Et si Hitler revenait ?
L’ouvrage est d’une ambigüité troublante, à mi-chemin entre la provocation et l’humour politique : ce roman politique, depuis sa publication en Allemagne, a semé un certain trouble. Questions : Peut-on rire avec Hitler aujourd’hui ? Et avec quelle conséquence ? La société allemande serait-elle inconsciemment sensible aux discours d’Hitler ?
Soixante dix ans après, Hitler ressuscite au milieu d’un champ berlinois. Il est étonné des changements visibles et surtout de l’état de la société. Le vrai Hitler est pris pour un comédien et un imitateur génial, tant son comportement et son discours décalé sont révélateurs d’une réalité qu’il observe, à la fois étonné et réflexif. Il s’adapte rapidement à la nouvelle situation, sans changer le fond de sa conviction ni ses discours, sauf à propos de la question juive, car son fort après tout est le pragmatisme et sa vision du monde reste étrangement pertinente devant la nullité de la proposition politique en vogue.
Ses réflexions décalées sont décapantes, mais perçues comme étant de bon sens. Ses moqueries sur le personnel politique actuel relèvent d’un malaise largement partagé. Et il déclare son accord sur le fait que la question juive ne serait pas un sujet de plaisanterie.
La narration posée par l’auteur est inquiétante : un Hitler pourrait-il revenir aujourd’hui ? Le doute plane tout au long du récit de l’ascension irrésistible d’un Hitler incarné dans l’image d’un supposé acteur comique plus vrai que nature. dont le talent charismatique serait plus puissant que les savoirs appris face à une attente profonde et ressentie comme un appel du destin. C’est presque une intervention de la Providence. L’habileté de l’auteur est de reprendre des phases sorties directement des vieux discours d’
Hitler. Avec le ton et la conviction, dont le plus important est d’avoir apprécié la valeur et les devoirs de représentation.
Les gens pensent qu’ils ne suivront pas un tel personnage. Et pourtant…
L’évidence même est toute nue dans ce propos : « le Führer peut exister sans son peuple », mais on ne voit pas alors ce qu’il est vraiment Tout homme doué de bon sens le comprend aisément. C’est comme si l’on asseyait Mozart quelque part sans lui donner un piano – personne ne se rendrait compte de son génie. L’ironie de la situation montre que l’instrument de musique d’un Führer c’est le peuple. Et le discours d’Hitler emprunte la rhétorique du plus court chemin pour convaincre : la vérité pure et éternelle du vrai, « de toutes façons, nous autres Allemands, nous ne savons pas mentir. Ou alors pas très bien ». Aussi le rappel d’une constatation vraisemblable : « le peuple préfère toujours le vainqueur qui sait se battre et se défendre ». Ici et là, Le texte est plein d’observations de ce genre, lesquelles montrent à la fois la superficialité et la force simple de persuasion.
Le discours et les réflexions du Hitler médiatique étonnamment ne changent pas dans leur essence, il s’adapte et se montre sous un forme postmoderne. Les thèmes restent et sont présents : les racines allemandes, une écologie refaçonnée, et l’éternelle jeunesse comme source d’avenir.
Un complément du discours est la découverte par Hitler du pouvoir de la télévision. La maîtrise des médias lui fournit l’accès à une tribune incommensurable et les gens le suivent dans ses prestations dans un talk show plein d’un bon sens et d’une impertinence ravageurs, sous la forme perçue d’abord comme comique et provocatrice, puis subtilement pragmatique et persuasive. Et, au fur et mesure de ses apparitions médiatiques, le personnage se radoucit et devient presque sympathiques avec ses réflexions et ses discours ; d’où un sentiment de malaise.
En somme : Timor Vermes pose ainsi de multiples questions, auxquelles il ne donne pas de réponses précises, mais laisse entendre qu’il n’y aura pas de résistance si la part maudite de l’Allemagne manifestait son retour, car tout est dans le contexte et ce contexte fait partie des nouvelles technologies de la communication.