ni moins au lieu de la survie de l’espèce et son humanisation, que la survie du système lui-même.1

Le lien, tel est en effet le point nodal de l’analyse, qui en triture et en dénoue le sens. On peut utiliser l’analyse du lien pour savoir en quoi chacun est porteur dans sa filiation de toute la trame de la société telle qu’elle est : aussi bien la culture que les systèmes et les interdits du moment et en quoi il agit cette trame à travers désirs et drames personnels. On peut aussi s’interroger sur la manipulation par l’État de ce lien individu-société (ou sujet/groupe social, si l’on veut) comme un outil pour contenir d’un coté les pulsions individuelles parricides ou filicides, et de l’autre les tragédies collectives, comme une référence pour donner place d’une part à chaque sujet dans une lignée et une étape généalogique, de l’autre à la fonction de régulation collective, avec ce que cela suppose d’oppression et d’intégration.

Vaste programme de réflexion, dont j’ai donné un aperçu dans un précédent article (Viaux, 2013) : l’État moderne se préoccupe du bonheur des individus en fabriquant de la norme, dont l’éducation - qu’elle soit Nationale ou non - n’est ni seulement un enjeu de développement économique, ni un objectif d’épanouissement, mais le moyen structurel de faire norme. Pour ce faire il a embauché, au fil des deux siècles précédents, le médico-psycho-social pour servir de caution et d’outil quitte à piétiner les connaissances scientifiques issues des sciences humaines ou les détourner, pour en faire des sciences de la prédiction et prétendre, par exemple, que la délinquance peut se prédire à partir du comportement à l’âge de 3 ans.

Du coup les psychologues, pour ne pas se faire ni manipuler, ni dépouiller de leur savoir, ne doivent pas seulement apporter leur pierre à l’édifice du bonheur individuel et de la paix sociale, mais apporter en même temps une analyse de la trame qui va du sujet à la société, de l’Ego à la « Polis ». La psychologie procède de la société et y intervient : les connaissances qu’elle produit n’ont strictement aucune neutralité, ce qui échappe à beaucoup de psychologues qui estiment naïvement qu’à l’abri d’un texte déontologique sans aucune valeur légale ils pourront dans la confidentialité faire leur travail d’aide aux sujets.

Quel usage faire de la place occupée par les sciences du psychisme et ses acteurs, dans une analyse de la trame sociale ? Voila en premier une réponse qui ne manque pas de pertinence, d’impertinence et de sagacité venant des marges de la société : « les psychologues semblent avoir remplacé les petites infirmières bien mises qu’on envoyait au bord des tranchées et qui tenait la main des blessés faute de médicaments. Le psychologue aujourd’hui fait parler les victimes comme l’infirmière bleue consolait les rudes hommes vaincus qu’on avait envoyés à la Boucherie. Croyez vous que l’on crée des cellules psychologiques pour les hommes politiques, les financiers, les gouvernants ? C’est pour le peuple bien sur … » (dit par un criminel à JM Labadie, 2004, p. 111). Cet homme qui en sait quelque chose de la souffrance psychique (qu’il a infligé et qu’il subit en retour) nous fait signe que la psychologie et ses pratiques ne sont peut-être pas ce que nous en croyons. Cela vaut d’être examiné de plus près et là où c’est le plus évident, dans le champ du discours public.

La casuistique du lien : le sujet, sa langue et l’État

L’analyse politique, sociologique, psycho-sociale etc. sont aussi des tentatives d’élucidation, et c’est dans et par le discours politique que cette analyse se produit. La psychopathologie en fait autant, se référant à la dualité signifiant/signifié comme toute clinique, et puisant au besoin dans l’analyse cognitive, sémantique etc. Pour quel usage ? Pour développer selon le modèle de la casuistique, une discussion jusqu’au bout des arguments – non pas en théologien résolvant les cas de conscience - , mais en discutant la valeur référentielle des contradictions : contradictions qui traversent chaque sujet, isolément et en tant que partie d’une foule. La Référence, terme utilisé par P. Legendre dans ses « Leçons », c’est ce qui vient lier et délier le sujet à l’humain, l’instituer et au-delà de lui tous ses ascendants et ses descendants. La Référence prend donc la figure de l’ordre constitutionnel du moment (Dieu, le Roi, la République…), mais avec le même sens : permettre à chacun de parler de sa place, en garantissant celle-ci dans l’enchaînement générationnel, et dans l’ordre du monde. L’énonciation des interdits sociaux et des transgressions n’est que la traduction sous forme codifiée et adaptée à la modernité du moment de ce système référentiel. Or celui qui vient depuis toujours percuter les codes par un discours qui n’est pas référé à cet ordre constitutionnel c’est précisémentle fou.

Dans le métier quotidien du psychopathologue le langage de la folie est un des lieux quotidien de pratique : pour schématiser, le langage est à la fois le lieu par où se dit mal, l’outil diagnostique et le véhicule de la remédiation. Mais en plus le langage de la folie est aussi un analyseur qui porte le sens au delà du sujet sur ce qui souffre à travers lui.

