N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

Une sexualité sans péché originel. À la recherche d’une identité européenne autochtone

Stéphane François

Résumé

 Cet article veut montrer que le phénomène d’identification et d’appartenance s’accroît dans ces stratégies de subversion clivantes, ainsi dénommées par Judith Butler. Elles agissent en proposant de nouvelles icônes – les drag queen – stéréotypes propagés à foison comme de nouvelles images pieuses ou militantes à imiter. Du fait de cet enjeu de substitution, ces constructeurs de normes opèrent, selon nous, comme des propagandistes de guerre, à la façon de nationalistes, au sens où leur territoire symbolique se définit par un combat contre un ennemi, l’adversaire à abattre.

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            Depuis l’extérieur, mais également par certains de ses observateurs universitaires, l’extrême droite est vue, comme un courant idéologique qui porterait des valeurs morales figées. Ce conservatisme serait son identité, en particulier en ce qui concerne les mœurs et la sexualité. Si cette vision n’est pas totalement fausse, elle n’en est pas moins réductrice. En effet, certaines branches de cette famille politique ont développé une autre forme de sexualité « païenne », c’est-à-dire qui ne devrait rien aux conceptions morales judéo-chrétiennes[1]. À l’inverse, le christianisme est perçu par ces mêmes militants comme une secte orientale, totalitaire, ayant détruit la « vraie » (comprendre « païenne ») civilisation européenne[2]. Cette liberté sexuelle propre au paganisme serait même, selon eux, la principale caractéristique de l’identité européenne. Nous nous intéresserons dans cet article aux discours formulés autour de cette thématique entre les années 1970 et le début des années 2000, lorsque le paganisme était hégémonique dans la droite radicale.

1. Néopaganisme et racisme

Il y a, chez les néopaïens de gauche (et d’extrême gauche) comme ceux d’extrême droite, une volonté de revenir à un modèle sociétal, tribal, clanique ou communautaire, des sociétés traditionnelles. Ce modèle a été qualifié dans une publication d’une communauté néopaïenne d’extrême droite, de « libertaire, égalitaire et fraternel[3] », autogéré et autosuffisant qui se regrouperait librement dans des unités plus grandes. Les principales divergences entre les païens de « gauche » et les païens de « droite » portent sur l’acceptation de l’Étranger (hétérophilie ou hétérophobie) et de l’insistance sur le caractère ethnique du paganisme. Les néopaïens de gauche (ou d’extrême gauche) font la promotion d’une société ouverte[4], laissant la porte ouverte aux minorités ethniques/« raciales » ; les seconds, celle d’une société fermée, rejetant l’Autre, l’étranger, compris là-encore au sens ethnique/« raciale ».

Globalement, et indépendamment des idéologies, le néopaganisme occidental défend la diversité des cultures et invite à la préservation de celles-ci. Toutefois, ce discours est motivé par des raisons différentes, en fonction positions politiques adoptés : le discours païen vis-à-vis des étrangers va du racisme identitaire à une tolérance absolue. La tendance raciste, identitaire, prône un ethno-communautarisme : le paganisme doit être ethnique, et réservé au « siens », sans chercher à convertir l’Autre, qui a d’autres valeurs et cultes. Dans ce type de discours, le racisme biologique est remplacé par un différentialisme radical aux assises païennes, qui, sous le couvert de l’éloge de la différence culturelle, a légitimé en retour une nouvelle forme de racisme. En effet, chaque « ethnie » ou « race » étant adaptée culturellement et spirituellement à son environnement, il est nécessaire de respecter les différentes cultures. Ce type de discours, malgré un aspect tolérant, se structure sur le nationalisme, une « idéologie surgie dans la modernité, le nationalisme entendu comme ethnonationalisme[5] » et recourt à l’idée d’un ethnos demos, c’est-à-dire à l’idée d’un peuple compris au sens ethnique. Ce type de néopaganisme se confond avec un racisme européiste, là encore de type ethnico-culturel, qui soutient l’idée ethniciste d’une descendance directe des Européens actuels avec les Indo-Européens de la Préhistoire et de la Protohistoire, à l’origine, selon eux, de la « race blanche ». Enfin, ce discours soutient la conception ethnoreligieuse d’un paganisme propre à une mentalité indo-européenne. Ces néopaïens s’appuient à la fois sur une supposée identité européenne commune depuis l’Antiquité et sur une consanguinité imaginaire.

Toutefois, ce type de théorie aberrante n’est pas l’apanage des suprémacistes ou des racialistes blancs. Il existe des groupuscules afrocentristes néopaïens professant le même genre d’idée. Mais dans ce cas, par un jeu d’inversion, la « race supérieure » n’est plus la « race blanche » mais la « race noire ».

            Contrairement à ce discours raciste, certains païens ont développé un discours non-raciste, mais qui peut encore être défini comme différentialiste. Celui-ci, entièrement inspiré du paganisme (les « sociétés traditionnelles »), refuse l’acculturation véhiculée par la globalisation. Il se pose en garant du respect de la diversité des cultures. De fait, les différentialistes ont élaboré un modèle théorique qui échappe aux schémas de l’antiracisme militant dans la mesure où, sans renier totalement la référence à la biologie, il se place sur le terrain culturel[6]. De fait, ces païens s’inspirent ouvertement du modèle impérial de la Rome antique et du système indien des castes. En effet, cette dernière, étant l’une des dernières grandes civilisations restées païennes, offre un modèle sociétal très différent de celui que nous connaissons. Ce système serait un exemple à suivre, ou du moins, dont nous pourrions nous inspirer.

La condamnation de l’ethnocide des peuples premiers est d’ailleurs fréquemment défendue par les milieux néopaïens, quelle que soit la position idéologique, au nom du polyculturalisme païen. Ils soutiennent tous à la fois le combat contre l’uniformisation provoquée par la société marchande et celui contre les religions prosélytes universalistes. En effet, ils s’identifient aisément aux peuples opprimés et acculturés de force, les Européens l’ayant été par le christianisme. Cette défense des peuples s’inscrit aussi dans le cadre plus large d’un refus de l’Occident et de ses valeurs, synonyme de modernité et de mondialisation. Il est donc logique que les païens, du fait de leur défense des systèmes religieux ethnico-nationaux, soient des adeptes de l’enracinement et de l’altermondialisme. Il est frappant que les néopaïens, aux parcours politiques aussi différents, puissent faire une même critique de l’Occident.

