N°31 / numéro 31 - Octobre 2017

La crise allemande : causes récurrentes et symptômes récents d’un malaise démocratique

Jérôme Barbier

Résumé

Même si l’Allemagne a su passer un premier cap décisif dans son adaptation à la mondialisation et qu’elle s’en sort globalement mieux que d’autres pays européens, des problèmes politiques, économiques et sociaux s’accumulent, et des symptômes de crise sont observables. L’image de bonne santé ne tient pas, au-delà des apparences et des indicateurs économiques positifs qui ont leur revers. Pour la viabilité du modèle comme pour la démocratie elle-même, les raisons d’être inquiet ne manquent pas.

Even though Germany was able to take a decisive first step in its adaptation to globalisation and so came out better than most other European countries, political, economic and social problems are building up. Crisis symptoms are noticeable. The good health image doesn't hold up further than the appearances and some positive economic indicators which have their reverse. For the viability of the model as well as for democracy itself, there are reasons to be worried.

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S’il faut bien reconnaître que l’Allemagne a sans doute franchi, il y a quelques années, un cap décisif dans son adaptation à la globalisation, qu’elle va mieux que durant le deuxième mandat du chancelier Schröder, et qu’elle s’en sort mieux dans la crise que la plupart de ses partenaires européens, il demeure toutefois que les indicateurs économiques ne suffisent pas à eux seuls à apprécier la situation. La bonne santé d’une nation ne se mesure pas seulement à ses exportations ou à la richesse qu’elle produit, nous semble t-il, mais aussi à son projet de société, à la répartition interne de cette richesse ; et – dans l’Union Européenne - à sa capacité à susciter l’enthousiasme et l’approbation de ses partenaires avec lesquels elle a l’ambition de mener à bien un projet d’intégration. Vue sous cet angle, l’Allemagne n’échappe pas plus que d’autres pays à la crise qui menace les démocraties européennes et qui se manifestent par des perturbations et des dégradations des systèmes politiques, économiques et sociaux respectifs, et elle s’exposerait désormais, qui plus est, à quelques tensions dans les relations avec ses partenaires, si la situation économique et financière en Europe ne s’améliorait pas et que les sacrifices consentis au nom de la monnaie européenne devenaient chaque jour plus importants.

Certaines causes récurrentes que nous avions pour certaines déjà examinées en 2009 sont toujours bien présentes approfondissant ainsi le malaise (I). D’autres symptômes plus récents passant presque inaperçus, notamment en raison de la stabilité apportée en Allemagne par la coalition gouvernementale et de bons résultats apparemment obtenus dans la lutte contre le chômage, semblent pourtant non moins inquiétants. Ces symptômes montrent que, contrairement à ce que l’on voudrait parfois faire accroire aux autres peuples d’Europe, tout ne va pas si bien en Allemagne (II).