« Je veux détruire quelque chose qui veux détruire la langue » dicte le caporal Lortie sur une cassette avant d’aller mitrailler à tout va dans le parlement du Québec (Legendre, 1991) commettant un magnicide (équivalent parricide) : ce jeune homme, qui ne pouvait dire sa souffrance, a trouvé dans cette forme extrême, criminelle, le moyen de reprendre en main son discours face à un père qui fut (réellement) incestueux et violent et avait voulu le priver à sa naissance de son identité. En violentant la représentation nationale, l’État, il peut, pour justifier son acte, formuler alors « le parlement du Québec avait le visage de mon père ». Cet énoncé singulier catalyse exactement en quoi le sujet se construit comme meurtrier, mais aussi (et enfin) comme sujet, contre la confiscation du discours (par son père et par la Référence) et l’impuissance étatique à mettre fin à la violence destructrice privée. Mais énonçant qu’il veut tuer un « quelque chose » (et non pas des humains) qui détruit « la langue » (et non pas son « Je ») l’acte-discours singulier du Caporal Lortie donne sens aux querelles linguistiques, parfois sanglantes, entres communautés : Produire dans sa propre langue relève de la survie psychique. Donc il appartient à celui qui prend en charge la souffrance du sujet de s’interroger sur ce qui transcende le singulier pour évoquer, comme un actant de cette souffrance, ce dont il est l’objet et qui se traduit par la confiscation du droit à parler et lire dans certains systèmes de signes : l’Inquisition comme les dictatures ont utilisé l’aveu du sujet, dans des procès théâtralisés, comme expression de leur pouvoir - il s’agit d’obtenir de celui qui est désigné comme ennemi qu’il se soumette à parler le langage convenu. Parler la langue du bourreau c’est être le bourreau. Socialement parlant parler la langue de l’adversaire c’est être l’adversaire - ce que d’aucuns ferait bien de méditer dans ces temps où si on n’en connaît pas l’auteur on ne peut savoir qui parle le langage des extrêmes.

Ce qui se nomme aujourd’hui le « politiquement correct » n’est pas qu’une façon convenue de parler, et comme le disent les linguistes d’identifier la tribu d’où parle l’homme public en public, c’est une façon de repousser ce qui dans le parler pourrait signifier la singularité du sujet et sa souffrance : cela permet de ne rien changer à la situation dominé/dominant (par exemple le racisme diminue-t-il quand on dit Africain plutôt que « black people » ?).

Dans les années 80 cela fit beaucoup rire quand un chef d’État presque octogénaire, Mitterrand, est venu à la télévision dans une émission populaire, en s’emparant du langage « chebran » du moment. On a dit qu’il était venu flatter l’électorat jeune : Pas du tout ! il est venu signifier que rien de ce qui est dicible dans la langue ne peut échapper à l’appropriation par le pouvoir. Et pourquoi ? Parce qu’inventer une langue à soi, c’est faire sécession, rompre avec l’asservissement au discours de la Référence. Pour gouverner le peuple, il ne faut pas seulement « faire peuple » il faut, comme l’a montré Orwell, le convertir à la novlange. En Irlande comme en Bretagne pour rompre avec le pouvoir royal, ou républicain il faut réinventer le gaëlique, pour créer Israël il a fallu délaisser le Yiddish et revitaliser un hébreu moderne et « officiel » unissant par la langue une diaspora venue du monde entier.

Deux petites observations récentes pour montrer comment cette question du lien-langue préoccupe notre république :

A) Pourquoi dans la réforme constitutionnelle envisagée lors du quinquennat de N. Sarkozy le président tenait tant à pouvoir venir en personne parler devant le Congrès (les deux assemblées réunies) au lieu du dispositif traditionnel qui veut qu’il y fasse lire un message ? Parce que la présence charnelle signifie autre chose que des mots que chacun connaît d’avance : donner à voir le président qui récite un discours écrit par ses conseillers c’est en imposer le sens, et le « vrai » : ecce homo ! … C’est lui qui l’a dit. C’est exactement la même fonction d’impression sur le réel que l’aveu en place publique, dans un procès de Moscou ou en Cour d’assises.

B) Deuxième observation : il y a le politiquement correct mais il y a aussi l’annexion à contre-emploi du langage populaire ou technique qui n’est pas du tout un effet de mode, ou de colère pour Président qui veut faire jeune. C’est une forme d’interdit par le glissement du pouvoir là où précisément il ne devrait pas être. Ne plus pouvoir dire comme on se le disait dans les cours de récré » Casse toi pauvre con » sans penser au président de la république n’est pas qu’une rigolade ou une indignité2, mais une souffrance. Cela veut dire que le parler peuple, l’argot cher à Victor Hugo, devient aussi propriété d’État. Car Victor Hugo nous dit que l’argot est la « la langue des ténébreux », mais aussi un « royaume » et précise l’étude de « cet étrange idiome mène au mystérieux point d’intersection de la société régulière avec la société maudite » (in « Les Misérables »). Cette intersection est celle-là même qui ne devient visible et opérante que si les mots sont libres de sens. Le président entend prendre possession du langage depuis le Congrès jusqu’à la cave de banlieue. Seul le langage des fous lui échappera toujours – et c’est bien pour cela que cette analyse de cette langue là, qui nous est familière, est aussi une analyse du monde. Si le fou doit « faire peur » et donc être relégué c’est que son discours rompt avec la novlangue, et la désarticule : délirer, être opposant, inventer des formules nouvelles3, ou les trois à la fois, c’est se délier et se désaliéner.