2. Du néopaganisme en général et de l’ésotérisme en particulier

           Selon les néopaïens, indépendamment de l’idéologie politique, le paganisme se caractérisait par sa liberté sexuelle. Ces derniers mettent en avant des pratiques comme la magie sexuelle ou encore les traditions de la prostitution religieuse qui sacralisent le sexe[7] pratiquées dans l’Antiquité en Mésopotamie, en Inde, et même en Europe, avec le culte de Cybèle. En outre, ces néopaïens suggèrent l’existence d’un lien fécond entre l’homme, la nature et les forces gouvernant celle-ci par l’intermédiaire de la faune et de divinités matriarcales chtoniennes. Ce lien, entre sexe et sacré donc, aurait été détruit, nié, par l’avènement du christianisme[8]. Massimo Introvigne, un sociologue italien des religions, a d’ailleurs mis en avant l’idée qu’« […] aux origines du renouveau païen […] il y a souvent un véritable culte de la sexualité. Dans le paganisme contemporain, on trouve souvent des expressions de magie sexuelle et des alliances, notamment aux États-Unis, avec le féminisme et avec le mouvement pour les droits des homosexuels.[9] » Cette convergence des luttes est particulièrement visible chez les néopaïens étatsuniens de gauche, en particulier chez les néosorcières/wiccans.

Pour renouer ces liens, ou du moins tenter de les renouer, les néopaïens se tiennent informés des dernières publications scientifiques consacrées à la sexualité, à l’histoire antique, à l’anthropologie, à la sociologie, etc. Ils portent enfin un intérêt fort à l’Inde, historique et contemporaine, celle-ci étant la dernière civilisation païenne ayant gardé des traces du modèle sociétal antique. Cette veille scientifique est également présente à l’extrême droite.

Le sociologue Michel Maffesoli, compagnon de route[10] du Groupement de Recherche et d’Études de la Civilisation Européenne (GRECE), plus connu sous l’expression « Nouvelle droite »[11], postule dans L’ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l’orgie[12], que l’orgiasme tend à la « fusion dans le grand tout », à la fusion cosmique avec Pan en immergeant le groupe orgiaque lui-même dans une globalité les dépassant. De fait, « Pan » signifie en grec « tout », divinité grecque de l’énergie sexuelle et de la Nature. Il est représenté sous les traits d’un satyre, ce demi-dieu rustique, réminiscence d’un culte chamanique, avec les pattes et les cornes de bouc, une couronne de fleurs et de fruits sur la tête. Les rites orgiaques, quelle que soit leur nature, tels que l’accouplement de l’homme et de la femme, qui évoque l’union du Ciel et de la Terre, et la danse extatique, chamanique, qui imite les mouvements des planètes, reproduisent au niveau du microcosme humain les événements cosmiques les plus fondamentaux et recréent, ce faisant, un lien analogique religieux entre les hommes et le monde dans lequel ils vivent.

Si l’extrême droite se réfère à une conception identitaire du paganisme, il ne faut pas oublier que le néopaganisme a, lui, une filiation avec l’occultisme occidental. En effet, les néopaïens sont influencés par tout un courant de celui-ci, né au XVIIIe siècle, qui a connu un franc succès à la fin du XIXe siècle et qui dépasse largement le cadre du néopaganisme. Ainsi, certains militants d’extrême droite, non païens, étudiant l’occultisme, se sont penchés sur la magie sexuelle. C’est le cas de Christian Bouchet qui se situait spirituellement des années 1980 aux années 2000[13] « […] à la confluence de l’occultisme occidental et du tantrisme shivaïte […] » et dont les maîtres spirituels étaient l’occultiste britannique Aleister Crowley et l’ésotériste réactionnaire italien Julius Evola[14], à la fois un compagnon de route du fascisme et une figure capitale de l’ésotérisme occidental[15]. L’intérêt pour le shivaïsme et le tantrisme est un trait important de ces milieux fascinés (occultistes et néopaïens) par la civilisation indienne. Ainsi, Julius Evola fut un très bon connaisseur de cette civilisation[16], dont il vulgarisa certaines thématiques à l’extrême droite. De même, Mircea Eliade, avec qui il fut en contact, et dont les liens avec l’extrême droite sont connus[17], a vulgarisé ces mêmes thématiques ésotérisantes, notamment celles de René Guénon[18], dans ses ouvrages à prétention universitaire[19].

La magie sexuelle orientale a joué un rôle important dans la conceptualisation et l’essor de la magie sexuelle occidentale, lors de la découverte de la civilisation indienne du XIXe siècle, dont certains aspects se sont alors diffusés en Occident, en particulier dans les milieux occultistes. En effet, la magie sexuelle contemporaine est née en Grande-Bretagne au milieu du XIXe siècle avec Edward Sellon[20]. En France, durant le même temps, l’occultiste chrétien Eugène Vintras[21] et l’Abbé Boullan[22] furent connus pour ces pratiques. Le second, prêtre défroqué, était fasciné par la scatophilie. Il servit de modèle à Joris Karl Huysmans pour le personnage du Docteur Johannès de son roman Là-Bas, publié en 1891. Cependant, le fondateur de la magie sexuelle moderne fut un Américain, Paschal Beverly Randolph. Ses idées et ses pratiques furent appliquées en Europe par des « sociétés secrètes », comme la célèbre Golden Dawn et surtout comme l’Ordo Templis Orientis (OTO), fondée en 1895 par l’occultiste allemand Karl Kellner. L’OTO comprenait une initiation à la magie sexuelle, de nature shivaïte. À la mort de son fondateur, la société fut développée par le successeur de Kellner, Theodor Reuss, qui diffusa ces doctrines dans les milieux occultistes occidentaux : il initia entre autres le célèbre occultiste anglais Aleister Crowley. Les néopaïens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle fréquentèrent ces milieux « occultisto-érotiques ».

