DOSSIER : L'AVENIR DE LA DEMOCRATIE
Françoise Massart-Piérard est professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain docteur en sciences politiques et sociales (UCL). Elle a dirigé l’Unité des Relations internationales du Département des sciences politiques et sociales (UCL). Ses publications portent sur l’Europe des Régions, la politique extérieure des entités fédérées, les paradiplomatie et protodiplomatie, les espaces culturels et linguistiques internationaux (la Francophonie, en particulier). Elle est l’auteur, entre autres, de L’Europe en tous ses Etats : entre mythe et contrainte communautaire ?
SOMMAIRE
Les élus locaux aux prises avec la pénétration d’influences extérieures dans les territoires
L’apparition du phénomène de glocalisation : l’élu local entre déterritorialisation et territoire
Les Organisations internationales : des effets à sens contraire
Les Associations d’élus locaux, un nouvel acteur face au mondial ?
Elu local, un autre métier dorénavant
Les élus locaux face aux Accords commerciaux : entre opposition et suivisme
L’attitude des élus wallons, une situation inédite
Une conjonction particulière : La Région wallonne : un statut spécial, le CETA, un Accord d’un type nouveau
L’extension de la contestation à d’autres collectivités locales
L’extension de la démocratie participative à la question de l’Europe : un trompe-l’œil ?
Cet article traite du tiraillement des élus locaux entre le local et le mondial. Il s’en tient aux thématiques épinglées à ce sujet par cette Revue pour les discuter : Les difficultés rencontrées par les élus locaux sont patentes. Elles trouvent leur source à différentes échelles. Leurs conséquences s’entremêlent souvent. L’impact du mondial sur le local est épinglé par les représentants du peuple, les experts, les média et l’opinion publique. Il est incontesté, il semble incontestable. Les élus locaux comme leurs concitoyens en conviennent. Les responsables de ce changement sont identifiés. Ils font partie des nouveaux acteurs apparus sur la scène internationale : les Organisations internationales et les multinationales savent imposer leur loi sur les plans normatif et économique. Le sentiment de peur face à l’incertitude, face à l’inconnu, à l’éloignement de centres de décision et celui d’impuissance – au risque du découragement – se conjuguent et ainsi pèsent sur la légitimité des élus susceptibles d’entendre et de répondre aux demandes des électeurs (la légitimité par les outputs) restés fortement attachés à leur territoire. Cette vision du rapport s’établissant – sous forme descendante (top down) – entre le mondial et le local renvoie à la question de savoir si la relation est à sens unique et, par conséquent, exclut tout mouvement ascendant du local à l’international, ce qui offrirait des chances à une démarche plus démocratique. Les élus locaux sont-ils privés de tout accès aux affaires mondiales, incapables de les influencer, complétement coupés des Organisations internationales, sans moyens de défense en cas d’atteinte à l’intérêt local ? La question de l’impact des initiatives des élus locaux sur le mondial et sur l’international sera examinée et confrontée à des expériences récentes dans la seconde partie de cet article.
La catégorie « élus locaux » est multiple, vaste, hétérogène, traversée par nombre de critères distinctifs (de caractère constitutionnel, organisationnel, territorial, politique, social, culturel). Il s’avère par conséquent aventureux de s’essayer à l’embrasser tout entière sans tomber dans une généralisation excessive. Ce pourquoi, nous approcherons le « cas » de la Région wallonne, cette entité fédérée du Royaume de Belgique connue à présent pour l’attitude audacieuse des Membres de son Parlement à l’occasion de la signature du Traité CETA. Quels sont les déterminants de cette attitude ? Sont-ils exclusivement spécifiques à cette entité ? D’autres manifestations d’opposition aux Accords commerciaux récents sont-elles apparues et sous quelles formes ? L’exemple de la Région wallonne peut-il inspirer des élus relevant d’entités territoriales ne partageant pas les mêmes caractéristiques constitutionnelles et institutionnelles ?
La réponse à ces questions nécessite, au préalable, de prendre la mesure de l’incidence du contexte international dans lequel évoluent les élus locaux (quels qu’ils soient) et les amènent à se trouver au croisement du local, de l’international et du mondial.
Les élus locaux aux prises avec la pénétration d’influences extérieures dans les territoires
L’apparition du phénomène de glocalisation : l’élu local entre déterritorialisation et territoire
Les défis globaux auxquels est confrontée la planète tout entière (réchauffement climatique…) se manifestent avec des effets de déterritorialisation qui, cependant, frappent les collectivités territoriales. La « glocalisation », ce barbarisme a été créé pour qualifier la descente des questions globales jusqu’au niveau local.
Les interactions qui s’installent entre les dimensions globale et locale obligent, en effet, à reconsidérer la notion de local. Un phénomène global interpelle toujours le local obligé de s’y ajuster.
Les mandataires locaux sont de plus en plus confrontés à des questions dont l’origine est lointaine. Elles conduisent ces mandataires à s’occuper de sujets qui ne coïncident pas à proprement parler, par leur dimension, aux affaires locales. Les collectivités territoriales sont en outre amenées à se préoccuper de domaines qui ne sont pas les leurs tout en y trouvant un intérêt. Les affaires locales sont devenues des affaires mondiales localisées ou traitées localement. Intérêt local et affaires locales tendent à se dissocier. De fait, « les affaires locales ne sont pas prédéfinies… Elles sont des affaires que les autorités s’approprient (légalement) ». L’on assiste par conséquent à une situation de « débordement des affaires locales qui couvrent des affaires de moins en moins locales ».1 L’auteur de ces propos, J.-M. Pontier, explique que la notion de territoire est dévaluée au profit d’autres notions. Et de préciser qu’un même territoire ne peut correspondre aux exigences de services de différentes natures (sociale, culturelle, économique…). Pareille voie s’avère « préjudiciable au bon fonctionnement du service »2.
Les charges (au sens large) des collectivités locales s’alourdissent en conséquence. Cet alourdissement provient du report – par d’autres niveaux de pouvoir – d’une partie de leur poids sur le local. Il s’y ajoute l’appropriation par le niveau local de missions nouvelles dépassant, en raison de la mondialisation, le cadre traditionnel de son action. L’accroissement des échanges au-delà des frontières nationales, l’aggravation de problèmes transnationaux face auxquels les collectivités territoriales se trouvent en première ligne (les migrations sont un bon exemple), tous ces phénomènes en pleine expansion se répercutent localement. Ils sont, selon une expression en cours, de type « top down ». Ils nécessitent néanmoins l’intervention des élus locaux. Mais l’allongement de chaînes d’interdépendance entre agents de plus en plus dispersés3 n’épargne guère les élus locaux confrontés, eux aussi, à la difficulté de se faire entendre. L’économie et le commerce sont de plus en plus encadrés par un ensemble de traités commerciaux multilatéraux de dimension mondiale, intercontinentale et régionale qui partagent les mêmes caractéristiques, les mêmes valeurs et vont dans la même direction. Il devient de plus en plus difficile dans ce contexte d’intégration des économies à l’échelle internationale, « de développer librement des programmes de rupture » et, comme le souligne Ph. Braud, d’envisager une autre politique alors que le choix de l’alternative est constitutif de la démocratie.4
La démocratie représentative locale – à ses différents échelons – se trouve affectée par la manifestation de ces mouvements. Ils bousculent l’ordre ancien et obligent à le redéfinir. De la sorte, les élus locaux sont voués à participer à un jeu à double ancrage. En s’attachant à améliorer la situation localement, ils apportent une pierre à la solution d’un problème dépassant largement le cadre au sein duquel et pour lequel ils ont été appelés à représenter leurs électeurs avec comme corollaire l’alourdissement de leur responsabilité. Elle s’étend au-delà du territoire dont ils assurent la gestion et le développement. Les élus locaux se trouvent au croisement de terrains de jeu distants les uns des autres. Il leur revient dès lors, tout à la fois, de défendre l’intérêt local reconsidéré au regard de l’impact d’éléments extérieurs, de garantir l’identité territoriale de la collectivité et de répondre par leur action aux demandes formulées par les acteurs et intervenants internationaux qui se profilent sur la scène internationale pour l’influencer. Une donne d’une autre nature devrait être prise en compte car le « local » ne peut être ramené à sa seule définition objective : sa dimension géographique, son caractère circonscrit et identifiable et/ou sa correspondance avec les unités administratives proches telles qu’elles ont été instituées (commune, région…). Le local comprend une face subjective. Il renvoie à ce qui est connu, intime, familier, identifiable, à un lieu de sécurité Il n’est donc pas qu’un échelon ou un espace donné5. Ce dont les citoyens ont bien conscience, ce à quoi ils aspirent, ce qui les confortent. Les élus locaux qui obtiennent le plus de voix quand ils se présentent aux élections législatives se trouvent parmi ceux qui fréquentent le moins l’Assemblée.6
Le rapport entre le local et le mondial ne dispense pas toutefois de passer – en grande partie tout au moins – par le canal des gouvernements nationaux qui continuent de jouer leur rôle d’éclusier. Ils sont aptes, s’ils l’acceptent, à faire grimper les demandes, attentes ou avis des élus locaux vers l’international.
