N°25 / numéro 25 - Juillet 2014

Immigration et idéologie : le nationalisme basque, de Sabino Arana à l’ETA

(XIX-XXI siècles)

Severiano Rojo Hernandez

Résumé

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De nos jours, penser le Pays basque contemporain comme une société dont l’une des principales caractéristiques réside non pas dans l’existence d’une langue et d’une culture millénaires mais dans la profonde diversité de sa population constitue, pour de nombreux Basques, une approche contestable qui frise la provocation. Pourtant, depuis des années, les chercheurs ne cessent de rappeler que l’Euskadi est, au sein de l’Etat espagnol, l’un des territoires les plus hétérogènes sur le plan démographique1. Cette hétérogénéité, d’ailleurs, devient perceptible dès les années 1880 et se traduit par une diminution constante du nombre de Basques de souche. A titre d’exemple, signalons que les autochtones de seconde génération (personnes nées au Pays basque ainsi que leurs parents) ne représentaient plus, à l’aube du XXIe siècle, que 39,6% des habitants de la région2. Quant aux personnes possédant deux noms de famille d’origine basque, elles formaient un groupe assez restreint, d’environ 20% de la population3. Bien que particulièrement significatives, ces données semblent néanmoins secondaires pour certaines formations politiques, en particulier pour les nationalistes basques. En effet, leur discours insiste sur tout ce qui différencie les Basques de leurs voisins et il évite de rappeler les liens existants, dont témoigne la grande diversité démographique de la population. De ce point de vue, la société locale est frappée d’une certaine schizophrénie. Le formidable brassage de population que génère dès la fin du XIXe siècle l’immigration massive de populations issues des régions limitrophes (Castille, Asturies…) constitue un phénomène majeur que la société basque a certes intégré, mais qui demeure, toutefois, d’une importance relative au regard des représentations dominantes, axées sur la croyance en un peuple mythique, racialement différent4. Ainsi, les “maketos” et les “coreanos”5 semblent exclus, voués aux marges de l’histoire6, alors qu’ils ont joué un rôle fondamental dans le façonnement de la société basque contemporaine. A l’instar de ce qui s’est produit dans des villes comme Madrid ou des régions telles que la Catalogne, les migrants ont dynamisé la démographie locale et fortement contribué au développement économique et à l’urbanisation du territoire. En tant que phénomène global aux répercussions multiples, l’immigration a également accentué les transferts culturels, provoquant de la sorte une évolution des mentalités ainsi qu’une mutation des comportements et des pratiques au sein de la population basque. Elle a, par ce biais, participé à l’émergence de nouveaux imaginaires et à l’implantation de formations politiques proposant des lectures inédites de la réalité et de l’histoire locales. En définitive, l’immigration a été, dès le XIXe siècle, au cœur du processus de création d’une société de masse inconnue jusqu’alors, une société synonyme, pour certains, de modernité et, pour d’autres, de déclin.

C’est à partir de ce constat que je propose d’analyser l’impact de l’immigration au Pays basque. Je voudrais revenir, en particulier, sur sa fonction dans le processus de construction identitaire à l’œuvre dans ce territoire depuis le XIXe siècle. Il s’agit de vérifier dans quelle mesure la migration de populations originaires des régions limitrophes constitue un phénomène essentiel à l’élaboration d’un récit identitaire reposant sur le principe d’inversion, sur une rhétorique de l’altérité, niant la pluralité de la société basque. Le Basque et la figure de l’immigré, dans ses multiples déclinaisons, entretiennent ainsi une relation spéculaire, qui les rend indissociables et indispensables à l’articulation d’un certain discours nationaliste basque, particulièrement présent au XIXe et XXe siècles.

Immigration et mutation de la société basque

L'immigration au Pays basque n’est pas un phénomène isolé dans le temps et l’espace. Elle s’insère dans un cadre beaucoup plus vaste, celui des migrations internes et externes auxquelles est confrontée la société espagnole à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. De fait, dès les années 1850, la crise du monde rural et la faible industrialisation du pays déclenchent un flux migratoire qui va durer plus d’un siècle7. Jusque dans les années 1970, l’Espagne va faire face à des déplacements de population massifs, qui s’intensifient en fonction de la conjoncture nationale et internationale. Des centaines de milliers de personnes tentent d’améliorer leurs conditions de vie en optant pour une stratégie fondée sur une rupture partielle ou totale avec leur milieu d’origine, une rupture orientée par de multiples critères et qui se traduit tantôt par un départ vers l’étranger, tantôt par une installation dans les centres urbains et industriels qui se créent en Espagne au cours de la période. Même s’il s’agit d’un phénomène global dans lequel les différentes options se chevauchent et parfois se complètent, chaque type de migration dispose néanmoins de chronologies propres qui mettent en évidence des phases d’expansion et de contraction. Ainsi, les flux vers l’étranger sont particulièrement importants au cours de la période 1880-1930, phase durant laquelle plus de cinq millions d’Espagnols quittent des régions comme la Galice, le Pays basque, les Asturies ou Murcie pour aller vivre principalement sur le continent sud-américain (Argentine, Uruguay, Cuba, Brésil…), dans l'Hexagone ou dans ses colonies (Algérie…)8. Alors que la guerre civile suspend l’émigration économique et entraîne l’exil politique de milliers de personnes, le marasme dans lequel plonge le pays au cours des années quarante réactive le flux migratoire. Peu après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Espagnols traversent de nouveau l’Atlantique en quête d’une vie meilleure. A partir des années soixante, le phénomène se renforce considérablement, avec une différence, toutefois : entre 1960 et 1970, le flux s’oriente vers l’Europe de l’Ouest. La croissance économique dont bénéficie cette partie du continent et l’application du plan de stabilisation de l’économie espagnole incitent des milliers de personnes à aller vivre dans des pays tels que l’Allemagne de l’Ouest, la Suisse ou la France. Au total, ce sont environ trois millions d’Espagnols qui émigrent entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années soixante-dix9, période après laquelle l'émigration devient résiduelle.

A l’instar de ce qui se produit dans d’autres pays du sud de l’Europe (l’Italie et le Portugal, par exemple), la migration massive des populations rurales vers les centres urbains est, en Espagne, un phénomène relativement récent. Alors que dans des nations comme la France les conséquences démographiques de la révolution industrielle sont perceptibles dès les années 183010, dans ce pays l’exode rural devient particulièrement significatif au début du XXe siècle (1900-1930)11. C’est en effet à ce moment-là que l’accroissement de l’urbanisation et de l’industrialisation du pays conduit deux millions de personnes à abandonner les campagnes, pour aller s’installer dans des capitales de province telles que Valence ou Séville12. Toutefois, ce basculement démographique dispose d’une chronologie qui évolue selon des critères propres à chaque région. En effet, dans les principaux pôles économiques et urbains de l’époque, soit la région de Barcelone, la Biscaye et Madrid, les migrations internes bouleversent les équilibres traditionnels dès la fin du XIXe siècle. Ces centres absorbent une partie de l’excédent de population rurale auquel sont par exemple confrontés la Castille et l’Aragon13. Depuis de nombreuses années, cette population y est utilisée comme main-d’œuvre et participe pleinement aux mutations socio-économiques de grande ampleur qui s’y produisent. L’exode rural est donc un phénomène que l’on ne peut circonscrire au XXe siècle, même s’il atteint son paroxysme à cette époque.

Peu après la guerre civile, bien que de nombreux Espagnols retournent vivre dans leur village d’origine pour échapper aux pénuries de l’après-guerre, la migration depuis les campagnes reprend progressivement. Elle s’accentue considérablement et culmine dans les années cinquante et soixante, en raison du délitement croissant des activités agricoles traditionnelles et du développement économique qu’alimentent l’industrialisation grandissante du pays et l’essor d’activités comme le tourisme. Le phénomène touche l’ensemble de l’Espagne et les flux sont sans commune mesure avec ce qui a précédé. Ainsi, dans les années soixante, environ quatre millions de personnes abandonnent leur province d’origine14. Les zones d’émigration se multiplient et l’Espagne devient une société éminemment urbaine, où un quart de la population se concentre dans 3,9% du territoire15. L’exode rural massif concerne bien évidemment des territoires où le problème se pose de façon récurrente depuis de nombreuses années (Galice, Castille-Léon, et Aragon). Mais il s’accentue également dans des régions comme l’Andalousie, Murcie, l’Estrémadure et l’actuelle Castille-La Manche. Les principales zones d’accueil des migrants sont, outre Madrid, Barcelone et le Pays basque, des villes comme Valence et Alicante.

