DOSSIER : PROPAGANDES ET MANIPULATIONS
Pandémie du Coronavirus et propagande : enseignements d’un lien singulier
Françoise Massart-Piérard est professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain docteur en sciences politiques et sociales (UCL). Elle a dirigé l’Unité des Relations internationales du Département des sciences politiques et sociales (UCL). Ses publications portent sur l’Europe des Régions, la politique extérieure des entités fédérées, les paradiplomatie et protodiplomatie, les espaces culturels et linguistiques internationaux (la Francophonie, en particulier). Elle est l’auteur, entre autres, de L’Europe en tous ses Etats : entre mythe et contrainte communautaire ?
Introduction
« Depuis qu’il y a des compétitions politiques, c à d depuis l’origine du monde, la propagande existe et joue son rôle » (J.-M. Domenach). De manière générale, guerre et propagande entretiennent des liens étroits. La pandémie du coronavirus est associée à une guerre qui n’en est pas une -elle n’est pas militaire-, qui en est une parce qu’elle se déploie contre un ennemi inconnu mais particulièrement tueur. Cette hybridation provoque -t-elle, comme c’est le cas pour une guerre classique, l’assistance de la propagande ? De laquelle ? La survenance de la pandémie de la Covid-19 s’accompagne de la diffusion extrêmement large de l’usage du mot guerre. Il est omniprésent. Il envahit le quotidien de tous. Dirigeants politiques, représentants des Organisations internationales, media, réseaux sociaux sont friands de ce terme. Cette observation invite à se pencher sur la question de la propagande, elle aussi, régulièrement évoquée durant cette crise sanitaire. Les définitions de la propagande sont nombreuses. La propagande est selon les auteurs étendue tantôt à la communication, tantôt à l’information, tantôt à l’influence, tantôt à l’attraction voire à la diplomatie… Au vu de ses développements nombreux et des glissements de sens opérés, la propagande sera ici entendue de manière générique.
La pandémie de la Covid-19, eu égard, aux pandémies précédentes opère un tournant. Trois singularités au moins la caractérisent : le fait qu’elle soit, associée à la guerre, celui qu’elle constitue une fenêtre d’opportunité pour beaucoup : les Etats désireux de faire la démonstration de leur puissance et de s’imposer sur la scène mondiale, les Institutions internationales soucieuses de renforcer leur légitimité morale et fonctionnelle, les personnes et les groupes en attente d’exprimer leurs orientations diverses, à quoi s’ajoute sa dimension planétaire. Quelle est la portée de ces traits sur la propagande alors que la Covid 19 se trouve confrontée à des particularités qui sont dues à la nature de la menace, à sa dimension, aux inconnues et incertitudes qu’elle produit, aux acteurs extrêmement nombreux et différents qu’elle mobilise, aux réactions contradictoires qu’elle provoque, à la combinaison des moyens de propagande qui sont utilisés, aux instrumentalisations qu’elle provoque ? La propagande modifie- t-elle la relation ami- ennemi qui est au cœur des relations internationales et constitue aussi un principe-clé de la propagande ? Le côté paradoxal de la crise sanitaire en cours sera souligné : La pandémie suscite l’hostilité alors que pour lutter contre elle la coopération s’impose et qu’elle surgit dans un contexte d’interdépendance.
Qu’advient-il du croisement de la pandémie du coronavirus et de la propagande ? Fait-il la différence ? Une première analyse est proposée dans les lignes qui suivent .Aller plus loin serait hasardeux au vu de l’immédiateté de l’épisode et sa fluctuation répétée. L’actualité n’a, en effet, pas dit son dernier mot.
I -La propagande d’un temps à l’autre
A- La propagande entre psychologie et Relations internationales
La propagande correspond selon le Centre national de ressources lexicales à une action psychologique mettant en œuvre tous les moyens d'information pour propager une doctrine, créer un mouvement d'opinion et susciter une décision. Le pouvoir des images de la réalité (et non pas le monde réel) est tel qu’il détermine le comportement des décideurs politiques et ce, en matière de politique internationale. Pour construire les images ou pour les améliorer, la propagande est un instrument d’ordre psychologique privilégié. L’image qu’un pays a de lui importe. Ainsi, le retard pris par la France dans la course à la vaccination donne le sentiment d’un déclassement général de l’Etat en matière sanitaire. Il en est même lorsqu’il s’agit de renverser ou de corriger l’image négative véhiculée par des pays tiers. L’actualité le confirme. La Chine s’est lancée dans une guerre de l’information à propos des origines de la pandémie auprès des réseaux sociaux et auprès de l’OMS. Elle a réécrit son histoire pour convaincre le monde que le point de départ de la pandémie se trouvait aux Etats-Unis. En outre, l’objectif de la propagande chinoise a été au début de la pandémie de profiter de l’argument de sa bonne gestion de la crise sanitaire pour pousser les autres pays frappés par la pandémie à reconnaître la valeur de son régime avec l’espoir qu’ils en viennent à se rapprocher de son modèle et à le soutenir. Cette quête de la part de la Chine n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit sur le sentier qu’elle parcourt depuis qu’elle pratique le soft power. L’amélioration de son image internationale demeure une priorité. Une image avantageuse de son régime assurerait la légitimité du Parti communiste et limiterait le risque de devoir affronter l’attraction d’idéologies occidentales dans le pays.
En 1931, W. Biddle donne une définition psychologique de la propagande. Il apporte deux éléments-clés :il s’agit d’un moyen de contrôle social, il s’agit aussi de techniques amenant l’individu à se laisser aller à des motivations émotives. Par ailleurs, Biddle retient parmi les grands principes dont dépend le succès de la propagande la nécessité de la fonder sur l’opposition entre un “nous” et un ennemi. L’auteur invite à cibler les groupes autant que les individus. La relation ami-ennemi qui, comme l’indique cet auteur, relève de la psychologie se trouve aussi au cœur du politique, de la politique étrangère et des relations internationales. M. Brecher avec son approche perceptuelle ou psychologique accorde une importance majeure à l’image de la situation internationale chez les décideurs. La variable individuelle est ici privilégiée. Un bref rappel historique illustre la double appartenance de la propagande à la psychologie et aux Relations internationales.