Dans le mitan du 20ème siècle des « psys » notamment les « anti-psy » comme Laing et Cooper (1978) et leurs épigones ont tenté de faire du langage des fous un signifiant social et d’arrimer la folie à une destruction par la société elle-même du psychisme individuel4. Les gouvernants ont bien du s’apercevoir de quelque chose puisque dès les années 90 commence la construction d’une société victimaire grâce à l’apport complaisant des théories sur le traumatisme. L’expression au décours d’un discours officiel de « traumatisme des victimes » et de leur « permettre de faire deuil » par un procès n’est pas la marque d’une compréhension de la souffrance des sujets dans les catastrophes et les agressions. La récupération au nom des victimes de la notion de traumatisme va de pair avec l’idée que la justice est salvatrice voire thérapeutique et donc il faut condamner (et de préférence le plus lourdement possible) les coupables : la référence au traumatisme des victimes dans les discours officiels est un artefact casuiste pour justifier la politique sécuritaire et la répression (travestie en « prévention de la récidive »). Ce ne sont pas les « psys » qui ont gagné en imposant la reconnaissance de la souffrance, ce sont eux qui ont été convertis en « infirmière de tranchée » pendant que la guerre continue et que l’État sécuritaire prospère sur le dos de la petite délinquance en détournant le langage clinique pour en faire une geste politiquedont le citoyen ordinaire est le héros martyrisé par le crime.

Troisième exemple d’analyse : « quand on reçoit un ordre, il n’est pas possible de s’y soustraire. Vous me demandez d’où vient l’ordre. Ce n’est pas facile à dire mais le fait est que l’ordre ne se discute pas, autrement c’est l’anarchie. Quand il y a conflit l’ordre se déclenche toujours. C’est comme le totalitarisme surgit dans une révolution civile ». Ce n’est pas ici parole d’historien expliquant ce qui s’est passé en 1793, quand Robespierre enclenche la Terreur, ni un journaliste pronostiquant comment la Russie émancipée du stalinisme et du parti communiste va retomber sous la coupe d’un ancien colonel du KGB, qui passe de Président à premier ministre et inversement en respectant la constitution civile et en étant de facto président à vie, liquidant sans vergogne ses opposants et les journalistes. Qui produit cette analyse ? Un psychotique, encore. En l’occurrence Roberto Succo5 peu avant sa mort par suicide et après avoir tué 7 personnes, dont ses parents – il parle là d’un ordre mortifère. Bien que l’ordre dont il parle soit produit par le délire schizophrénique, le raccourci politique ne manque pas d’interpeller : Je te tue comme le totalitarisme tue, non pas la démocratie, mais la révolution « civile » c’est-à dire la transformation. Le langage de la schizophrénique fait ici analyse du rapport entre l’automatisme mental (recevoir dans sa tête des ordres qui font désordre) et l’autoritarisme institué (recréer des ordres anciens pour parer aux désordre d’une société qui s’émancipe6).

Le lecteur peut estimer que la psychopathologie n’apporterait pas plus qu’une autre analyse (politique, sociologique etc.) à ces fragments de discours, et à cette question par exemple du totalitarisme rampant. La connaissance du discours de la folie et de l’histoire de la folie nous permet de penser que – quoi qu’on en dise en nous montrant obsessionnellement le meurtrier récidiviste – le fou meurtrier est moins menaçant par ses actes que quand il parle. Ce n’est ni par progrès, ni par humanité, qu’on veut mobiliser psychiatres et de psychologues à garder les récidivistes7 que la société fabrique en militarisant de plus en plus, comme le montre Matthieu Rigouste (2008, p. 88-98) le contrôle des quartiers populaires et en abolissant l’espoir de sortie conditionnelle. En mobilisant les « psys » sur le contrôle de la récidive, on les empêchera de s’occuper d’autre chose – notamment de cet analyseur social imparable qu’est le langage de la souffrance psychique.