La démocratie représentative exige de la part des représentants des citoyens qu’ils disposent de moyens leur permettant d’exercer leurs responsabilités et de délibérer. Or, le rôle de ces derniers, dans le champ des affaires internationales, reste la plupart du temps limité à un travail en aval de mise en œuvre, une fois les décisions prises. Les élus reçoivent la responsabilité de l’application de décisions de plus en plus nombreuses issues d’autres niveaux de pouvoir. Ils se voient dans l’obligation de réagir à des situations engendrées par des décisions prises ailleurs. Le principe de démocratie locale en vertu duquel les citoyens, à travers leurs représentants, doivent avoir la possibilité d’influencer les réponses aux questions qui les concernent, se trouve, en pareille circonstance, négligé. La règle semblait claire : La mission des élus locaux est circonscrite à l’intérêt local. L’élu local appartient à un lieu, un territoire. Les affaires locales de moins en moins. Certaines proviennent d’un processus de localisation incontrôlable. Qu’en est-il de l’intérêt local ? Un avis adopté le 14 janvier 1957, par la Conférence Européenne des Pouvoirs Locaux (CEPL), un organe consultatif de représentation des collectivités territoriales au sein du Conseil de l’Europe, s’attachait à le définir. Favorable à l’autonomie locale, cette Conférence énonçait 3 conditions : il doit relever de la « libre décision » de l’autorité locale, selon sa « propre appréciation » et sous son « entière responsabilité ». Et d’ajouter « la tutelle administrative exercée par le pouvoir central est proscrite dans les domaines qui intéressent la gestion des « intérêts propres » des collectivités locales. Cette définition qui devait s’appliquer dans le cadre national résiste-t-elle quand prolifèrent les Organisations internationales ?
Les Organisations internationales : des effets à sens contraire
La multiplication des contraintes engendrées par la prolifération d’Organisations internationales (OIG) est incontestable. Leur pression est un fait. Elle se manifeste déjà par l’imposition d’un modèle général ou d’un régime auquel il est difficile, voire quasi impossible, de se soustraire. Des traités et conventions internationales sont en outre proposés par les Organisations internationales dites de coopération à leurs États membres. L’Union européenne, comme Organisation d’intégration dotée d’une autorité supranationale, impose des directives et des règlements à ses États membres. Elle aussi signe des traités avec des Tiers. Selon l’article 216, § 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « L’Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les Traités le prévoient ». C’est-à-dire lorsque L’Union dispose d’une compétence explicite pour le faire. L’État est le destinataire du droit communautaire qui ne cesse de s’étendre en raison de l’approfondissement de l’Union européenne. Néanmoins, ce droit est d’application dans (et par) les collectivités territoriales. Celles-ci sont tenues de l’appliquer « même lorsque la disposition concernée n’est pas encore transposée dans le droit national. Le droit local est « irrigué » par le droit européen, notamment avec les règles des marchés publics ou le droit des services publics ».7
Cette image forte des Organisations internationales qui insiste sur le pouvoir normatif des OIG est à nuancer sous l’angle de l’anthropologie : « Lorsqu’on les considère du point de vue des acteurs locaux, les interventions des Organisations internationales apparaissent souvent contradictoires et incompréhensibles… Tantôt elles renforcent, tantôt elles affaiblissent les structures de gestion communautaire et l’autonomie des sujets qu’elles se donnent pour mission de protéger »8. … Du point de vue anthropologique, « les Organisations internationales se profilent en tant que circuits de pouvoir où des cadres normatifs sont produits et diffusés, des ressources distribuées et des savoirs véhiculés à travers des réseaux d’experts, et ce de l’international au local »9. L’examen de la production des OIG montre que celles-ci, malgré les pressions qu’elles exercent sur les pouvoirs locaux, leur offrent certaines fenêtres d’opportunité dont les élus pourront se saisir : participation à des Institutions ou organes leur étant formellement réservés (Comité des Régions de l’Union européenne10, Conférence des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe11…), établissement de Conventions internationales favorables à leur autonomie, diffusion d’un discours valorisant la démocratie locale, la proximité, la décentralisation, les gouvernance multiscalaire et locale… Ainsi, par exemple, la Charte de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe stipule que c’est au niveau local que le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques peut être le plus directement exercé parce que le niveau communal est le plus proche des préoccupations du citoyen. Ce texte de caractère contraignant comprend plusieurs dispositions qui renforcent la légitimité des élus des collectivités locales. Il soutient un système local permettant aux citoyens de participer à la prise de décisions. La Charte européenne de l’autonomie locale a été adoptée par le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux. Il s’agit du premier instrument juridique multilatéral existant à ce propos. La Charte pose les principes fondamentaux du fonctionnement démocratique des collectivités territoriales. Les États signataires devront respecter : la décentralisation du pouvoir (exercé par les autorités les plus proches des citoyens), la reconnaissance de l’autonomie locale dans la législation nationale, la garantie du libre exercice de leur mandat pour les élus locaux, des compétences pleines et entières pour les collectivités et leur autonomie financière. En 2009, un Protocole additionnel sur la participation citoyenne aux affaires locales complète le texte de la Charte. Il reconnait le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques comme faisant partie des principes démocratiques communs à l’Organisation. L’existence de textes de cette nature ne suffit pas à entraîner les processus qu’il entend lancer. Encore faut-il qu’ils soient signés et ratifiés par l’Etat. La Charte n’a été ratifiée par la France qu’en 2007 alors qu’elle a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe en tant que convention le 15 octobre 1985 et est entrée en vigueur le 1er septembre 1988. Les Organisations internationales qui sont des sujets dérivés de Etats produisent des textes intéressant les collectivités locales mais, on le voit avec cet exemple, l’Etat reste maître du jeu lorsque l’Organisation appartient à la catégorie des Organisations internationales qualifiées d’Organisation de coopération. L’avantage que les élus locaux peuvent tirer des Chartes et autres textes issus de longues négociations intergouvernementales menées au sein même de l’Europe élargie dépend de l’attitude de leur Etat à leur égard. Ils doivent avoir ratifié le texte. L’Etat s’engage alors à respecter un noyau dur de principes fondamentaux pour lesquels aucune réserve n’est possible. Le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques, les droits principaux des collectivités à l’autonomie, aux élections des organes locaux, à des compétences, structures administratives et ressources financières propres, ou encore au recours juridictionnel en cas d’ingérence par d’autres niveaux, font partie de ce noyau. La Charte s’adresse aux États auxquels elle dicte des obligations concernant les pouvoirs locaux qui représentent les citoyens ainsi qu’aux citoyens eux-mêmes. Elle offre indirectement et sous condition du consentement de l’Etat des conditions favorables à l’exercice de la démocratie locale. Elle garantit, en principe, le respect du principe de subsidiarité par les signataires de la Charte. Conformément à ce principe, la Charte considère en effet que les affaires publiques doivent être gérée au plus près du citoyen, la gestion de ces affaires à un niveau supérieur ne pouvant être envisagée que si la gestion au niveau inférieur est impossible ou moins efficace. La Charte refuse de définir de manière limitative l’intérêt local ou la notion d’affaires d’intérêt local qui devraient conduire à un droit exclusif de gestion. Elle introduit celle de « part importante des affaires publiques » pour permettre aux élus locaux de déterminer eux-mêmes les notions d’intérêt local ou d’affaires locales.
