N°3 / numéro 3 - Avril 2003

A propos de La Société défensive de Michel Monroy (Ed. PUF. 2003)

Alexandre Dorna

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La Société défensive, ouvrage apparemment simple et doux, entraîne  lentement le lecteur dans l'œil du cyclone de la crise de l'homme moderne. Rien (ou presque) ne rappelle que M. Monroy est psychiatre. Et si les idées coulent de source et que l'exposé est clair, ici et là, les éléments psychologiques se cumulent pour faire place à un diagnostic redoutable sur le syndrome de l'inquiétude-panique et de la grande peur subjective de la societé occidentale et son corollaire inavouable : la recherche d'un bouc émissaire.

Ce constat rejoint d'autres approches : la "société du risque" d'U. Beck, la société vulnérable de J. Theys et "l'archipel du danger" de Kerven et Rubise. Mais ce qui caractérise la réflexion de Monroy est la tentative de saisir la subtile réalité d'une société dont la charge psychologique pèse de plus en plus sur la démarche défensive des individus en déperdition de liens.  

En effet, il y a d'un côté le retour au manichéisme, et de l'autre la méfiance viscérale de l'inconnu. Ainsi le "dedans" menacé fait-il du "dehors" menaçant une maladie affective avec un ingrédient fort nouveau par rapport à d'autres périodes historiques où la menace a rendu l’homme vulnérable à ses propres excès ; aujourd'hui, la menace condamne au silence. Là se trouve "l'effet d'impasse".

Le monde construit par les hommes se montre plein de menaces diffuses. Comment ne pas s'inquiéter de l'avenir de l'homme et de la planète avec les déchets radioactifs, ou de la montée d'un terrorisme qui montre un visage pervers, et de la nourriture sur laquelle les manipulations génétiques font peser un doute. Force est de constater que l'imbrication de ces menaces augmente l'impression de boule de neige et le sentiment d'être acculé.

Tout est devenu plus complexe. Et c’est l'inconnu de cette complexité, tellement examinée et même célébrée par les scientifiques, qui sert de relais à l'inconnu ancestral de la pensée spéculative et aux cercles mystérieux des hypothèses virtuelles.  

C'est là que les querelles d'experts, mélange inquiétant de zèle tâtillon et de fuite politique devant les responsabilités, développent le besoin défensif de se couvrir à tout prix avec un système de normes et de règles juridiques.

Enjeux défensifs où tout est dangereux. État d'urgence permanent. Attitude d'isolement vis à vis de soi-même. Programmes de prévention devant des risques réels et virtuels; d'intrusion et d'envahissement, dont les choix rationnels s'avèrent de plus en plus "complexes", tant la lourde réalité financière s'impose.

Comment prévoir la vulnérabilité à des situations elles-mêmes imprévisibles ?

L'erreur hante la société défensive, peuplée d'experts de tout poil, dont le facteur humain résiste à contre cœur aux évaluations.

Les menaces objectives ne sont que la partie visible des chocs ressentis subjectivement. Elles sont là depuis l'aube du temps humain, mais ce que les amplifie et les transforme en sentiment aigu d'un risque majeur est la distance entre la perception de vulnérabilité (sélective, sociale et construite) et la réalité quotidienne. Bref, toutes les craintes ne sont pas quantifiables, et les menaces imaginaires ont un effet sur la vie sociale encore plus grand. Et, si la psychologie individuelle ne suffit pas, semble nous dire M. Monroy, pour expliquer les attitudes défensives, la psychologie collective non plus.

C'est alors que la déambulation sereine de M. Monroy s'approche, tranquillement, de la problématique de la psychologie politique. L'auteur nous décrit deux contextes : le Front national, et le conflit USA-Irak. Il ressort du premier que la focalisation des menaces ressenties par les partisans du F.N. (indépendemment de l'idéologie sous-jacente) se focalise sur l'immigration. C'est le syndrome du bouc émissaire. Avec les phantasmes de l'éclatement de l'identité (individuelle) nationale. Le repli identitaire est caractéristique des groupes sectaires, dont la méfiance défensive depasse la réalité menaçante. D'autre part, les menaces bellicistes et celle du fanatisme religieux avec leurs légions de certitudes menaçantes se sont installées dans la réalité quotidienne et l'imaginaire du monde. Bush et Ben Laden, chacun dans son rôle et avec chacun sa conviction, se réclament d'une farouche volonté de puissance. L'attaque est devenue une nouvelle fois la meilleure défense et, comme dans l'Ancien Testament, la devise est: dent pour dent et oeil pour oeil.

Les oscillations entre un sentiment maximal de menace et l'idée d'une minimisation du danger, sont en train de rendre les décisions politiques fort difficiles, voire inconsistantes. Car la menace ressentie provoque une perte potentielle de la maîtrise de la situation, sous la pression d'un amalgame défensif intégrale : l'homme invulnérable à l'abri de tous les dangers. Crise de civilisation donc ?

A.D.

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