En dépit de son ampleur, ce cycle migratoire s’achève pourtant dans les années soixante-dix. La crise économique de 1973 en est l’une des principales raisons. Le chômage croissant et la fermeture de nombreuses entreprises dans les principaux pôles économiques du pays ralentissent considérablement l’exode des paysans espagnols. La situation est telle que l’on assiste à une inversion des tendances dans les grandes métropoles comme Barcelone, Bilbao ou Madrid. Alors que dans les années soixante le solde migratoire de ces villes était largement excédentaire, à partir de la fin des années soixante-dix la tendance s’inverse16. Avec l’instauration de la démocratie, la création des différentes régions autonomes, la mise en place d’un Etat providence et la tertiarisation de l’économie, l’exode rural évolue également : les migrations de moyenne et longue distance deviennent exceptionnelles, les migrants préférant opter pour des déplacements moins contraignants, proches de leur lieu d’origine (les capitales de province, notamment)17. Néanmoins, la crise de 2008 provoque de nouveaux bouleversements. L’explosion du chômage incite les Espagnols à renouer avec des stratégies migratoires que l’on croyait révolues, en particulier avec l’émigration.

La présentation de ce cadre général est indispensable à la compréhension de la question migratoire au Pays basque. Nonobstant, pour en saisir les différentes articulations, il est essentiel de prendre en compte d’autres éléments, propres à la société basque. Ainsi, dans ce territoire, la fin du XIXe siècle est synonyme de profonds bouleversements politiques et économiques. On observe, en particulier, une remise en question sans précédents de la société traditionnelle. Après quatre années d’un conflit dynastique au cours duquel une partie de la population et des élites basques a lutté aux côtés des carlistes contre le gouvernement espagnol, le 21 juillet 1876 la monarchie espagnole abroge les fueros. Reliques du Moyen Âge, ces privilèges et coutumes codifiées régissaient l’administration des différentes provinces basques tant sur le plan politique qu’économique. Leur suppression renforce la centralisation de l’Etat espagnol et accroît la déstabilisation de la société rurale amorcée quelques décennies auparavant. En Biscaye, la décision des autorités centrales ouvre la voie à une mutation économique de grande ampleur, un processus d’industrialisation similaire à celui qui se déroule en Angleterre et en France entre la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècles. Cette transformation de l’économie locale est intimement liée au minerai de fer extrêmement riche et facile à extraire dont regorge la périphérie de Bilbao. Exploité de façon artisanale depuis des siècles, il fait l’objet d’une extraction industrielle dès les années 1850, production en constante croissance qui, à terme, transforme l’ensemble de l’économie du Pays basque18. En effet, l’exploitation industrielle du minerai de fer et son exportation vers des pays comme l’Angleterre génèrent un afflux considérable de capitaux, qui enrichissent la bourgeoisie locale et stimulent l’industrialisation, en premier lieu, de la Biscaye et, par la suite, du Guipúzcoa19 (début du XXe siècle)20. Au-delà, c’est la place qu’occupe le Pays basque dans l’économie espagnole qui s’en trouve modifiée. Entre 1876 et 1930, Bilbao devient le principal centre bancaire du pays et la seconde place financière après Madrid. Une grande partie de l’industrie lourde espagnole (sidérurgie, métallurgie, construction navale…) est concentrée en Biscaye. Dans les années 1920 et 1930, en dépit des crises et de l’épuisement de nombreuses mines, la périphérie de Bilbao produit environ 60% du fer et de l’acier espagnols. 50% des locomotives et des wagons de la péninsule sont fabriqués par des entreprises établies dans la région. 43% du papier circulant en Espagne provient du Pays basque. Enfin, la moitié des compagnies de navigation espagnoles y ont installé leur maison mère21.

Cette évolution économique a également de profondes répercussions sur le plan démographique. Les besoins en main-d’œuvre de l’industrie biscaïenne permettent d’absorber une partie de l’excédent humain de territoires tels que la Meseta, où la crise du monde rural provoque la détérioration des conditions de vie des paysans22. Poussées par la misère, de nombreuses personnes – par familles entières souvent23 – originaires des régions voisines (Castille-Léon24, Asturies…) et des campagnes basques s’installent à Bilbao et dans sa périphérie. Entre 1877 et 1900, l’essentiel de la croissance démographique de ce territoire, soit 80%, est généré par l’immigration25. A terme, le nombre d’habitants de Bilbao est multiplié par 9 entre 1857 et 1930 (17 923 / 161 987). A partir du début du XXe siècle, Vitoria et les principaux centres urbains et industriels du Guipúzcoa connaissent également une croissance démographique significative. Ainsi, entre 1900 et 1930, Saint-Sébastien double sa population (37 812 / 78 432)26. Au-delà, ce sont la plupart des villes de la région qui sont en pleine mutation. La population vivant entre 1860 et 1930 dans des zones urbaines ou semi-urbaines (localités de plus de 5000 habitants) est de fait multipliée par cinq sur l’ensemble du territoire27. Cet accroissement de la population urbaine modifie l’ensemble de la démographie de la région. La population de la Biscaye atteint en 1930 485 205 habitants, alors qu’en 1857 le territoire ne comptait que 160 287 habitants28. Entre 1900 et 1930, le Pays basque passe de 600 000 à 890 000 habitants29. Ce bouleversement a des conséquences dans de nombreux domaines : le Pays basque se transforme socialement et culturellement. Le nombre de bascophones se réduit considérablement et le degré de métissage de la population s’accroît. En 1900, la proportion d’habitants de Bilbao et de sa banlieue ayant des liens directs ou indirects avec l’immigration s’élève à 58%30. Dès lors, dans les villes, les formes de vie traditionnelles sont remises en question par de nouveaux comportements collectifs, représentatifs de la société de masse qui s’impose dans la région31.

Cette rupture prend des proportions considérables à partir des années cinquante. L’entrée du Pays basque dans la seconde phase de l’industrialisation s’accompagne d’une évolution sensible des caractéristiques des migrants. Alors qu’entre 1876 et 1930 les Basques formaient le groupe le plus important, à partir des années cinquante ce n’est plus le cas. Bilbao et sa banlieue illustrent ce changement. En effet, si en 1900 26% des migrants installés dans ce territoire étaient basques, en 1960 ils ne sont plus que 19%. En revanche, la proportion de personnes nées en Castille-Léon passe de 16,5% en 1900 à 37% en 1960. S’installent également au Pays basque des migrants dont la présence était peu importante auparavant et qui sont issus de régions beaucoup plus éloignées, comme la Galice, l’Estrémadure et l’Andalousie. La réduction du nombre de migrants basques s’explique, en grande partie, par le type d’industrialisation qui se produit à cette époque. Elle n’est plus concentrée essentiellement en Biscaye et concerne l’ensemble du Pays basque, ce qui permet à de nombreux autochtones de continuer à vivre dans leur province d’origine32. L’industrialisation s’accompagne donc d’un brassage accru de la population. De fait, en 1975, dans certaines zones comme la banlieue de Bilbao, 84% de la population sont des immigrés ou des descendants de migrants installés au Pays basque depuis une ou plusieurs générations. Au-delà, ce sont 53% des habitants du Pays basque qui ont, à la fin de la seconde phase de l’industrialisation (1975), un lien de parenté direct ou indirect avec l’immigration33. En définitive, l’immigration permet de comprendre les bouleversements démographiques qui se produisent au Pays basque entre la fin du XIXe siècle et les années 1970 et, par là, les raisons pour lesquelles la population du Pays basque est, au cours de cette période, multipliée par 4,5 et passe de 450 678 habitants à 2 072 430 (1975)34.