B- Aller et retour de la propagande : la perception de la menace comme explication
Le facteur situationnel influence la perception de menace qui, elle-même, détermine le recours ou non à la propagande. La propagande fluctue en fonction de l’environnement international qui détermine à son tour son orientation ou sa réorientation. Tôt, apparaissent les traits de la propagande connue actuellement. A l’époque de la première guerre mondiale, les objectifs de la propagande sont le recrutement des soldats et l’obtention du soutien de la population à l’effort de guerre. A l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, un organe de propagande chargé de préparer mentalement le pays à la guerre, le « Commitee on Public information » (CPI), est mis sur pied par le Président W. Wilson. Outre qu’elle mène au départ une propagande classique, cette entité introduit la propagande d’information. Elle peut être envisagée comme une proto-diplomatie publique. La United State Information Agency (USIA) fondée sous la présidence d’Eisenhower est inspirée de son modèle. Cette New Diplomacy recherche l’objectivité de données et l’exactitude des chiffres qui sont fournis en abondance. Ce qui donne confiance. Le CPI lance la propagande culturelle massive afin de propager, comme l’explique Schuwey, une belle image des États-Unis, de ses idées et de sa culture à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Durant la deuxième guerre mondiale, la propagande est chargée de provoquer la haine de l’ennemi par l’utilisation de la technique de la diffusion de fausses nouvelles et de celle de la désinformation. Au lendemain de cette Guerre, la propagande associée au totalitarisme du vaincu a mauvaise presse aux Etats-Unis. Mais, au vu du rôle qu’ils sont appelés à jouer sur la scène internationale leur image devient un élément déterminant. Le changement de l’environnement international lié à l’avènement de la Guerre froide conduit donc les autorités américaines à réintroduire la propagande malgré les fortes réticences de la population. La création d’un organe chargé de diffuser des informations à l’international afin d’orienter les opinions publiques mondiales, s’impose. Le Président Roosevelt a pour ce faire lancer la station de radio Voice of America (voix de l'Amérique) qui lui permet de s’imposer dans la guerre radiophonique. Celle-ci pratique ce que les Américains appellent la "diplomatie publique", une communication tournée vers les populations et destinée à donner une image favorable des USA et de leur système. La propagande, alors, veut se distinguer de la propagande du temps de guerre. Ce pourquoi, elle est reformulée. Elle se fonde sur l’opposition entre un ennemi cruel et barbare d’une part, la Russie et une nation américaine incarnant la civilisation grâce aux qualités de son identité propre, d’autre part. La propagande joue, ce faisant, sur la composante affective de l’influence par les images. La recherche d’une image séduisante grâce à la propagande est une stratégie qui n’a de cesse de s’imposer. Nombreux sont le pays qui jouent la carte de la diplomatie culturelle. Parmi eux, la Chine qui essaime ses très nombreux centres Confucius à travers le monde. Ces instituts sont voués à la diffusion de l'image d'un pays stable, pacifique et civilisateur. Ce pourquoi, les sujets qui fâchent sont écartés en leur sein. A présent, la propagande arrose les réseaux sociaux. Elle est consacrée à la découverte d’alliés et à la provocation de l’opposition de la part des mouvements politiques, économiques ou sociaux rejoignant de la sorte, elle aussi, la logique de l’ami-ennemi. La guerre psychologique recourt au « soft power » (autrement dit la puissance douce). La mondialisation, à l’origine des problèmes transnationaux, favorise le recours à ce type de puissance. Ces problèmes appellent une réponse globale. Une pandémie est de ceux-là. Le soft power est par définition non coercitif. Autrement dit, l'habileté à « séduire et à attirer » selon Joseph Nye créateur en 1990 de cette expression résulte du prestige, de l’image donnée, des liens assurés avec l’étranger et les diasporas, de l'attraction du modèle culturel, de celle du modèle politique. S’y ajoute l’aide internationale bilatérale, un facteur d’influence qui ne date pas d’hier : Stratégiquement, le plan Marshall a été conçu de manière telle à ce que les pays d’Europe qui sont les grandes victimes de la Guerre ne tombent dans le communisme. Il était à craindre que les citoyens américains refusent pareille aide. Aussi, le discours prononcé à ce sujet par le Secrétaire d’Etat Marshall joue sur l’image généreuse de l’Amérique, un pays désireux de voir apparaître un monde meilleur.
Le recours à l’influence est intensément pratiqué durant la pandémie actuelle. Il l’est en particulier par les Etats attentifs à leur position sur la scène mondiale. La propagande a basculé vers l’influence dans le but d’obtenir des comportements favorables et pouvoir se faire des alliés dans les Organisations internationales. Cela permet de peser sur l’agenda politique international. L’influence se différencie du pouvoir d’attraction en ce sens qu’un Etat peut être influencé par un autre pratiquant le soft power sans pour autant subir son attraction. Tous les Etats n’interprètent pas le soft power de la même façon. Ainsi, le soft power russe sert davantage à miner l’adversaire qu’à grandir son image. La Chine populaire se démarque par le cumul d’un ensemble de critères relevant du soft power : performances économiques, échanges commerciaux, communication (langue internationale), attractivité de sa culture (large couverture des Centres Confucius), diffusion de sa technologie, place dans les Organisations internationales, aide internationale bilatérale. L'Inde a tenté d'instrumentaliser la production du vaccin (60 % des vaccins mondiaux) comme outil diplomatique pour accroître face à la Chine son influence dans la région. Dans le cadre de l’actuelle pandémie, Pékin compte sur sa diplomatie sanitaire pour affaiblir l’inimitié des pays de la région qui voient d’un mauvais œil ses ambitions territoriales et maritimes, d’une part et d’autre part, avancer plus encore sur la voie diplomatique pou progresser dans le cadre de la réalisation de son projet mondial "la Ceinture et la Route" attaché au développement de l'infrastructure mondiale. Un projet de route de la santé inspiré de la « Route de la soie » lui a été soufflé par l’OMS. Cela dit, jusqu’à présent, ni l’Inde ni la Chine n'ont obtenu de gains politiques majeurs grâce à la diplomatie du vaccin. Celle-ci s’est dramatiquement retournée contre l’Inde.
C- Facteurs (dé)favorisant le recours à la propagande en temps de pandémie
1-La perception du climat général de l’époque : une comparaison
Toute pandémie ne suppose pas un appel à la propagande. Une comparaison entre la pandémie de la grippe de Hong Kong et celle endurée aujourd’hui apporte une information intéressante au sujet de facteurs expliquant les raisons du recours ou non à la propagande. La première pandémie l’ignore en grande partie tandis que la seconde, au vu de son intensité, de sa généralisation et de sa lourdeur explique la création d’un néologisme issu de la contraction des termes information et épidémie : celui d’«infodémie» qui se caractérise par une surabondance d'informations de véracité très variable.
Des points communs existent entre les pandémies de 1968 et celle qui a démarré officiellement en 2020. La crise sanitaire est planétaire en 1968, déjà. Certaines des mesures prises se ressemblent : fermeture de certaines écoles, fermetures d’usines…La grippe de Hong Kong est due, elle aussi, à un virus inconnu. Personne n’y est préparé. Le manque de moyens est manifeste… Toutefois, en France, les gouvernants ne s’inquiètent pas de cette grippe qui a fait un million de morts dans le monde (75.ooo en France). Elle est dénigrée par une certaine presse. De manière générale, les media à l’époque passent la pandémie sous silence. Les experts ne mesurent pas sa portée.
La mobilisation de la propagande est, on le remarque, une affaire de perception de la pandémie et de son virus, de la situation nationale et internationale également. Plusieurs éléments expliquent l’absence de propagande en 1968 : outre l’attention portée à d’autres sujets nationaux et internationaux, il faut noter l’atmosphère d’optimisme liée au contexte économique des Trente glorieuses, la confiance en la médecine, l’acceptation de la mort à un âge peu avancé (65 ans). La qualité de la situation économique et sociale est un facteur déterminant. Le moral de la population s’en ressent. En définitive, il dépend du climat général ambiant. Le contraste sur tous les plans entre les deux pandémies saute aux yeux : absence de propagande en 1968. Une épidémie de plus, l’infodémie, à présent. Un climat rassurant en 1968. La prise de conscience des nouveaux dangers engendrés par la mondialisation, aujourd’hui.
