N°25 / numéro 25 - Juillet 2014

Les entretiens politiques et critiques de Chomsky

Noam Chomsky - Le Bien commun - Ecosociété, Montréal

Jean-Pierre Fléchard

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Cet ouvrage, publié au Québec, est un recueil d'entretiens menés par le journaliste indépendant David Barsamian avec le célèbre linguiste Noam Chomsky. A travers cet ouvrage, on découvre un condensé de la pensée politique de cet analyste des médias aujourd'hui âgé de 85 ans.

Habile à déjouer les leurres présents dans notre société occidentale, l'auteur des Dessous de la politique de l'Oncle Sam évoque ce « capitalisme d'Etat ordinaire » qui, selon lui, est à rejeter. Publié pour la première fois en anglais il y a une dizaine d'années, Le Bien commun est enfin disponible en français, sans avoir perdu de son actualité.

Les entretiens traitent essentiellement de l’approche politique et critique de Chomsky à travers les différents écrits qu’il a publiés et les conférences qu’il a données. Ainsi, nous retrouvons dans cet ouvrage les questions principales qui irriguent la pensée de l’auteur : l’économie capitaliste est-elle synonyme de liberté ? Les États-Unis - et plus largement les pays se caractérisant par une économie de marché - sont-ils réellement des démocraties comme ils le prétendent de manière systématique ? Comment se fabrique l’opinion publique ? Quel est le rôle des médias ? Comment sont utilisés les contextes sociaux pour asseoir la domination ? Comment résister et lutter face à la « tyrannie » des entreprises privées ?

Chomsky appelle à une prise de conscience politique des populations : « La conscience des travers de la société naît de la découverte progressive de son fonctionnement » . Les notions de « capitalisme social », « criminalité d’entreprise », « société par actions », « capitalisme réellement existant » éclairent le fonctionnement de notre réalité sociale. Chomsky dénonce la tyrannie exercée par les grandes entreprises. Pour lui, l’économie de marché n’est synonyme ni de liberté, ni de démocratie, dans le sens où ce sont quelques-uns, les « nantis », les « transnationales », qui imposent leur domination au niveau des pays et de leurs populations. Par exemple, les délocalisations sont une illustration des pressions qu’exercent les entreprises sur les individus. Il note que ces entreprises ne sauraient se passer des appareils étatiques, qui leur apportent un soutien financier et politique indéniable et indispensable pour leur survie. De même pour les médias qui ne font qu’appliquer cette illusion de démocratie en fabriquant l’opinion publique de toutes pièces : « Une manière astucieuse de maintenir la population dans la passivité et l’obéissance consiste à limiter le spectre des opinions acceptables tout en autorisant de vifs débats en son sein, voire en encourageant l’expression des points de vue les plus critiques ». Cette illusion se retrouve également dans la propagande médiatique. Chomsky donne comme exemple l’utilisation de l’expression « création d’emploi » au détriment de celle de « profit économique ». Dans leurs discours, les politiques et les médias vantent les mérites des signatures de contrat entre gouvernements et multinationales dans le but de créer des emplois ; la question du profit étant écartée. On met en avant, dans des opérations strictement financières, l’idée de maintien ou de création d’emploi. L’objectif est de « faire accepter » ou, pour reprendre les termes du linguiste, de « fabriquer le consentement » des populations et des partis politiques de gauche.

Ainsi, à la manière de la sociologie contemporaine de Monique Pinçon-Charlot et (Michel Pinçon, les travaux de Chomsky visent à « rendre la réalité inacceptable ». Pour lui, les individus prennent de plus en plus conscience de la domination des entreprises et du marché, mais la propagande leur cache la possibilité et l’existence d’alternatives. À plusieurs reprises, il souligne cette prise de conscience des états-uniens avec ces chiffres : 95 % d’entre eux « considèrent que les entreprises devraient réduire leurs profits pour le bien de leurs employés et des localités où elles font affaire, 70 % jugent qu’elles ont un trop grand pouvoir, et 80 % trouvent que les salariés n’ont pas assez d’influence sur le cours des évènements ».

Au cœur de ce que doit être la démocratie, l’auteur énonce le principe de participation populaire. Il se réfère à Aristote pour qui la démocratie doit être participative et n’est possible que si les inégalités sociales sont étroitement restreintes. Chomsky évoque ainsi tout au long des entretiens, les différentes alternatives qui sont mises en place dans le monde, à l’image des collectifs de paysans sans terre, des femmes mobilisées dans l’éducation et la lutte contre la pauvreté en Amérique du Sud. Il démontre que les alternatives existent. Un système démocratique ne peut prendre forme qu’à travers une succession de plusieurs étapes, dont fait partie la libération intellectuelle consistant à s’émanciper de l’économie de marché à travers des actions collectives. C’est aux populations d’orienter les décisions des gouvernements. De même, celles des entreprises doivent être placées sous le contrôle même des travailleurs. Chomsky nous invite ainsi à nous interroger sur le contexte social, économique et politique à l’échelle mondiale mais aussi française.

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