Dans le cas présent, une OIG, le Conseil de l’Europe, impose aux États signataires des règles destinées à émanciper les collectivités territoriales. De plus, elle surveille l’application de dispositions de la Charte. Cette mission est confiée au Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux qui l’évalue dans chaque Etat membre. La Charte n’oublie pas la dimension internationale. Elle favorise la coopération européenne transfrontalière et préconise le droit pour les collectivités de s’associer sur le plan national et sur le plan international, une disposition qui n’est pas insignifiante au regard de l’irruption progressive de ce type d’association sur la scène internationale. Signe encourageant : Une grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe ainsi que tous les États membres de l’Union européenne ont ratifié la Charte.
On ne saurait passer sous silence l’évolution de l’Union européenne en matière d’autonomie locale et régionale, de décentralisation, de subsidiarité et de proportionnalité depuis le Traité de Maastricht. Celui-ci a institué le Comité des Régions (CdR) en tant qu’organe de consultation et de représentation des collectivités locales et régionales de l’Union européenne pour ce qui concerne une large palette de domaines intéressant de près les élus locaux. Transports, emploi, politique sociale, Fonds social européen, culture, santé publique, environnement, énergie, cohésion économique, sociale et territoriale, politique d’éducation, formation professionnelle, jeunesse et sport figurent dans cette liste. Les commissions spécialisées du CdR élaborent un projet d’avis sur les propositions de la Commission au sujet desquelles il est consulté. Il peut proposer des modifications au document L’assemblée plénière du Comité se prononce ensuite par un vote.
La volonté de renforcer le contrepoids aux ingérences de l’Union dans la sphère locale est manifeste avec le tournant opéré par la ratification du Traité de Lisbonne. Ce Traité reconnaît le principe d’autonomie locale et régionale tel qu’il existe au sein des États membres de l’Union européenne. En outre, l’examen des conséquences locales et régionales de toutes les propositions de la Commission est rendu obligatoire dès le lancement de la procédure législative. De plus, le Comité des Régions se voit attribuer des pouvoirs lui permettant de suivre la proposition de la Commission à travers toutes les étapes de sa production. Le CdR dans un de ses avis recommande d’associer de manière « plus active et plus efficace et le plus en amont possible » les collectivités territoriales au processus décisionnel. L’accord de coopération signé entre la Commission européenne et le Comité des Régions vise à faciliter une telle association. Les Régions à pouvoir législatif devraient, selon le CdR, bénéficier de nouveaux droits : participation au système d’alerte précoce en matière de subsidiarité. Leurs exécutifs devraient, quant à eux, être associés à la préparation des positions nationales au Conseil ou à la composition des délégations nationales. La soft law des Organisations internationales est généreuse envers les collectivités territoriales. Elles contribuent à l’apparition de nouveaux critères de légitimité, plus encore quand les collectivités territoriales participent à son élaboration. Encore faut-il qu’elle soit suivie.
Reportée au contexte de la mondialisation, la pression « bureaucratique » reprochée à l’Union européenne introduit un paradoxe. Il apparaît, en effet, que la progression des normes communautaires qui s’emparent de nouvelles matières (environnement, santé, sécurité, concurrence) devient une source d’influence croissante de l’UE en interne et à l’extérieur. Les Européens souhaitent plus de règles pour réguler le développement de la mondialisation12.Le cercle vicieux bureaucratique serait, de la sorte, revisité. Il changerait d’échelle.13
Les Associations d’élus locaux, un nouvel acteur face au mondial ?
La Charte de l’autonomie locale consacre le droit pour les collectivités territoriales de s’associer (art. 10). Leurs élus ont pris l’habitude de former des associations nationales et de coopérer au sein d’instances de dimensions internationale et mondiale, une manière de s’inscrire collectivement dans les dynamiques actuelles, de s’informer, d’échanger les meilleures pratiques, de faire connaître leur avis qui sera transmis aux décideurs que sont les États et les OIG voire de réclamer l’inclusion des représentants des gouvernements locaux et régionaux dans les délégations nationales présentes aux négociations internationales dans le but d’incorporer la perspective locale dans les Institutions internationales. Le Conseil des Communes et Régions d’Europe (CCRE), la plus ancienne association de collectivités territoriales en Europe. s’inscrit dans cette veine. Créé en 1951, il a pour objectif de promouvoir une Europe fondée sur l’autonomie locale et la démocratie tout en coopérant avec des partenaires de pays tiers. Ce faisant, il se joint en tant qu’association au mouvement institutionnel de défense de l’autonomie locale et régionale auquel participent les Organisations européennes Les associations d’élus locaux et régionaux ne sont pas sans produire quelque effet. Quoiqu’elles représentent les élus des territoires, elles génèrent des attitudes et des initiatives favorables à la solution de problèmes globaux. Elles se montrent capables de proactivité. Elles offrent collectivement une image moins négative du rapport asymétrique institué entre le mondial et le local. Ainsi, la Convention des Maires pour le climat et l’énergie a pour objectif la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030. Cette Convention a été lancée en 2008 par la Commission européenne. Dix ans après, elle a recueilli un grand nombre de signatures Les projections indiquent que les collectivités Parties à la Convention auront contribué à près d’un 1/3 de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne pour 2020. Cette initiative conduit à faire de la prévention au bénéfice des populations locales : se préparer aux inondations, aux vagues de chaleur et autres effets néfastes du changement climatique. La CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) organisée au niveau mondial défend les intérêts des gouvernements locaux sur la scène mondiale. Elle entend accroître les place et influence des gouvernements locaux et leurs associations à la gouvernance mondiale. L’Association des Régions d’Europe (ARE), créée en 1985, rassemble de nombreuses régions (270) de 33 pays européens et 16 organisations interrégionales. Elle s’est fixée pour mission de promouvoir la démocratie régionale et la subsidiarité, un principe en faveur duquel elle a milité avec succès-aux côtés des la Belgique et la République d’Allemagne lors des négociations du Traité de Maastricht. Elle entend également soutenir les régions dans le processus de la mondialisation et développer la coopération interrégionale « au service des citoyens » ?
Les Associations d’élus locaux permettent aussi par leur existence la tenue de Conférences mondiales se penchant sur des thématiques transnationales Elles leur donnent une véritable visibilité. Une Conférence mondiale sur les Villes et la Migration s’est tenue en Belgique les 16-17 novembre 2017. Cette Conférence est destinée à produire un dialogue plus positif sur la migration en partant de la perspective des autorités locales et régionales. Elle doit permettre d’améliorer la reconnaissance des autorités locales en tant qu’acteurs clés dans la gestion de la migration et l’élaboration des politiques selon le modèle prévu dans le processus du Pacte mondial sur les migrations (GCM). Cette Conférence offre l’occasion de consolider la contribution des gouvernements locaux au développement d’un Pacte mondial sur les migrations. La Conférence était coorganisée par les partenaires ONU-Habitat, l’OIM, l’organisme des Nations Unies chargé des migrations, et hébergée par le Ministère belge des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au Développement et la Ville de Malines. Plus de 150 représentants d’autorités locales et d’associations et réseaux (près de la moitié des participants), d’agences des Nations Unies, des fondations et du secteur privé étaient présents. De nombreuses villes d’Europe, d’Amérique du Nord, du Centre et du Sud, d’Asie, et d’Afrique étaient représentées. La Conférence a adopté une Déclaration (la Déclaration de Maline).