2- La personnalité des dirigeants et les facteurs l’influençant
Le refus de reconnaissance de l’importance de la pandémie de la Covid-19 marque également notre époque. Le président d’extrême droite Jair Bolsonaro participe de ceux qui rejettent son importance. Il qualifie le virus de « petite grippe ». Il s’oppose à la vaccination, interdit le confinement. Il s’insurge contre les « pleurnicheries » de la population. La personnalité de ce leader est déterminante. Sa vision de la pandémie est conforme à celle qu’il a de la société. Bolsonaro place Dieu par-dessus tout. Il est soutenu par les églises évangéliques en ascension au Brésil. La pandémie est perçue comme une fatalité. Elle est voulue par Dieu. Donald Trump tient un discours se rapprochant de celui de son homologue brésilien concernant la gestion de la crise sanitaire. Il affiche indifférence, déni, mensonges et instrumentalisation politique malgré le nombre de personnes contaminées et de décès. Le virus allait, de son point de vue « disparaître par miracle ». Sa priorité est l’économie. Ici encore la personnalité du leader est pointée du doigt : arrogance, cynisme, mépris pour les scientifiques et mensonges…
II - Propagande et pandémie : le coronavirus comme étude de cas
A- La pandémie, une fenêtre d’opportunité au profit de la propagande
Nombreux et divers sont les acteurs saisissant la crise sanitaire au profit de leur intérêt personnel, un intérêt comprenant souvent plusieurs branches.
1-Les Etats
La crise sanitaire mondiale offre une fenêtre d’opportunité inédite dont les Etats se saisissent à des fins parfois fort différentes qui à priori n’ont rien à voir avec un objectif sanitaire :démonstration de puissance, destruction de la cohésion nationale de pays étrangers et atteinte à la cohésion interne d’Organisations telles l’Union européenne ( Russie), objectif stratégique d’accès -par la manière dont la crise a été gérée- au rang de puissance mondiale (Chine), affirmation de la doctrine gouvernementale en vigueur en matière de politique étrangère( isolationnisme belliqueux des Etats unis sous D. Trump),modification de l’image du régime politique et amélioration de son image pour faciliter l’accès à des objectifs de nature géopolitique (Chine), démonstration de solidarité en faveur des pays en développement pour montrer la différence entre ceux-ci et « nous », bienfaiteurs capables, ainsi qu’entre les autres pays qui pratiquent un nationalisme vaccinal et « nous » (Chine, Inde), glorification des ressources naturelles du pays présentées comme des remèdes contre le virus ( Turkménistan et d’autres pays asiatiques : promotion d’herbes médicales chinoises…).
2-Les Organisations internationales
La pandémie donne aussi aux Organisations internationales l’espoir de renforcer leur légitimité fonctionnelle en obtenant des compétences supplémentaires. L’Union européenne vise l’élargissement de son rôle dans la coordination et la coopération internationales. Elle espère pouvoir faire progresser « l’Europe de la santé » encore balbutiante en veillant à une meilleure préparation aux crises et en affermissant sa capacité de riposte. L’UE prévoit ainsi la création d'une Autorité pour gérer les urgences sanitaires. Elle souhaite également que soit octroyé plus de pouvoirs aux Agences existantes (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et Agence européenne des médicaments). Pour la réalisation de ces objectifs, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé, le 11 novembre 2020, un budget de cinq milliards d’euros sur sept ans. L’Union européenne a procédé à une opération de visibilité par la mise sur la table de 2,7 milliards d’euros destinés à l’acquisition de médicaments, vaccins, équipements de protection...et multiplier les initiatives susceptibles d’améliorer son image en termes d’utilité. Dans sa communication intitulée « Construire l’Europe de la santé », la Commission européenne prévoit la mutualisation des commandes de vaccins et de médicaments, la constitution de réserves d’urgence et la mise en place d’une agence de recherche biomédicale. Une Autorité pour la réaction aux urgences sanitaires chargée de nouer des partenariats publics-privés avec l’industrie pharmaceutique et les organismes de recherche devrait, à son initiative, être installée en 2023. L’objectif de recevoir plus de compétences en matière sanitaire est accompagné de celui d’obtenir plus de pouvoir dans le domaine international mais aussi de tirer les leçons de cette pandémie pour développer une souveraineté européenne dans des secteurs clés afin d’éviter la dépendance de l’extérieur et de permettre à l’Union européenne de trouver une place dans l’ environnement géopolitique postpandémie.
3-Les mouvements extrémistes, les mouvances antivaccins et leurs alliés
La propagande est, en cette période de crise sanitaire, saisie au service d’intérêts et/ou de causes sans lien direct avec elle. La Covid-19 est présentée par l’Etat islamique comme un « rude châtiment » imposé par son Dieu à ses « adversaire rebelles », une manière de justifier le plein soutien à la cause djihadiste. Une opération de déviation de la pandémie est ici faite par la propagande djihadiste pour épingler un ennemi étranger (qui pourtant n’a rien à voir avec la pandémie), agiter la menace contre lui, glorifier la cause défendue par elle et la répandre à travers le monde. La pandémie est dans ce cas mobilisée pour alimenter les attaques d’ordre religieux contre les « éternels ennemis ».
Les antivaccins profitent de la pandémie pour élargir leur audience en s’ancrant dans les réseaux sociaux. Une étude de la BBC portant sur sept pays (Brésil, Mexique, Inde, Ukraine, France, Tanzanie, Kenya) indique que les comptes Facebook minés par de fausses informations sur les vaccins connaissent une forte croissance du nombre de leurs abonnés. Les théories s’y trouvant ne sont plus limitées à "des groupuscules marginaux". Des alliances idéologiquement non attendues se forment. Et les théories du complot incorporent les vaccins dans leurs récits, pour faire en sorte de rester pertinentes", note l’ONG First Draft qui a publié un rapport intitulé « Under the surface : Covid-19 vaccine narratives, misinformation and data deficits on social media ». La pandémie permet à ceux se considérant comme des « antisystème », déjà présents avant la pandémie, de grossir la vague de leur influence. En témoigne l’augmentation des échanges en ligne sur les forums extrémistes. Une enquête de dimension mondiale à propos de l’attitude face à la vaccination a été menée par l’Institut Gallup pour le compte du Wellcome Global Monitor en 2018 et publiée en 2019, donc avant la pandémie. Sur les 116 pays étudiés par l’Institut, seuls 38 pourraient atteindre le seuil des 70% de vaccinés. Selon cette enquête mondiale, un Français sur trois doutent de la sûreté des vaccins. Les enquêtes menées en France par le comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination avancent les causes de cette défiance française. Les raisons sont en partie sociologiques : l’existence d’une suspicion à l’encontre des institutions (autorités de santé, industrie du médicament, experts soupçonnés de collusion à la suite de scandales fortement médiatisés) et le fait de la reconnaissance par la loi du droit des citoyens à prendre en charge eux-mêmes les décisions de nature médicale les concernant, une évolution qui a créé un contexte favorable à son invocation. La perception est différente dans les pays africains par exemple où il est évident pour les populations que la vaccination sauve des vies. Il s’avère d’autre part, que le complotisme repose sur un système de croyances difficile à démonter. Malgré l’engagement de nombreuses personnalités (politiques, culturelles, sportives) en faveur de la vaccination contre le coronavirus et les mesures encourageantes (systèmes de loterie avec des prix en espèces pour les résidents qui se font vacciner) prises par les autorités, 78 % des Américains non vaccinés déclarent dans un sondage Gallup (du 7 juin 2021) qu’il est probable qu’ils ne changeront pas d’avis à propos de leur vaccination.
