N°33 / Quantification et quantité Juillet 2018

Francis Wolff, Trois utopies contemporaines. Editions Fayard

Alain Deniau

Résumé

NOTE DE LECTURE

Francis Wolff est professeur émérite de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Après son remarquable Il n’y a pas d’amour parfait (2016), il porte sa réflexion philosophique sur un sujet de psychosociologie politique dans Trois utopies contemporaines (2017). Sa référence est l’humanisme des Lumières et le Kant du Projet de paix perpétuelle (1795). Il articule sa description de l’utopie en un au-delà de humanisme qu’il nomme l’utopie post-humaniste, un en deçà de l’humanisme, l’utopie animaliste, et une troisième dans le prolongement de l’humanisme, l’utopie cosmopolitique.

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Francis Wolff est professeur émérite de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Après son remarquable Il n’y a pas d’amour parfait (2016), il porte sa réflexion philosophique sur un sujet de psychosociologie politique dans Trois utopies contemporaines (2017). Sa référence est l’humanisme des Lumières et le Kant du Projet de paix perpétuelle (1795). Il articule sa description de l’utopie en un au-delà de humanisme qu’il nomme l’utopie post-humaniste, un en deçà de l’humanisme, l’utopie animaliste, et une troisième dans le prolongement de l’humanisme, l’utopie cosmopolitique.

L’utopie post-humaniste est l’expression d’une éthique de la première personne puisqu’elle vise à une amélioration individuelle et infinie de l’humain. Il qualifie cette utopie d’individualiste car elle retourne le progrès scientifique au profit d’un individu au lieu de l’inscrire dans un progrès collectif, qui serait une forme de nous.

Cette utopie centrée sur la première personne est fondée sur l’angoisse de la mort. La force de la fortune et du pouvoir d’une personne lui permettrait ce détournement individualiste de la science pour lui assurer une vie au delà des limites imparties à l’humain. La mort est un Mal qu’il conviendrait de dépasser.

En deçà de l’humanisme, Francis Wolff identifie l’utopie animaliste. Elle se caractérise d’être une éthique de la deuxième personne. Par la rigueur de sa classification, il nous fait entendre combien nous sommes baignés dans les excroissances de cette utopie qui généralise des perceptions partagées par chacun de nous. De les élever au rang de principes organisateurs de notre vie personnelle, de nos croyances ou même de notre organisation sociale, fait de ces perceptions communes une utopie. De l’animal de compagnie à la bête sauvage en passant par les robots, désormais accompagnateurs de notre solitude, il est humain de projeter en miroir sur l’animal nos questions d’existence et nos émotions. Certains portent ce processus si loin qu’il veulent changer les lois et les comportements pour y inclure l’existence de l’animal. Francis Wolff qualifie cette exigence d’utopie. Elle est pour lui une éthique de la deuxième personne qui dessine une animalisation de l’homme et une humanisation de l’animal.

Enfin dans le prolongement de l’humanisme, vient la description de l’aboutissement kantien d’une politique née de l’homme des Lumières, l’utopie cosmopolitique « est une utopie au second degré. Une utopie au-delà de toutes les utopies, lesquelles enfermaient encore l’imaginaire dans les bornes de la Cité. » Francis Wolff propose ainsi une définition de l’hospitalité : « Hospitalité signifie uniquement le droit qu’a chaque étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive. »

Il repère les deux formes du Mal qui font obstacle et menace de ruine l’avancée de la révolution cosmopolitique, la guerre et l’extranéité. L’extranéité, c’est pour lui « la condition de l’étranger, c’est à dire le fait qu’on ne cesse d’en créer. » Sa réflexion sur l’étranger le porte vers la contradiction de repérer que l’étranger est aussi vieux que la civilisation et pourtant que la généralisation des passeports est très récente, puisqu’ils ont été créés, de manière arbitraire, dans les suites de la Grande Guerre. Pour l’utopie cosmopolitique, « la nation est donc une communauté politique imaginaire » et « les nations ne sont donc pas mieux fondées que les tracés des frontières ». Pour Francis Wolff, les questions concernant le cosmopolitisme viennent de l’idéal implicite. L’idéal kantien d’un gouvernement mondial trouve ses limites dans la vision « déraisonnablement optimiste » de l’humanité. Toutefois, dans cette réserve, se glisse la réalisation des exigences du projet kantien dans le processus de l’Union européenne. Jürgen Habernas, commentant le projet kantien, remarque que « la clé du droit cosmopolitique réside dans le fait qu’il concerne, par-delà les sujets collectifs du droit international, le statut des sujets de droits individuels, fondant pour ceux-ci une appartenance directe à l’association des cosmopolites libres et égaux. »

Pour conclure Francis Wolff montre l’incompatibilité des trois utopies. Elles sont des utopies car elles souhaitent éradiquer le Mal qui est intrinsèque à la condition humaine. « Seule l’utopie cosmopolitique peut viser la justice parce qu’elle est fondée sur le point de vue de nulle part ». Il affiche sa confiance dans l’idéal cosmopolitique suivant en cela la pensée de Kant quand il montre que cet idéal se construit peu à peu autour de quelques nations comme l’Union européenne se construit et comme l’ensemble des pactes internationaux construisent l’idéal kantien.

Francis Wolff livre ainsi une cohérence de pensée qui place la démarche politique européenne comme la progressive réalisation des idéaux philosophiques des Lumières. Trois utopies contemporaines est ainsi un court traité de philosophie politique qui apporte une Lumière sur notre monde actuel.

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