Mais les lettres de noblesse de cette pratique furent données par Crowley, Evola et par Maria de Naglowska, une aristocrate russe, qui fréquenta les premiers. Elle fut aussi une figure importante du satanisme de l’entre-deux-guerres[23]. Julius Evola fut aussi un éminent représentant de cette pratique, la sexualité et son rapport au sacré étant l’un des grands thèmes de son œuvre. Il écrivit, d’ailleurs, en 1958 un livre important consacré à cette question, Métaphysique du sexe, traduit en français dès sa parution[24]. Sommairement, nous pouvons résumer la thèse d’Evola de la façon suivante : la sexualité permet le dépassement de la dualité Homme/Femme donnant ainsi lieu à l’union des contraires dont l’objectif est une forme de transcendance, inspirée du tantrisme indien. En effet, « […] l’amour ou, pour être fidèle à la pensée d’Evola, l’amour sexuel, est la forme la plus universelle de dépassement de la dualité », écrit le traducteur et italianiste Philippe Baillet[25], à la fois le meilleur spécialiste d’Evola et un militant de longue date de l’extrême droite la plus radicale[26].

3. L’Inde et le néopaganisme

De fait, l’Inde a une longue tradition derrière elle dont le tantrisme est le visage à la fois le plus célèbre et le plus mal connu. En Occident, le tantrisme est souvent caricaturé : l’omniprésence de la sexualité dans ces rites a donné lieu à bien des malentendus. Celui-ci est un courant mystique issu de manuels appelés tantra, qui recommandent, comme moyens d’ascèse, divers rites sexuels fondés sur une parfaite maîtrise de soi. Il existe deux voies spirituelles tantriques : celle de la main droite qui utilise l’énergie diffuse dans le corps humain et qui prône l’abstinence sexuelle et celle de la main gauche qui prend directement appui sur l’expérience sexuelle.

Cette idée découle de l’influence majeure d’Alain Daniélou, qui fit beaucoup pour diffuser une vision très particulière des religions indiennes en Occident. Ce musicologue est un antichrétien converti au shivaïsme[27], ou du moins à une forme de shivaïsme ésotérisant issue des spéculations évoliennes[28]. Antimarxiste et antilibéral, Daniélou a été influencé par des essais de Julius Evola, en particulier la Métaphysique du sexe, paru en 1959[29], et par Le Yoga tantrique[30] publié en 1971. Cependant, Daniélou minimisa cette influence dans ses textes. Elle est pourtant flagrante dans Shiva et Dionysos. Il le fit au profit de celle, moins conflictuelle, de René Guénon, moins marqué au niveau politique. En effet, Alain Daniélou était manifestement influencé par l’orientalisme de Guénon, même s’il se méfiait de son « occidentalisme »[31]. Sa défense du système des castes et son discours réactionnaire l’ont rapproché dans les années 1980 et 1990 de la Nouvelle droite[32]. Alain Daniélou voyait dans le tantrisme une manifestation du shivaïsme, lui-même étant une persistance d’un culte pré-indo-européen.

Ce courant très ancien est mal vu des hindouistes orthodoxes, qui lui reprochent de violer des préceptes fondamentaux (consommation d’alcool, de mets interdits, rapports sexuels extraconjugaux, etc.). Selon Daniélou, le yoga peut aussi avoir un aspect sexuel, qui a très tôt intéressé et fasciné les milieux occultistes occidentaux, puis les milieux néopaïens : « C’est ce qui explique les surprenantes connaissances que nous rencontrons dans les sciences hindoues. Les techniques érotiques sont liées aux méthodes de Yoga. Pour chaque forme de Yoga, pour chaque posture, il existe une forme non érotique et une forme érotique. Les formes de Yoga qui utilisent l’érotisme à des fins de développement intellectuel et spirituel ou pour acquérir des pouvoirs supranaturels, sont beaucoup plus efficaces que les autres mais peuvent être parfois dangereuses puisqu’elles affectent le centre même de la vie.[33] »

Alain Daniélou a déploré la perte de la culture de l’érotisme dans l’Occident, perverti par le christianisme qui a rompu le lien cosmique : « En renversant l’ordre des valeurs, en ne cultivant pas l’art érotique, nous ne pourrons jamais ni contrôler, ni dominer le principe de la vie, nous perdons conscience de notre réalité, de notre rôle dans l’ordre naturel et nous devenons donc les esclaves aveugles, incapables jamais de dépasser l’ordre naturel, de nous libérer, d’atteindre à la connaissance véritable et à la béatitude de l’union divine, à la réintégration de l’être individuel dans l’être universel[34]. » Son éloge de la sexualité libérée l’a poussé à développer deux points de vue iconoclastes, mais liés dans son esprit : d’un côté, la mixophobie et de l’autre, le malthusianisme. « Le mélange des races, écrit-il, comme la démographie sans contrôle, sont représentés dans les prophéties hindoues comme les signes caractéristiques du suicide de l’humanité et sont le résultat d’une morale anti-érotique qui n’admet que l’aspect reproductif de la sexualité et ignore le rôle du plaisir dans l’harmonisation physique et mentale de l’homme.[35] »

4. Extrême droite et paganisme

Ce dépassement de la dualité, homme/femme, mais aussi spirituel/matériel, est l’une des caractéristiques du paganisme de l’extrême droite. Ainsi, l’extrême droite contemporaine a repris à la SS l’idée que les hérétiques médiévaux, surtout rhénans, étaient les représentants de la « vraie foi » des Européens[36]. De fait, cette forme de paganisme est à la fois un monisme, sur le plan spirituel, et un organicisme, sur le plan sociétal.