De nos jours, la situation a considérablement évolué. Depuis plus de trente ans, le nombre d’habitants du Pays basque n’augmente quasiment pas : en 2012, la région compte 2 184 606 habitants, soit un peu plus de 100 000 personnes par rapport à 1975. Cette stagnation s’explique, en partie, par l’arrêt brutal et l’inversion des flux migratoires dans les années 1970, période à partir de laquelle de nombreuses personnes quittent la région, notamment la Biscaye, frappée par une profonde crise économique. Entre-temps, de nouveaux migrants sont apparus en Euskadi, des migrants originaires d’Amérique latine, d’Europe de l’Est ou du continent africain. Pourtant, bien qu’au cours de la période 1990-2011 l’immigration non-espagnole augmente de manière significative dans la région – elle passe de 0,7% de la population en 1998 à 6,6% en 201135 –, les flux migratoires actuels s’avèrent insuffisants pour permettre au Pays basque de renouer avec une croissance démographique identique à celle des années soixante. Au-delà, ils ne sont surtout plus en mesure de provoquer des bouleversements similaires à ceux qu’ils ont engendrés entre 1877 et 1975, des bouleversements qui ont certes modifié la structure démographique du territoire mais aussi le spectre politique local et national.

Un projet nationaliste fondé sur le rejet de l’immigré : Sabino Arana et la figure du maketo

A la fin du XIXe siècle, l’arrivée massive de migrants originaires de régions telles que la Castille se déroule dans une société dont une partie des membres éprouve un profond ressentiment à l’encontre de la couronne espagnole, responsable de l’abrogation des fueros basques. Bercés par le fuerismo et les mythes qui parcourent le Pays basque depuis plusieurs siècles36, certains d’entre eux s’organisent au sein d’associations à vocation culturelle et politique (Euskalerria, par exemple), des associations qui réclament la réinstauration des fueros et donc le retour à une société pensée comme idéale et à l’abri des bouleversements socio-économiques auxquels est confronté le Pays basque. Cette vision du passé, extrêmement répandue à l’époque, s’accompagne chez de nombreux Basques d’un rejet des migrants, qu’ils qualifient de maketos, terme à l’origine obscure et qui viendrait du basque “makito” ou “maketo”, signifiant “idiot”37. Reflet du racisme d’une société qui a reposé pendant des siècles sur le principe de la hidalguía universal38 et, à travers lui, sur celui de la limpieza de sangre39, l’emploi du terme “maketo” souligne à quel point il existe dans ce territoire, au XIXe siècle, certes la croyance en l’existence d’une race basque, mais surtout la conviction que le non-Basque est suspect, porteur d’une forme d’impureté susceptible de corrompre. Au-delà, l’utilisation courante de ce terme souligne à quel point l’arrivée des migrants est interprétée comme une invasion dangereuse, synonyme de dégénérescence40.

Cet état d’esprit qui règne au sein d’une partie de la population est parfaitement conceptualisé et utilisé par le père du nationalisme basque, Sabino Arana (1865-1903). Ce fils de carliste, profondément croyant, établit dans les années 1880 et 1890 une lecture de la société basque dans laquelle l’antimaketismo, soit le rejet du migrant venu travailler au Pays basque, joue un rôle central. L’antimaketismo est l’expression de l’anti-espagnolisme viscéral qui caractérise le projet politique d’Arana à ses débuts41, un projet qui se nourrit des peurs irrationnelles d’une population autochtone effrayée par l’ampleur des mutations que subit la société locale. Son discours calque la violence et la rapidité avec laquelle se transforme la Biscaye. Pour ce faire, il prend appui sur l’image biblique qui sert de substrat à son message, laquelle, dans ses différentes déclinaisons, renvoie à l’apocalypse ou au déluge.

le mal s’installe dans nos cités, d’où il multiplie ses conquêtes. Il franchit les rivières, se propage à travers monts et vallées et gravit les versants. Aculée et encerclée par cette brutale invasion, la famille basque voit périr ses enfants, engloutis dans l’infâme tourbillon. De ce naufrage général ne subsistent plus que les sommets des plus hautes montagnes, berceau de notre race.42

Imprégné de références religieuses, son message se focalise sur celui qu’il considère comme le parfait représentant de la race basque, soit le paysan croyant, respectueux des enseignements de l’Eglise et sensible à un point essentiel de sa doctrine : l’immigration et l’industrialisation éloignent le Basque de Dieu. Ces fléaux modernes sont les signes avant-coureurs du jugement dernier, de la disparition d’une culture et d’une langue basques que ses fils s’avèrent incapables de protéger contre l’invasion de maketos impies43. Le maketófilo – Basque “contaminé” – est, quant à lui, mis à l’index44.

Pour Arana, on le voit, le salut des Basques réside dans la religion. Mais, la lutte contre la déchristianisation et l’assimilation passe également par la connaissance de ce qui deviendra l’autre crédo des nationalistes : l’histoire du Pays basque, ou plutôt l’interprétation de l’histoire que propose Arana. L’objectif de cette relecture est de démontrer à quel point l’Espagne est responsable de l’anéantissement d’un monde idéal, qui n’est autre que le paradis perdu (“Sur nos montagnes sculptées par Dieu régnait la joie”)45. En s’inspirant des mythes repris et diffusés par le fuerismo, l’idéologue reconstruit la lente destruction de cette terre ancestrale et affirme qu’entre le Moyen Âge et le XIXe siècle la Biscaye – et les autres provinces basques – a été une nation libre, progressivement asservie par l’Espagne46. Cette interprétation réduit le passé de la région à un conflit quasi-permanent et élude les phénomènes complexes qui ont influencé l’histoire locale47. Celle-ci, en effet, devient le théâtre d’une série d’affrontements sanglants, des guerres de libération que l’“Euzkadi”48 a successivement perdues et qui se sont soldées par l’abrogation des fueros, présentés comme les constitutions des Etats basques49. Cette relecture de l’histoire est largement reprise dans les nombreux écrits et articles50 que publie Arana au cours des années 1890. Elle sert également d’assise à son programme politique : la création d’un Etat indépendant et théocratique, une confédération réunissant les six provinces basques51 et la Navarre, une nation “racialement” pure, à l’abri des effets “pervers” de l’immigration et de l’industrialisation. Son mot d’ordre est Jaungoikua eta Lagi zarra “Dieu et la Vieille loi”.

Ce programme politique repose sur un autre élément fondamental. Arana est intimement convaincu que sa lecture de la réalité ne peut emporter l’adhésion sans la mise en avant d’un anti-modèle, susceptible de fédérer et de mobiliser les Basques en faveur de l’indépendance. A travers ses écrits, Arana oppose donc ce qu’il considère comme l’incarnation du mal (le maketo, lié à l’Espagne) à l’archétype du bien (le Basque croyant, incarnation de la Biscaye-l’Euskadi) :

La physionomie du Biscaïen est intelligente et noble ; celle de l’Espagnol est inexpressive et sévère. La démarche du Biscaïen est élégante et virile ; l’Espagnol ou ne sait pas marcher (prenez l’exemple des conscrits) ou, s’il est élégant, est efféminé (pensez au torero). […] Le Biscaïen est travailleur […] l’Espagnol est paresseux et feignant. […] Le Biscaïen n’est pas né pour servir, mais pour commander (etxejaun) ; l’Espagnol n’est venu au monde que pour être un vassal et un serviteur. […] Le Biscaïen dégénère s’il entre en contact avec l’étranger ; l’Espagnol a besoin de temps à autre d’une invasion étrangère qui le civilise. […] La propreté du Biscaïen est légendaire […] l’Espagnol se lave à peine une fois dans sa vie. […] Enfin, selon les statistiques, 95% des crimes en Biscaye sont commis par des mains espagnoles52

En opposant les Biscaïens au “peuple du blasphème et du couteau53, Sabino Arana propose un récit identitaire fondé sur le principe d’inversion. Il élabore une rhétorique de l’altérité, dans laquelle le Basque et le maketo entretiennent une relation spéculaire inversée : les tares de l’un renvoient aux vertus de l’autre et la construction de l’un est impossible sans la connaissance de l’autre. Dans le maketo, le Basque reconnaît un non-moi et incarne à son tour l’image en négatif du maketo, la représentation qui lui donne sens et l’aliène primordialement. En définitive, chacun appartient au champ de l’autre et participe à l’identification et l’édification du moi-idéal qu’élabore Sabino Arana.