Ce bref inventaire montre que les élus locaux ne sont pas inactifs qu’il s’agisse de défendre le statut des collectivités territoriales ou de se saisir de problèmes concernant l’humanité entière. Les Associations d’élus locaux s’approprient collectivement, à travers leur coopération et leurs réseaux, la mise en œuvre des décisions s’y rapportant et cherchent à obtenir, au regard de leur capacité réelle, leur expertise, la connaissance du terrain, la proximité et le sens des solutions concrètes la reconnaissance qui s’impose. L’exemple de cette Conférence est une illustration de l’importance de la reconnaissance de la subsidiarité dans la gestion de questions relevant de la gouvernance multiscalaire. Les collectivités locales, à travers leur regroupement rentrent de plein pied, aux côtés d’Organisations et d’organes spécialisés mondiaux, dans la sphère de la politique mondiale Ils deviennent des acteurs sur la scène internationale car par leurs actions ils font, comme ceux qui méritent d’être qualifiés d’acteur international, la différence. La mobilisation des élus locaux ne passe pas qu’à travers leurs associations. Un élu se cantonnant au niveau de son territoire a aussi la capacité de prôner une politique efficace en matière de migration, un sujet combien sensible. La Ville de Maline a été choisie pour accueillir cette Conférence parce que son Bourgmestre a reçu en 2016 le prix du meilleur maire au monde pour sa politique d’accueil et d’intégration des réfugiés. Cette récompense ne dispense pas de revenir sur la question de la solidarité européenne. Les politiques d’accueil sont décidées au niveau national, la réalité de l’intégration se vit à l’échelle locale.
Elu local, un autre métier dorénavant
Pour faire face à la mondialisation de l’économie derrière laquelle se trouvent les sociétés multinationales aux manœuvres des délocalisations, les mandataires locaux sont amenés à développer une stratégie d’attractivité de leur territoire qui les porte à pratiquer un métier bien différent de celui des notables locaux d’autrefois.14 L’impérative nécessité de pourvoir au développement local exige des qualités de management. Elle demande souplesse et faculté d’adaptation aux évolutions en cours. La capacité de réunir les ressources matérielles, humaines, culturelles, technologiques appréciées par les entreprises est requise : accessibilité à des infrastructures et des réseaux de communication pertinents, climat social rassurant, compétences professionnelles et techniques ad hoc. Elle nécessite, outre la création de synergies entre les acteurs locaux, une ouverture sur l’extérieur et l’inscription dans une gouvernance multiscalaire. J.-M. Pontier parle des affaires locales dans le contexte actuel comme « la meilleure satisfaction des besoins des habitants en un lieu par une collectivité agissant en coopération avec d’autres collectivités et avec l’Etat ».15 Les élus locaux doivent également se frotter à un exercice de nature diplomatique. Lorsque surgit une crise à la suite d’une opération de délocalisation d’une ou de plusieurs entreprises, ils doivent s’efforcer d’en négocier autant que possible les meilleures conditions.16. À défaut de cet engagement, le risque est pour les élus de perdre leur légitimité fonctionnelle liée aux « outputs » de leur action. Il est également de fragiliser leur légitimité démocratique liée à la qualité de leur rôle de représentant des citoyens de la base, un rôle de proximité indispensable alors que l’absentéisme lors des élections s’accroît à tous les niveaux de pouvoir, et ce, même dans les pays où le vote est obligatoire. Ph. Subra introduit la notion de compétences géopolitiques à propos de celles que nécessite la réussite des élus face aux difficultés provoquées par la mondialisation économique. Il les épingle en ces termes : analyse des rapports de force entre acteurs, analyse des alliances possibles, recherche d’appuis solides, sensibilisation des médias « peu attentifs aux réalités locales » afin d’attirer l’attention de l’opinion publique. La réaction des élus locaux ne saurait suffire. La prévention est requise pour éviter le déclin économique et social du territoire. À cet égard, Ph. Subra évoque une nouvelle fonction consistant en la promotion de projets globaux de long terme à l’échelon du territoire17. Sa réalisation amène la confrontation entre le temps long de cette nécessité et le temps court des échéances électorales.
La sélection pour quelle proximité ?
La proximité géographique des élus est réelle mais l’est-elle du point de vue de leur représentation des citoyens ? Des études montrent que les élus, quel que soit le niveau auquel ils se sont présentés lors des élections ne reproduisent pas les clivages sociaux.18 Pour prétendre à un mandat électif et se trouver en position utile, il convient de répondre à certains critères sociologiques. Le cursus menant à l’exercice de la profession d’enseignant, d’avocat, de médecin… ou l’accès au rang de haut fonctionnaire sont une voie indiquée. Les connaissances, le savoir-faire combiné à la disponibilité sont privilégiés. Ils offrent de la considération. Ils permettent de se faire respecter auprès des électeurs. La sélection qui s’opère ainsi renforce la spécialisation et, de ce fait, met des distances avec les citoyens. Avec l’élévation du niveau d’instruction, « la démocratie participative bénéficie de conditions de développement inégalées dans l’histoire », nous dit Vincent de Coorebyter qui constate cependant l’évidence du désenchantement démocratique.19
En Belgique, un Courrier hebdomadaire du CRISP s’est penché sur le profil des parlementaires néerlandophones à l’automne 2015. Quatre assemblées ont fait l’objet d’un examen : la Chambre des représentants, le Sénat, le Parlement flamand et le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Les critères retenus étaient le genre, la classe d’âge, le niveau de formation, l’origine géographique, le milieu social d’origine, le statut de professionnel de la politique ou d’employé politique, l’exercice d’un mandat local, et l’exercice d’un mandat européen, fédéral, régional ou communautaire avant le scrutin du 25 mai 2014. Il apparait que les parlementaires néerlandophones ne représentent pas (au sens sociologique du terme) les corps électoraux qui les ont portés au pouvoir. Des tranches de la population sont surreprésentées dans les hémicycles, alors que d’autres sont négligées. Une étude similaire avait eu lieu au sujet des parlementaires francophones. Les 2 études amènent les mêmes résultats. La majorité des élus francophones sont de sexe masculin, ils sont âgés de 45 ans à 65 ans et titulaires d’un diplôme universitaire, 85 % d’entre eux cumulent un mandat parlementaire avec un mandat à l’échelon communal.20
Les relations internationales sont un domaine qui reste réservé à quelques élus qui les suivent de prés. Autrement dit à des spécialistes parmi les spécialistes. Le Parlement wallon s’est équipé des structures nécessaires à son bon fonctionnement pour ce qui concerne les Affaires extérieures et européennes. Plus généralement, les Parlements des entités fédérées de la Belgique ne manquent pas des ressources et des mécanismes nécessaires à la jouissance de leur autonomie en ces matières. Il reste que les parlementaires y portent peu d’intérêt sauf lorsque arrivent des gros dossiers dont l’application comportent (ou sont soupçonnés de comporter) des risques d’affecter la vie de la population de manière non plus technique ou spécifique mais plus englobante : la PAC, les OGM, les négociations de Traités commerciaux multilatéraux…21
Il ressort de cette première partie que l’élu local intègre de plus en plus le mondial dans ses actions, d’une part et d’autre part, qu’il se projette jusqu’à cet échelon. Le mouvement se fait à double sens Les élus locaux, malgré l’extension des tâches à laquelle ils sont confrontés en raison de l’ouverture de l’intérêt local à des sphères situées au-delà du territoire dont ils ont la charge et la responsabilité, ne sont pas en retrait. Les Organisations internationales régionales (OIR) s’attèlent par la voie normative à inciter les États membres à favoriser, par le développement de la décentralisation, l’autonomie locale et régionale, à respecter le principe de subsidiarité, à adopter les principes constitutifs de la démocratie locale. L’extrême variété des collectivités locales pousse à trouver un langage politique en partage dans les enceintes internationales et interrégionales soucieuses de la reconnaissance de leur rôle. Le discours répandu, pour être entendu, reste accroché à quelques expressions clé qui plaisent : la rhétorique de la proximité appartient à cette catégorie. Elle permet de distinguer les élus locaux des autres pouvoirs qui, eux, évoquent l’éloignement. Elle permet de légitimer la place et le rôle des élus locaux.