            Dès les années 1960, l’extrême droite s’est intéressée au paganisme, en particulier dans les marges les plus néonazies[37]. La décennie suivante, cette question est au cœur du projet anthropologique de la Nouvelle droite française, au point d’en devenir l’un de ses caractéristiques les plus importantes[38]. Guillaume Faye, l’un des théoriciens les plus importants de ce courant de pensée, écrivait en 1983, « Dans une conception païenne de la société — à la fois libertaire et souveraine, conviviale et régalienne, animée par le principe de plaisir comme par la volonté de puissance — tout peut coexister de manière organique et polythéiste : l’ascèse sexuelle, le libertinage, l’esprit de jouissance, la déviance, l’homosexualité, le saphisme, la sublimation, l’esthétisme. Chacune de ses attitudes correspond à une fonction, à un ordre, normé par des codes rigoureux. »[39] Comme le montre cette citation, Faye a une vision très particulière, très « libérée », de la sexualité païenne allant à l’encontre du discours moralisateur dominant de l’extrême droite. Cette conception de la sexualité païenne porte en elle une révolution culturelle, sapant d’un côté les fondements de la morale chrétienne, et ordonnant de l’autre côté de nouvelles normes sociales, rigides. Faye précise sa pensée en 1998, montrant ainsi une belle continuité intellectuelle : « […] il faut en revenir à une vision archaïque des choses : intégrer la débauche et l’“orgiasme” — dont parle Michel Maffesoli dans L’ombre de Dionysos — à l’ordre social. Plus ce dernier est fort, plus l’orgiasme peut se déployer sous son ombre, en secret, comme savaient le faire les sociétés antiques. C’est la simple sagesse. Le “principe d’ordre” est conforme à des millions d’années de lois sur la reproduction de l’espèce et la transmission à la progéniture, de la culture et des valeurs. Le “principe de plaisir” doit être toléré et hypocritement géré parce qu’il est humain et inéradicable, mais sans jamais le laisser devenir norme dominante, sans qu’il ne s’érige jamais en ordre. Subalterne, mais existant, selon la loi de la vie, dans un certain “silence social”. […] Je suis pour les partouzes, les fêtes, les plaisirs dionysiaques, mais subordonnés à l’ordo societatis, articulés par lui. […] Plus l’ordre social est puissant, plus le principe de plaisir, l’orgiasme, peuvent se déployer sous son ombre sans nuire à la cohésion de la société.[40] »

            De fait, à l’extrême droite, la sexualité ne se résume pas seulement aux relations sexuelles en tant que telles mais englobe tous les comportements ayant trait au sexe, comme les rapports sociaux entre les sexes, y compris les liens du couple et de la famille. Ainsi, Alain de Benoist, le principal théoricien de la Nouvelle Droite et l’un des plus importants de l’extrême droite en général, s’appuyant sur des études universitaires, voit dans le christianisme le destructeur des formes familiales traditionnelles européennes, c’est-à-dire païennes, endogamiques : « […] la doctrine chrétienne contredisait à angle droit la conception païenne du mariage et de la famille. C’est ce que Georges Duby a appelé le conflit entre la “morale des guerriers” et la “morale des prêtres”.[41] » La politique de transformation de la famille de l’Église eut son paroxysme selon Alain de Benoist, « Durant tout le Moyen Âge, l’Église est obsédée par la lutte contre l’“inceste” : jusqu’en 1215 tous les cousins et cousines jusqu’au septième degré sont exclus de l’union conjugale ! Or depuis des temps immémoriaux, le système indo-européen de la parenté reposait sur un système endogamique d’alliances croisées entre cousins. La proscription du mariage entre apparentés, même lointains, non seulement élimine un nombre considérable d’épouses possibles, mais directement à l’encontre d’une logique traditionnelle, caractéristique du mariage aristocratique, où l’exigence de maintien et de restructuration des patrimoines ou des fiefs va de pair avec la nécessité d’une alliance durable des lignées.[42] » Il a développé cette vision de la famille dans un ouvrage intitulé Famille et société. Origines. Histoire. Actualité, paru en 1996[43], dans lequel il critique les positions de l’Église.

            Cette emprise du christianisme sur la sexualité est au cœur de la critique des néopaïens d’extrême droite. Selon eux, la religion chrétienne est trop souvent confondue avec la morale sexuelle : « On assiste alors à ce spectacle pitoyable de Chrétiens qui quémandent le blanc-seing papal pour la conduite de leurs ébats, le choix de leurs préférences, etc., raille le païen Christopher Gérard. Si l’approbation ne vient pas, c’est le psychodrame qui survient. Curieux infantilisme. Curieuse comédie, pénible aux Païens sincères.[44] » Les néopaïens, quelles que soient leur orientation idéologique et leur forme de paganisme, considèrent que le christianisme est responsable du misérabilisme sexuel qui caractérise les sociétés modernes. L’idée d’une sexualité païenne libre détruite par la politique puritaine des chrétiens, pour qui la sexualité reste empreinte du péché originel, est très présente dans ces milieux. Alain de Benoist développe une idée similaire : « Enfin, l’Église prescrit l’enfermement de toute activité sexuelle dans le cadre seul du mariage, cette activité étant en même temps assujettie à des limitations de toutes sortes. Ainsi se trouve interdite la pratique du concubinat, courant dans toute l’Antiquité, mais désormais considérée comme adultère, bigamie ou polygamie. L’union conjugale devient le seul lieu d’un investissement érotique légitime, ce qui revient à ne plus pouvoir distinguer entre Vénus et Junon.[45] »

Selon ces militants d’extrême droite, la sexualité des sociétés traditionnelles européennes ne confondait pas conjugalité et sexe. Elle se manifestait plutôt par une polyvalence de sens allant de sentiments religieux, nous l’avons vu précédemment, à des significations simplement ludiques. Cette différenciation entre le plaisir et le mariage était d’ailleurs présente dans l’Inde traditionnelle où il jouait un rôle social important. Toutefois, la sexualité n’était pas au centre de la vie sociale, comme actuellement dans nos sociétés occidentales, ni refoulée comme dans bien des sociétés musulmanes contemporaines.