B- Paradoxe de la pandémie du Coronavirus : Division autour d’un enjeu global
L’apparition soudaine à l’échelle planétaire d’un ennemi commun à l’ensemble de l’humanité nécessiterait la construction d’un front mondial pour y faire face. Elle devrait laisser espérer la réalisation des théories des Relations internationales s’appuyant sur le paramètre de la paix et de la coopération internationale. L’école du mondialisme inspirée de la vision idéaliste des relations internationales est favorable à l’unité politique de la communauté humaine. Elle n’est cependant pas prête encore de pouvoir s’imposer. Elle crispe les partisans du réalisme politique. Or, la crise sanitaire mondiale exige, par réalisme, la solidarité. A défaut de celle-ci, son éradication parait difficile sinon impossible. La prise en considération de l’interdépendance entre Etats ne peut être omise. Pourtant, se creuse un fossé entre nationalistes et partisans de la coopération et du multilatéralisme dont les Organisations intergouvernementales et les petits pays sont les défenseurs. La propagande a été enrôlée dans le cadre de cette opposition. Le Président D. Trump a poussé ce conflit au maximum. Pourtant, la pandémie de la COVID-19 met en évidence le besoin de renforcer la coopération multilatérale, notamment dans le domaine de la gouvernance mondiale en matière de sanitaire. Elle attire l’attention sur la nécessité de réformer les Institutions internationales. Elle permet à l’Union européenne de prétendre à jouer un rôle actif dans la progression du multilatéralisme. Le Sommet du G7 organisé aux Cornouailles qui voulait unir les démocraties les plus puissantes face à la Russie et à la Chine a ouvert un nouveau terrain d’affrontement au sujet du multilatéralisme. La Chine taxe officiellement cette réunion de diplomatie de clique et de « pseudo-multilatéralisme ». Elle profite de cette occasion pour apparaître comme le défenseur du « seul authentique multilatéralisme », celui fondé sur les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et sur le droit international, « celui qui traite tout le monde d’égal à égal et promeut une coopération mutuellement bénéfique ». Plutôt que de favoriser le rapprochement entre les Etats et leurs peuples, la pandémie devient l’occasion de provoquer la division et d’enchaîner les clivages par la diffusion de messages polarisants conçus dans ce but. La pandémie de COVID-19 a joué un rôle de catalyseur des tensions internationales entre la Chine et les États-Unis. D. Trump a fortement critiqué l’Organisation mondiale de la santé, accusée de servir les intérêts de Pékin et d’être dépourvue d’utilité.
La théorie des régimes en relations internationales n’adhère pas à la stratégie du jeu en solitaire. Axelrod défend l’idée qu’une coopération durable peut s’établir entre acteurs égoïstes pour autant qu’ils soient convaincus qu’il est de leur intérêt de coopérer sur base de réciprocité. La Russie nationaliste et la Chine attachée à sa diplomatie du vaccin ne se sont pas jointes - pour des raisons d’ordre géostratégique et réputationnel- dans un premier temps au mécanisme mondial du Covax parce qu’elles n’y voyaient pas leur intérêt. Elles y ont adhéré ensuite pour ne pas être isolées et perdre les avantages de leur politique d’investissement vers les pays en voie de développement.
L’interprétation des régimes donnée par Axelrod a été revisitée dans un sens plus réaliste. Le régime devient une série d’arrangements de gouvernement entre acteurs égoïstes et calculateurs qui ont pris conscience des inconvénients engendrés par le manque de coordination de leurs politiques respectives. Cette définition rencontre mieux que la précédente, la situation vécue en ce temps de pandémie où l’appétit pour la propagande d’Etats puissants -soucieux d’occuper une place de choix sur la scène mondiale- s’accommode au coup par coup d’arrangements répondant aux attendus de cette définition des régimes. Alors, l’image de l’autre devient une image à géométrie variable. L’Etat étranger est appréhendé différemment en fonction de la question concernée. Le Président du Conseil européen, C. Michel a déclaré lors du Sommet du G7 : « L’approche de l’Union européenne est claire. La Chine est un partenaire, un concurrent, un rival systémique potentiel ».
III - Covid-19 : Une propagande de guerre(s) ?
A- La crainte de nouvelles menaces
La globalisation s’accompagne, au vu de la multitude des acteurs qu’elle concerne, d’un phénomène inévitable d’hostilité. Pour survivre, il faut identifier ses ennemis. Dans le cadre de la mondialisation ils sont moins facilement repérables. La vision pessimiste des relations internationales - qui se fonde sur la nature humaine considérée être égoïste et calculatrice à la suite de Hobbes selon lequel « l’homme ne s’associe à ses semblables que par peur » - est toujours d’actualité. La situation post-covid est perçue avec inquiétude. La Ministre française des Armées Florence Parly s’en est fait le porte-parole en communiquant une « actualisation » de la revue stratégique de 2017.Celle-ci intègre les nouvelles menaces pour l’Europe. Aussi, la Ministre n’a pas manqué de mettre en garde : « La pandémie a représenté un bouleversement majeur pour les sociétés et les économies, approfondissant les clivages et les rapports de force, suscitant de nouvelles tensions sur les ressources et surtout catalysant les menaces ». Le document en question est alarmiste :« En l’absence de réponse adaptée de la part des Européens, ce contexte d’instabilité entraîne des risques nouveaux jusqu’aux portes de l’Europe, et suscite le spectre d’un déclassement stratégique ». L’heure est donc à l’adoption d’une souveraineté stratégique par l’Europe. Par ailleurs, le sommet du G7 des 11 et 12 mai 2021, très médiatisé, affiche publiquement la volonté de créer un front commun de l’Occident face aux menaces que représentent la Russie et la Chine. Encore faut-il le réaliser. L’air du temps est à la dénonciation d’un ensemble des menaces postpandémiques pesant sur l’Europe.
B- Des Mots et des images de la réalité
1- « Guerre », un mot stimulus
Cette fois, l’ennemi à identifier, sans être un humain, se montre indétectable, désastreux, destructeur. Il est un virus dangereux. Pour agir il a besoin d’un hôte. Dès lors, le discours d’Emmanuel Macron Président de l’Etat français qui se présente en chef de guerre (en date du 16 mars 2020) surprend -car l’ennemi qui se présente est inattendu- mais il est concevable au regard de la nature singulière de l’ennemi à combattre : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes. Nous ne luttons pas contre une armée, ni contre une autre nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale ». Cette déclaration du Président français fait suite au déclenchement d’une situation que l’on croyait improbable jusque-là. Elle recourt à un mot-stimulus, celui de « guerre » et souligne l’arrivée d’un « ennemi », en tous points, particulier. L’emploi du mot guerre n’est pas anodin. Le but recherché est politique : il en va de sécurité des gens. L’enjeu est en effet la vie et la mort de la population française, de celles des populations étrangères, aussi. « La haute politique n’est que le bon sens appliqué aux grandes choses », disait Napoléon. La démarche du Président français s’inscrit dans une démarche de type propagandiste : comme en temps de guerre, l’insistance sur la gravité de la situation permet de mobiliser l’ensemble du système sanitaire et de rendre acceptables par la population des mesures d’exception :port d’un masque, confinement, fermetures des lieux publics, des commerces, d’écoles, distanciation sociale, couvre-feu …,un ensemble de mesures à finalité sanitaire faisant apparaître à chacun les autres comme des ennemis, ennemis de l’intérieur en raison de la peur que provoque leur présence. Le vocable « guerre » nourrit le sentiment de subir une situation redoutable qui requiert de la part des Autorités des décisions impérieuses susceptibles de diviser l’opinion, un élément incontournable en démocratie. Toute la nation est appelée à se conformer aux instructions données afin d’assurer sa défense sur le mode d’une guerre de tranchées auxquelles les mesures de distanciation font penser et à contribuer d’autre part, à éviter l’adversaire en acceptant la vaccination et les médications à venir. Il s’agit d’obtenir le soutien des individus, de passer aux actions, comme le veut la propagande.