Causes récurrentes d’un malaise

Un modèle allemand de moins en moins conforme aux origines

En 2009, nous avions évoqué, à ce sujet, une possible liquidation progressive du modèle allemand amorcée déjà quelques années auparavant. Face aux blocages et aux rigidités dont le modèle semblait vouloir faire preuve à l’ère de la mondialisation, certains préconisaient des remèdes de cheval d’inspiration thatchérienne [1]. L’agenda 2010 du chancelier social-démocrate Gerard Schröder, les « Lois Hartz » dans le domaine de la politique sociale, bien que contestées à l’époque par le peuple, n’ont jamais été ni désavouées ni remises en cause par les gouvernements successifs. Ces réformes ont, tout au contraire, étaient louées par la chancelière chrétienne-démocrate elle-même au début de son premier mandat, laquelle a rendu hommage en la matière à son prédécesseur. Rappelons juste que l’une des mesures les plus iniques de ces réformes qui prévoyait, par exemple, qu’un chômeur puisse être embauché à un salaire inférieur que celui fixé par l’accord de branche professionnelle pour un collègue accomplissant au sein de l’entreprise les mêmes tâches, est bel et bien entrée en vigueur. Si la chancelière allemande Angela Merkel a bien compris depuis longtemps que, pour avancer et perdurer, il fallait qu’elle modère ses ardeurs libérales et qu’elle fasse quelques concessions aux sociaux-démocrates [2] pour, le cas échéant, mieux les phagocyter au sein d’une grande coalition, le cap fixé qui a consisté peu à peu à s’éloigner du modèle de l’État social et de l’ambition d’une croissance pour tous pour dénaturer le modèle et dériver vers le modèle anglo-saxon, est toujours d’actualité. Il est certes désormais question en Allemagne de l’instauration d’un salaire minimum, condition d’ailleurs pour que la coalition de 2013 puisse voir le jour, mais cette instauration n’a pas été immédiate, et devra attendre encore un peu avec, qui plus est, bon nombre d’exceptions d’application et de multiples restrictions dont on entend déjà parler dans les milieux autorisés. Cette avancée sociale à venir ne saurait, quoiqu’il en soit, ni compenser ni faire oublier la progression fulgurante du travail à temps partiel ni celle des petits jobs très mal rémunérés [3] dans la société allemande, conséquences des fameuses « Lois Hartz ». Le cap en lui-même n’a jamais véritablement changé depuis des années. Au moins depuis la fin des années 1990, la plupart des réformes visent à baisser les prestations sociales et les salaires, à freiner la consommation, et depuis les années 2000, la peur du risque de tomber dans la pauvreté est en augmentation, y compris dans la classe moyenne. Baisse des salaires et même augmentation du temps de travail, appel à se serrer la ceinture, démontage des acquis sociaux sont les réponses les plus courantes que les gouvernements successifs ont su trouver comme réponse à la crise, lors même que des économistes de renom ont émis des doutes sur l’efficacité des mesures mises en place visant à faire en tout domaine des économies [4]. La consommation intérieure est volontairement freinée, et la société allemande devient depuis quelques années déjà une société à plusieurs vitesses avec des inégalités croissantes et des phénomènes de pauvreté qui se développent en son sein que nous avions déjà évoqués en 2009. En termes de pauvreté, l’Allemagne détient désormais de bien tristes records. Début 2014, 19 % des enfants et adolescents en Allemagne sont menacés par la pauvreté [5]. De même, une étude de l’OCDE montre une augmentation conséquente en Allemagne de la pauvreté chez les retraités, et attire l’attention sur le fait que l’Allemagne risque bientôt d’avoir parmi les États industrialisés le plus grand nombre de retraités à bas revenus. [6] Sur le marché du travail, l’Allemagne compte fin 2013 plus de 7 millions de travailleurs occupant des « mini-jobs » à 450 € par mois. Dans un État social et une économie sociale de marché dont les générations précédentes ont connu un miracle économique et une certaine prospérité, cette situation dégradée interpelle, et contraste fortement avec cette Allemagne championne des exportations dont il est fait état régulièrement en France dans les revues économiques et dans tous les médias depuis des années. Mais, le tableau du désastre capitaliste ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas l’idée qui est venue à certains sociaux-démocrates, sous couvert d’un progrès social et de libéralité, de faire de la prostitution un métier comme un autre, de manière à ce que « l’industrie allemande du sexe » puisse participer à l’effort d’accroissement du PIB. Il existe, en effet, en Allemagne des « méga-bordels » ou « usines à sexe » [7] que la loi allemande aurait rendus possibles. Entre l’aspect social, la moralité et le fait qu’au début des années 2000, le chiffre d’affaires annuel de cette branche avait été estimé à 14 milliards d’euros, les calculs ont, semble t-il, été rapidement faits. Les chiffres positifs de l’économie allemande ont donc leur revers que constituent la dérégulation du marché du travail et le travail précaire. La santé économique de l’Allemagne est donc relative. 

L’Europe, la mondialisation libérale contre les nations et la doctrine de « l’antipatriotisme » : enjeux d’identité en Allemagne à l’ère de la globalisation

Réfléchissant sur la mondialisation, le philosophe Rüdiger Safransky [8] distingue une globalisation réelle dont l’homme pourrait effectivement tirer profit de ce qu’il conviendrait d’appeler les « idéologies de la globalisation ». Parmi les idéologies de la mondialisation qu’il considère comme « des pièges », deux retiennent notre attention : le néolibéralisme et l’anti-nationalisme. Il nous semble que l’Allemagne s’est enfermée dans un double piège.