5. Nouvelle droite, paganisme et sexualité

La Nouvelle droite, quelles que soient ses différents courants internes, a toujours eu une attitude libérée vis-à-vis de la sexualité. En septembre 2001, Éléments, le magazine de la Nouvelle droite fondé en 1973, a d’ailleurs consacré un dossier à cette question, « Le sexe en cage »[46]. L’idée principale de ce dossier serait que la sexualité fondée sur le plaisir et la non-reproduction, libérée du christianisme, permettrait de recomposer les liens sociaux et de resserrer ceux existant dans le groupe. Par la suite, plusieurs articles y sont consacrés. Pour Pierre Le Vigan, ancien nationaliste-révolutionnaire de Troisième Voie passé à la Nouvelle droite, « La finalité de la sexualité est d’établir des rapports humains. Allons plus loin : la sexualité est avant tout une forme privilégiée — et particulièrement forte du lien social.[47] » Tandis que le néo-droitier Olivier Hamond constate qu’« […] est des filles dites “faciles” incomparablement plus “humaines” et par-là plus “chrétiennes” que beaucoup de dragons en jupes plissées, dogmatiques du bout de leurs gros talons carrés jusqu’à la plus petite mèche de leurs chignons poussiéreux, au cœur et à l’âme aussi desséchés que leurs chairs et rongés par l’obsession d’une virginité qu’elles ont le ridicule pathétique de vouloir présenter comme un choix et une fierté. Il n’y a pourtant guère de mérite ni de gloire à défendre une citadelle que personne ne veut prendre.[48] »

            Il faut reconnaître que la Nouvelle droite s’est toujours distinguée par ses positions idéologiques (païennes, identitaires et sociétales) du reste de l’extrême droite. Ainsi, le Groupement de Recherche et d’Études de la Civilisation Européenne (GRECE – la principale organisation de la Nouvelle droite), dès ses débuts en 1968, s’est différencié à la fois des féministes et des postures réactionnaires classiques de l’extrême droite. En effet, dans les années soixante-dix, la Nouvelle droite rappelait que la différenciation des rôles sociaux masculin/féminin est « un fait de culture qui se greffe sur un fait de nature »[49]. Elle dénonçait alors l’entreprise des « extrémistes » du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), qui visait à abolir la culture européenne, indo-européenne plutôt, née avec la révolution du néolithique, dans l’espoir, assez vain selon eux, d’en finir avec le patriarcat et d’en revenir à des formes primitives de matriarcat. Depuis lors, elle défend l’idée d’une « femme-femme », c’est-à-dire féminine et fière de sa nature, en refusant la double revendication paradoxale du MLF : l’indifférenciation des genres (« on ne naît pas femme on le devient ») d’un côté et, de l’autre, l’extrême différenciation (« les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus »), postulant la réalité du bimorphisme sexuel. Un discours que nous retrouvons aujourd’hui largement partagé par les militantes d’extrême droite[50].

Au modèle de soumission féminine proposé par le christianisme, les néo-droitiers proposent de recourir aux mythes gréco-latins, qui offriraient, selon eux, une place privilégiée à la femme : « Que ce soit à Sparte, à Athènes, à Rome chez les Indo-Aryens, les Celtes ou les Germains, la femme est pleinement intégrée dans les structures socio-économiques, culturelles et politiques. Elle participe à tous les actes de la vie publique [...][51] ». Les auteurs de ces lignes, Alain de Benoist et Joël Lecrozet, appuyaient (la citation date de 1976, mais, doctrinalement elle est toujours d’actualité) leur démonstration sur des études historiques de référence couvrant les différentes cultures antiques européennes. Cependant, la situation des femmes dans le paganisme nordique n’est pas semblable à celle des femmes vivant dans les sociétés grecque et latine, peu libres par rapport aux premières. En effet, dans le monde germano-scandinave, surtout viking, les femmes étaient réellement respectées, ce que prouve la législation de cette époque. Elles étaient les gardiennes de la maison et portaient les clés à la ceinture, signe de leur rôle social important. Cette place était la conséquence des expéditions maritimes des hommes qui pouvaient s’absenter durant de longues périodes.

            La Nouvelle droite et la frange « révolutionnaire-conservatrice » de l’extrême droite sont aussi très tolérante vis-à-vis de l’homosexualité. Les néo-droitiers constatent que celle-ci existe dans toutes les sociétés traditionnelles où elle revêt parfois une signification religieuse et touche toutes les couches sociales. En effet, dans les sociétés prémodernes, les pratiques homosexuelles s’insèrent dans un moment donné de la vie de l’individu, où elles correspondent en règle générale à un rite de passage, à une expérience initiatique, reprenant à leur compte les travaux de Bernard Sergent sur la Préhistoire européenne[52].

6. Le rapport ambivalent à l’homosexualité

            Les néopaïens de la droite radicale condamnent l’homophobie du reste de l’extrême droite. En effet, ils proposent, pour protéger les homosexuels, de se référer à des exemples anthropologiques, en recourant aux pratiques des sociétés traditionnelles, notamment indiennes, sans pour autant leur donner un statut particulier. Il serait une erreur selon eux, et l’expression du déclin de nos sociétés. Ainsi, Guillaume Faye condamne l’homosexualité au nom d’un biologisme, mais refuse de tomber dans l’homophobie : « […] on ne brave pas impunément les lois de la nature, et toute anomalie biologique ou éthologique doit se payer au prix fort. Qu’ils vivent leur vie, tolérés et respectés, mais qu’ils n’imposent pas leurs normes en minorité tyrannique et qu’ils ne revendiquent pas de privilèges.[53] » Dans un entretien accordé à la revue pédophile d’extrême droite Gaie France, il affirme qu’il aurait souhaité que l’homosexualité reste dans la sphère privée[54].

            Ces positions ambiguës quant à l’homosexualité sont tributaires des flottements intellectuels de leur grande référence intellectuelle, Julius Evola : « pour lui, écrit Philippe Baillet, l’amour homosexuel ne présente aucune des conditions requises par tout érotisme profond.[55] » Toutefois, la condamnation évolienne est soumise à de subtiles distinctions : « Si l’on voulait formuler un jugement moral […], c’est surtout la pédérastie qui serait blâmable, parce que, ici, [l’un des deux partenaires] est dégradé, est employé sexuellement comme une femme.[56] » Mais il n’éprouve pas le même sentiment envers le lesbianisme : « Il n’en va pas de même dans le cas des lesbiennes : s’il est vrai, ainsi que le disaient les Anciens, que tota mulier sexus, c’est-à-dire si la sexualité est le fondement essentiel de la nature féminine, une relation entre deux femmes n’apparaît pas aussi dégradante : à condition qu’il ne s’agisse pas ici de la caricature grotesque d’une relation hétérosexuelle normale, mais de deux femmes également féminines, sans que l’une d’entre elles, masculinisée et dégénérée, joue le rôle de l’homme à l’égard de sa compagne.[57] » De fait, Evola considérait, en bon platonicien, qu’il existe un homme absolu et une femme absolue dont découle une infinité de formes sexuelles intermédiaires.