2- « Guerre », un mot à résonance continue
Parallèlement à la guerre déclarée contre la covid-19, le phénomène de référence continue à la guerre se répand. Les comparaisons et prédictions s’enchaînent. Un rapprochement avec la Guerre froide est suggéré quand est évoquée « la course au vaccin » qui rappelle la course aux armements durant la guerre froide. Les comparaisons ne manquent ni avec la Seconde Guerre mondiale ni avec la guerre du Vietnam en raison des restrictions sanitaires et des confinements auxquelles se joint l’érosion du soutien de la population. Est aussi épinglée par l’historienne britannique Margaret MacMillan, la ressemblance avec les périodes précédant les deux guerres mondiales (les années 1910 et 1930) connues pour leur instabilité. Le lien avec cette période est assorti d’une prédiction : celle du désastre à attendre des effets économiques de la crise du COVID-19 qui sont mis en parallèle avec celui remontant à la crise boursière de 1929. Un alliage de mémoire et de prédiction est confectionné. Les mauvaises nouvelles affluent sur les réseaux sociaux. Ainsi circule l’annonce suivant laquelle la fuite d’une arme bactériologique préfigurant les prémisses d’une 3e guerre mondiale a été fournie par l’Institut Pasteur (qui n’a pas manqué de la démentir). Une guerre froide qui aurait lieu entre les Etats-Unis et la Chine est envisagée par Pékin : « Certaines forces politiques américaines prennent en otage les relations entre la Chine et les Etats-Unis et poussent nos deux pays au bord d’une nouvelle guerre froide ». M. Wang Yi, chef de la diplomatie chinoise dénonce l’apparition d’un autre virus, un virus politique : « Ce virus politique saisit toutes les occasions pour attaquer et diffamer la Chine ». Ainsi est entretenu un climat d’appréhension provoqué par l’analogie avec des guerres vécues et suscité encore par l’annonce de guerres futures. Le déclenchement de guerres diverses est signalé voire imaginé. La guerre devient multiforme. Les mots guerre et tension sont confondus, un phénomène qui n’est pas récent. L’abus de références à la guerre provoque un biais cognitif et en cela relève de la manipulation. Il est connu toutefois que l’angoisse ou la peur dont le mot « guerre » est ici le facteur peut avoir des conséquences contraires à celles prévues s’il en est trop souvent ou durant trop longtemps usé.
3- « Guerre », un mot à tout venant
Les media diffusent une vision catastrophique du monde. Cette constatation d’ordre général est fortement d’application en ce qui concerne la crise sanitaire. L’emploi de la terminologie propre au temps de guerre s’étend, en effet, avec des expressions telles : militarisation de l’information, guerre de l’info, guerre de propagande, guerre des vaccins, guerre des chiffres, guerre des masques, arme du vaccin…qui s’entremêlent avec des guerres plus connues : celles de guerre commerciale, guerre de religion, guerre des âges, des générations…La guerre est banalisée non sans intention :celle sans doute de dramatiser avec en retour la curiosité accrue des personnes. La guerre fait partie du quotidien des gens par leur immersion dans l’univers langagier de la guerre largement diffusé par les media. Ce, non sans conséquence sur la formation d’un climat anxiogène et les réactions qu’il peut susciter.
C- Guerres de l’information/désinformation
1-La guerre contre le coronavirus, un phénomène médiatique
Les guerres de l’information / désinformation et de la propagande/contre-propagande sont légion. L’infodémie est étendue, vigoureuse et résistante. Derrière ces guerres qui portent mal leur nom, la propagande au sens large du terme n’est jamais loin. Ph. Crevel souligne qu’il n’existe pas de victoire, en période de guerre, sans une communication appropriée. Or, remarque -t-il : « La guerre du coronavirus est un phénomène médiatique comportant des informations bien souvent contradictoires, voire incohérentes au vu des nombreux clivages de l’opinion ».
De fait, la propagande omniprésente et fractionnée de manière démultipliée y contribue alors qu’initialement, dans sa composante psychologique, elle était conçue comme instrument de contrôle social. L’âge de la « propagande totale » ne contrarie pas cette évolution en démocratie. A l’inverse de la Chine et de la Russie qui verrouillent l’information et mènent une guerre d’influence globale exploitant tous les moyens à disposition : propagande blanche autour de leur vaccin et propagande noire avec les fake news, la désinformation, la diffusion d’informations contradictoires.
2-La bataille de l’information autour de la vaccination
Des opérations constantes de propagande proviennent de la multitude d’acteurs qui interfèrent sur la scène internationale et adoptent une rhétorique belliqueuse. La bataille de l’information ne se limite plus au cercle des Etats. Le langage utilisé par le monde politique, les media et les réseaux sociaux déserte le champ spécialisé de la santé pour pénétrer le champ de la lutte politique, celle du social global. Le phénomène de politisation atteint la variété des acteurs engagés dans la crise sanitaire. La crispation se focalise sur la vaccination.
Elle se présente comme une aubaine aux personnes antivaccins et autres personnes contestataires pour trouver de nouveaux soutiens et élargir leur sphère d’influence par le moyen des réseaux sociaux. Résultat : Leur attraction s’intensifie auprès d'un public hétéroclite. Le professeur Vignaud différencie les vaccino-sceptiques des vrais opposants avec des profils profondément enracinés dans l'histoire. Quatre types d’ arguments sont développés, selon lui : un argument de type fataliste, religieux : « Dieu a voulu que vous soyez malades et il ne faut pas aller contre la volonté divine », des arguments de type alterscientifique -il s’agit de personnes qui ne croient pas à la dangerosité des virus -,arguments de type naturaliste - il faut laisser faire la nature - et un quatrième argument qui est politique : des gens s’opposent radicalement au fait que l'État vous oblige à prendre un médicament. Sur les comptes Facebook, de fausses informations concernant les vaccins abondent. Les opposants apparaissent sur ce réseau trois fois plus nombreux que les communautés favorables. Les communautés anti- vaccin parviennent à s’entremêler plus fortement avec les indécis qui sont des agents actifs, souligne cet auteur. Elles connaissent la plus forte croissance en termes de nouveaux liens externes. Il n’y a pas de fumée sans feu : La publication en 1998 d’un article dans la revue médicale The Lancet associant la vaccination ROR (rougeole, oreillons et rubéole) à l’autisme et à l’entérite est à l’origine de la conviction partagée par les mouvements antivaccins.
Le cas du mouvement antivaccin confirme que la propagande sert à renforcer et à instrumentaliser une opinion préexistante. Sa réussite actuelle s’explique par le large spectre des arguments diffusés qui offre la possibilité de rallier nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux. A l’inverse, les communautés de personnes favorables au vaccin réduisent leur démonstration aux avantages que procure la vaccination en termes de santé publique. Dans les pays démocratiques, les autorités publiques soucieuses de convaincre la population de se faire vacciner adoptent une attitude faite de transparence. Elle consiste à communiquer quotidiennement des données brutes et « froides » (statistiques et chiffres portant sur le nombre de personnes contaminées, hospitalisées …) et à produire des annonces ou spots publicitaires relevant du domaine de l’éducation à la santé. De tels apports sont peu sensibilisateurs pour l’opinion publique et donc peu rentables en termes de résultats. L’information brute a en outre la faiblesse de nécessiter de la part du destinataire du message un ensemble de qualités liées à sa contextualisation et à une compréhension critique. Il se forme de la sorte une fracture supplémentaire entre les gens. Le rendement de l’effort de communication est asymétrique entre les Autorités publiques limitant leur action à ce type d’information et celles ne craignant ni l’opacité ni la tromperie.