Le néolibéralisme a tout d’abord pour conséquence, comme nous l’avons décrit plus haut, de transformer son système économique, politique et social par des politiques éloignées de ses origines. Comme dans d’autres pays d’Europe, le néolibéralisme a répandu l’idée que l’État vivrait au dessus de ses moyens, et que le système étoufferait sous le poids des prestations sociales. Selon Rüdiger Safransky, la mondialisation libérale est une idéologie légitimant la mobilité du capital et favorisant l’assouplissement de tout ce qui pourrait faire obstacles aux investissements, à savoir les règles définies par l’État social, les normes syndicales ou encore les normes fiscales, ou environnementales. Comme partout en Europe, cette idéologie inspire, depuis de nombreuses années et à des degrés divers, les réformes, et met en cause l’identité sociale historique de l’État allemand [9].

Mais, en Allemagne, un peu plus qu’ailleurs du fait de l’histoire, une deuxième idéologie de la mondialisation est tout aussi présente et très active, celle que Safranski appelle l’« Anti-Nationalisme » et dont il faut, tout comme il l’écrit, en reconnaître aussi les bons côtés. Mais, cet anti-nationalisme, nous semble t-il, n’est pas son conséquence sur le patriotisme lui-même et sur l’évolution de la démocratie et de la citoyenneté. Comme l’écrit Dominique Schnapper [10], l’idée nationale en Allemagne est, en effet, fortement compromise, et la citoyenneté et démocratie sont devenues marchandes et consuméristes. Cherchant à fuir un passé nationaliste peu réjouissant, les Allemands ont choisi l’Europe, puis le monde au détriment de la nation [11], ce qui à notre avis, soulève au moins deux problèmes. L’un - pour les Allemands eux-mêmes et la question de leur identité à l’ère de la mondialisation – a pour conséquence qu’ils sont écartelés entre les valeurs germaniques ancestrales qui ont eu plutôt tendance à s’effacer à l’ère de l’Europe et de la mondialisation et les valeurs dites modernes qui transforment en profondeur d’une part les mentalités germaniques, mais aussi les équilibres et les compromis d’après 1945 en RFA entre l’économique et le social. L’autre problème concerne la relation avec ses partenaires européens, et plus particulièrement avec le plus important, la France dont l’envie de son peuple de se dissoudre dans l’Europe n’a jamais été égale à celle de l’Allemagne, et dont l’envie de se fondre dans la mondialisation semble considérablement diminuer de jour en jour. De ce point de vue, le recul de l’État social, pourtant partie intégrante de l’identité allemande, ne favorise pas l’éclosion d’une Europe sociale, et certains voisins comme la Belgique n’hésitent plus à accuser l’Allemagne de « Dumping social » [12]. Enfin, malgré leur fort sentiment européen et leur volonté de se mondialiser, les Allemands comme d’autres peuplent doivent se rendent à l’évidence que, comme l’écrit Rüdiger Safranski, il n’est pas possible d’ « habiter dans le global » et que le pays de nos racines « Heimat » [13] conservera sans doute toute son importance.

Une démographie inquiétante : vers la disparition d’un peuple ? 