Comme le dit fermement L. Mucchielli (2008) l’insécurité ce n’est pas un problème c’est une solution. J’ajouterai c’est une axiomatique du pouvoir : Dans les années 90 la gauche française a été contrainte (par elle-même) de faire son aggiornamento sur la question de la délinquance, en récupérant le discours rendant les délinquants seuls responsables de leurs actes. Il ne s’agit pas que d’une récupération politicienne, il s’agit de jeter dans les poubelles de l’histoire deux siècles de réflexions sur les conditions sociales de la déviance – dont Hugo, fut l’un des plus vigoureux analystes et avec elles l’ensemble des analyses sociales qui ont fabriqué la dite gauche. Et donc elle est passée adroitement (si je puis dire) d’un discours politique où l’on ne considère pas l’histoire personnelle comme déliée de son environnement et de sa filiation, à un discours comportementaliste ou tout ce qui n’est pas appris en terme de code social est, soit le fait d’une incapacité de naissance, soit le fait d’une mauvaise éducation : tous responsables, tous coupables et donc de deux choses l’une : ou ils sont rééducables ou il s’ont exclus. L’État ainsi dédouané n’a plus à prévenir mais seulement à enjoindre de punir et/ou soigner ce qui revient au même puisque le fou est jeté en prison8 et accompagné de façon bienveillante par les équipes de « psys ». On ne s’étonnera donc pas ni que la folie devienne une déviance (et réciproquement), ni des non réformes9 de l’éducation nationale, machine nécessaire à fabriquer des exclus-décrocheurs dont les déviances alimenteront en boucle tout un langage responsabilisant les parents (voire menaçant de les punir) et non pas l’État.

Pour bien comprendre donc comment on a pu arriver à faire croire à la seule responsabilité des familles dans le décrochage et la prédélinquance il faut faire un pas du coté du code civil on va voir comment cela a été rendu possible par la loi et « dans l’intérêt des enfants » l’État restaure au sein des familles une forme d’absolutisme rampant pour faire du lien familial un licol.

D’un absolutisme à l’autre

Pour aborder la question de la place centrale qu’a joué la création puis la mise bas de l’absolutisme parental, il suffit d’en regarder de près et d’en interpréter l’enjeu à travers la lecture de deux textes législatifs produits à 30 ans d’écart - textes qui définissent le rapport d’autorité des parents aux enfants :

Article 371-2 du Code Civil (loi du 4 juin 1970)
L’autorité appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé, et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation.

Art 371-1 du Code Civil (loi du 4 mars 2002)
L'autorité est un ensemble de droit et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect du à sa personne.
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.

La différence entre ces deux textes est l’expression – après quelques hésitations dont les versions successives portent la trace - d’un remaniement profond du discours sur la filiation, l’autorité et la nature du lien parent-enfant. On peut parler de révolution, au sens littéral, puisqu’il s’agit en partie d’un retournement.

Le code de 1970 porte la trace d’une responsabilisation des parents à égalité du point de vue de l’autorité, en mettant définitivement à bas l’absolutisme du code civil de 1804 qui ne prévoyait pas de limite à la puissance paternelle10. 30 ans d’évolution ont conduit à définir cette spécificité de l’« autorité parentale », d’abord cantonnée à régler les conditions dans lesquels des parents séparés pouvaient se partager le temps et la responsabilité sur leur l’enfant, puis étendue progressivement pour établir l’équité parentale vis-à-vis des enfants naturels (loi du 8 janvier 1993) : la détention de l’autorité parentale, jusqu’au début du 21ème siècle, équivaut au fait de s’occuper de l’enfant au quotidien. Le cadre fixé a été centré sur trois domaines de compétences et d’exercice (sécurité, moralité, santé) et en donne trois moyens de droit que les détenteurs ont l’obligation d’honorer (garde, surveillance et éducation).11

Les exemples tirés de la pratique abondent (Viaux, 2002), pour montrer le caractère souvent fictif et relatif de cette autorité – comme ces décisions de justice donnant l‘autorité parentale conjointe aux deux parents sans donner à l’un le droit de voir seulement une heure l’enfant, ou alors sous contrôle d’un travailleur social : quelle « autorité » peut-on exercer dans ces cas là ? Et pourtant si on en croit Mendel « L’autorité doit être considérée comme le consensus à la jointure du social et du psychique qui a jusqu’à présent lié entre eux chacun des membres d’un groupe ou d’une société et les a reliés à ce groupe ou à cette société considérés comme une entité » (Mendel, 1971).

Le texte de 2002 vient ratifier cette distinction. L’autorité parentale est devenue conditionnelle puisqu’elle est exercée sous réserve d’une finalité, subordonnée en quelque sorte à « l’intérêt » de l’enfant. On soulignera avec insistance le singulier du terme « intérêt ». L’enfant ne disposerait que d’UN intérêt ce qui fait de ce terme le pendant du terme relégué de puissance paternelle : un absolu. Il faut lire ce que ce texte dit par son contexte – c’est à dire ce qu’il ne dit pas explicitement.

- L’autorité parentale qui n’a pas pour finalité cet intérêt de l’enfant est illégale, donc interdite.

- L’autorité parentale est un « ensemble » finalisé donc chaque composant n’est ni indépendant des autres, ni de la finalité.