Une étude sur le virus ZIKA publiée par l’American Association for Advancement of Science conclut à la difficulté de corriger les perceptions erronées sur le virus. Il apparait que la confiance des gens dans l’exactitude des informations fournies par l’OMS diminue lorsque le contexte est chaotique et que les informations factuelles reçues sont disparates concernant l’origine de la nouvelle menace et peu claires au sujet de la manière de se protéger. Dans ce cas, des personnes se cramponnent à des explications simplistes au dépends du déchiffrement d’informations complexes.
D- Evolutions
1- Autour de la diplomatie
-Le soft power, pas toujours aussi doux qu’on le croirait
La définition du « soft power » n’est pas aussi claire qu’il apparait à première vue. M. Barr attire l’attention sur le fait que le soft power ne renvoie pas exclusivement à des ressources non traditionnelles, comme les biens culturels et commerciaux. Il n’est pas non plus destiné aux domaines non militaires. Ainsi des sanctions économiques -en raison de la contrainte qu’elles exercent-, doivent être considérées comme une forme de pouvoir coercitif. Et de dénoncer la tendance à confondre les ressources susceptibles de produire un comportement avec le comportement réel lui-même. Les moyens de la puissance ne suffisent pas, encore faut-il être puissant. La remarque peut être appliquée à la propagande. Déployer un nombre impressionnant de campagnes de propagande et utiliser des supports multiples pour se rassurer à propos de leur performance est une attitude faite de légèreté. L’effet réel des efforts propagandistes ne se résume pas au montant des moyens mis en œuvre. Cet effet, chacun en convient, est difficile à estimer.
- Quand la diplomatie devient propagande
La diplomatie classique a ses propres procédures et formalités. Elle fonctionne à travers déclarations, rencontres, négociations… Elle est au service de la politique étrangère de l’Etat. Elle tente de justifier les positions de ce dernier et d’exercer une pression sur celle des autres Etats. Comme la propagande, elle cherche à influencer. Selon Venizelos tout effort de grande envergure sur la scène internationale demande d’ouvrir deux fronts distincts : le front de diplomatie et le front de propagande. Avec l’exercice du soft power, ces deux fronts plutôt que se différencier se rapprochent. Il arrive qu’ils soient confondus. La remarque vaut pour la diplomatie culturelle, l’aide financière et matérielle. Cette aide porte avec la pandémie de la Covid-19 le nom de « diplomatie du masque », de « diplomatie du vaccin » et de « diplomatie sanitaire ». Montrant ainsi l’extension d’une diplomatie de l’entre-deux et sa plasticité au regard de son adaptation à la nature du problème posé. S’ensuit la segmentation de la diplomatie et de l’image qu’elle doit imposer. Un pays peut souffrir d’une image négative tout en voyant son image dans un secteur continuer à être valorisée. La Chine mobilise dans le cadre de la pandémie l’énorme palette des moyens de propagande dont elle dispose, une palette solide qu’elle a progressivement construite. Ces efforts ne sont pas parvenus à faire oublier le manque de transparence dont les conséquences lui sont toujours reprochées. Le Secrétaire d’Etat américain est revenu sur cette affaire en appelant la Chine à la « coopération » et à la « transparence » au sujet de l’origine de la COVID-19. Il a insisté sur « la nécessité » d’un approfondissement de l’enquête d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui n’a pas donné satisfaction. Le Parlement européen a fait de même. Il est à souligner toutefois que l’impact de cette faute n’a pas eu de répercussions sur son image concernant les domaines dans lesquels elle s’est imposée depuis longtemps. Son image économique, rappelons-le, n’en a pas souffert.
Le G7 promet un milliard de doses de vaccins à destination des pays pauvres. L’enjeu est l’élimination à l’échelle mondiale du virus et de ses variants. Après la campagne vaccinale centrée sur leurs pays -qualifiée de nationalisme vaccinal- des pays riches font place à une diplomatie vaccinale généreuse tournée vers les plus démunis. Ils entendent ainsi faire la différence par rapport à ceux qui ont privilégié la « diplomatie vaccinale » au détriment de la vaccination de leur population et arguent qu’ils l’ont utilisée comme outil de propagande destiné à améliorer leur image auprès des pays en développement. Actuellement, aux Etats-Unis, J. Biden dans son intervention télévisée (du 11 juin 2021), présente son pays comme l’«arsenal » des vaccins.
-De la diplomatie classique au discours comme arme
Le discours diplomatique est entendu par C. Villar comme étant un facteur de puissance douce. Or, en cette période de crise sanitaire, les attaques politiques s’immiscent dans le discours diffusé par les acteurs institutionnels nationaux et internationaux. Leur tonalité polémique s’écarte des codes verbaux pratiqués d’ordinaire dans les enceintes diplomatiques. A titre d’exemple : Dans sa résolution relative au rapport sur les conséquences de l’épidémie du Covid-19 sur la politique étrangère, le Parlement européen multiplie les attaques verbales à l’encontre de le Russie et de la Chine et tient des propos fort dépréciateurs à leur sujet. Il « doute de l’efficacité et de l’innocuité du nouveau vaccin russe actuellement utilisé ; rappelle que dans certains cas, les produits médicaux fournis par la Russie étaient de très mauvaise qualité et, dès lors, inefficaces ». Concernant la Chine, il « critique les aides d’urgence pour lutter contre le virus dont certaines sont défectueuses ou de qualité inférieure ».
La rhétorique diplomatique est souvent critiquée pour utiliser la langue de bois ou pour être trompeuse. Ce n’est plus le cas. La diplomatie classique suscite la méfiance parce qu’elle cultive le secret. Les temps ont changé. Toutefois, la mondialisation associée aux performances des outils d’information et de communication oblige à s’adapter à une large ouverture sur l’extérieur. Elle impose certaines obligations au vu de l’inséparabilité croissant de l’interne et de l’externe. Ainsi, face à un public transnational toute contradiction entre diplomatie et propagande est à éviter. Elle comporte le risque d’être perdant à la fois sur le front politique au niveau national et sur le plan diplomatique au niveau mondial. La transparence est actuellement devenue un impératif moral et politique. La Chine mesure combien le fait de ne pas avoir informé en temps voulu la communauté internationale de l’apparition du coronavirus sur son territoire a détérioré son image et conséquemment ses appétits de dimension planétaire.