            Souhaitant éviter de mettre en avant des auteurs nationaux-socialistes, les militants de la Nouvelle droite, se réfèrent depuis le début des années 1980 aux théoriciens de la Révolution conservatrice allemande, un courant intellectuel ayant existé de 1918 à 1933, marqué par Nietzsche, qui se caractérisait par un rejet de la démocratie, de la modernité et pour une majorité de ses théoriciens, du christianisme. Certains de ses auteurs ont théorisé une forme d’homosexualité virile, à la limite du néopaganisme, née en Allemagne au début du XXe siècle et que nous retrouvons dans cette Révolution conservatrice. Celle-ci est apparue dans des groupuscules qui voulaient se libérer des morales bourgeoise et judéo-chrétienne. Ils développaient une conception particulière de l’homosexualité, inspirée de la Grèce antique (dont Sparte) et des janissaires ottomans. Simultanément à cette virilité quasi spartiate était mis en avant un culte du corps, teinté de végétarisme et de naturalisme, au discours élitiste sous-jacent. Ces mouvements furent interdits par les nazis lors de la mise au pas de la société allemande, entre mars 1933 et juin 1934.

L’une des figures de cette homosexualité, à la fois alternative et de droite, fut Hans Blüher, figure de la tendance bündisch (ligueur) de la Révolution Conservatrice, chantre de l’homosexualité, auteur d’ouvrages de « sexologie politique[58] ». Il avait développé, dans Die Rolle der Erotik in der männlichen Gesellschaft (« Le rôle de l’érotisme dans la société masculine »), paru en deux volumes en 1917 et 1919, la théorie selon laquelle l’État serait né du conflit entre la famille, expression de l’éros hétérosexuel, et le Männerbund, la « société masculine », expression de l’éros intermasculin. Ce type de société était, dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle, une association fonctionnant par cooptation et parrainage, typique des contre-cultures antidémocratiques et élitistes allemandes de cette période. Nous retrouvons, une fois encore, l’idée que l’identité européenne serait peu chrétienne et hiérarchisée.

7. Le rejet de Mai 68 et de ses valeurs

Malgré cette liberté d’esprit, quoique toute relative, les néopaïens néo-droitiers refusent la déliquescence des mœurs. Pour cette raison, ils ont une relation ambiguë vis-à-vis de la « révolution sexuelle ». D’un côté, ils reconnaissent, à la suite de Michel Foucault, le caractère révolutionnaire de la sexualité. De l’autre, ils insistent sur l’aspect normatif, contraignant, « totalitaire », de l’orgasme obligatoire. Ainsi, Olivier Hamond écrit en 2003 que « L’aspect le plus insupportable de ce déferlement libidineux est son caractère tyrannique et totalitaire. Se présentant comme une “libération”, l’hypersexualisation permissive de la société s’avère en réalité être une nouvelle oppression tout aussi implacable et inacceptable que le puritanisme sclérosé qu’elle a remplacé et dont elle est, en fait, simplement l’exact négatif. Une norme obligatoire laxiste a remplacé une norme obligatoire répressive, seules les victimes ont changé. En effet, aujourd’hui, c’est la jeune fille timide et réservée, ayant une sexualité discrète ou tardive, qui sera raillée ou exclue tout comme était insultée et rejetée la fille “facile” ou “légère” d’autrefois. L’omniprésence actuelle des représentations et des allusions sexuelles est une “pression sociale” qui n’a rien à envier à la sinistre rigidité moralisante bourgeoise mise à bas par Mai 68. La conscience de ce basculement des hiérarchies morales entraînant une simple substitution des coercitions doit d’ailleurs mettre en garde l’esprit chagriné à bon endroit par la mort de l’érotisme égorgé sur l’autel de la surenchère porno-pathétique et de la marchandisation du désir […][59] ».

De fait, les néo-droitiers ont constaté, dès le début des années 1980, que la libération sexuelle a eu des effets contradictoires. Les nouvelles mœurs, qui réinventent l’orgiasme antique, sont capables de remettre à l’honneur les pratiques sexuelles communautaires, mais celles-ci se font au détriment de la communauté, et au profit de l’idéologie intrinsèquement individualiste issue de Mai 68 et de la marchandisation des corps. Ces militants, mais aussi les « traditionalistes-révolutionnaires », disciples d’Evola, et les nationalistes-révolutionnaires (les deux tendances n’étant pas néopaïens, mais marqué par l’ésotérisme) ont tenté de réfuter à la fois la société permissive issue de Mai 68 et la morale bourgeoise, conservatrice. Leur but était de défendre une révolution sexuelle prenant sa source dans la « Tradition » (au sens ésotérique du terme) permettant de réintégrer la sexualité dans le domaine de la transcendance. Comme nous l’avons vu dans cet article, ces militants mettent en avant les sociétés traditionnelles européennes, en particulier la Grèce antique et Rome, à l’organicisme affiché. Ainsi, les comportements sexuels autonomes n’existaient pas dans la Grèce antique[60] et à Rome. Pour ne prendre l’exemple que ce cette dernière, la sexualité y était organisée à partir d’oppositions de nature juridique et sociale : les hommes libres sont opposés aux femmes, aux esclaves et aux affranchis ; les jeunes garçons sont opposés aux hommes adultes. En outre, contrairement à ce que peuvent affirmer certains néopaïens, l’homosexualité n’était pas toujours bien tolérée dans l’Antiquité, notamment à Rome[61].