- L’intérêt de l’enfant étant une finalité de l’autorité parentale, l’ensemble des droits et devoirs qui la composent en sont donc les descripteurs et la mesure.

- L’autorité parentale étant un ensemble de devoirs, le sujet qui la détient est soumis de facto à une autorité (supérieure ?) qui établit ces devoirs.

- L’autorité parentale relève donc d’une concaténation de pouvoir des uns sur les autres et est aussi une soumission à ces devoirs.

- l’autorité parentale « appartient » aux parents : le registre de l’appartenance signifie qu’ils ne la détiennent que par acquisition ou transmission – ce qui justifie sans doute aussi les désappropriations.

Les personnes disposent de cette autorité, définie comme un ensemble fonctionnel de règles « au service de » : elle n’est plus consubstantielle de la position de père et mère. Cela rend d’autant plus facile de la déléguer, à des institutions ou d’autres personnes « de confiance », voire de la morceler.12

La transformation qui a le plus radicalisé cette marche vers la désappropriation réside dans le ratio droit-devoir/finalité. Si depuis 2002 la détention de l’autorité parentale a toujours pour finalité la sécurité, la moralité et la santé, s’y ajoute l’éducation. L’éducation qui était en quelque sorte un moyen est devenue un but, de même que le développement de l’enfant. Ce déplacement n’est pas une coquetterie de rédaction pour clarifier les choses mais un véritable retournement. L’État assigne à la parentalité un objectif de réussite du développement et de l’éducation : se plaçant résolument dans une perspective productiviste, et non d’épanouissement du sujet, il fait passer le développement et l’éducation au rang de norme flottante, à la jointure du psycho-social et de la citoyenneté.

On sait qu’un des symptômes les plus évidents des mauvais traitements est la cassure des courbes de développement physique et intellectuel. Mais ce symptôme d’alerte n’est en rien un curseur signifiant la dysparentalité ou la mauvaise éducation, les facteurs de risques de la maltraitance étant parfaitement hétérogènes, sociologiques autant que psychologiques ou éducatifs, cumulatifs, et non linéaires (Stith, S. M., Liu, T., Davies, L. C. et al., 2009). Assigner le développement comme signe de bonne parentalité revient à faire d’un effet une cause, en niant ce qu’on l’on veut promouvoir : si l’enfant est une personne, son développement dépend aussi de lui, dans l’interaction avec autrui – ses parents et les autres.

Depuis la fin des années 70 les révisions théoriques, et notamment l’émergence des analyses systémiques de la famille, ont permis de ne plus renvoyer les troubles de l’enfant à une causalité enserrant les sujets dans la culpabilité. Le discours du « droit de l’enfant » et de cet « intérêt » s’y est alors substitué, malgré nous13. Il permet de renvoyer chaque parent à son inquiétude d’avoir tout fait pour favoriser le développement de son enfant. « Tout fait » renvoie à la catégorie de l’effort et du conscient, mais aussi à la part du « je ne sais pas », « suis-je assez bien comme parent ? » … bref, chacun est sommé de rendre compte d’une démarche dont il ne maîtrise qu’une part assez mince. Non pas que les parents n’aient pas envie de voir leurs enfants se développer – sauf exceptions – mais que ce « désir » est cependant d’une certaine complexité qui n’a rien à voir avec les droits et les devoirs. Il y a un gain à ce déplacement sur deux tableaux à la fois : ce ne sont plus les théories psychologiques qui culpabilisent, mais il y a de la culpabilité quand même – et ce sont toujours les mêmes cliniciens qui prennent en charge, avec les mêmes théories ( !), les familles « à problèmes ».

Or d’un point de vu strictement psychopathologique on notera que le lien parent enfant est un lien constitué de bien plus d’inconscient que de conscient, que d’inculquer des règles de vie à une enfant ne procède que très peu du rationnel, et que les troubles développementaux ne sont pas tous – loin de là – liés à un quelconque désordre relationnel familial. Par conséquent la mesure par des normes (lesquelles ?) développementales et éducatives la qualité parentale revient à ériger un absolutisme tout aussi arbitraire que l’antique puissance paternelle. La différence est sans doute que le flot médiatique contemporain sert à véhiculer de mode en mode les règles de bienséance qui dissimule la flottaison normative (Donzelot, 1977).

En résumé si l’éducation et le développement de l’enfant est le but à atteindre par tout détenteur d’une autorité parentale tout échec lui est imputable : tous responsables, tous potentiellement coupables …

De la démocratie familiale au double lien

Ce texte de 2002 ne serait qu’une inutile injonction, d’effet limité (par rapport au texte antérieur) et d’une prétention assez absurde au regard de la singularité de tout sujet humain, s’il n’était assorti d’un complément lourd de sens, sur la garde et le respect de la personne.