Les élus locaux, par divers canaux, participent à la vie de ces Organisations. Ils s’infiltrent dans la gouvernance multiscalaire Les Institutions internationales contribuent à la formation d’un régime international dont les élus locaux devraient pouvoir bénéficier au profit de leurs concitoyens. Les OIR produisent les règles, parfois elles assurent le suivi de leur application. Cette activité a, au moins, le mérite d’exister formellement. Les offres des OIG ne suffisent toutefois pas à garantir leur utilisation, comme le montre l’exemple qui suit.
Le rôle du Parlement wallon en rapport avec les activités de l’Union européenne est fixé par les articles 122 et 123 de son Règlement. Le Parlement wallon est informé par les Institutions de l’Union européenne de leurs activités. Il reçoit notification des projets d’actes législatifs européens conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne. La possession de ces informations devrait lui permettre de donner son avis au Gouvernement wallon sur les projets d’actes législatifs initiés par la Commission européenne et sur d’autres textes des institutions européennes, de participer à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, de veiller au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le Parlement wallon – au même titre que les Parlements d’autres entités fédérées – a en outre le pouvoir de suivre, dans le cadre du contrôle du Gouvernement wallon (interpellations et questions), les activités des Ministres au sein du Conseil des Ministres européen. Les structures existent pour accomplir ces missions. Un Comité d’avis chargé de questions européennes a vu le jour, dès 1993. Il appartient aux commissions permanentes du Parlement wallon de suivre les dossiers européens relevant de leurs domaines de compétence. Toutefois, les études montrent que le taux d’implication, dans la procédure d’alerte précoce des Parlements en Belgique est extrêmement faible. Cette constatation vaut aussi pour les parlements régionaux qui, en raison de leur pouvoir législatif, peuvent le saisir. Les chiffres sont parlants. Ils apparaissent dans une étude de l’Institut Egmont.22
Les élus locaux face aux Accords commerciaux : entre opposition et suivisme
L’attitude des élus wallons, une situation inédite
Qu’une composante de l’Etat se montre capable d’empêcher son Etat d’appartenance de signer un Traité commercial multilatéral parce que son Parlement ne le ratifiera pas, et ce, contre vents et marées – l’Union européenne, ses États membres, un Etat tiers, le Canada, et une autre entité fédérée du Royaume, la Région flamande, était jusque-là, inconcevable tant une telle attitude remet en cause le fonctionnement classique des relations internationales et les règles de la diplomatie. Des élus régionaux, par le biais de leur Parlement, en accord avec leur propre gouvernement, menacent de bloquer la mise en œuvre future, sans modification, d’un Accord dont les signataires sont des États souverains et une Organisation régionale dotée de pouvoirs supranationaux pour ce qui concerne le commerce international. Le sort de la CETA dépend de la sorte d’une minorité de type régional constitutionnellement et légalement reconnue sur le plan national. Cet exemple pose la question de la démocratie locale en matière internationale à l’heure de la souveraineté partagée avec les entités fédérées au sein de l’Etat belge comme entre l’Union européenne et ses États membres. Elle amène le paradoxe suivant : un Parlement régional avertit de son intention de s’opposer à un Accord multilatéral commercial au motif qu’il porte atteinte, notamment, à la souveraineté de l’Etat alors que le Parlement et le gouvernement belges le soutiennent. Cet Accord « CETA » qualifié de global est critiqué pour ne correspondre ni à la culture politique, ni à la culture économique et sociale, ni aux intérêts de la Région wallonne. Ce cas de figure – singulier – de l’attitude du Parlement wallon contredit la représentation d’un univers où les élus locaux (au sens large) sont, de manière générale, condamnés à subir un ensemble d’obligations économiques, sociales, culturelles et politiques imposées pour permettre le développement de la mondialisation et favoriser le succès des forces qui la soutiennent. Il attire l’attention sur l’arrivée au niveau de la scène mondiale d’acteurs non étatiques autres que les OIG et les multinationales, les collectivités locales et les entités régionales désireuses d’influencer les négociations internationales entrant dans leur champ de compétence. Il introduit la question de la démocratie dans un monde où ne cesse d’augmenter un nombre d’intervenants relevant d’horizons de plus en plus divers.et enclins à former des coalitions de cause fluctuantes en fonction d’intérêts sectoriels. L’exemple wallon, en raison de son caractère exceptionnel, aurait peu d’intérêt s’il n’annonçait une bifurcation – faible encore – dans la marche continue vers une libéralisation des échanges, sans régulation. Elle est cette fois initiée par des élus locaux, ces représentants d’une population située à l’autre bout de la chaîne des interdépendances. Des élus locaux ne disposant pas d’une capacité internationale équivalente à celles des entités fédérées de Belgique découvrent quelques moyens et canaux leur permettant de faire entendre leur opposition à des Accords du type TTIP et CETA.
Nous ne reviendrons pas ici, sur l’historique de la crise entraînée par la signature du Traité CETA largement commentée dans la presse. Elle a fait par ailleurs l’objet d’un ouvrage dont l’auteur est le Ministre-Président de la Région wallonne lui-même.23
Une conjonction particulière : La Région wallonne : un statut spécial, le CETA, un Accord d’un type nouveau
Quelques mots sont nécessaires cependant pour comprendre le système très particulier que connaît la Belgique en matière de relations internationales24. Ce pays applique le principe du parallélisme des compétences voulant que les matières pour lesquelles les entités fédérées sont compétences en interne seront traitées par elles aussi dans le champs des affaires extérieures : « In foro loco,in foro externo ». Cette règle a été adoptée pour éviter un processus de recentralisation de l’Etat fédéral qui, seul présent dans les négociations internationales et européennes, se saisirait de questions relevant de la compétence des entités fédérées. Avec le risque d’adopter des mesures contredisant leur(s) politique(s). Ce qui porterait atteinte au fonctionnement du fédéralisme par désagrégation institué en Belgique. Un rappel des conséquences de la structure fédérale du Royaume en matière de « ius tractati » s’impose également. Les Communautés et les Régions sont concernées par cette compétence lorsqu’il s’agit de traités exclusivement communautaires ou exclusivement régionaux ou encore lorsqu’il s’agit de traités mixtes. Le Roi ne peut ratifier un traité mixte qu’après que l’autorité fédérale et toutes les entités fédérées compétentes aient donné leur assentiment au traité. Le Traité CETA rentre dans cette catégorie. Il exige par conséquent l’assentiment des 7 Parlements du pays parce qu’il touche à des matières de compétence régionale, communautaire et fédérale. Le Ministre-Président du Parlement wallon précise que son « gouvernement n’était pas tenu de suivre les propositions du Parlement wallon au stade de la signature Juridiquement le gouvernement wallon aurait pu accepter la signature du CETA sans l’aval du Parlement wallon qui conservait le droit de ne pas ratifier ensuite ». L’importance du nombre de Parlements devant permettre la ratification du Traité – quoiqu’elle s’impose du point de vue de la démocratie – fragilise son avenir. Chaque pays se positionne par rapport à sa sensibilité à tel(s) ou tel(s) problème(s) et les intérêts (sectoriels) qu’il défend face aux pressions internes qui sont exercées. La Bulgarie et la Roumanie ont saisi cette occasion pour réclamer une levée de l’obligation de visas canadiens pour ses ressortissants, comme en bénéficient déjà les autres pays de l’Union européenne. Le Canada les a entendus. La signature du Traité restait alors suspendue à la seule décision des élus wallons.