Cette construction remplit également une autre fonction : en se faisant l’écho de la xénophobie ambiante, elle la renforce. L’objectif est de mettre en place une ségrégation raciale isolant le maketo et empêchant la “dilution” de la race Basque54 que recherche, selon Arana, l’Etat espagnol55. L’idéologue veut élever une barrière entre la race basque et les travailleurs immigrés qu’il décrit comme des parasites dénués de toute humanité :

le maketo : le voilà l’ennemi ! […] il est notre dominateur et notre parasite national : il nous a soumis et il nous a privés de ce à quoi tout homme et tout peuple ont droit, la liberté ; il dévore notre corps, désagrège notre esprit et aspire à notre mort.56

L’utilisation de cette métaphore biologique souligne certes le profond mépris du maketo, mais aussi la volonté d’Arana de réorienter le contenu des principales représentations circulant au Pays basque. En déshumanisant les migrants, il veut provoquer une rupture radicale avec l’Espagne, un rapport de force avec “l’envahisseur”. Il s’agit, en particulier, de convaincre les Biscaïens que les maketos appartiennent à une race inférieure (“la race la plus vile et méprisable d’Europe57), venue de ce pays décadent et corrompu, “sans moralité, sans discipline”, la “nation la plus arriérée d’Europe”, la “risée du monde entier58. Il faut mettre un terme au pillage des richesses nationales59 et à l’affaiblissement de la race60. Mais, le conflit n’est pas uniquement racial, il est aussi d’ordre idéologique. Diffusés par les maketos, le socialisme et son corollaire l’anticléricalisme constituent des fléaux modernes qui sapent les fondements de la société basque. Dans ces conditions, la ségrégation raciale doit être renforcée par la mise en place d’une barrière linguistique qui rende la communication entre les deux races particulièrement difficile61. Pour y parvenir, Arana demande aux Biscaïens de renoncer à la langue espagnole et de parler le basque. Ils pourront ainsi se consacrer à Dieu et à leur race :

La différence de langue est le meilleur moyen de nous préserver de la contamination espagnole et d’éviter le croisement des races. Si nos envahisseurs apprenaient l’euskera, nous serions dans l’obligation de l’abandonner, en archivant soigneusement sa grammaire, son vocabulaire, et nous apprendrions le russe, le norvégien ou tout autre langue inconnue des Espagnols, et ce tant que leur domination s’exercerait.62

L’isolement et l’indépendance sont essentiels à la rédemption de la race basque, à la reviviscence de cet âge d’or oublié et disparu, que Sabino, tel un messie, prétend ressusciter63.

Afin de guider son peuple, l’idéologue fonde en 1895 le parti nationaliste basque (PNV), formation destinée à rassembler et à mobiliser les Basques jusqu’à la restauration de la nation mythique. De ce point de vue, la disparition de l’idéologue en 1903 ne change rien. Au cours des décennies suivantes, le PNV demeure fidèle à cet objectif, même si Arana a adopté à la veille de sa mort un discours plus modéré. Le positionnement initial du guide constitue l’essence de la pensée nationaliste, l’élément indispensable à l’articulation de son discours sur la réalité basque, comme le montre cet article publié par le journal Aberri en 1908 :

Nous devons, en premier lieu, ne pas oublier que l’union entre familles basques et latines constitue un danger pour la race […] Ici en Euzkadi, les mariages mixtes vont traditionnellement à l’encontre des exigences de la cause catholique et mettent toujours en péril la pureté du sang basque64

Ainsi, malgré un positionnement moins radical, le discours d’Arana se perpétue au sein du PNV. La plupart des militants nationalistes restent convaincus de la validité de son message. Pendant des années, cette fidélité survit aux scissions entre partisans de l’indépendance et défenseurs de l’autonomie ainsi qu’aux différentes alliances que le PNV établit avec des forces non-nationalistes. Mais, une telle permanence idéologique ne se limite pas au dogme selon lequel l’Espagne a envahi l’Euskadi. En effet, de nombreux adhérents continuent de croire que les maketos sont des êtres inférieurs, dont la présence constitue l’une des modalités de cette invasion. Jusqu’à la guerre civile (1936-1939), cette croyance est extrêmement répandue, car prédomine au Pays basque, comme ailleurs en Europe, une analyse raciale de la société. Ces photographies de Luis Torcida, publiées pendant le conflit, en témoignent :

Image1

“Type basque”, La Gaceta del Norte, (13 septembre 1936), p. 3

Image2

“Types biscaïens”, La Gaceta del Norte, (23 septembre 1936), p. 6

La guerre civile, d’ailleurs, constitue un moment essentiel pour la cristallisation des idées nationalistes. En effet, au cours de l’affrontement, une partie de la population s’identifie à la cause nationaliste, aidée en cela par le discours propagandiste qui insiste sur une idée fondamentale : le combat contre les militaires rebelles matérialise tant l’invasion dénoncée par Arana que la résistance mythique des Basques65. Toutefois, la perception de la guerre comme une confirmation des thèses de Sabino Arana s’accompagne aussi de tensions entre les milices du Front populaire et les forces du PNV. Alimentée tant par les nationalistes que par les formations de gauche, ces tensions reposent certes sur des désaccords d’ordre politique et sur le souvenir des affrontements sanglants qui ont eu lieu dans les années trente entre militants socialistes et jelkides66. Cependant, elles sont aussi la conséquence du substrat idéologique sur lequel repose l’idéologie du PNV, notamment la vision xénophobe qui en émane. Ainsi, en dépit du ralliement des nationalistes à la cause républicaine, certains gudaris67sont convaincus de l’absence de légitimité des milices ouvrières au Pays basque. Pour nombre d’entre eux, les ouvriers et les courants politiques auxquels ils adhèrent sont des éléments exogènes, étrangers à la société et à la culture basques telles qu’elles sont définies au XIXe siècle. Cette vision se double parfois de la croyance en une supériorité naturelle du Basque dans la guerre, une supériorité qui prend sa source dans les nombreux mythes sur lesquels reposent les récits identitaires que reprennent le fuerismo et Sabino Arana :

Le nekazari […paysan basque…] est particulièrement prédisposé à être un bon soldat. Il est habitué aux intempéries, à la rudesse du terrain et au travail quotidien. […] Serein de caractère, parfois impassible ; sachant anticiper, extrêmement obéissant et discipliné comme nul autre. Toujours disposé à suivre les ordres qu’on lui donne, aussi désagréable que soit sa mission. On ne l’entend jamais protester. Il est résistant, raison pour laquelle on lui confie les missions les plus difficiles, qu’il exécute sans réserves ni objections.68

Rompant avec une vision romantique du conflit, proposée tant par les nationalistes que par les organisations de gauche, cette croyance en la supériorité des Basques souligne à quel point existaient au sein des forces antifascistes des lignes de fracture liées, entre autres, à une permanence de l’antimaketismo. De fait, la prise en compte de ces fractures aide à mieux comprendre comment se déroule la fin du conflit au Pays basque : démoralisés par la prise de Bilbao et refusant de combattre sur une terre non-basque, les bataillons du PNV abandonnent les républicains à leur sort et se rendent finalement aux troupes italiennes dans le port de Santoña.

Le coreano et Federico Krutwig : l’ETA face à la question de l’immigration

Comme au XIXe siècle, se produit sous le franquisme une conjonction de phénomènes essentielle à l’émergence de revendications nationalistes, dans lesquelles la question migratoire occupe une place centrale. Ainsi, à partir des années cinquante, on assiste à une intensification de l’industrialisation du Pays basque accompagnée d’une explosion démographique. Des milliers de personnes originaires des régions rurales et pauvres de l'Espagne s'installent dans les faubourgs de Bilbao et dans les villes industrielles du Guipúzcoa et de l’Alava. Par ailleurs, sous la pression de l’immigration et de la répression franquiste, la langue et la culture locales reculent, tandis que la résistance au régime se réduit considérablement. Le PNV vit reclus dans la clandestinité et se trouve confronté, après avoir incarné la lutte contre la dictature, à une crise de légitimité particulièrement aiguë. En effet, certains membres des jeunesses nationalistes (EGI) critiquent l’apparente passivité dans laquelle ont sombré le PNV et le gouvernement basque à la fin des années cinquante. Ils affirment notamment qu’un changement de stratégie s’impose afin de libérer le Pays basque. Face à l’opposition des dirigeants nationalistes, une partie des militants d’EGI abandonne le PNV et fonde en 1959 l'E.T.A (Euzkadi Ta Askatasuna/Pays basque et liberté). Débute alors un nouveau cycle de l’histoire du nationalisme basque, qui perpétue le traditionnel et profond rejet de l’Espagne, mais renouvelle aussi le discours sur l’immigration.

