Nous voudrions consacrer les deux numéros de 2019 à une réflexion sur l’avenir des démocraties. A cela plusieurs raisons qui relèvent d’un premier niveau d’observations et études comme des penseurs très critiques qu’on ne saurait ignorer même s’il s’agit de les discuter.
1. Les démocraties sont contestées : l’influence des démocraties occidentales semble reculer face à des pouvoirs autoritaires. De nombreuses élections favorisent l’émergence puis des majorités « populistes », des pressions s’exercent à l’intérieur des démocraties au profit de pratiques dirigées par des traditions religieuses.
2. L’usage des techniques modifient le débat démocratique : la relation à l’instantanéité, l’exigence de résultat immédiat, la valeur accordée à la vitesse d’exécution ou de réaction, la sommation d’agir ou de répondre semblent altérer les temps de la réflexion, du dialogue et des mises en perspectives au profit de rhétoriques impulsives, émotionnelles dans lesquelles les populismes s’expriment avec succès.
3. L’obligation d’être efficace favorise l’autorité : le primat du critère d’efficacité, la lassitude face à des politiques jugées par beaucoup très stériles, la complexité des institutions, des règles et des normes, l’incompréhension des jeux politiques des représentants, le sentiment de gaspillage ou de corruptions créent un terreau propice à l’aspiration populaire d’un pouvoir autoritaire simple, direct et efficace .
4. Le progrès social et économique profite à des minorités : les inégalités entre les pays les plus riches et les plus pauvres s’accroissent, l’enrichissement des plus riches et l’apparition de nouvelles pauvretés dans les pays développés sont flagrantes, le bénéfice des nouvelles technologies semblent servir les intérêts des oligarchies pour le contrôle social et la frustration des populations « périphériques » crée une fracture de confiance.
5. Les élus paraissent écartelés entre le local et le mondial : la démocratie locale et participative fonctionne mal, limitée par des directives émanant d’institutions internationales non-élues. Les élus basculent dans des logiques et intérêts politiques contre leurs électeurs et les minorités exercent une influence croissante, la démocratie paraissant s’éloigner du pouvoir et des mœurs de l’unanimité raisonnable ou des larges majorités sous la pression d’injonctions morales et éthiques mondialisées, parfois au profit des firmes plus que des droits humains.
6. Les unités politiques éclatent sous la pression des identités : les Etats-Nations sont menacés de partition au profit d’autres identités. Ces exacerbations ou blessures narcissiques sont propices à des sentiments locaux : Belgique, Espagne, Royaume-Uni, ancienne Tchécoslovaquie, Yougoslavie sans oublier les tensions d’Etats tentés par de nouvelles alliances en Amérique du Nord, en Inde avec le risque de dislocation de ces grandes fédérations.
7. le rejet de l’Autre mine les fondements de la démocratie : le repli sur soi, l’isolement des personnes, l’absence d’exposé des problématiques, l’individualisme exacerbé semblent désagréger la vie démocratique où chacun agit librement en passager clandestin d’une démocratie de circonstance où le sujet ne fait plus société : profiter des soins et s’exiler fiscalement par exemple.
Ces facteurs paraissent jouer en faveur d’un avenir incertain des démocraties. D’où quelques questions pour toutes les disciplines qui concourent à la science politique et au premier chef, le regard de la psychologie politique sur l’opportunité d’une société sans représentation du fait des nouvelles technologies ; sur la nécessité de nouvelles subsidiarités ; sur les limitations de l’emprise d’intérêts oligarchiques en conflits avec les populations ; sur les mouvements et déplacement des populations : émigrations, immigrations, nomadismes ; sur les cultures et civilisations avec les parts de ressentiment, d’humiliation, de défaut de reconnaissance et de dominations ; sur le rapport des organisations intermédiaires et mondiales ; etc. Comment ne pas entendre des auteurs aux intentions diverses éclairant crûment les dérives des démocraties occidentales : Diego Fusaro, philosophe italien inspirateur du mouvement M5S, Alexandre Douguine, conseiller de Poutine ou Ivan Krastev inquiet pour l’avenir de l’Europe par exemple.
Les Cahiers de psychologie politique souhaite participer en toute liberté de penser à cette réflexion essentielle des sociétés occidentales face à leur destin dans une période où les événements bouleversent les anciennes logiques, où les rapports d’influence entre les sciences et les religions évoluent, où les ruptures technologiques offrent des perspectives inédites de puissance jusqu’à y mettre l’avenir de l’humain en jeu : transhumanisme et révolution anthropologique.
Nous aimerions organiser un premier numéro sur l’avenir des organisations et institutions démocratiques et un second sur le projet démocratique originellement fondé par la paix civile ou concorde, l’émancipation des populations et l’éducation ainsi que la liberté d’agir et de penser. Ayons voix au chapitre.