S’agissant au regard des dispositions du Traité de Lisbonne d’un Traité mixte puisqu’il outrepasse le domaine du commerce extérieur qui relève de la compétence communautaire de l’Union, il se devait qu’il soit ratifié par tous les Parlements des États membres. Une interprétation qui n’était pas acquise dès le lancement de sa négociation par la Commission européenne. On peut y voir un manque de respect du principe de subsidiarité de sa part. La décision des Institutions européennes d’appliquer provisoirement le Traité CETA dès sa signature, autrement dit sans attendre l’assentiment parlementaire, explique la position du gouvernement de la Région wallonne. Le CETA signé en 2016 entre l’Union européenne et le Canada est entré en vigueur en septembre 2018 sans être ratifié par l’ensemble des Parties à l’Accord. Les incertitudes à propos de cette dernière phase ne manquent pas. Le temps à moyen terme du « provisoire » fait penser à la technique de la marche forcée. Il s’agit de mettre un pied dedans sans avoir la garantie de l’aboutissement. Il s’ensuit une situation d’insécurité juridique pour les signataires, les personnes et groupes concernés par l’Accord. Sans sécurité juridique la démocratie ne saurait véritablement exister. Les élus wallons répondent néanmoins à cette situation par un suivi post-signature avant ratification. Ce contrôle, au vu de la longueur du processus de ratification imposé à l’ensemble des Membres de l’Union, risque de devoir faire face aux postions nouvelles engendrées, suite à des élections, par une modification des rapports de force au sein de l’Assemblée parlementaire. La coalition au pouvoir à présent en Région wallonne a changé. Le présent Parlement wallon a approuvé fin février 2018, majorité contre opposition, une résolution fixant un ensemble de balises pour les futurs traités de libre-échange négociés par l’Union européenne. La Commission européenne, de son côté, a promis de donner accès aux mandats de négociation des futurs Traités de libre-échange.
La Région wallonne ne procèdera cependant pas à la ratification du Traité CETA avant que la Cour de Justice de l’Union européenne se soit prononcée quant à la compatibilité de ce Traité avec le droit européen. Pour sortir de l’impasse de la signature, le gouvernement fédéral a accepté, à la demande de la Région wallonne de poser à la Cour de justice européenne une question préjudicielle au sujet des juridictions d’arbitrages privées. Or, le mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et États (International Court System – ICS) est retenu dans de nombreux traités. Plusieurs accords d’investissements signés entre États membres de l’UE contiennent déjà une clause ISDS, l’ancêtre de l’ICS. La Cour de Justice européenne ne s’est pas encore prononcée. Selon elle, toutefois, la clause d’arbitrage que contient l’Accord conclu entre les Pays-Bas et la Slovaquie sur la protection des investissements est contraire au droit de l’UE. On sait à présent que l’actuel gouvernement italien a déclaré ne pas vouloir ratifier le Traité CETA. Les incertitudes pèsent de plus en plus lourd.
Les facteurs favorables à l’expression du phénomène de rejet du Traité relèvent de différentes causes : l’évolution, d’abord, de la nature des Accords commerciaux qui n’ont plus de commercial que le nom. Car ils sont devenus globaux. Par conséquent, la palette des dossiers d’échanges internationaux qu’ils ouvrent s’étend à la sphère des questions domestiques. Ce caractère global a également pour effet de modifier les règles de procédure relatives à leur négociation. Strictement commercial, le Traité CETA – n’aurait engagé que les Institutions européennes (Commission, Conseil, Parlement européen). Ce que voulait la Commission européenne. Mixte, l’ensemble des Parlements des États membres doivent procéder à sa ratification. Le refus de l’un seul d’entre eux suffit à l’anéantir. Aussi, chaque Parlement peut se transformer en « veto group » Les Parlements des entités fédérées de la Belgique disposent formellement d’un pouvoir équivalent à celui d’un Parlement national. Chacun d’eux peut donc bloquer l’entrée en vigueur d’un Accord de cette nature. Secundo, l’enseignement tiré d’expériences étrangères. Le blocage de la signature du Traité ne résulte pas de l’improvisation. La négociation du Traité CETA a été précédée par celles de l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) et celle du TTIP qui poursuivent une même logique, reprennent des dispositions comparables. Elles ont provoqué des réactions de la société civile dont les parlementaires, grâce à la transnationalisation de la vie parlementaire internationale, ont été avisés. Tertio, la durée de la négociation. Plus de 10 ans se sont écoulés depuis le mandat de négociation. Le délai passé entre le lancement des négociations et l’étape de la signature leur a permis aux élus wallons de s’informer et de multiplier les contacts, les entretiens, les informations sous forme d’auditions et autres avec les personnalités en charge de ce dossier au sein des Institutions de ‘Union européenne, avec des experts, des ONG… Dès l’année 2015, auditions, questions orales et écrites, résolutions se succèdent. Le Comité d’avis chargé des questions européennes reçoit parlementaires, représentants des forces vives, le monde agricole, la Coordination nationale pour la coopération au développement, des personnalités entendues au nom de l’Union européenne et du Canada (qui a été confronté à l’expérience de l’ALENA) L’audition de P. Defraigne, ancien chef de cabinet du Commissaire au commerce P. Lamy qui a porté un regard critique sur les Traités TTIP et CETA et n’a pas ménagé la politique commerciale de l’actuelle Commission européenne a eu de l’influence sur les élus. Les parlementaires ont donc eu l’avantage, grâce aux expériences antérieures vécues ailleurs, aux apports d’experts issus d’un large éventail de milieux et un ensemble des personnalités de haut rang de bénéficier d’un apprentissage consolidé et d’une information utile à la détermination de leur position. Ces éléments ont favorisé la pratique de la vigilance et permis de développer une capacité d’analyse stratégique. La société civile a largement participé au mouvement en organisant une Plate-forme, en mettant sur pied débats publics et pétitions dans les Régions… Le résultat s’est traduit par un accord complémentaire avec le Canada et 35 déclarations conjointes avec la Commission européenne, un accord interne entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées avait été conclu pour sortir de la crise.
Les difficultés connues au moment de la signature du Traité CETA contredisent-elles l’idée selon laquelle il est particulièrement difficile de s’inscrire dans un vent contraire ou de manifester de l’opposition aux orientations prises par une OIG à vocation autre que sectorielle ou technique parce qu’elle véhicule un modèle supposé ne pas pouvoir être remis en cause ? Les obstacles étaient nombreux : le manque transparence des négociations tenues secrètes, l’absence d’informations pertinentes, le volontarisme de la Commission européenne décidée à promouvoir le libre-échange élargi aux barrières non tarifaires. Les négociations dévoilent les accointances avec le monde des affaires et les banques ayant eu accès à l’information relative au déroulement des négociations dès leur lancement. Le déroulement interpelle certains à propos d’une pétition introduite auprès de la Commission contre le mandat de négociation. Elle a été jugée irrecevable au motif qu’un mandat n’est pas un document. Le chiffre exigé d’un million de citoyens était atteint. L’attitude des élus wallons met en évidence l’enchaînement des effets sur d’autres provoqués par un réfractaire à l’heure où les interdépendances sont fortement structurées. Il fait la démonstration que les élus régionaux et locaux (on le vérifiera pour ces derniers dans les lignes qui suivent) – quand une série de conditions sont réunies – ne sont pas impuissants dès lors qu’une décision internationale dictée par les exigences de concurrence entre blocs commerciaux suscitée par la mondialisation donne le sentiment de porter atteinte au quotidien de la population qu’ils ont vocation à défendre. Ce, quitte à créer une fracture en se désolidarisant d’autres échelons de pouvoir gouvernés par des formations politiques soutenant – en raison de l’idéologie à laquelle ils adhèrent – des options favorables à l’Accord prévu. : Le Parlement flamand a rapidement ratifié le CETA… Le Parlement belge, également… Le terrain était propice à un clivage entre le fédéral et certaines de ses composantes et entre les entités fédérées elles-mêmes parce qu’il existe des positions différentes face à la mondialisation économique. Elles ne sont pas entièrement nouvelles. On est tenté ici de rappeler que le Roi et la Reine des Belges, le Premier Ministre, le Ministre-Président de la Flandre se rendent au Forum économique mondial de Davos alors que régulièrement les Ministres – Présidents de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale le boudent au motif qu’ils n’y voient pas d’opportunité. La culture économique, sociale et politique explique les différences de représentation quant à la mondialisation et aux Accords commerciaux qu’elle engendre. La Région flamande y voit, contrairement à la Région wallonne « un bon accord commercial pour une économie ouverte et exportatrice comme l’est celle de la Flandre ».