N’ayant pas pris en considération l’enjeu de la démographie suffisamment tôt pour des raisons historiques et idéologiques, subissant également le malthusianisme des sociétés industrialisées occidentales, l’Allemagne a désormais massivement recours pour compenser sa démographie déclinante à l’immigration [14], y compris, depuis la crise économique, au sein même de l’Union européenne. Ainsi l’Allemagne est-elle devenue fortement attractive pour des salariés espagnols, grecs ou portugais hautement diplômés et qualifiés privés d’emploi dans leur pays, mais aussi, régulièrement, pour les demandeurs d’asile de différentes zones géographiques du monde. Le point culminant du problème démographique avait été, dans les années 70, situé par les spécialistes à l’horizon 2030, soit donc avant la réunification qui a eu en Europe un effet démographiquement positif pour l’Allemagne. Mais, sur 81,8 millions d’Allemands, 20,4 % ont plus de 65 ans. Là encore, l’Allemagne détient un triste record, celui d’avoir la population la plus vieille d’Europe. Les spécialistes attirent l’attention ces dernières années sur les risques majeurs que représenterait économiquement en termes de manque de dynamisme une société vieillissante [15], même si la question du manque de main d’œuvre jeune se trouve compensée partiellement par l’accueil d’une main d’œuvre étrangère. Par ailleurs, le recours massif à une main d’œuvre étrangère est source de nouveaux défis politiques et économiques, et ne manquera pas sans doute de bouleverser à termes quelques grands équilibres culturels et sociologiques. Dans les prochaines décennies, les familles d’origine allemande vont se réduire, voire devenir peut-être à long terme minoritaires ; et au contraire, les familles d’origine étrangère vont être en augmentation sensible, ce qui va modifier de manière significative la composition de la population allemande. Cela ne pourra rester sans conséquence sur les modes de vie et de consommation en Allemagne ainsi que sur les héritages et les traditions forgeant la culture politique des citoyens allemands. L’Allemagne n’assure plus, par sa démographie, le renouvellement de ses générations, elle est assise sur une « bombe démographique ».

Symptômes de crise les plus récents

Economie : une croissance obtenue au détriment de ses voisins européens

La bonne santé économique du pays repose pour l’essentiel sur les exportations [16]. Mais, que ce modèle puisse perdurer demeure incertain. En effet, les partenaires de l’Allemagne et même plus récemment la commission européenne s’inquiètent des déséquilibres créés en Europe par ce pays qui exporte bien plus qu’il n’importe. En outre, l’Allemagne est accusée par ses voisins de pratiquer un dumping social. Pour de nombreux pays frontaliers tels que la Belgique, l’Allemagne, pays des bas salaires, est devenue destructrice d’emplois. [17].

Contestations internes à la CDU et bientôt un nouvel…« Agenda » ?

Vingt-cinq hommes et femmes politiques de la CDU ont estimé en avril dernier que la chancelière devrait mettre en place un nouveau calendrier de réformes avec pour horizon l’année 2020, et ont plus ou moins contesté les orientations politiques de la coalition. [18]. Il faudrait, selon eux, que la chancelière prenne de nouvelles mesures libérales en faveur de la croissance et de l’emploi, mesures à leurs yeux indispensables. Ils semblent mettre en doute les résultats actuels de la coalition et craindre des sanctions électorales à venir de la part de leur électorat, si la situation ne s’améliore pas. La chancelière, soucieuse d’unité à la veille des élections européennes, n’a pas pour le moment annoncé de nouvel Agenda. Mais, que des députés CDU pensent à fixer un calendrier de mesures plus libérales, comme l’avait fait le chancelier social-démocrate Schröder en son temps, est certes révélateur de la surenchère libérale dont certains ont pris l’habitude à droite comme à gauche, mais aussi d’une inquiétude par rapport à la ligne politique suivie par la coalition et d’une réelle prise de conscience des mesures douloureuses à prendre dans le contexte de la globalisation. A leurs yeux, la grande coalition n’est pas suffisamment réformatrice. Ils ont même menacé de ne pas voter au Bundestag certains projets.

Un nombre de députés de gauche supérieur au nombre de députés de droite mais une chancelière CDU 