 

La promotion du polythéisme, religieux et incidemment culturel serait à la fois fondamentalement libertaire, ouvrant les champs du possible sociétaux, permettant une sexualité libérée de la morale chrétienne, et hostile au monothéisme, analysé comme une secte orientale totalitaire, rationaliste et réductrice[62]. Cependant, si le paganisme a longtemps été mis en avant par une frange radicale de l’extrême droite, il faut reconnaître que depuis les années 2010, certains de ces militants se tournent vers une forme de catholicisme identitaire et traditionaliste. Longtemps considéré comme désuet ou réactionnaire, il retrouve grâce auprès des militants. Il est considéré aujourd’hui comme la « vraie » religion des Européens et comme celle qui combat l’« invasion musulmane ». Les personnes qui y reviennent, ou qui s’y convertissent, se voient comme de nouveaux chevaliers se battant pour un Occident « blanc ». En outre, il offre une conception complète du monde, morale et traditionnelle de la société, mise en en avant lors des « manifestations pour tous » : contre l’avortement ou la liberté des mœurs, pour une société organique.

La conception identitaire de la société européenne reste donc au cœur des discours et des positions idéologiques, mais le cadre de référence a changé : nous sommes passés d’un éloge d’un paganisme indo-européen à celui d’un christianisme identité (que nous pourrions d’ailleurs qualifier de « pagano-christianisme »[63]). En effet, « l’identité se réduit moins à la postuler ou à l’affirmer, qu’à la refaire, la reconstruire »[64]. Elle n’est qu’une « sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle »[65], comme l’a fait remarquer, très justement d’ailleurs, Claude Lévi-Strauss.

 

[1] Sur le néopaganisme, voir Stéphane François, Le Néo-paganisme. Une vision du monde en plein essor, Apremont, MCOR, 2007. Réédition : Valence d’Albigeois, Éditions de la Hutte, 2012 ; « Néo-paganisme », in Bruno Dumézil (dir.), Dictionnaire des Barbares, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, pp. 970-973 ; « Néo-paganisme », in Anne-Laure Zwilling, Joëlle Allouche-Benayoun, Rita Hermon-Belot & Lionel Obadia (dir.), Les Minorités religieuses en France. Panorama de la diversité contemporaine, Paris, Bayard, septembre 2019, pp. 1228-1236 ; « “Notre plus longue mémoire”. Les paganismes antiques européens comme fondement de l’ethnopolitique des groupes identitaires français », Samim Akgönül & Anne-Laure Zwilling (dir.), Druidism, Tengrism, Taaraism: Current reactivations of ancient spiritualities and religions, from identity to politics, Transnational Press of London, Londres, 2024.

[2] Cf., Stéphane François et Adrien Nonjon, « Ecology, Anti-Christianity, and the Far Right: The Readings and Recoveries of Lynn White’s “The Historical Roots of Our Ecological Crisis” », Journal for Studies of Radicalism, vol.17, n°1, printemps 2023, pp. 145-157.

[3] Non signé, Libération Païenne, nº 6, printemps 1995, non paginé.

[4] Sur le concept de « société ouverte »/« société fermée », voir Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis [1944], 2 vol., Paris, Seuil, 1979.

[5] Paul Zawadzki, « Le nationalisme comme religion séculière », in Gil Delannoi et Pierre-André Taguieff, Nationalisme en perspective, Paris, Berg International, 2001, p. 288.

[6] Martin Barker, The New Racism: Conservatives and the Ideology of the Tribe, London, Junction books, 1981.

[7] Natália Maria Lopes Nunes, « Réminiscences du Culte d’Astarté et de la Prostitution Sacrée dans quelques Hagiographies Médiévales », Actes du VIIe Congrès International des Études Phéniciennes et Puniques (Hammamet, 2009), 2019, vol. 3, pp. 1921-1926. Cette thèse est encore débattue scientifiquement : Stephanie Lynn Budin, The Myth of Sacred Prostitution in Antiquity, Cambridge University Press, 2009.

[8] Dans les milieux néopaïens, notamment chez les néo-sorcières, l’organe sexuel joue un double rôle, celui inférieur de la procréation et celui supérieur par lequel il est un moyen de contact avec l’état divin. En ce sens, la sexualité est vue comme une forme d’initiation et une voie vers le sacré.

[9] Massimo Introvigne, « Expressions païennes. Le renouveau des expressions païennes », L’Originel nº 5, printemps 1996, p. 13.

[10] Christophe-Cécil Garnier, « Maffesoli : le sociologue médiatique est aussi un grand ami de l’extrême droite et de Matzneff », Streetpress, 02/09/2020, https://www.streetpress.com/sujet/1599041564-maffesoli-sociologie-mediatique-grand-ami-extreme-droite-matzneff-fn-nouvelle-droite-alain-benoist. Consulté le 31/10/2023.

[11] Le GRECE est une organisation d’extrême droite fondée en 1968, de tendance nationale-européenne, ayant abandonné le militantisme politique, jugé inefficace. Sa stratégie portait sur l’entrisme et la diffusion de ces idées dans les différents secteurs de la société. Il s’agissait surtout d’une école de cadre politique et intellectuel. Il est connu depuis 1979 sous l’expression « Nouvelle Droite ». Son discours a beaucoup évolué dans le temps. Durant longtemps, il s’est caractérise par l’anticapitalisme, l’anti-américanisme, l’ethnodifférentialisme radical, l’européisme, l’écologisme et, enfin, par la promotion d’une forme de paganisme. Il concevait les identités comme des constructions ethnoculturelles et défendait l’idée d’une identité européenne héritée des peuples indo-européens de la protohistoire. Son principal théoricien est Alain de Benoist. Sur la Nouvelle Droite, voir Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite. Jalons d’une analyse critique, Paris, Descartes & Cie, 1994 ; Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006). Pour une autre approche, Milan, Archè, 2008.

[12] Michel Maffesoli, L’ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l’orgie, Paris, Le livre de poche, 1991, p. 14.

[13] Aujourd’hui, Christian Bouchet s’est rapproché du catholicisme traditionaliste.

[14] Christian Bouchet, « L’anti-tradition et moi », in David Gattegno et Thierry Jolif (dir.), Que vous a apporté René Guénon ?, Paris, Dualpha, 2002, pp. 137-138.

[15] Stéphane François, L’occultisme nazi, Paris, CNRS Éditions, 2020, pp.101-128.

[16] Nous pouvons citer parmi ses ouvrages : La doctrine de l’Éveil [1932], Milan, Archè, 1976; Le yoga tantrique. Sa métaphysique. Ses pratiques [1971], Paris, Fayard, 1980 ; Orient et Occident [1950-1960], Milan, Archè, 1982 ; La doctrine aryenne du combat et de la victoire [1940], Puiseaux, Pardès, 1987.

