En majorité, nous ignorerions que la torture nous concerne. Or, en 2014, Amnesty International a signalé des cas de torture dans 141 pays (sur 196 actuellement existants, soit plus de 70 %). Parmi ces derniers, se trouvent non seulement l’Erythrée et l’Iran, mais aussi le Royaume Uni et l’Espagne, le Mexique et les Etats-Unis.
En France, la pratique répandue de la torture pendant la Guerre d’Algérie en 1957 n’a été officiellement reconnue qu’en 2000.
L’Être et la torture choisit pour objet de pensée et de pratique ce monde sombre, fui, ignoré par beaucoup.
Observés au cours de sa longue pratique de psychologue, Muriel Montagut décrit les effets de l’emprise de la torture dans une trentaine de comptes rendus de suivi en consultations, durant plusieurs années parfois. Elle montre de manière dense et précise que le dégagement de ces effets reste le plus souvent incomplet.
Contrairement à une conception courante, l’ouvrage présenté conçoit la torture, comme irréductible à l’intrapsychique. Certes, il reste au sujet une part décisive dans la manière dont il répond à la torture. Mais celle-ci n’est pas une pathologie qui lui serait attribuable exclusivement, ni même principalement, mais à une structure socio-politique — selon la définition de l’auteure, en sociologue qu’elle est aussi, à un système torturant.
La complémentarité des déterminants extérieurs et intérieurs est un modèle qui, enfin ! Tend à intégrer la complexité théorisée par Bateson, Devereux, Morin…, et jusque-là trop rarement mise en œuvre dans une dialectique théorie-pratique.
Plus qu’une recherche d’informations ou même d’aveux, la torture constitue avant tout une recherche d’emprise qui, directement et par analogie, appelle d’autres travaux.
Espérons que les sciences humaines en général, et en particulier les chercheurs et les praticiens de psychologie clinique, sociale et politique assureront l’avenir du livre prometteur de Muriel Montagut.