S’il est vrai que le parti de Madame Angela Merkel est arrivé en tête des résultats aux élections législatives, le nombre de députés de gauche (sociaux-démocrates, verts, et die Linke) était plus important que ceux de droite. En l’absence de sièges au parlement pour le parti libéral FDP partenaire traditionnel de la CDU depuis Helmut Kohl et grand perdant des dernières élections allemandes [19],la victoire de la chancelière devenait donc toute relative. Une dérive libérale des partis sociaux-démocrates et de die Grünen, un sectarisme majoritaire au sein de la gauche social-démocrate vis-à-vis de die Linke ont contribué à ce que la chancelière de la CDU conserve la main. En 2005 comme en 2009, le SPD a perdu les élections en raison du soutien qu’il avait apporté à des réformes impopulaires. Cette fois, son candidat a été pris par l’électorat en défaut de cohérence [20]. Entre ses soutiens passés aux réformes Schröder, son soutien à la politique européenne de Merkel et une stratégie du SPD consistant à rendre responsable Angela Merkel des difficultés rencontrées en Allemagne par les familles modestes et les classes moyennes, le candidat SPD s’est retrouvé face à ses contradictions. Cependant, rien n’était joué dans les résultats des élections au Bundestag de 2013, et toutes les options de coalition demeuraient possibles, contrairement à ce qu’ont affirmé rapidement la plupart des médias en France et en Allemagne. C’est ce qui a permis à quelques Grünen comme Sylvia Löhrmann, Ministerpräsidentin du Land de Nord-Rhein-Westfallen, consciente sans doute de son appartenance à la gauche et d’un certain devoir vis-à-vis de son électorat de penser qu’il était possible et souhaitable que son parti engage tout de même des discussions en faveur d’une coalition avec le SPD et die Linke, c’est-à-dire une coalition « rouge rouge verte » [21]. Mais, l’idée était d’autant plus difficile à faire admettre que die Grünen avait déjà accepté d’engager les discussions pour une coalition avec la…CDU. Les partis politiques qui jouent un grand rôle en Allemagne ont donc décidé pour les citoyens de l’issue des choses [22]. Ce sont les adhérents du SPD qui ont eu le dernier mot en votant à 76 % en faveur d’une coalition avec la CDU, geste démocratique de la part des dirigeants certes, mais pour lequel nous pouvons penser que le risque encouru était limité, même si quelques militants sociaux démocrates étaient farouchement opposés à une grande coalition. Le souvenir de la précédente coalition qui n’a pas profité particulièrement au SPD par la suite, comme le montrent les résultats aux dernières législatives, n’aura finalement pas dissuadé les dirigeants du parti de former une coalition SPD/CDU, persuadés qu’ils arriveraient à imposer à Madame Merkel une inflexion sociale de sa politique, et donc qu’ils seraient plus utiles dans une coalition que dans l’opposition. Si la grande coalition apporte une stabilité enviable et une continuité satisfaisante pour une partie de l’électorat, il n’est pas encore acquis que le SPD puisse obtenir exactement ce qu’il avait demandé à la chancelière sur le salaire minimum [23] ni que les maux, dont une partie de la population allemande souffre, soient suffisamment pris en considération. L’opposition en Allemagne va désormais s’exprimer au Bundestag, de manière morcelée et parfois sans doute de manière contradictoire, à travers la voix de plusieurs partis, die Linke, troisième force politique au Bundestag, die Grünen et, au-delà, par celle de l’AFD, un nouveau parti populiste de droite dont nous parlerons plus bas. Face à cette opposition hétéroclite, le gouvernement de coalition apparaît fort et crédible, d’autant plus que la chancelière, expérimentée et non dénuée d’un certain charisme, est solidement ancrée dans la vie politique allemande

Trois mois pour former un gouvernement

Il est utile de rappeler à tous les médias qui ont proclamé le jour même des résultats des législatives la grande victoire de la chancelière que, si tel avait été bien le cas, l’Allemagne n’aurait sans doute pas mis trois mois après la proclamation des résultats avant de pouvoir former un nouveau gouvernement, si le paysage politique allemand n’avait pas subi quelques perturbations ces dernières années, et si l’Allemagne allait si bien. Après les spéculations autour d’une coalition aventureuse et plus risquée avec die Grünen avec lesquels une entente était certes possible, mais ne recevait pas les faveurs de la CSU et d’une partie de la CDU sur les questions sociétales, la chancelière sortante est revenue à l’idée d’une coalition plus classique entre les deux grands partis allemands traditionnels, comme ce fut le cas entre 2005 et 2009. Après de longues et âpres négociations et la distribution des postes ministériels [24], Madame Merkel a pu entamer, après avoir été réélue par un vote d’assemblée, son troisième mandat. Les résultats de la ligne sociale imposée par le SPD, condition à la formation d’un gouvernement avec la chancelière sortante, sont attendus avec impatience.

