Farhad Khosrokhavar est iranien, Directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques (CADIS, EHESS-CNRS). Ses travaux portent sur les problèmes sociaux de l'islam en France, notamment sa radicalisation.
La radicalisation est une violence, dont l’origine dit l’auteur est la misère et l’humiliation subies, soit à cause de l’État ou soit de l’économie. Le mouvement jihadiste possède une histoire assez riche. Certains remontent à la secte des « assassins » qui fut fondée au Xe siècle. Ainsi, en posant cet antécédent historique. Farhad Khosrokhavar montre que la radicalisation jihadiste n’est pas propre à l’Islam, mais s'alimente aussi à des mouvements historiques anciens et modernes. Il fait le rapprochement avec l’anarchisme de la fin du XIXe siècle et les groupes d’extrême-gauche qui se sont développés dans les années 60 et 70 en Europe. Ainsi il, y a eu diverses formes de radicalisation. Alors la question devient : quel sens donner à l’action d'un individu ou d''un groupe d’individus qui adoptent une forme de violence politique à un moment donné ?
La thèse de ce livre repose sur la notion de radicalisation qui renvoie étymologiquement à « racine ». De fait, « se radicaliser » est une manière d’agir et d’être lorsqu’il ne reste plus d’espoir. La « radicalisation » est un processus idéologique de compensation sociale et affective qui ne se confond pas nécessairement avec le terrorisme. Ainsi les musulmans ne sont pas les seuls à l’éprouver.
Il y a là, une appréciation qui se présente à la fois en termes sociologiques, historiques mais aussi psychologiques. Il faut donc prendre en compte non seulement les motivations collectives des faits, mais aussi ses racines subjectives.
La radicalisation sert, selon l’auteur, à l'éclairage de ce qui reste Le désarroi et l’incapacité politique de rassembler les « damnés de la terre », comme disait jadis Frank Fanon. Face au désespoir et à l’absence d’une utopie raisonnable , le jihadisme prendrait le relais des mouvements d’extrême-gauche des années 60-70, de l’idéologie utopique et de l’échec de la gauche révolutionnaire, voire du parti communiste et des mouvements de libération nationale.
Les attentats spectaculaires ou d’une inimaginable cruauté de ces dernières années ont donné à un phénomène minoritaire une ampleur psychologique macabre et un retentissement inattendu.
Le cœur de la radicalisation islamiste est sociologique, bien au delà de ses connotations religieuses, en particulier dans le cas de l’Islam. Si la radicalisation se confond avec le terrorisme, il faut l’analyser comme un fait social total, d’autant que si la radicalisation fait usage de la violence (pas toujours) elle suppose aussi une causalité subjective, des raisons individuelles qui compensent le manque de reconnaissance de soi et l’impuissance politique. C’est aussi un phénomène technique de l’acculturation (via internet), car les acteurs sont des individus sans repères collectifs. Une des raisons de cette perte du collectif est l’affaiblissement ou la cassure des liens politiques qui pendant longtemps ont garrotté une blessure individuelle qui mène aujourd’hui au narcissisme, à la perte de l’estime de soi et à une vocation criminelle. Autrement dit, la radicalisation est un processus lent d’adoption lié à l’adoption d’une idéologie extrémiste à contenu politique et religieux, qui conteste et se révolte contre un ordre établi ressenti comme injuste et d’inspiration étrangère, et même sauvage. C’est pourquoi on définit l’identité de ces militants islamo-nationalistes comme celle de terroristes revendiquant leurs actes comme des formes courageuses de partager le souffle de leurs divinités. Voilà pourquoi c’est une forme de guerre à laquelle les armées traditionnelles et la mentalité de l’Occident ne sont pas préparées. A y réfléchir de près, c’est étonnant que l’effroi envers les jihadistes ne soit pas de la même nature que celle liée à des actions de l’extrême-droite ou de l’extrême-gauche.
Pourtant, on assiste à un renouveau de la radicalisation. Ces « fous » de Dieu ne sont nés ni par génération spontanée ni par la diffusion d’un discours religieux fanatique.
Ce renouveau jihadiste est, selon l’auteur, « la conséquence du cumul de l’humiliation arabe et musulmane et de la permanence des autocraties. » (p.49). La présence d’un vivier extrémiste vivant dans les banlieues de l’Europe s’explique par les mêmes raisons d’humiliation. La pensée de gauche étant aujourd’hui incapable de les intégrer dans une vision idéologique commune et une argumentation logique consistante. Le ressentiment et le manque d’avenir sont trop forts pour attirer la jeunesse arabo-musulmane dans le camp de la raison.
Ce n’est pas par hasard, paradoxalement, qu’une grande partie de l’intelligentsia des pays musulmans soit ouverte à la fois au discours jihadiste et à l’utilisation des technologies modernes.
Car ce sont les classes moyennes qui assistent au même phénomène de justification idéologique de la radicalisation. Certes, la radicalisation n’est pas la même ni ne possède la même force selon les milieux et les pays. Mais le discours jihadiste remet en cause la société occidentale, et la démocratie. Les prêcheurs islamistes revoient l’individualisme actuel qui érode l’Occident. Non sans perversion, la radicalisation islamique, avec l’aide d’internet, est devenue une auto-radicalisation sans passer par les relais doctrinaux habituels : en fait, la radicalisation islamiste commence avec les réseaux de copains du net.
L’analyse de Farhad Khosrokhavar se conclut avec une réflexion applicable à tous ceux qui ne sont pas touchés par le délire jihadiste : « Dans le moment actuel de globalisation de l’information et de l’économie, ce qui se passe dans un coin du monde finit par avoir des répercussions insoupçonnées ailleurs »
En Occident, la fin des idéologies utopiques et laïques aboutit à des engagements « romantiques » soucieux de « nobles causes » mais qui très vite peuvent devenir sur-radicalisés. C’est cette hyper-radicalisation qui est à craindre dans le futur.
En somme : cette analyse nous permet de mieux comprendre non seulement ce qu'est la radicalisation en terre d’Islam, mais aussi la radicalisation en tant que phénomène protéiforme planétaire, et que rien ne l’empêche de revêtir dans un avenir plus ou moins proche les figures d ’un extrémisme d’extrême-droite, voire d’un nouveau type de fascisme. Effet boomerang donc.
Avant de conclure, ile me semble possible poser une question laquelle ne trouve pas réponse dans ce texte : peut on juger la radicalisation, en particulier des jeunes adolescents, comme une problématique de psychologie clinique dont l’influence sociale serait prégnante ?
Finalement, la conclusion est un appel aux lecteurs, aux citoyens, aux politiques à leur responsabilité. Raison pour laquelle ce livre ne mérite pas une lecture de loin, mais une compréhension de ce qui est devenu très proche : pour tous.