Les bilans obtenus par la Région wallonne est brièvement résumé en ces termes par le porte-parole de la CNCD : « L’instrument interprétatif du CETA et la déclaration intra-belge ont permis de clarifier certains points et d’introduire plusieurs balises fondamentales. Toutefois, le CETA ne peut représenter un « modèle », car il comporte un déséquilibre fondamental entre, d’une part, les droits contraignants des firmes transnationales garantis par la clause d’arbitrage et, d’autre part, leurs devoirs dénués de mécanisme de sanction en matière de respect des normes sociales et environnementales. »25 La contestation du Traité CETA provient de la suspicion qu’une fois mis en œuvre, il serve de jurisprudence pour les Traités suivants. Une résolution du Parlement wallon déposée par la nouvelle majorité le 28 février 2018établit de nouvelles balises pour le futur du Traité : Il reprend ainsi la proposition de la France de réserver aux États un droit de veto afin d’empêcher les investisseurs d’aller en recours contre des mesures relatives à la lutte contre le dérèglement climatique. Le texte étend cette demande de protection à la lutte contre le dumping social ou fiscal. Le texte impose aussi au Parlement wallon de faire rapport sur tous les accords en cours de négociation, signés ou ratifiés.
L’extension de la contestation à d’autres collectivités locales
Le refus local au sujet des Accords de libre-échange de nouvelle génération a trouvé à s’exprimer par d’autres voies que celle poursuivie par la Région wallonne. La question de la démocratie fait partie des arguments soulevés. Il est reproché à ces Accords d’étendre le champ de la libéralisation des échanges avec pour effet de restreindre la marge de manœuvre politique et l’espace réservé au débat public à travers la mise en œuvre de mécanismes de règlement des différends (ISDS ou sa nouvelle formule, l’ICS). Les processus de coopération en matière de réglementation sont aussi incriminés. Du point de vue de la démocratie économique et sociale, ces textes bafouent les droits économiques, sociaux, environnementaux. Plus de1500 autorités locales européennes ont adopté des motions déclarant leur collectivité hors TTIP -CETA-TISA –26 ou faisant partie au minimum état de leur préoccupation concernant ces Traités. Une première rencontre paneuropéenne de ces collectivités territoriales a eu lieu à Barcelone les 21 et 22 avril 2016 dans le but de lancer un large mouvement d’actions locales à travers l’Europe qui réclame le maintien des droits acquis et à la démocratie qui les accompagnent. Cette rencontre a été suivie quelques jours plus tard d’une autre le 25 avril 2016. En Belgique 85 collectivités se sont déclarées « hors zone » A Bruxelles, 18 communes sur 19 se sont prononcées contre ces Accords.
L’extension de la démocratie participative à la question de l’Europe : un trompe-l’œil ?
Il existe des formules qui devraient limiter les effets du désintérêt pour l’Europe. Ainsi, le citoyen de l’Union européenne ou toute personne résidant dans un Etat membre peut adresser au Parlement européen, individuellement ou collectivement, une pétition au sujet d’une question relevant d’un domaine de compétence de l’Union européenne et le concernant directement. Les entreprises, associations ou organisations peuvent exercer ce droit de pétition, garanti par le Traité, si elles ont leur siège dans l’Union. Ce droit est très inégalement utilisé. On remarque que quelques lobbys ou personnes initiées y recourent régulièrement. La distance voire la méfiance vis-à-vis des élus ne faiblit pas alors que des instruments pour y remédier existent. Les sujets domestiques font l’objet d’expériences participatives. L’aménagement du territoire, notamment. Par contre, pour ce qui concerne l’Europe ou l’étranger, ce type d’expérience est rare. Le Parlement de la Communauté française de Belgique (Fédération Wallonie-Bruxelles) a cependant lancé en 2017 une opération « Parlement citoyen » chargé de se prononcer sur le Livre Blanc de la Commission européenne qui présente cinq scénarios pour le futur de l’Europe. L’idée était d’informer les citoyens participant, de leur expliquer – grâce à l’intervention de spécialistes de la question européenne – les façons dont l’Europe peut évoluer, de leur permettre de s’exprimer et, par la même, de comprendre à quel point le processus de décision peut s’avérer difficile. Aussi, 94 belges francophones ont été appelés à jouer le rôle qui reviendrait à leurs 94 députés. L’expérience s’est soldée par l’adoption d’une résolution citoyenne sur l’avenir de l’Europe. Le texte a été présenté en séance plénière aux députés du Parlement de la Communauté française et transmis au Parlement européen.
Le consensus permissif consistant pour les citoyens nationaux à donner leur approbation tacite sur le projet européen a été abandonné à partir des années 2000 avec l’organisation de referendums sur la Constitution européenne… sur le Brexit. Une nouvelle forme de rapprochement du citoyen de l’Europe a vu le jour à l’initiative d’un Parlement d’une composante de l’Etat qui a trait à l’avenir de l’Europe. Elle a le mérite de l’apprentissage. Encore faut-il, pour ce faire, que l’expérience se répète. À défaut de cela, la démocratie locale ne saurait aller ; pour ce qui concerne la construction européenne, au-delà de la démocratie du coup par coup ou du « coup politique » parlementaire ou encore de l’illusion de participer à l’élaboration du projet. Arriverait alors cette question posée par V. de Coorebyter : « … butons nous, encore et toujours sur le malentendu démocratique, par excellence, celui qui fait croire au citoyen que sa volonté personnelle est souveraine et doit être suivie d’effets, alors que la souveraineté populaire suppose au contraire que la volonté d’un seul ne pèse pas en tant que telle et n’emporte la décision que lorsqu’elle est partagée par un grand nombre »27. Il s’agit là d’un défi de plus auquel les élus locaux sont confrontés.
– Vers un tournant ?
Les élus locaux n’échappent pas à la coexistence du mondial et du local à laquelle ils doivent offrir une réponse en tant que représentants de la population qui les a portés au pouvoir. Leur positionnement par rapport à cette obligation de plus en plus pressante diffère grandement : les uns se projettent dans la mondialisation avec le sentiment que cette attitude d’ouverture sur l’extérieur leur est favorable au regard des qualités dont dispose leur territoire et de leur projet d’avenir. Dans ce cas, intérêt local et offre mondiale coïncident. Les élus flamands incarnent ce type de modèle qui apparait en phase avec le processus de construction de l’identité de la Flandre. La grande majorité des Parties au Traité CETA soutiennent les orientations de dernier.
Les élus wallons choisissent d’affirmer l’identité de la Wallonie sur la scène extérieure en s’appuyant sur un autre mode sans renier le libre-échange, toutefois. Le poids de la mondialisation ne devra pas déposséder la Région du modèle économique et social européen, et de sa culture politique. Les élus déploieront tous les moyens dont la Région dispose du local au transnational pour barrer la route au Traité CETA et mettre son veto à la signature de cet Accord par la Belgique au prix de sanctionner les autres Parties. La société civile s’est largement manifestée à ses côtés. Des élus locaux en provenance de nombreux pays européens mais qui ne disposent pas de la capacité internationale dont sont dotées les entités fédérées de Belgique s’opposent aux Traités de commerce multilatéraux de nouvelle génération et se déclarent « hors zone » de ceux-ci. Ils s’organisent au niveau européen.
Les Organisations internationales se rapprochent des élus locaux en leur ouvrant leurs portes ou en adoptant des textes favorables à la décentralisation associée aux idées de démocratie locale et de proximité qui bénéficient d’une véritable aura. Elles contribuent ainsi à renforcer leur propre légitimité tout en incitant les États à l’adoption de structures de dimension locale. Parfois leurs efforts dans ce sens feront l’objet d’un contrôle suivi. Par ailleurs, les Organisations internationales adoptent des normes contraignant de plus en plus les collectivités locales au point de les empêcher répondre aux besoins de proximité de leur population, l’Union européenne principalement.
L’idée de « désobéissance européenne » a été lancée. En Grèce, Varoufakis, ancien ministre des finances, a créé en mars 2018 un nouveau parti de « désobéissance européenne ». En outre, des élus locaux pensent ou entendent recourir à la désobéissance en matière de marché public, notamment. Pour sauver l’Europe, un mouvement, Democracy in Europe Movement 2025 » (DiEM25) a été lancé. Il invite les collectivités locales, régionales et les gouvernements à pratiquer la « Désobéissance Constructive » La désobéissance de la Wallonie à propos du Traité CETA, la menace du gouvernement italien d’exercer son veto à propos du budget de l’UE sont cités en exemple au motif qu’ils font face à l’autoritaisme de l’Union et l’empêchent de mener des politiques jugées inéfficaces.