De fait, le premier manifeste de l’ETA (1959) souligne combien les indépendantistes reconnaissent la validité de certaines théories de Sabino Arana, en particulier son interprétation de l’histoire69. Pour l’ETA, comme pour l’idéologue, l’Espagne occupe le Pays basque depuis le XIXe siècle. Néanmoins, l’organisation considère que l’action armée est la seule réponse adaptée à la situation que vit le peuple basque. L’ETA rompt ainsi avec le nationalisme traditionnel70, rupture qu’accentue le rejet de deux éléments essentiels : l’intégrisme religieux et la notion de race basque. En accord avec la condamnation des théories racistes qui se manifeste dans le monde peu après la Seconde Guerre mondiale, l’ETA affirme que la langue et la culture sont les principaux marqueurs identitaires des Basques71. Le peuple basque n’est donc plus considéré comme un groupe défini par un certain nombre de particularités physiques héréditaires.

En dépit de ces principes, la construction idéologique de l’ETA demeure inachevée au début des années soixante. Se produit alors un événement capital, qui va amplifier la rupture avec le nationalisme traditionnel : la publication en 1963 de l’ouvrage de Federico Krutwig, Vasconia72. Adressé directement aux militants de l’organisation, Vasconia se situe à mi-chemin entre le programme politique et l’étude pseudo-scientifique de la situation au Pays basque. En tant que tel, l’ouvrage apporte donc des réponses aux multiples questions que se posent les militants. Parmi elles, comment adapter le nationalisme basque et son combat aux nouvelles réalités sociales et économiques de l’Euskadi ? Krutwig propose un nationalisme inspiré par le marxisme et en désaccord avec la vision traditionaliste et raciste du début du siècle. Il rejette le ruralisme d’Arana et considère l’industrialisation comme un progrès73. Il estime qu’un nationalisme réactionnaire est contraire à l’esprit des Basques, car la société locale a toujours été progressiste, voire communiste avant l’heure :

On ne peut être nationaliste basque et partisan de la spoliation. Quiconque se considère nationaliste basque doit se considérer en même temps progressiste, défenseur des droits des opprimés. Tel est l’esprit de l’Histoire de la Biscaye […] En Biscaye, l’ensemble de la population était noble et propriétaire à la fois […] la patrie appartenait à tout le monde ainsi que la terre. […] Etre réactionnaire, c’est nier l’esprit basque74

L’auteur estime que cet Eden a été détruit et perverti par l’Espagne. Il manifeste sur ce point un anti-espagnolisme primaire, identique à celui d’Arana, dont il reprend certains arguments. Selon lui, il existe une certaine supériorité culturelle des Basques75. L’Espagne est un pays arriéré qui méprise les habitants de la région et empêche l’Euskadi de se développer76. Le Pays basque est l’esclave d’un pays qui pille ses richesses et les Espagnols sont des parasites77. Ils utilisent l’argent des Basques pour financer une armée d’occupation78 qui n’a cessé, depuis les guerres carlistes, d’accentuer la répression79, comme le montre la guerre civile80. Pour libérer l’Euskadi, l’auteur de Vasconia propose à l’ETA de lutter contre le franquisme en s’inspirant des guerres de libération qui se déroulent en Algérie et au Viêt-nam. Cette lutte, selon Krutwig, ne peut se traduire que par la victoire de l’ETA et donc l’avènement d’une société basque moderne, inspirée par son histoire millénaire et débarrassée de l’Espagne. Après avoir éliminé le capitalisme et instauré un système politique et économique influencé par le marxisme, la nation basque renaîtra de ses cendres.

Quant à la question de ceux que l’on dénomme à présent les coreanos81, Krutwig l’analyse en la resituant dans le contexte politique de l’époque, mais aussi en demeurant fidèle à la vision que proposait Arana. Ainsi, il considère que ces populations constituent, au même titre que le castillan82, l’un des instruments franquistes de dénationalisation de la société locale. Le migrant n’est pas basque et vit dans un pays qui n’est pas le sien. Toutefois, Krutwig s’oppose à leur expulsion et recommande leur assimilation83. Selon lui, le nationalisme doit s’adapter à la réalité sociale et politique de l’immigration : il faut rompre avec l’idéologie originelle, dont la dimension religieuse nuit à son prestige. Dans la mesure où ces populations sont progressistes et adhèrent majoritairement à des formations de gauche, elles doivent être captées par le nationalisme basque. Pour y parvenir, ce mouvement doit évoluer vers des approches de type marxiste84 et rompre avec l’Eglise qui s’est largement compromise avec Franco. Le nationalisme évitera ainsi que les immigrés, victimes du système dictatorial, n’aillent grossir les rangs des partis “espagnolistes” et accentuent le processus de dénationalisation. Cette approche des migrants comme une somme d’individus qui réagit en fonction de ses intérêts de classe est également présente lorsque Krutwig aborde la question sociale. Conscient des conditions de vie difficiles dans lesquelles ont vécu et vivent ces populations, il compare les migrants aux immigrés algériens en France et insiste sur le fait qu’ils tiennent avant tout à rester au Pays basque, où leur niveau de vie est beaucoup plus élevé que dans leur région d’origine. Dès lors, il faut faire en sorte de les rallier à la cause nationaliste. Pour cela, il propose d’articuler le projet politique de l’organisation autour de deux éléments-clés : la libération nationale et la libération économique. La guerre contre le colonialisme espagnol doit être indissociable d’une guerre contre l’exploitation du prolétariat.

Le ralliement au camp ennemi des assoiffés de justice sociale serait funeste pour la nation basque. Le Pays basque a besoin de tous ses fils et habitants. Les promesses de libération économique que le nationalisme fera à ces populations devront être tenues. La lutte pour la libération nationale doit inclure un programme social. L’exigence d’une justice sociale devra être intimement liée aux revendications de justice nationale.85

Krutwig n’est pas un idéaliste, affligé par la situation dans laquelle vivent les immigrés. Il a plutôt une approche pragmatique et profondément idéologique de la question. Sa réflexion n’est guidée que par ce que peut éventuellement rapporter à la cause nationaliste la prise en compte de cette donnée. Appréhender la question dans sa dimension sociale peut rapporter des bénéfices substantiels, en convertissant les immigrés en des alliés et des agents particulièrement actifs au service du nationalisme. De plus, en acceptant les migrants et en les associant à la lutte contre l’oppresseur, l’Espagne, selon Krutwig, sera confrontée à un conflit extrêmement complexe, à la fois social et politique. Dans cette multiplication des fronts générée par l’union entre “patriotes” basques et ouvriers immigrés réside la clé d’un combat qu’il faudra poursuivre quelle que soit la nature du gouvernement espagnol. La dictature est un épiphénomène, l’Espagne est le véritable problème.