Populisme de droite : l’émergence d’une nouvelle force contestatrice

Après le défunt Schill-Partei de Hambourg, un nouveau parti populiste, eurosceptique de droite et anti-euro, à dimension fédérale, a été créé. Ayant manqué de peu en 2013 son entrée au Bundestag, l’Alternativ für Deutschland AFD [25] s’est présenté non sans un certain succès aux élections européennes où il a obtenu 7 sièges, ce qui représente pour un parti récemment arrivé dans le paysage politique un bon résultat. Il conteste la forme même de la construction européenne par l’intégration, se déclare favorable à une Europe confédérale, et s’oppose à la politique européenne de Madame Merkel ainsi qu’à la politique économique de la coalition actuelle. Même si un paysage politique peut évoluer, l’arrivée d’un nouveau parti en Allemagne va encore accentuer la turbulence dans laquelle le paysage politique est entré, lorsque die Linke a commencé à avoir des élus. Cela ne pourra pas, à plus long terme, être, cette fois, sans conséquence sur la CDU. L’arrivée d’un nouveau parti dans le paysage politique montre la disponibilité des électeurs pour s’engouffrer rapidement dans une nouvelle offre politique, ce qui est toujours un signe de défiance et de mécontentement adressé aux partis traditionnels établis.

L’envoi d’un député néonazi au parlement européen [26]

Le parti national-démocrate (NPD) qui a échappé de peu à une dissolution vient de remporter une victoire qui ne saurait passer pour un fait anodin dans le contexte de la montée de partis d’extrême droite radicale en Europe. Fils d’un ancien SA, Udo Voigt a adhéré dès son plus jeune âge au parti néonazi, et vient de se faire élire Député européen. Le NPD aurait, selon certains politologues, un programme envers les étrangers plus radical que celui du parti d’Adolf Hitler lors de son congrès fondateur en 1920. En cas d’absence du parti Alternativ Für Deutschland aux élections européennes, des sondages auraient même crédité le NPD de trois sièges au parlement. Rappelons tout de même que déjà en 2011, Udo Vogt était apparu à l’occasion d’élections régionales au guidon d’une moto avec un slogan douteux « mettre les gaz » et qu’en 2010, il se serait félicité du travail de la Waffen-SS. Aux dernières élections européennes, le NPD a recueilli 300 000 voix, ce qui peut apparaître moindre, rapporté aux nombres d’électeurs ou encore au nombre d’habitants en Allemagne. Le changement de scrutin proportionnel pour un scrutin proportionnel purement intégral est également responsable de l’élection d’Udo Vogt. Mais, le symbole est trop lourd pour qu’il n’en soit pas fait état quand nous décrivons le tableau d’un malaise démocratique. Jusqu’à présent, écrivait, en 2005, Henrik Uterwedde, Directeur adjoint du Centre franco-allemand de Ludwigsburg dans un article au journal La Croix [27], l’extrême droite allemande est restée marginale du fait de l’histoire, mais « qu’en sera-t-il demain ? » se demandait-il à la fin de cet article. Sans vouloir exagérer outre mesure ce qui vient d’arriver, voilà donc que l’Allemagne a envoyé un député néonazi au parlement européen.

Les problèmes s’accumulent en Allemagne [28] et des symptômes de crise sont observables. L’image de bonne santé ne tient pas au-delà des apparences et d’indicateurs positifs de l’économie qui ont leur revers, lequel est assez inquiétant pour la viabilité du modèle comme pour la démocratie elle-même.

[1] Geppert, Dominik. Maggie Thatchers Rosskur–Ein Rezept für Deutschland ? Berlin : Siedler, 2003, 127 p.

[2]Allemagne : Merkel met du social dans son programme. L’Express.fr, 29 janvier 2014.

[3]Vannier, Sébastien. Bas salaires l’Allemagne s’interroge. Ouestfrance-entreprise.fr, 5 mai 2013.

[4] Bofinger, Peter. Wir sind besser als wir glauben Wohlstand für alle. Hamburg : Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2006, 368 p.

[5] El-Sharif, Yasmin. Wo die meisten armen Kinder wohnen. Spiegel Online, 9 janvier 2014, [consulté le 13/06/2014]. Disponible sur : http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/Kinderarmut-in-deutschland-hier-wohnen-di...

[6] Böcking, David. OECD-Vergleich Deutschland vernachlässigt arme Rentner. Spiegel Online, 26 novembre 2013, [consulté le 13/06/2014]. Disponible sur : http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/oecd-deutschen-geringverdinern-bleibt-im-...