Les élus locaux s’emparent de questions de politique mondiale, individuellement et collectivement. Ils fréquentent les autorités d’Organisations internationales spécialisées, à cet effet. Ils se montrent capables de prendre en charge la dimension internationale des politiques publiques qui les concernent. Ils les abordent avec une approche concrète et pragmatique. Ils ne cherchent pas à apporter de nouvelles thématiques à l’instar de ce que font les OING. qui dès lors sont sollicitées par les OIG.
Les négociations des Traités multilatéraux de commerce, l’action des élus wallons a eu plusieurs effets : ces élus ont sensibilisé l’opinion publique, ils ont obtenu quelques assouplissements du Traité, ils ont dévoilé le parti à tirer de leur capacité internationale, ils ont tenu en haleine le pouvoir fédéral, l’Union européenne et les autre États parties à l’Accord, ils ont obtenu un engagement de la Commission européenne en faveur de plus de transparence dans les négociations futures, ils ont veillé à faire comprendre que le CETA ne pouvait faire jurisprudence et, à ce titre, servir de modèle. Toutefois, la multitude d’intervenants – en amont, durant et en aval des négociations – ainsi que la longueur de celles-ci produisent un cumul de zones d’incertitude. Au caractère provisoire du Traité CETA viennent s’ajouter les situations provisoires (avis de la Cour de justice de l’Union européenne, ratifications…) et les conditions nouvelles introduites par les Parties au Traité.
Les procédures de négociation des Traités commerciaux multilatéraux s’éloignent de la culture postmoderne où prévaut le court terme, voire l’immédiat, et s’accommode de la volatilité. Elles ne collent pas à l’air du temps La globalisation se caractérise par quatre « i » : la tendance à l’instantanéité, l’interconnexion, l’interchangeabilité et l’interdépendance.28 Le monde dans lequel les négociations du Traité CETA se sont déroulées fait penser à celui de l’état de nature que Hobbes décrivait comme étant celui où chacun subit l’inconfort de pouvoir garder ce qu’il a obtenu aussi longtemps qu’un autre ne venait pas le lui retirer. La démocratie est-elle compatible avec un tel monde ? La démocratisation des négociations internationales appartient-elle à un horizon encore lointain ?
1 J.-M. Pontier, « Les affaires locales », dans S. Regourd, J. Carles, D. Gignard, La décentralisation 30 ans après, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2013, pp. 145-164.
2 J.-M. Pontier, op.cit.
3 Ph. Braud, Science politique, 1. La démocratie, Paris, Edition du seuil, 1997, p. 206.
4 Ph. Braud, idem.
5 Anna Dimitrova, op.cit.
6 En Belgique, un prix citron avait été créé. Il était discerné aux membres de l’Assemblée nationale les moins présents au Parlement. Les élus très actifs sur le plan local et récoltent, par conséquent de nombreuses voix ont été désignés en tant que lauréats de ce prix. Ce qui montre la préférence des citoyens pour le local saisi dans sa dimension subjective.
7 Regards sur l’actualité n° 331, La Documentation française, mai 2007 (éditorial).
8 B. Muller, « Comment rendre le monde gouvernable sans le gouverner : les Organisations internationales analysées par les anthropologues », Critique internationale, Presses de sciences Po (P.F.N.S.P.), 2012/1, n° 54, pp. 9-18.
9 Idem.
10 Le Comité européen des Régions (CdR) est un organe consultatif de l’Union européenne. Il est composé de représentants élus au niveau local et régional provenant des 28 États membres. Il permet à ces représentants de donner leur avis sur la législation européenne qui concerne directement les pouvoirs locaux et régionaux.
11 La Conférence des Pouvoirs locaux et Régionaux est une assemblée politique composée de 636 élus (318 titulaires et 318 suppléants). Ils sont conseillers régionaux et municipaux, maires/bourgmestres (ministres –) présidents de région. Ils représentent plus de 200.000 collectivités de 47 pays européens.
12 Vers une régulation mondiale ? Enquête d’opinion, Commission européenne, Flash, Eurobaromètres 151 b, Mondialisation, 2003.
13 M. Crozier, Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil, 1963.
14 A propos de l’évolution du rapport entre la catégorie du notable et celle du spécialiste, voyez : Jean Joana, Pratiques politiques de députés français au XIXe siècle. Du dilettante au spécialiste, Paris, L’Harmattan, 1999.
15 J.-M. Pontier, « Les affaires locales » dans S. Regourd, J. Carles, D. Guignard, La décentralisation 30 ans après, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, 2013, pp. 145-164.
16 A. Fergane et C. Courlet, « Gouvernance et dynamiques territoriales », Actes du colloque international de Constantine, 26 et 27 avril 2003, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16.
17 Ph. Subra, « Défendre et construire : les élus locaux et les politiques locales d’aménagement du territoire face aux défis de la mondialisation » Intervention prononcée le 14 janvier 2008 lors du colloque de la Fondation Res Publica, « Territoires et classes sociales en France dans la mondialisation ».
18 J. Smulders, « Le profil des parlementaires néerlandophones 2015 », Courrier hebdomadaire, n° 2343, LE CRISP, Bruxelles, 2016, 52 p.
19 V. de Coorebyter, La citoyenneté, Dossier du CRISP, n° 56, Bruxelles, p. 138.
20 P. Wynants, M. Paret, E. Rousseau, « Le profil des parlementaires francophones en 2015 », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2303, LE CRSIP, Bruxelles, 2016 ; 53 p.
21 Institut Jules Destrée, « Les ressorts d’une démocratie wallonne renouvelée. Du mouvement wallon à la Wallonie en mouvement » Ch. De Visscher, Ph. Destatte, M ; Dewez, Rapport préliminaire, 12 novembre 2015.
22 Egmont Institute, European Policy Brief, Nr. 28, Mars 2014.
23 P. Magnette, CETA. Quand l’Europe déraille, Éditions Luc PIRE, Bruxelles, 2017,160 p.
24 Ch.-E Lagasse, « Le système des relations internationales dans la Belgique fédérale, Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, 1997, 63 p.
25 https://www.cncd.be/Les-desequilibres-du-CETA.
26 IRW/CGSP "Rencontre européenne des villes et communes hors TTIP-CETA- TISA",25 avril, 2016 https://www.ircgsp.be
27 V. de Coorebyter, op.cit., p. 138.
28 A. Dimitrova, op. cit.
Ph. Braud, Science politique, 1. La démocratie, Paris, Editions du Seuil, 1997.
V. de Coorebyter, « La citoyenneté », Dossier du CRISP n° 56, 2002.
Anna Dimitrova, « Le « jeu » entre le local et le global : dualité et dialectique de la globalisation », Socio-anthropologie [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 24 novembre 2006, consulté le 08 décembre 2018.
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Ch.-E ; Lagasse « Le système des relations internationales dans la Belgique fédérale », Courrier hebdomadaire du CRISP n° 1549-1550, Bruxelles, 1997
P. Magnette, CETA. Quand l’Europe déraille, Éditions Luc Pire, Bruxelles, 2017.
Fr. Massart-Piérard, « Les entités fédérées belges dans les relations internationales : des relations internationales peu paradiplomatiques », dans Le Fédéralisme en Belgique et au Canada sous la dir. de B. Fournier et M. Reuchamps, De Boek supérieur, Louvain-La Neuve, 2009, pp. 171-183.
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D. Verstraete, S. Devillers, R. Dandoy, J. Dodeigne, V. Jacquet, C. Niessen, M. Reuchamps, « Les rôles, fonctions et choix politiques des bourgmestres en Wallonie et à Bruxelles », Courrier hebdomadaire n° 2376, Bruxelles, Le CRISP, 2018, 49 p.