L’ETA adhère finalement à cette vision de l’immigration, qu’elle partageait déjà en partie avec Krutwig. Elle intègre également dans son programme deux concepts-clés de Vasconia : le nationalisme révolutionnaire et la guérilla86. Entre 1964 et 1966, l’influence de Krutwig devient manifeste. Au cours de la Ve Assemblée, l’ETA franchit le pas. Elle approuve l’idée d’une guerre révolutionnaire, perçue comme le meilleur moyen de libérer le Pays basque. La victoire sera acquise soit par une défaite de l’armée d’occupation, soit par une insurrection des Basques et des populations immigrées qui s’empareront du pouvoir87. Les militants croient d’autant plus en leur stratégie que les soutiens se multiplient à la fin des années soixante, tant parmi les Basques de souche que chez les personnes issues de l’immigration. Toutefois, l’adhésion de certains migrants et de leurs descendants au nationalisme radical n’est pas liée uniquement à l’adoption d’une stratégie fondée sur la guerre révolutionnaire et sur le marxisme. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’une part, en optant pour un nationalisme ethnique fondé sur la langue, l’ETA propose un projet politique moins rigide que celui d’Arana, puisqu’il rend possible l’intégration des immigrés. D’autre part, l’ETA apparaît rapidement comme le seul véritable opposant au franquisme et bénéficie en cela d’un appui qui va bien au-delà des Basques et de l’Euskadi. Deux événements vont jouer un rôle déterminant dans ce sens : le procès de Burgos en 1970 et l’assassinat en 1973 du chef du gouvernement de Franco, Luis Carrero Blanco. Enfin, l’Etat franquiste applique une stratégie erronée contre l’ETA. Conseillé par ses représentants au Pays basque, le gouvernement mobilise l’armée, fait juger les activistes par des tribunaux militaires et décrète à plusieurs reprises l’Etat d’exception, renforçant ainsi le sentiment que le Pays basque est occupé par l’Espagne.

je me permets de vous proposer […] que les affaires instruites […] pour possession ou diffusion de la propagande à caractère anti-espagnol et révolutionnaire produite par l’organisation ETA, branche extrémiste du parti nationaliste basque, relèvent de la juridiction militaire et que les accusés soient jugés pour haute trahison88

En appliquant cette stratégie, les autorités favorisent l’adhésion à l’ETA, renforcent le divorce entre une partie de la population et les forces de l’ordre et accroissent le discrédit de tout ce qui est lié à l’Espagne. Au sein d’une frange de la population, cette perception de la réalité ne cesse de croître. La crise économique de grande ampleur qui touche l’Euskadi dans les années soixante-dix et quatre-vingt joue un rôle important en ce sens. Malgré l’avènement de la démocratie (1975-1978) et l’octroi de l’autonomie politique au Pays basque (1979), l’idéalisation des etarras se poursuit et concerne, entre autres, une partie de la jeunesse vivant dans les quartiers ouvriers, particulièrement frappés par la restructuration de l’économie basque. Ce phénomène s’explique certes par l’incapacité des formations et gouvernements de la jeune démocratie espagnole à répondre à leurs attentes sur le plan socio-économique et politique. Toutefois, la crise renforce aussi l’impression de délabrement général du système dans des territoires comme la zone industrielle de Bilbao, incitant une partie de la jeunesse en quête d’identité à adhérer à des formes de culture alternatives, articulées autour de l’univers symbolique que produit le mouvement indépendantiste. Pour certains jeunes issus de l’immigration, l’activité de l’ETA réactive une épopée contemporaine, une épopée violente perçue comme susceptible de résoudre les dysfonctionnements de la société basque. Dès lors, les actions de l’ETA – et sa stratégie politique – vont de pair avec la création d’une nouvelle communauté (les abertzales), en rupture avec le système et disposée à accueillir tous ceux qui réclament l’indépendance et estiment avoir une raison de se révolter contre le pouvoir et la situation de crise qui règne en Euskadi. Peu importe l’origine, elle est secondaire au regard de l’engagement politique. De plus, le ralliement à la communauté valide l’appartenance identitaire, le rattachement au peuple basque. Dès les années soixante-dix se constitue donc un mouvement qui regroupe une myriade d’organisations pro-indépendantistes, des partis politiques, des groupuscules écologiques, des organisations de défense de la langue basque et des organisations de jeunes (MLNV89). Ce mouvement dispose de ses publications, de son répertoire musical et de ses espaces de sociabilité. Il crée ses propres rites, symboles, héros et lieux de mémoire, soit les éléments permettant de donner un sens au combat et à la mission dont chaque militant est investi90. A partir d’un discours axé sur les dangers qui pèsent sur la société et la culture basques, les différentes associations diffusent les idées indépendantistes dans les secteurs (ou “fronts”) dont elles ont la charge. Elles forgent ainsi une nation en lutte, mobilisée en permanence, qui regroupe les Basques au-delà de leurs origines.

L’évolution qui se produit au sein du nationalisme dans le rapport au migrant ne se limite pas aux indépendantistes proches de l’ETA. Elle concerne aussi le PNV. Dans la clandestinité et l’exil se consolident les changements qui commençaient à poindre dans les années trente. Cette formation devient beaucoup plus modérée, même si certains membres demeurent attachés au discours fondateur de Sabino Arana. A la mort de Franco, le PNV abandonne donc officiellement les thèses racistes et revendique l’intégration des populations “immigrées”. Dans son programme, il affirme que l’appartenance à un peuple n’est pas déterminée par le sang ou la naissance, mais par la volonté d’intégration, l’imprégnation culturelle et l’apport au développement de la région. Selon cette définition, l’identité basque se forge à partir d’éléments ethniques et culturels, tout en reposant sur la volonté des personnes. Il s’agit là d’une interprétation relativement ambiguë, située à mi-chemin entre une vision essentialiste et volontariste de l’identité, dont l’objectif est de satisfaire les différents courants présents au sein du parti91. L’évolution des Jelkides sur la question identitaire est néanmoins significative, même si elle se produit aussi pour des raisons qui dépassent le PNV. En effet, comme je l’ai signalé auparavant, le contexte international s’est profondément modifié après la Seconde Guerre mondiale et le rejet des théories raciales s’est généralisé. Il est dès lors extrêmement délicat pour une formation comme le PNV, qui revendique son attachement aux droits de l’homme, de conserver dans son intégralité un programme structuré autour de thèses xénophobes, échafaudées au XIXe siècle. Par ailleurs, dans les années soixante-dix, la société basque a considérablement changé. Elle est différente de celle qu’a connue Sabino Arana et l’un des facteurs de cette évolution est sans aucun doute l’immigration. L’arrivée massive de migrants dans les années soixante et l’importante industrialisation qui l’accompagne transforment les mentalités, les modes de vie ainsi que la manière de penser la société basque. Le contact accru avec l’immigration ainsi que la censure du discours nationaliste alimentent des formes de socialisation qui créent les conditions favorables à une plus grande acceptation des migrants. De fait, le formidable brassage de populations et de cultures qui se produit à cette époque contribue à l’émergence d’une génération de Basques plus tolérante envers l’immigration, plus consciente du fait que les migrants constituent une part essentielle de la société92. A la mort de Franco, aucune formation désirant s’imposer sur l’échiquier politique local ne peut ignorer cette réalité-là, qui concerne une majorité de personnes vivant au Pays basque. Toutefois, l’inconscient collectif des nationalistes demeure encore ambivalent à l’égard de la figure du maketo et continue de produire des représentations de l’Euskadi dont il est fréquemment exclu, montrant ainsi à quel point l’identité mythique résiste et s’avère souvent beaucoup plus intéressante sur le plan politique que l’identité réelle.

1  Aranda Aznar, José, “La mezcla del pueblo vasco”, en Empiria, n° 1, (1998), p. 121.

2  Ibid. p. 135. Comme le rappelle José Aranda Aznar, dans des régions comme l’Andalousie, ce pourcentage atteignait 86,6% de la population.

3  Ibid., p. 144.

4  On se souvient, par exemple, des affirmations du président du PNV, Xavier Arzalluz, faisant référence en 2001 au rhésus négatif des Basques. Par ailleurs, il existe actuellement sur Internet de nombreux sites qui défendent des théories de type racial, fondées sur les prétendus particularismes génétiques des Basques. Voir, par exemple, le site IGENEA, http://www.igenea.com/fr/index.php?c=44.

5  Termes péjoratifs employés au Pays basque entre les XIXe et XXe siècles pour désigner les populations issues de l’immigration.

6  Cfr. Chacón Delgado, Pedro José, “Los maketos seguimos fuera de contexto más de un siglo después”, en El correo.com, (25 novembre 2010), http://www.elcorreo.com/vizcaya/v/20101125/opinion/maketos-seguimos-fuera-contexto-20101125.html.

