N°35 / L'avenir de la démocratie Juillet 2019

De la difficulté de travailler sur l’extermination des juifs d’Europe durant la Seconde guerre mondiale

Claire Zalc (dir.), « L’histoire de la Shoah face à ses sources », Vingtième siècle. Revue d’histoire, numéro 139, juillet-septembre 2018.

Stéphane François

Résumé

NOTE DE LECTURE

Claire Zalc, directrice de recherche au CNRS, est une spécialiste de l’antisémitisme au XXe siècle. Elle nous offre avec ce numéro un dossier très dense sur la difficulté de l’utilisation des sources permettant la compréhension du génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le pari est plus que réussi : ce numéro est passionnant d’un bout à l’autre, malgré un sujet sensible, à la fois sur le plan des affects et sur son contenu. Pour ce faire, elle a fait appel aux plus grands spécialistes du domaine.

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Claire Zalc, directrice de recherche au CNRS, est une spécialiste de l’antisémitisme au XXe siècle. Elle nous offre avec ce numéro un dossier très dense sur la difficulté de l’utilisation des sources permettant la compréhension du génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le pari est plus que réussi : ce numéro est passionnant d’un bout à l’autre, malgré un sujet sensible, à la fois sur le plan des affects et sur son contenu. Pour ce faire, elle a fait appel aux plus grands spécialistes du domaine.

Le dossier est divisé en trois parties : outre les articles introductif (Claire Zalc, « Passages de témoins ») et conclusif (Ivan Ermakoff, « La microhistoire au prisme de l’exception ») et une série de comptes-rendus de livres sur le judéocide, nous trouvons « Au-delà de l’archive » (Tal Bruttmann, Christoph Kretzmüller et Stefan Hördler, « L “Album d’Auschwitz”, entre objet et source d’histoire » ; Judith Lyon-Caen, « “le chant, lui, s’échappera » : pour une histoire des sources littéraires de l’histoire de la Shoah » ; Irina Tcherneva, « Historiciser les images soviétiques de la Shoah (Estonie, Lituanie, 1944-1998 » ; Audrey Kichelewski, « Un monde disparu avec ses archives ? Les Enfants de Lublin, une société de juifs originaires de Pologne ») ; « du côté de l’ego » (Barabara Engelking « Des rêves comme source pour l’histoire de l’Holocauste, » ; Nicolas Mariot, « Contourner Birkenau (automne 1942) : une relecture du journal du médecin SS Johann Paul Kremer à Auschwitz » ; Nicolas Patin, « Les écrits intimes des responsables nazis : une réflexion sur les sources ») et « Dits et non-dits » (Laurent Joly, « Que savait-on du sort des juifs déportés au de la police française ? Réflexions autour du “rapport Sadosky” (Berlin-Paris, 20 juillet 1942 » ; Elissa Mailänder, « des mémoires contradictoires : histoire et récits d’une pendaison au camp de Majdanek, 1943 » ; Antoine Burgard, « retranscrire la violence et le traumatisme : mises en récit administrative de la persécution dans l’immédiate après-Shoah » ; Marie-Bénédicte Vincent, « Le contentieux des anciens policiers nazis dans la FRA des années 1950 : une source pour l’histoire des criminels nazis »). À cela, il faut ajouter plusieurs articles hors dossier, mais qui entrent parfaitement dans la problématique, tels ceux de la rubrique « Archives » (Diane F. Afoumado, « La collection de l’International Tracing Service » ; Constance Pâris de Bollardière « Les historiens face aux témoignages des rescapés de la Shoah » ; Laurent Schram « Les sources inexplorées de la caserne Dossin ») et ceux de la rubrique « Images, lettres et sons » (Simon Perego, « Les enfants du 209, rue Sain-Maur » ; Lucie Cazes, « Ceux qui restent » ; Ethel Albert, « Disparitions des témoins et surgissement des sources »).