[7] Les méga-bordels des métropoles allemandes : la prostitution, un métier comme un autre ?, in : DemesmayClaire, Heimerl, Daniéla. Allemagne une mystérieuse voisine. Paris : Lignes de Repères, 2009, p. 113-119. cf. également dossierdu Spiegel n° 22/2013, p. 56-65.

[8] Safranski, Rüdiger. Wieviel Globalisierung verträgt der Mensch ? Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 2004, 117 p.

[9] Dettling, Warnfried. Das soziale als Identitätskern, In : Abschied aus dem Jammertal. Internationale Politik, 2004, n° 5, p. 4.

[10] Schnapper, Dominique. La communauté des citoyens : Sur l’idée moderne de nation. France : Gallimard, 2006. 320 p.

[11] Safranski, Rüdiger. Wieviel Globalisierung verträgt der Mensch ? Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 2004, p. 23-24.

[12] Vannier, Sébastien. Bas salaires l’Allemagne s’interroge. Ouestfrance-entreprise.fr, 5 mai 2013.

[13]Safranski, Rüdiger. Wieviel Globalisierung verträgt der Mensch ? Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 2004, p. 24.

[14] Les exportations, pilier de l’économie allemande. Ouestfrance-entreprises.fr, 7 novembre 2013.

[15] Wahl, Stefanie. Démographie et compétitivité. Regards sur l’économie allemande, 2005, n° 70, p. 5-10

[16] Les exportations, pilier de l’économie allemande. Ouestfrance-entreprises.fr, 7 novembre 2013.

[17] Vannier, Sébastien. Bas salaires l’Allemagne s’interroge. Ouestfrance-entreprise.fr, 5 mai 2013.

[18] Müller, Peter. CDU-Rebellen drängen Merkel zu « Agenda 2020 ». Spiegel Online, 27 avril 2014, [consulté le 13/06/2014]. Disponible sur : http://www.spiegel.de/politik/deutschland/cdu-uniospolitiker-fordern-mehr Reformen-von-kanzlerin-merkel-a-966338.html

[19] Weiland, Severin. FDP-Desaster. Spiegel Online, 26 mai 2014, [consulté le 13/06/2014]. Disponible sur : http://spiegel.de/politik/deutschland/fdp-desaster-bei-der-Europawahl-a-971603

[20] Lemaitre, Frédéric.Battu, le SPD paye les ambiguïtés de sa campagne. Le Monde.fr, 22 septembre 2013.

[21] Koalitionoptionen Grüne Löhrrmann will Gespräche mit SPD und Linken. Spiegel Online, 12 octobre 2013, [consulté le 13/10/2013]. Disponible sur : http://www.spiegel.de/politik/deutschland/Koalitionen-loehrmann-redet-ueber-rot-rot-gruen-a-927515.html

[22] Feu vert des sociaux-démocrates allemands à un gouvernement de coalition. L’Express.fr, 14 décembre 2013.

[23] Streit über Mindestlohn SPD verlangt Machtwort von Merkel. Spiegel Online, 11 juin 2014, [consulté le 13/06/2014]. Disponible sur : http//www.spiegel.de/politik/deutschland/mindestlohn-streit-stegner-fordert-machtwort-von-merkel-a-974432.html

[24] Repinski, Gordon. Schwarz-roter Poker. Spiegel, n° 42/2013, p. 21-24.

[25] www.alternativefuer.de

[26] Gauron, Laurent. Un néonazi allemand va faire son entrée au parlement européen. Le Figaro, 26 mai 2014, [consulté le 14/06/2014]. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/elections/europeennes-2014/2014/05/26/01053-20140526ARTFIG00255-un-neonazi-allemand-va-faire-son-entree-au-parlement-europeen.php

[27] Uterwedde, Henrik. Les spasmes de l’extrême droite allemande. La croix, 22 février 2005, p. 26.

[28] Thérin, Frédéric. Élections en Allemagne : les pièges qui attendent le futur chancelier. Le Point.fr, 21 septembre 2013, [consulté le 23/09/2013]. Disponible sur : http// www.lepoint.fr/monde/elections-en-allemagne-les-pieges-qui-attendent-le-futur...  

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