C- Autour de la relation ami-ennemi
1- « Ami » et « ennemi » : des désignations à court terme devenues peu significatives
Tant la relation ami-ennemi que l’image d’un pays sont devenues des donnes éphémères. Les relations interétatiques, en tant qu’elles reposent sur le rapport ami-ennemi, peuvent être extrêmement peu durables malgré le déploiement de la propagande. La versatilité les pénètre. Les options fondamentales en matière de politique étrangère resurgissent au moindre incident. En atteste la rapidité du passage du statut d’ami à celui d’ennemi et inversement. L’historique des relations entre D. Trump et Kim Jong-un est exemplaire à cet égard. Les mots « ami » et « ennemi » deviennent des mots utilisés par opportunité et non pour exprimer une émotion. Devant la situation économique difficile de son pays en ce temps de pandémie, Kim Jong-Un, déclare que les Etats-Unis sont le « plus grand ennemi » de la Corée du nord, ce qui lui permet d’affirmer que dès lors la solution consiste à renforcer les ressources dévolues à l’armée et à la recherche nucléaire. Ce, après des manifestations très médiatisées du rapprochement des chefs d’Etats des deux pays. Un autre exemple atteste de la fragilité des relations dites amicales entre hauts dirigeants politiques malgré la publicité qui en avaient été faites. D. Trump, qui s’est détourné de la gestion de la pandémie du coronavirus dans son pays, devait désigner un bouc émissaire pour affronter les élections présidentielles. Tout ennemi a besoin d’être identifié. Le virus à l’origine de la pandémie a été nommé de telle manière à ce que l’ennemi soit désigné. Le nom donné au virus par Trump de même que celui fabriqué en riposte par la Chine sont à l’origine d’un conflit qui dépasse le champ sémantique. L’action de nommer est une opération propagandiste permettant de désigner le responsable de la pandémie et ainsi d’engager une bataille interétatique au sujet du coronavirus qualifié de virus chinois par les Etats-Unis et de virus américain par la Chine. Cette stratégie est en rupture avec les compliments qu’il avait adressés à la Chine auparavant à propos de la manière dont elle a pris en charge la crise sanitaire. La création de ces dénominations revêt un intérêt politicien sur le plan interne également. L’opération propagandiste de Trump n’est pas sans effet. Aux Etats Unis, cette manœuvre a suffi pour engranger un élan raciste contre les Chinois. A tel point que le 8 mai 2020, le Secrétaire général des Nations Unies, s’est adressé aux gouvernements par twitter en leur demandant « d’agir immédiatement pour renforcer l’immunité de nos sociétés contre le virus de la haine ».
2- Image et relation ami-ennemi : volatilité, segmentation et coup par coup
L'image de la Chine est en ce temps de pandémie fortement bousculée. La relation ami-ennemi avec l’autre est, en effet, conçue à présent de manière déstructurée et à la carte. On en a un bel exemple avec le Parlement européen qui « invite le Vice-Président/Haut Représentant de l’Union européenne à revoir les relations UE – Chine et à créer simultanément une atmosphère de dialogue, d'engagement ainsi que de coopération et de concurrence authentiques, sur la base d’une stratégie nouvelle, cohérente et plus affirmée, adaptée à l'évolution du paysage géopolitique et géo-économique et d’une stratégie à long terme, dans le cadre de laquelle l'Union européenne et les États membres coopèrent avec la Chine lorsque c'est possible, rivalisent avec elle lorsque c'est nécessaire et l’affrontent lorsqu'il le faut pour défendre les valeurs et les intérêts européens. »
3- La régulation de l’infodémie par des acteurs privés
Ainsi, par exemple, le Centre de la Communication, en France, a formulé un ensemble de recommandations propres à l’ensemble du secteur de la communication : éviter de mettre en scène des comportements portant atteinte aux mesures prises par les pouvoirs publics. Ne pas jouer sur les sentiments de peur qui prévalent au sein du public. La recherche en psychologie sociale montre d’ailleurs que susciter de la frayeur dans les messages est faiblement efficace pour persuader autrui voire produit, parfois, les effets inverses. De plus, les règles générales du Code de la Chambre de Commerce Internationale (Code ICC) concernant la responsabilité sociale, la loyauté et la véracité sont d’application. Et des influenceurs dénoncent les tentatives d’approche dont ils sont l’objet par des agences suspectes pour démolir des vaccins concurrents (le vaccin Pfizer,notamment)
Conclusion : De quelques directions
Une certaine militarisation de la pandémie de la Covid-19 et ses conséquences
L’analyse du lien entre la propagande et la pandémie de la Covid-19 indique que cet épisode renforce les ponts existants entre l’étude des Relations internationales et la psychologie. La politisation de questions nouvelles ayant une incidence directe sur la vie des gens favorise leur rapprochement. Ce, alors que la séparation entre les affaires internes et l’international disparait. La pandémie expose leurs interrelations dans un climat où la référence à la guerre est omniprésente : guerre en mots, guerre en action, guerre-souvenir, guerre prévue, guerre annoncée…Il est donné un caractère militaire à ce temp de pandémie. L’idée de guerre est répandue par les acteurs étatiques et non étatiques de plus en plus influents grâce à l’expansion des moyens de communication à laquelle s’ajoute la défiance vis à vis des institutions et la critique de la manière dont elles informent. La guerre s’étale dans les esprits, en mots et sous les mots, en correspondance avec l’environnement international et les peurs nées de la globalisation aux effets incontrôlables parce que les enjeux sont complexes, parce qu’ils sont multiples, parce qu’ils s’entrecroisent, parce qu’ils sont confondus, parce qu’ils réveillent des appétits anciens tout en en révélant de nouveaux. Toutefois, le mot guerre prononcé dans la bouche de certains gouvernants adopte une signification bien différente de celle utilisée par les media et des acteurs sociaux. Employé par les premiers, il peut s’agir de la menace d’un état de lutte armée entre deux ou plusieurs Etats ou d’une guerre froide. Chez les seconds, ce même mot se rapporte non pas au second sens du mot guerre à savoir : toute forme de combat. Il est, du fait d’un abus de langage, confondu avec ce qu’est une tension véritable ou non.
Dans ce contexte, la relation ami-ennemi fluctue pour autant qu’elle ne se fonde pas sur des acquis de longue date, sur une tradition (le soutien déclaré indéfectible du Royaume uni à l’Inde en cette période, par exemple), des croyances profondes (le cas des complotistes).
La propagande modifie -t-elle la relation ami- ennemi ? Ami de manière éphémère : les discours et échanges « amicaux » entre les hauts responsables chinois et italiens à l’occasion de l’aide fournie par Pékin, une aide très médiatisée au début de la pandémie. A contrario, la propagande gouvernementale autour de la crise sanitaire réveille d’anciennes tensions interétatiques : tension entre le Japon et la Chine accusée de revenir sur ses revendications en mer de Chine méridionale. De plus, la propagande produite durant la pandémie accompagne la menace de nouvelles guerres : la « nouvelle guerre froide » entre Washington sous la présidence de D. Trump et Pékin, notamment.
- La propagande, un accès démocratisé étendu à l’échelle planétaire
La palette des moyens de propagande utilisés est large et en partie seulement innovante. Les évolutions de la propagande vers l’influence et le soft power ont des racines déjà anciennes. La diplomatie sanitaire (offre de masques, d’expertise, de matériels, accueil de malades étrangers) relève de l’aide bilatérale qui en soi n’est pas nouvelle non plus. La différence -elle est déterminante- provient de la possibilité offerte à tout un chacun de s’emparer individuellement et/ou collectivement, face à un défi global, d’un espace de dimension mondiale et de s’y projeter en tant que propagandiste. C’est cependant le resserrement au sein d’agrégats hétérogènes autour de sujets arrivés récemment dans le champ politique qui frappe.
