17 thèses sur l’islamisme, l’anti-islamisme et l’islamophobie
Bien qu'il puisse paraître difficile, compte tenu de l'intensité des affrontements intellectuels et politiques sur ces questions, de se situer « au-dessus de la mêlée », j'ai cru qu'il serait de bonne méthode d'énoncer quelques thèses élémentaires sur l'islam dans ses rapports avec l'islamisme et l'anti-islamisme.
1. L'islam n'est pas l'islamisme, mais ce dernier n'est pas étranger à l'islam. Il en constitue l'un des visages.
2. On ne peut réduire l'islam à ses textes fondateurs, ni les musulmans à des représentants quelconques de la catégorie « islam ». Un individu musulman ne se réduit pas au fait d'être musulman, sauf, précisément, s'il est l'adepte d'une forme d'islamisme.
3. Il y a des islams (sunnisme, chiisme, soufisme, etc.) et des islamismes (salafistes ou wahhabites, Frères musulmans, jihadistes de diverses obédiences, etc.). Parler de « l'islam » ou de « l'islamisme » est une commodité de langage, qui donne prise à des interprétations essentialistes naïves ou intéressées. Les islamistes, par-delà leurs différences ou leurs querelles, se réfèrent cependant aux mêmes textes fondateurs et aux mêmes exégèses jurisprudentielles que les musulmans non islamistes, d'où l'effet de légitimité dont ils ont appris à jouer.
4. Un islamisme est le produit d'une politisation d'un islam, dont l'objectif est de bouleverser et de refondre tout ordre social non musulman, « faussement » ou « insuffisamment » musulman.
5. Tout islamisme a pour objectif d'instaurer un ordre politico-religieux supposant l'établissement de la charia, impliquant le traitement des non musulmans comme des êtres inférieurs (à rançonner ou soumettre à un impôt spécial, ségréguer, discriminer, expulser ou combattre), l'obligation du port du « voile » (niqab, burqa, etc.) pour les femmes, la ségrégation des sexes et la normalisation du jihad individuel et collectif, « offensif » et « défensif ».
6. Les groupes islamistes visent à établir sur tel ou tel territoire un émirat, une République ou un califat islamique, ce dernier pouvant s'élargir en un empire islamique universel. Certains idéologues islamistes, s'inspirant du léninisme, ont théorisé une stratégie de conquête par étapes, où l'on retrouve ces divers objectifs.
7. Les islamistes mettent en œuvre diverses stratégies et recourent à plusieurs méthodes, violentes ou « douces », pour mener à bien la conquête du monde non musulman ou « l'islamisation » des sociétés non musulmanes : prosélytisme, guerre culturelle et médiatique (campagnes « contre l'islamophobie », instrumentalisations de la « tolérance » ou des idéaux multiculturels, monopolisation de l'antiracisme), refus des lois et des traditions des pays d'accueil, pressions exercées sur les acteurs politiques, intimidations recourant à l'arme juridique, menaces contre des personnalités hostiles à l'islamisme, actions terroristes accompagnées de mises en spectacle conçues comme des actes de propagande.
8. Les islams politiques sont tous producteurs d'hétérophobies ou de formes culturelles de racisme, qu'on peut décrire comme des néo-racismes. Les deux principales, fondamentalement liées, sont l'hespérophobie, ou la haine idéologisée de l'Occident, et la judéophobie, qui mêle antisionisme radical, israélophobie et conspirationnisme antijuif. La judéophobie mondiale contemporaine est principalement alimentée par les islamismes. Il en va de même pour l'anti-occidentalisme inconditionnel, théorisé naguère par Sayyid Qutb.
9. Les politisations de l'islam, qui prennent souvent la forme de « fondamentalismes révolutionnaires », sont incompatibles avec les sociétés démocratiques libérales/pluralistes.
10. Le rejet de l'islamisme dérive à la fois du spectacle répulsif offert par le terrorisme jihadiste, qui fait des victimes quotidiennement partout dans le monde, et du refus de vivre dans des dictatures autoritaires ou totalitaires de type théocratique.
11. L'anti-islamisme n'a rien à voir avec ce qu'on appelle improprement l'« islamophobie », catégorie d'amalgame qui confond la critique intellectuelle des dogmes ou des pratiques d'une religion (l'islam, sous telle ou telle forme), la critique politique et morale de l'islamisme (jihadiste ou non) et l'appel à la haine ou à la violence contre les musulmans en tant que tels.
12. Les islamistes ont intérêt à faire croire que les anti-islamistes sont « islamophobes », qu'ils seraient donc des « racistes » anti-musulmans, et, plus largement, que tout examen critique de l'islam ou du monde musulman exprime une « islamophobie » plus ou moins dissimulée. En règle générale, ceux qui sous-estiment la menace islamiste sont aussi ceux qui dénoncent « l'islamophobie » avec le plus de véhémence.
13. L'anti-islamisme (qu'on pourrait désigner par le néologisme « islamismophobie ») est une réaction de défense légitime des sociétés démocratiques/pluralistes.
14. Les musulmans non islamistes, a fortiori ceux qui s'élèvent publiquement contre l'islamisme, sont diabolisés et menacés par les islamistes. Il en va de même pour les musulmans qui ont une attitude critique envers l'islam et appellent à une révision de certains dogmes ou à une libre interprétation des textes de référence.
15. Les musulmans hostiles à l'islamisme sont les alliés naturels des anti-islamistes non musulmans.
16. Les anti-islamistes, musulmans et non musulmans, sont des combattants de la liberté. En France, ils se présentent le plus souvent comme des défenseurs du principe de laïcité. C'est pourquoi ils sont la cible principale des islamistes et de leurs alliés, et font en permanence l'objet de campagnes de diffamation.
17. On peut voir dans ces débats convulsifs et fortement médiatisés fondés sur des questions mal posées l'expression particulière d'une guerre politico-culturelle planétaire, dont le premier caractère est sa structure asymétrique. Celle-ci reproduit, sur le registre symbolique, l'affrontement entre les armées régulières de divers États-nations et des partisans fanatisés montant à l'assaut des vieilles civilisations.
L'Islamisme et nous. Penser l'ennemi imprévu, Paris, CNRS Éditions, 2017