Dès le premier abord, une chose nous a gêné dans ce dosser : le terme « shoah » est systématique dans les titres des articles ; il est même présent dans celui du dossier de ce numéro spécial de Vingtième Siècle. Cependant, son utilisation, bien que nous la comprenions aisément, nous gêne car il renvoie à une dimension religieuse par sa signification (« la Catastrophe »). Il n’y a eu aucun dessein religieux dans l’extermination des juifs d’Europe. Si cela était le cas, son étude serait impossible, car incompréhensible. Claude Lanzmann, lorsqu’il a imposé l’usage de ce terme, n’hésitait pas à dire que la volonté de comprendre cette extermination était d’une « absolue obscénité ». Pourtant, il est nécessaire de comprendre pourquoi une partie de la population européenne a été décimée d’une manière quasi-industrielle ; de comprendre pourquoi des militants extrémistes ont décidé de faire de cette population un bouc émissaire ; de comprendre pourquoi cela a pu se faire… Paradoxalement à l’usage de ce terme dans les titres, les auteurs nous donnent des explications.

Une fois cela dit, ce numéro est capital d’un point de vue scientifique. Il montre combien il est difficile les sources (écrites, orales et visuelles) lorsqu’elles concernent le judéocide de la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, il y a leur fiabilité : les témoignages varient ; les anciens nazis édulcorent leurs mémoires ou les codent ; les sources visuelles doivent être contextualisées… Si ce travail est nécessaire pour une recherche historique rigoureuse, il est dans le cas présent encore plus nécessaire, dans la mesure où les militants négationnistes se trouvent en embuscade pour les délégitimer. En effet, ces derniers utilisent les faiblesses intrinsèques des sources, comme la variation des témoignages sur un fait (par exemple une pendaison, la fumée ou les odeurs sortant des cheminées des camps de concentration et d’extermination, mises systématiquement en avant par les négationnistes) pour les sur-interpréter ou les mésinterpréter dans le but, affiché, de les délégitimer. Ainsi, pour ces falsificateurs de la mémoire, les témoins et les survivants Juifs des camps ne seraient que des affabulateurs cherchant à imposer de « faux souvenirs ». De fait, ils se présentent comme étant les « vrais historiens » (bien qu’il n’y en ait aucun chez eux), faisant un travail « hypercriticique », contrairement aux « exterminationnistes », comprendre les historiens, qui acceptent les faits sans les discuter. N’oublions pas qu’un éditeur négationniste porte le nom d’Akribeia, un mot grec ancien signifiant « exactitude », « soin scrupuleux ». Il est donc capital d’encadrer rigoureusement les sources.

Ce numéro de Vingtième siècle est donc une pièce capitale dans l’historicisation et la contextualisation des sources de l’extermination des populations juives d’Europe, d’autant que les témoins, aujourd’hui très âgés ne seront plus là pour l’expliquer aux jeunes générations. Plusieurs articles (Audrey Kichelewski, « Un monde disparu avec ses archives ? Les Enfants de Lublin, une société de juifs originaires de Pologne » ; Antoine Burgard, « retranscrire la violence et le traumatisme : mises en récit administrative de la persécution dans l’immédiate après-Shoah » ; Diane F. Afoumado, « La collection de l’International Tracing Service » ; Constance Pâris de Bollardière « Les historiens face aux témoignages des rescapés de la Shoah ») mettent en avant l’absolue nécessité de collecter et d’organiser scientifiquement les derniers témoignages avant qu’ils ne disparaissent avec les décès de ceux qui les ont vécus.

Nous n’avons qu’une critique, mais elle est majeure : il est dommage qu’un numéro de cette qualité et de cette importance maltraite certains textes, enfin un texte. En effet, l’article de Tal Bruttmann, Christoph Kretzmüller et Stefan Hördler, « L’“Album d’Auschwitz”, entre objet et source d’histoire » a vu ses photographies déplacées dans le corps du texte. Elles n’étaient pas là pour illustrer l’article, mais comme sources. Comme il est impensable de voir une citation déplacée et mise n’importe où, il est tout simplement impensable qu’on ait pu en faire autant avec des sources photographique… Cela est d’autant dommageable que l’article portait sur la contextualisation de cet album dont tout le monde connaît les clichés.

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Les nazis ont-ils survécus ?

Stéphane François

NOTE DE LECTURE Nicolas Lebourg nous offre, avec cet ouvrage, une étude passionnante à la fois très érudite et très agréable à lire sur l’idée de l’existence depuis la fin de la Seconde guerre mondiale d’Internationales néofascistes, la plus connue étant la tentative de Malmö en Suède, en 1952.

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