Ce texte légal utilise le concept, très inspiré des thèses de F. Dolto, de l’exercice de l’autorité parentale « dans le respect du a sa personne ». Il apparaît signifiant d’avoir gardé intact dans le code civil le texte de 1804 de l’article 371 « L’enfant à tout âge doit honneur et respect à ses père et mère » sans le compléter avec la notion de réciprocité pour le respect de l’enfant. Attacher le texte sur le respect de la personne à la finalité éducative n’est en rien fortuit, puisque le but est de subordonner l’attitude éducative à l’intérêt de l’enfant. Ce terme prend ainsi une coloration morale (le bon usage de l’autorité pour éduquer l’enfant), en ramenant à la culpabilité d’où s’origine la morale, et prépare l’ultime phase de cette révolution : la démocratie familiale. L’enfant est associé selon son âge et sa maturité aux décisions qui le concerne.

Le modèle démocratique devient un modèle familial : on consulte. Ce qui signifie qu’après avoir crée une autorité à finalité de type absolu (l’intérêt au singulier, et non les intérêts au pluriel), elle n’est conférée que sous double condition : le respect de la personne et la concertation.

Bien que le contrôle de cette disposition soit très difficile, il ne faut pas détourner le sens de la question. C’est un texte symbolique disent certains juristes. Voire ! chaque fois qu’on s’engage dans ce mouvement de désaffiliation on utilise un tour de passe-passe langagier : « c’est du symbolique ! », sous-entendu cela ne se concrétise pas, c’est seulement une façon de dire que l’enfant est une personne. L’ennui est qu’un texte de loi n’a rien de symbolique, puisqu’il peut se concrétiser par l’effet d’une jurisprudence, et que de plus il est signifiant. : l’adultisation légale est donc en marche et il n’est pas inimaginable que des enfants de 10-11 ans s’opposant au choix parental du collège privé, de la langue vivante ou de la suppression de la télévision dans leur chambre etc. finissent par trouver des oreilles compatissantes et un avocat en mal de procédure, lequel argumentera que l’enfant n’a pas été « consulté » : l’usage de la lettre recommandée électronique depuis l’ordinateur parental jusqu’à celui de l’enfant va faire la fortune prochaine de la poste….

Au plan de la justification cette démocratie familiale provient de l’attente sur le respect de la personne de l’enfant. On n’imagine mal comprendre l’intérêt de quelqu’un, sans un minimum de dialogue… ce qui est d’une affligeante banalité. Sauf que consultation familiale ou pas, l’obligation scolaire, pour reprendre cet exemple, n’est pas le fait de l’autorité parentale, pas plus que le respect du code de la route : l’éducation nationale est moins bon parent que les familles, elle ne consulte pas l’enfant pour lui laisser choisir son école, son collège ou son emploi du temps – Quand on dit que l’autorité parentale appartient aux parents pour assurer son éducation – il y a un sous-texte omis, qui subordonne cette éducation à une référence circulaire : ce qui est de bonne éducation c’est que l’enfant soit bon élève, sauf que ce n’est pas le parent qui peut apprécier cette qualité, ni même concourir à définir le programme de travail adapté à son enfant pour y parvenir, mais l’autorité qui lui a enjoint d’en faire un bon élève …

L’essence de ce texte, révolutionne le rapport sujet-loi-Etat en polissant une régulation circulaire et une « flottaison » normative, à un point jamais atteint. Pris au pied de la lettre ce texte fait que chaque parent est soumis à une double contrainte – quelque chose comme un double lien - au sens où ce concept a été utilisé par l’école de Palo Alto. En effet : assujetti à son devoir citoyen, et sa nécessaire intégration sociale, le parent-éducateur est pris entre le regard de l’État et celui de l’enfant. A l’un comme à l’autre il doit se référer pour toute décision, tout en assumant celle-ci sous sa seule responsabilité. Détenir l’autorité parentale revient donc à détenir le droit de demander un avis, un devoir de respect, un conformisme social sans faille … moins que d’avoir de la vie à transmettre (instituer) le parent doit gérer au singulier la fonction éducative de l’État.

Certes l’État ne peut ni laisser battre ou exploiter les enfants, ni les laisser ne pas être éduqués et soignés. Il n’est en rien contestable qu’il s’agit bien réellement d’un progrès du développement collectif. De là à restreindre la liberté de chaque sujet d’être ou non dans la norme éducative, il y a plus que l’espace pour une réflexion, qui a disparu derrière l’une des grandes angoisses collectives des démocratie : la fabrication de l’enfant dyssocial ou délinquant.

Ce qui fait révolution dans ce texte de 2002 c’est qu’il consacre non le lien de famille mais le double lien, enserrant le parental dans le démocratique, et l’autorité dans le regard de l’autre en lieu et place de l’affiliation : Il n’y a plus de parent détenant la responsabilité d’affilier leur progéniture à une culture familiale, enchâssée suffisamment dans la culture collective, mais seulement des parents délégataires d’une normativité flottante où l’intérêt de l’enfant prend place d’ultima ratio.

Le raccourci est brutal mais mérite d’être formulé tel quel : l’interdit de l’inceste est-il œuvre de raison et d’intérêt de l’enfant ? Le désir œdipien de l’enfant est-il négociable ?  Il faudrait creuser cette question bien au-delà ce que se propose ce court essai.