- La montée en puissance de l’individu
La propagande telle qu’elle se dévoile actuellement se caractérise par la capacité qui lui est offerte d’atteindre individuellement et directement les personnes grâce aux moyens d’information et de communication très sophistiqués le permettant, les algorithmes en particulier. La place de l’individu grossit sur la scène mondiale en tant que destinataire d’initiatives émergeant de pouvoirs étrangers qui les utilisent à travers des opérations de propagande pour servir leurs propres causes ou leurs intérêts. L’individu agit également à l’international comme propagandiste et/ou contre -propagandiste. Il voit son influence multipliée par son insertion dans les réseaux transnationaux de son choix. En outre, la valeur de la « liberté individuelle » s’impose lourdement. Elle constitue un argument-clé des antivaccins qui, de la sorte, entre en conflit avec les exigences de la santé publique.
- Glissement, confusion des enjeux et agrégation
La pandémie de la Covid -19 a incontestablement favorisé de la part des Etats un recours intensif à la propagande mobilisée en faveur de visées imbibées de réalisme politique : démonstration de puissance, affirmation de l’intérêt national, convoitise territoriale, grandeur économique, supériorité idéologique, recherche du soutien au régime politique ou encore compensation de certaines faiblesses. Elle a également été abondamment saisie par des acteurs non étatiques qui ont trouvé là l’occasion de construire des coalitions de cause élargies. Parmi les principaux bénéficiaires, les réseaux transnationaux. Les manipulations ont lieu dans un climat propice à leur avènement généré par des éléments extérieurs (la mondialisation) et internes (fractures géographiques, culturelles, économiques, sociales et politiques…). Le sentiment de peur sans cesse alimenté est multiforme et omniprésent. Il suscite des attitudes contradictoires (résistance, déni, provocation…).
- L’asymétrie des moyens de propagande utilisés :la variable régime politique
Les régimes totalitaires se distinguent des régimes libéraux : propagande, information et fausses informations sont amalgamés. L’utilisation simultanée de l’ensemble des moyens de propagande cumulée à leur inscription au sein d’un plan de long terme renforce la position des Etats qui y recourt. La riposte de pays démocratiques aux ingérences de l’infodémie se joue sur un autre terrain. La contre-propagande cherche à s’organiser par la voie de l’information. Des Etats, des Organisations internationales, des réseaux sociaux, des plateformes internet, des individus s’y essaient mais rencontrent d’énormes difficultés à imposer leur contre-attaque : le duel est asymétrique lorsque la propagande est diffuse, insidieuse, lorsque sont utilisés la désinformation, les fausses nouvelles, le soft power de type renforcé… et que leurs réponses résident dans l’affirmation des valeurs qu’ils défendent, le refus de coopérer pour le compte d’agences étrangères suspectes, de surveiller l’infodémie et en aviser.
- Une planète toute en fracture
La propagande de pandémie, outre qu’elle sert les échanges belliqueux entre Etats déterminés à jouer des coudes, travaille pour ce qui concerne ces mêmes Etats, à créer la désunion au sein des Organisations internationales dont ni la philosophie ni les décisions ne correspondent à leurs attentes (le retrait de l’OMS par les Etats-Unis sous la présidence de Trump) ou à les travailler de sorte à les rapprocher de leurs vision et intérêts (La Chine à l’OMS). Quant à l ’Union européenne, elle est la cible d’actions de propagande de la part de gouvernements ayant la volonté de nuire à sa cohésion qui est si nécessaire à la gestion de la crise et à la politique de vaccination en son sein. La propagande sert d’autre part, à casser l’unité nationale en s’infiltrant dans les mouvances extrémistes, antisystème, antivaccin qui se constituent en agrégats à l’intérieur de l’Etat comme au niveau transnational. En outre, la diplomatie du vaccin qui divise le monde entre les pro et les antivaccins oppose les partisans de cette diplomatie entre eux, ceux-là même et les défenseurs (et ex-défenseurs) du nationalisme vaccinal.
- La défiguration des mots-repères
Qu’entendre par les opérations qualifiées de « diplomatiques » qui sont développés en ce temps de pandémie ? Le choc des désignations n’échappe à personne. Il dénote la facilité avec laquelle la communication en vient à défigurer des repères bien identifiés et les anémier : le vaccin est-il une ressource au service de la diplomatie (on parle de diplomatie vaccinale), est-il devenu l’objet de guerres (il est alors question de guerre du vaccin et depuis peu de victoire contre le vaccin) ou s’agit-il encore d’une arme nouvelle (l’arme du vaccin comme cela est répété) et pourquoi pas d’ un moyen d’échange politique? La pandémie conduit à revisiter, au prisme de l’image, des concepts-clés liés à la problématique de la propagande saisie dans une perspective de relations internationales : guerre, crise, sécurité, arme, ennemi, ami, diplomatie, … perdent de leur pertinence et se trouvent engagés dans un processus de perte de sens qui multiplie les zones d’incertitude. Avec un risque d’incompréhension, de repli dans la relativisation et la banalisation, de rejet accentué de la communication et de l’information officielles technologiquement de plus en plus accessibles mais cognitivement de moins en moins enrichissantes.
- La propagande : des effets réels ?
Subsiste la question de l’effet réel des efforts propagandistes en termes d’intensité, de durabilité, de cohérence lorsque la crise sanitaire globale se trouve confrontée à un facteur déclenchant transnational -un virus, ennemi inconnu et en mutation rapide, implanté localement mais variablement- sur lequel l’Etat n’a pas de contrôle direct ; lorsque les sociétés touchées, déjà fracturées, subissent les pressions contradictoires, incessantes et éphémères d’informations par moultes canaux ; quand, dès lors, l’image nationale est bousculée et celle des Tiers brouillée ; quand les images bien ancrées des amis et des ennemis subissent le choc d’une situation inédite, de grande ampleur et d’une gravité déroutante ;quand le sentiment de peur et ses dérives devient un dénominateur commun ?
La propagande connait deux limites importantes selon J. Ellul : « Elle est circonscrite dans le temps. Elle ne survit pas à son but, rarement atteint ». C’est effectivement le cas pour la presque totalité des campagnes de propagande sauf lorsqu’elles déclenchent sous la pression de fausses informations le surgissement de l’irrationnel et qu’elles suscitent une réaction non maîtrisée de peur jusqu’à devenir un repoussoir. On en trouve des marques au sein du noyau dur des Antivax.
- Quelques pistes d’avenir ?
En tant qu’instrument, la propagande a -au vu de sa propagation et de sa prolifération dans le cadre de la globalisation- un avenir généreusement assuré. Pour autant, la pandémie indique que des réactions apparaissent du côté des propagandistes, publicistes et influenceurs à titre individuel contre leur utilisation au service d’opérations nuisibles en termes de santé publique et d’éthique. Il en est de même pour leur organisation de défense professionnelle appelant à leur bonne conduite. Cette tendance résulte du phénomène de politisation dû, pour l’heure, à la transformation d’un problème de santé publique en problème politique et de la montée d’un sens de responsabilité politique de la part de certains métiers ainsi que de certains réseaux socio-numériques ayant pris la décision de lutter contre la désinformation en supprimant des messages à leur yeux suspects de tromperies quelle que soit leur origine.
La question du lien entre la pandémie du coronavirus et la propagande paraît à première vue limitée quant à son objet et circonstanciée. Or, elle ouvre des pistes nouvelles à approfondir et à suivre de près tout en s’appuyant sur le recours à un ensemble de disciplines sans oublier le couple psychologie et études des relations internationales, un couple prometteur.
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