7  Cfr. Silvestre Rodríguez, Javier, “Las emigraciones interiores en España durante los siglos XIX y XX: una revisión bibliográfica”, en Ager, n° 2, (2002), pp. 232-233.

8  Cfr. Fernández Vicente, María José, “Españoles fuera de España. Historia y memoria de la última ola migratoria española (1945-1980)”, en Pinçonnat Crystel (coord.), Histoire de l'immigration, traces et mémoires, Amnis, n° 7, (2007), http://amnis.revues.org/799.

9 Ibid.

10  Rosés, Joan et Sánchez-Alonso, Blanca, “La integración de los mercados de trabajo en España, 1850-1930”, en Cuadernos económicos de ICE, (2005), nº 70, p. 132.

11  Silvestre Rodríguez, Javier, “Las migraciones interiores durante la modernización económica de España, 1860-1930”, en Cuadernos económicos de ICE, n° 70, (2005), p. 164.

12  Rosés, Joan et Sánchez-Alonso, Blanca, op. cit., p. 133.

13  Cfr. Camps Cura, Enriqueta, “Urbanización y migraciones internas durante la transición al sistema fabril : el caso catalán”, en Boletín de la Asociación de Demografía Histórica, n°8 (2), (1990) ; Silvestre Rodríguez, Javier, “Viajes de corta distancia: las migraciones interiores en España”, en Revista de Historia Económica, nº 2, (2001).

14  Albertos Puebla, Juan Miguel et Bernabé Maestre, José María, “Migraciones interiores en España”, en Cuadernos de geografía, n° 39-40, (1986), p. 180.

15  Capel, Horacio, “Los estudios acerca de las migraciones interiores en España”, en Revista de Geografía, vol. I, nº 1, (1967), p. 92.

16  Albertos Puebla, Juan Miguel et Bernabé Maestre, José María, op. cit., pp. 197-199.

17  Silvestre Rodríguez, Javier, “Las emigraciones interiores en España durante los siglos XIX y XX: una revisión bibliográfica”, op. cit., pp. 237-238. De ce point de vue, la crise économique actuelle a eu un impact considérable. Elle a fortement accru l’émigration des Espagnols vers des pays comme l’Argentine et l’Allemagne.

18  Montero, Manuel, La construcción del País Vasco contemporáneo, (San Sebastián, Txertoa, 1993), p. 81.

19  L’industrialisation du Guipúzcoa débute certes au XIXe, mais elle ne devient réellement importante qu’à partir du début du XXe siècle. Elle est, par ailleurs, moins concentrée qu’en Biscaye. Dans ce territoire, l’économie est beaucoup plus diversifiée et moins dépendante de l’industrie métallurgique (importance, par exemple, de l’industrie du papier et du textile).

20  Cfr. González Portilla, Manuel, “La modernización de la economía en el País Vasco (1876-1973)”, en Congreso de Historia de Euskal Herria, t. V, (Vitoria, Gobierno Vasco, 1988), p. 10 ; Voir aussi, Luengo Teixidor, Félix Juan et Castells Arteche, Luis, “El proceso de modernización de Guipúzcoa (1876-1920)”, en Ekonomiaz: Revista vasca de economía, nº 9-10, (1988).

21  Valdaliso, Jesús María, “La industrialización en el primer tercio del siglo XX y sus protagonistas”, en Granja, José Luis de la et Pablo, Santiago de (coord.), Historia del País Vasco y Navarra en el siglo XX, (Madrid, Biblioteca Nueva, 2002), pp. 174-184.

22  Arbaiza Vilallonga, Mercedes, “Movimientos migratorios y economías familiares en el norte de España (1877-1977)”, en Revista de Demografía Histórica, Vol. 12, nº 2-3, (1994), p. 95.

23  Cfr. González Portilla, Manuel et García Abad, Manuel, “Migraciones interiores y migraciones en familia durante el ciclo industrial moderno. El área metropolitana de la ría de Bilbao”, en Scripta Nova, n° 218 (67), (1er août 2006), http://www.ub.edu/geocrit/sn/sn-218-67.htm.

24  Cfr. González Portilla, Manuel, “Inmigrantes castellano-leoneses en la ría de Bilbao en la primera industrialización”, en Studia historica. Historia contemporánea, n° 18, (2000).

25  Ibid., p. 62.

26  Bazán, Iñaki (coord.), De Túbal a Aitor. Historia de Vasconia, [2002], (Madrid, La esfera de los libros, 2006), p. 666.

27  Mikelena Peña, Fernando, “El proceso de urbanización en el País Vasco peninsular entre 1860 y 1930”, en Cuadernos de Sección. Historia y Geografía, n° 21, (1993). En Biscaye, elle est multipliée par dix, au Guipúzcoa par cinq et en Alava par deux.

28  Agirreazkuenaga, Joseba, Serrano, Susana, Viaje por el poder en el ayuntamiento de Bilbao 1799-1999, (Bilbao, Ayuntamiento de Bilbao, 1999), p. 69. Voir, également, Pablo, Santiago de, Mees, Lugder et Rodríguez Ranz, José A., El péndulo patriótico. Historia del Partido Nacionalista Vasco, I :1895-1936, (Barcelona, Crítica, 1999), p. 26 ; Fusi, Juan Pablo, Política obrera en el País Vasco (1880-1923), (Madrid, Turner, 1975).

29  Fusi Aizpúrua, Juan Pablo, El País Vasco. Pluralismo y nacionalidad, (Madrid, Alianza Editorial, 1984), p. 14.

30  González Portilla, Manuel, “Inmigrantes castellano-leoneses…”, op. cit., p. 64.

31  Ibid., pp. 15-16.

32  González Portilla, Manuel et García Abad, Manuel, op. cit.

33  Ibid.

34  Ibid.

35  Gobierno Vasco, Dirección de Inmigración y Gestión de la Diversidad, Departamento de Empleo y Asuntos Sociales, Plan de inmigración, ciudadanía y convivencia intercultural 2011-2013, (2012).

36  Mouvement politique et culturel basque, qui apparaît entre la première et la troisième guerre carliste (1833-1839 / 1872-1876), et dont l’objectif est la préservation des fueros. Les fueristas créent et alimentent des mythes politiques, qui s’enracinent en partie dans la réalité historique. Pour cela, certains publient des œuvres ruralistes, relatives aux mœurs, d’autres des romans historico-légendaires, qui abordent l’histoire antique et médiévale du Pays basque. Ils y valorisent la basquité, en célébrant l’excellence de la société locale et la légitimité des institutions basques. Ils décrivent un monde mythique, une société heureuse et prospère, protégée par les fueros, respectueuse de la tradition et du catholicisme. Dans leurs œuvres, les fueristas affirment que la région était au cours du Moyen Âge une société indépendante, démocratique et fondée sur l’égalité entre les individus. Selon eux, les Basques, après avoir résisté à de multiples envahisseurs, auraient établi un pacte avec la couronne de Castille, pacte que l’Etat espagnol aurait modifié unilatéralement en 1839 et rompu en 1876, après la troisième guerre carliste, lorsque Madrid décida de supprimer les fueros. La défense des fueros aurait alimenté une certaine forme de patriotisme basque, proche du régionalisme, mais qui n’implique absolument pas de rejet de la nation espagnole. En effet, les fueristas revendiquent leur profond attachement à l’Espagne, dont les Basques seraient la quintessence. (Cfr. Juaristi, Jon, El linaje de Aitor. La invención de la tradición vasca, (Madrid, Taurus, 1987) ; Castells Arteche, Luis, “Liberales, fueros e identidades en el País Vasco (1850-1919)”, en Castells, Luis, Cajal, Arturo et Molina Fernando (coord.), El País Vasco y España: Identidades, Nacionalismos y Estado (siglos XIX y XX), (Bilbao, Universidad del País Vasco, 2007) ; Molina Aparicio, Fernando, “ '¿Delenda est Carthago' La nación española y los fueros vascos (1868-1898)”, Ibid. ; Granja, José Luis de la, “Entre la idealzación arcádica y el catastrofismo apocalíptico : la visión de Sabino Arana sobre la historia del País Vasco”, en L’Avená revista d’historia, n° 204, (juin 1996).