La parentalité depuis 2002 est devenue contractualisée : la filiation est prétexte à faire contrat de bon usage. Comme le rappelait P. Legendre, « nous vivons un nouveau paroxysme du débat occidental sur les droits du sujet, c’est-à-dire la problématique de la limite. Loin d’abolir la question de l’Interdit comme idéalement pourrait le prétendre le discours sur la combinaison filiation/contrat, il l’exacerbe. (Legendre, 1992). Le même auteur dans une phrase saisissante dénonçait (avec 10 ans d’avance !) « L’idée d’un totalitarisme inédit prêchant la contractualisation de tout lien, du lien d’enfance lui-même » (id.).

Sans être allé jusqu’au totalitarisme on voit bien que nous sommes dans un renouveau de l’absolutisme, même s’il est revêtu des habits pimpants des droits de l’homme et de l’enfant14 : l’arbitraire d’une normativité indéfinissable qui porte le nom d’intérêt ou de respect et d’une injonction paradoxale à n’être parent respectueux du sujet enfant que si son intérêt et son développement coïncide avec cet indéfini.

Conclusion

La langue fait lien, la langue comprend et enserre les exclus et les inclus. Ouvrez une école vous fermez un prison disait Hugo : aujourd’hui on ouvre des prisons pour mineurs pour remplacer les écoles dont ils ont été exclus. Le discours faisant de chaque citoyen une victime potentielle montre que la délinquance est variable d’ajustement dans un langage politique unifiant tous les courants. Les fous se retrouvent en prison car leur discours n’est pas réductible, il faut le taire sinon ils iront attaquer ce « quelque chose » qui vaut détruire la langue de chacun, une langue non asservie à la ligature par l’État.

Mais de cela il faut tirer leçon : Il faut prendre comme les fous le langage juridique au pied de la lettre, pour y voir clair.

La fabrique des fils est fragile(Legendre, 1992) : la place centrale de la famille dans l’assomption du genre humain est-elle de fabriquer du citoyen, éduqué et en bonne santé, ou de transmettre la vie ? Telle est la question qu’il ne faut pas déplacer derrière l’argument du droit au savoir et à l’éducation. En cadrant la parentalité par un recours à la flottaison de la norme, empruntant sans vergogne aux sciences humaines des concepts et des références qui n’ont pas été construits pour faire norme, l’État s’approprie la fonction éducative, au détriment de sa fonction référentielle. Garantir l’accès à l’éducation, ce n’est pas user d’un système éducatif comme d’un lieu de l’absolu, pour ne pas dire un lieu totalitaire, produisant une norme suffisamment imprécise mais constante pour que des groupes de plus en plus nombreux ne soient référencées que par leur adéquation au système, avec l’illusion que le conformisme qu’on attend d’eux serait la voie de leur autonomie – quand c’est exactement le contraire.

Les cliniciens ont été enserrés dans le piège auquel ils croyaient échapper, en affirmant que derrière toute expression de déviance sociale, et de difficulté d’apprentissage il y a un sens, pris dans l’expression d’un inconscient dynamique, ou dans un système familial, ou même une psychosomatique. La clinique psychologique s’est mise dans la fâcheuse posture de répondre de tout et à tout sur le mode de la gare de triage. Non pour orienter les sujets (encore que …) mais pour donner réponse dans toutes les directions : d’où ça vient, ou ça va, que faut-il préconiser ? Ce faisant elle se lie à son tour à une pensée « efficace », à savoir de soutenir la fonction éducative de l’État, en permettant aux parents, ou aux éducateurs de « reprendre » la main.

Il va de soi qu’au cas par cas, la souffrance d’un sujet et d’une famille sont bien normalement l’objet de l’attention clinique. Mais à un autre niveau derrière chaque enfant irrégulier se pose la question non de ce qu’il signifie par son échec scolaire, mais de ce qu’il est.

La norme est d’abord une régulation des images : l’État tend à chacun un miroir des Interdits introjectés, en produisant du symbole (et non pas « du symbolique »…), c'est-à-dire du langage . Par le discours maitrisé et les images, l’État « unifie » les membres du groupe autour des valeurs de la République. Mais là-dessus est advenu que les États ont parfois dévoré leurs enfants dans des convulsions génocidaires, moins par folie meurtrière, ou par dérèglement de la démocratie mais par raison, par système, dans un processus minutieusement pensé comme le fut la Shoah ou le génocide cambodgien. Analogiquement on se refuse à penser que préserver à tout prix la logique du lien parent-enfant est un enjeu supérieur à l’enfermement de la parentalité dans une surveillance visant à éviter les maltraitances. Or la question est là : Comment se soutenir d’images parentales qui elles-mêmes ne peuvent se soutenir que de but éducatifs et du contentement béat d’être approuvé du regard par l’enfant ? Nous aurons à terme une génération de fils dés-aliénés, consultés, respectés, mais seuls, face à la fonction éducative de l’État que leurs parents n’assumeront que par délégation.

On peut s’interroger sur la sévérité à laquelle porte l’analyse d’un texte de loi démocratique comme précurseur et porteur d’une attaque contre le principe même de filiation. Ce n’est pas pur pessimisme mais constat : il n’y a eu sur ce texte aucun débat de société, comme on dit, et le retournement logique semble être allé de soi dans une inquiétante unanimité législative. Il n’est pas d’argument qui lui ait été opposé (par comparaison avec les empoignades aux quelles donnent lieu par exemple l’homoparentalité - qui est ni plus ni moins signifiante de la même logique). Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’arguments – tout simplement.

A ceci deux raisons : d’une part aucune pensée, sauf le radicalisme fanatique, ne met en jeu et en doute le bien fondé de la démarche égalitaire et protectrice des droits de l’homme et de l’enfant ; d’autre part, et c’est la modeste ambition de cet essai, l’analyse ne vaut qu’en se plaçant du point de vue du lien qui arrime le sujet à son humanisation ce qui n’est pas le problème des politiques.

Psychiquement parlant la place générationnelle - en tant qu’elle n’est que la socialisation des liens – n’est pas négociable, sauf au risque de la folie, de l’inceste ou du parricide : ce n’est pas ce que le législateur voulait dire, mais la pulsion génocidaire – qui depuis un siècle bouscule les démocraties – y a glissé un tentacule. Ce que l’analyse de la dialectique du lien nous apprend c’est que la fonction éducative de l’État est un piège, qui abaisse et attaque sa fonction Référentielle – dont chaque Sujet a pourtant un besoin essentiel, psychiquement vital, pour garantir sa filiation.

L’une des questions qui sert de fil rouge à des analyses de ce type est celle-là : en quoi le sujet peut-il encore être sujet dans la complexité sociale et les enjeux qui globalisent, normativisent, et caporalisent les besoins et les désirs depuis le fin fond de la Chine jusqu’au bord extrême du monde occidental ? Chaque convulsion individuelle ou sociale est donc l’occasion d’éclairer en quoi le processus d’humanisation est sans cesse attaqué – au nom parfois des droits de l’homme, de l’égalité ou de la démocratie. L’assomption de l’individualisme de la fin du 20ème siècle est parallèle à de formidables entreprises de négation du sujet, et de négation de cette négation15. Pour nous psychologues il nous faut soigner pas seulement le sujet mais ce dont il procède, à moins d’aimer perdre son temps.

1  De ce point de vue le « Kampuchea démocratique » des khmers rouges, et la Corée du Nord sont des modèles du genre… puisqu’il ont pratiqué l’auto-génocide

2  Puisque par un procès – perdu mais quand même – le dit Président a manifesté qu’il n’était pas question de faire retour à l’envoyeur…

3  « Les mot sont d’une texture nouvelle, je vous avertis, ils on été forgé demain matin », écrivait Léo Ferré (« Le chien »)

4  C’est certainement le film « Family Life » de Ken Loach qui a été la version la plus populaire de cette thèse

5  Froment Succo a pu entreprendre une cavale meurtrière aussi longue en raison même d’une gestion non politique et désordonnée des services de police et de justice de trois pays (France Italie, Suisse (cf« Je  te tue » par Pascale Froment)

6  Voir le renouveau des thèses « créationsites » contre le darwinisme

7  Loi sur la rétention de sureté du   2008

8  30% des détenus souffres de troubles pathologiques

9  Par excès de réformes qui chaque année détricote la précédente

10  Seul le père exerce l’autorité durant le mariage et peut décider de faire enfermer l’enfant indocile sous le seul assentiment et contrôle d’un magistrat - mais on oublie souvent que la mère veuve héritait de ce pouvoir absolu.

11  Ce qui permet de n’attribuer cette autorité parentale qu’à un seul parent : l’idée était de donner des moyens d’autorité aux mères célibataires et divorcées qui avaient la charge des enfants.

12  Au point qu’il a fallu corriger à la marge ce nouvel absolutisme par une loi sur les bonnes pratiques en assistance au familles en 2007 – loi qui, selon la bonne vieille recette de la circularité, contrôle surtout les travailleurs sociaux et autres intervenants qui contrôlent  les familles, en permettant à celle-ci plus de contrôles sur ceux-là

13  Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que le dépistage précoce de la délinquance à  3 ans est la récupération de thèses que les cliniciens ont eux-mêmes fabriqué, et qu’il nous faut donc avoir un regard critique sur l’histoire des idées avant de crier au scandale politique. L’invention de la responsabilité parentale dans la cause des troubles du développement n’est pas le fait des politiques.

14  Puisque l’ONU voulant, cela ne se confond pas.

15  Le « négationisme » de la Shoah, mais aussi de bien d’autres génocides actuels ou passés – y compris psychiques – comme la confusion folie/délinquance en témoigne

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