37  Real Academia, Diccionario de la lengua española, (2010).

38  Privilège royal reprit par la législation forale et qui octroyait une noblesse collective à la plupart des habitants du Pays basque.

39  Concept apparu au XVe siècle en Espagne et qui vise à établir une discrimination entre les individus considérés comme de “vieux chrétiens” et ceux l’on dénomme les “nouveaux chrétiens”, soit les – ou les descendants des –  juifs et musulmans convertis au christianisme.

40  Cfr. Aranzadi, Juan, “ 'Maketos' y moros”, en El País, (2 août 2000), http://elpais.com/diario/2000/08/02/opinion/965167

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41  Cfr, Granja Sainz, José Luis de la, “El antimaketismo : la visión de Sabino Arana sobre España y los españoles”, en Norba. Revista de Historia, Vol. 19, (2006), p. 192/194.

42  Arana Goiri, Sabino, “Efectos de la invasión”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, San Sebastián, Roger, (1999), p. 301. Je suis l’auteur de toutes les traductions figurant dans cet article.

43  Cfr. Arana Goiri, Sabino, “Conócete a ti mismo”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, San Sebastián, Roger, (1999), pp. 365-376.

44  Cfr. Arana Goiri, Sabino, “Ellos y nosotros”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, San Sebastián, Roger, (1999), p. 245.

45  Cfr. Arana Goiri, Sabino, “Nuestro mal”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, San Sebastián, Roger, (1999), p. 327.

46  Cfr. Corcuera Atienza, Javier, Orígenes, ideología y organización del nacionalismo vasco 1876-1904, (Madrid, Siglo Veintiuno, 1979).

47 Jáuregui Bereciartu, Gurutz, Ideología y estrategia política de ETA. Análisis de su evolución entre 1959 y 1968, (Madrid, Siglo XXI, 1985), p. 26.

48  J’utilise ici ce néologisme tel qu’il fut orthographié par Arana.

49  Arana considère que la région ne perd pas son indépendance lors de l’abrogation des fueros en 1876, mais en 1839, date à partir de laquelle la Constitution espagnole prime sur les fueros basques. Selon l’idéologue, c’est à partir de ce moment précis que le Pays basque devient une colonie assujettie à Madrid et soumise à une invasion de plus en plus agressive.

50  Voir le journal Bizkaitarra créé en 1893.

51  La Biscaye, le Guipúzcoa, l’Alava, le Labourd, la Soule et la Basse Navarre.

52  Arana Goiri, Sabino, “¿Qué somos?”, en Elorza, Antonio (ed.), La patria de los vascos. Antología de escritos políticos, (San Sebastián, Haranburu, 1995), pp. 131-134.

53  Cfr. Arana Goiri, Sabino, “Un pueblo caracterizado”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, (San Sebastián, Roger, 1999), p. 329.

54  Granja Sainz, José Luis de la, “El antimaketismo : la visión…”, op. cit., p. 197.

55  Cfr. Bizkaitarra, n° 9, (22 avril 1894), en Corcuera, Javier, Oribe, Yolanda, Historia del nacionalismo vasco en sus documentos, (Bilbao, Eguzki, 1991), p. 364.

56  Arana Goiri, Sabino, “Nuestros moros”, en Elorza, Antonio (ed.), La patria de los vascos. Antología de escritos políticos, (San Sebastián, Haranburu, 1995), p. 155.

57  Arana Goiri, Sabino, “Un pueblo caracterizado”, op. cit., p. 329.

58  Arana Goiri, Sabino, “Efemerides infaustas”, en Elorza, Antonio (ed.), La patria de los vascos. Antología de escritos políticos, (San Sebastián, Haranburu, 1995), p. 87.

59  Arana Goiri, Sabino, “Conócete a ti mismo”, en Elorza, Antonio (ed.), La patria de los vascos. Antología de escritos políticos, (San Sebastián, Haranburu, 1995), p. 268.

60  Arana Goiri, Sabino, “Efectos de la invasión”, en Antología de Sabino Arana. Textos escogidos del fundador del nacionalismo vasco, San Sebastián, Roger, 1999, p. 301.

61  Cfr. Corcuera Atienza, Javier, op. cit., p. 323.

62  Arana Goiri, Sabino, “Errores catalanistas”, en Elorza, Antonio (ed.), La patria de los vascos. Antología de escritos políticos, (San Sebastián, Haranburu, 1995), p. 353.

63  Cfr. Aranzadi, Juan, Milenarismo vasco. Edad de oro, etnia y nativismo, (Madrid, Taurus, 1981), p. 446.

64  Kizkitza, “Sobre reintegración foral”, en Aberri, (14 mars 1908), p. 2.

65  Cfr. Rojo Hernandez, Severiano, Une guerre de papier. La presse basque antifasciste dans les années trente, (Rennes, PUR, 2011).

66  Militants et membres du PNV.

67  Ce néologisme apparu au XVIIIe siècle et dont la racine guda signifie guerre est employé pendant la guerre civile pour désigner le soldat basque et, notamment, le soldat nationaliste basque.

68  B. de O., “Una disposición. El baserritar en la guerra”, en Tierra Vasca, (31 mars 1937), p. 1.

69  Cfr. “Zutik, n° 32, (août 1960), en Documentos Y, T 1, (Donostia, Editorial Lur, 1981), pp. 444-446.

70  Santiago de, Pablo, Lugder, Mees, José A., Rodríguez Ranz, El péndulo patriótico. Historia del Partido Nacionalista Vasco, I :1936-1979,T. II, (Barcelona, Crítica, 2001), p. 236.

71  De Pablo, Santiago, La Granja, José Luis, Mees, Lugder (ed.), Documentos para la historia del nacionalismo vasco. De los Fueros a nuestros días, (Barcelona, Ariel Practicum, 1998), pp. 140-145.

72  Sarrailh, Fernando, Vasconia. Estudio dialéctico de una nacionalidad, (Buenos Aires, Norbait, 1963).

73  Jáuregui Bereciartu, Gurutz, “ETA : Orígenes y evolución ideológica y política”, Elorza, Antonio (coord.), en La Historia de ETA, (Madrid, Temas de hoy. Historia, 2000), p. 217.

74  Sarrailh, Fernando, op. cit., pp. 68-69.

75  Jáuregui Bereciartu, Gurutz, Ideología y estrategia política de ETA..., p. 216.

76  Sarrailh, Fernando, op. cit., p. 201.

77 Ibid., p. 181.

78 Ibid., p. 184.

79  Ibid., p. 42.

80  Ibid., p. 273.

81  Terme péjoratif avec lequel étaient désignées les populations immigrées au Pays basque dans les années soixante.

82 Ibid., p. 34.

83 Ibid., p. 91.

84 Ibid., pp. 309-311.

85  Ibid., p. 282.

86  Garmendia, José María, “ETA : nacimento, desarrollo y crisis (1959-1978)”, Elorza, Antonio (coord.), en La Historia de ETA, (Madrid, Temas de hoy. Historia, 2000), p. 122.

87  Cfr. Waldmann, Peter, Radicalismo étnico. Análisis comparado de las causas y efectos en conflictos étnicos violentos, (Madrid, Akal, 1997).

88  Cfr. Archivo del Gobierno Civil de Vizcaya, “Informe al Ministerio de la Gobernación sobre actividades separatistas y sugerencias para reprimirlas”, en Asuntos especiales, Sec. 2, Neg. 2 (12.1), (1965).

89  Movimiento de Liberación Nacional Vasco.

90  Cfr. Casquete, Jesús, En el nombre de Euskal Herria: la religion política del nacionalismo vasco radical, (Madrid, Tecnos, 2009).

91  Cfr. Santiago de, Pablo, Lugder, Mees, José A., Rodríguez Ranz, El péndulo patriótico…, II :1895-1936, (Barcelona, Crítica, 2001), pp. 333-334.

92  Cfr. Blanco Fernández de Valderrama, Cristina, “Inmigración e identidad colectiva. Reflexión sobre la identidad en el País Vasco”, en Papers, n° 43, (1994), p. 58.

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