[17] Florin Turcanu, Mircea Eliade. Le prisonnier de l’histoire, Paris, La Découverte, 2003 ; Daniel Dubuisson, Impostures et pseudo-science : L’œuvre de Mircea Eliade, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2005.

[18] Sur les idées réactionnaires et métaphysiques de René Guénon, voir Mark Sedgwick, Contre le monde moderne, Paris, Dervy, 2008 ; Setareh Houman, De la philosophia perennis au pérennialisme américain, Milan, Archè, 2010.

[19] Ses travaux, qui firent référence durant longtemps, sont aujourd’hui très contestés, voir Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, Paris, CNRS Éditions, 2017, pp. 421-423. Dans cette notice, il est qualifié de « philosophe et romancier ».

[20] Francis King, Ésotérisme et sexualité, Paris, Payot, 2004, pp. 21-47.

[21] Christine Bergé, « Boullan Joseph-Antoine », in Jean-Pierre Chantin (dir.), Les Marges du christianisme. « Sectes », dissidences, ésotérisme, Paris, Beauchesne, 2001, pp. 21-22.

[22] Jean-Pierre Chantin, « Vintras Pierre Michel Eugène, dit L’organe ou Pierre-Michel », in Jean-Pierre Chantin (dir.), Les Marges du christianisme, op. cit., pp. 249-250.

[23] Massimo Introvigne, Enquête sur le satanisme. Satanistes et antisatanistes du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Dervy, 1997, pp. 238-248, (chap. « La véritable Élue du dragon : Maria de Naglowska »).

[24] Julius Evola, La métaphysique du sexe, op. cit.

[25] Philippe Baillet, Julius Evola ou la sexualité dans tous ses « états », Chalon-sur-Saône, Hérode, 1994, p. 15.

[26] Sur Baillet, voir Stéphane François, La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin. Révolution conservatrice allemande, national-socialisme et alt-right, Lormont, Le Bord de l’eau, 2024.

[27] Jean-Louis Gabin, L’Hindouisme traditionnel et l’interprétation d’Alain Daniélou, Paris, Éditions du Cerf, 2010, pp. 176-182.

[28] Alain Daniélou, Shiva et Dionysos. La religion de la Nature et de l’Éros. De la préhistoire à l’avenir, Paris, Fayard, 1979.

[29] Julius Evola, Métaphysique du sexe, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1989.

[30] Julius Evola, Le Yoga tantrique, op. cit.

[31] Jean-Pierre Laurant, René Guénon, op. cit., pp. 266-267. Sur les rapports entre Guénon et Daniélou, cf. André Coyné, « René Guénon et Alain Daniélou », in Jean-Pierre Brach et Jérôme Rousse-Lacordaire (dir.), Études d’histoire de l’ésotérisme, op. cit., p. 67-81.

[32] Pour une idée de ses thèses, voir Alain Daniélou, « le système des castes et le racisme », in André Bejin et Julien Freund (dir.), Racismes, antiracismes, Paris, Méridien Klinsieck, 1986, pp. 37-62, mettant en avant l’ethnodifférentialisme, le développement séparé, la mixophobie, etc.

[33] Alain Daniélou, « L’Érotisme dans la Tradition hindoue », Antaïos, nº 11, hiver 1996, p. 74.

[34] Ibid., pp. 75-76.

[35] Ibid., pp. 76-77.

[36] Par exemple, Sigrid Hunke, La Vraie religion de l'Europe : La foi des hérétiques, Paris, Livre-club du Labyrinthe, 1985. Sigrid Hunke, compagne de route de la Nouvelle Droite, fut membre, avant 1945, de l’Ahnenerbe, le centre de recherche de la SS. Après la guerre, elle devint une figure respectée du néopaganisme allemand. Karla Poewe, « Le “Soleil d’Allah” de Sigrid Hunke : le paradigme SS et l’islam arabe », in Bernard Bruneteau et Yves Santamaria (dir.), Extrémismes européens et mondes arabo-musulmans, Paris, Éditions SPM, 2021, pp. 67-78.

[37] Stéphane François, La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin, op. cit.

[38] Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006), op. cit.

[39] Guillaume Faye, Sexe et idéologie, Paris, Le Labyrinthe, 1983, p. 25.

[40] Guillaume Faye, L’archéofuturisme, Paris, L’Aencre, 1998, p. 103.

[41] « Penser le Paganisme. Entretien avec Alain de Benoist », Antaïos, nº 11, hiver 1996, p. 22.

[42] Ibid., p. 21.

[43] Alain de Benoist, Famille et société. Origines. Histoire. Actualité, Arpajon, Le Labyrinthe, 1996. Ce livre a reçu une critique acerbe du démographe Hervé Le Bras. Hervé Le Bras, « Benoist de (Alain) — Famille et société », Population, 52 année, n°1, 1997. pp. 245-249.

[44] Christopher Gérard, Antaïos, nº 16, Printemps 2001, p. 218.

[45] « Penser le Paganisme. Entretien avec Alain de Benoist », art. cit., p. 21.

[46] « Le sexe en cage », Éléments, nº 102, septembre 2001, pp. 18-39.

[47] Pierre Le Vigan, « Sexe, acédie, architecture… », Éléments, nº 107, décembre 2002, p. 9.

[48] Olivier Hamond, « Violation d’alcôves », Éléments, nº 111, décembre 2003, p. 13.

[49] Alain de Benoist et Joël Lecrozet, « Aperçus historiques », Éléments, nº 14-15, mars-mai 1976 repris in Pierre Vial (dir.), Pour une renaissance culturelle, Paris, Copernic, 1979, p. 114.

[50] Voir Magali Della Sudda, Les nouvelles femmes de droite, Marseille, Hors-d’atteinte, 2022.

[51] Alain de Benoist et Joël Lecrozet, « Aperçus historiques », art.cit., p. 114.

[52] Bernard Sergent, L’homosexualité et initiation chez les peuples indo-européens, Paris, Payot, 1996.

[53] Guillaume Faye, L’archéofuturisme, op. cit., p. 105.

[54] Le propos de Guillaume Faye est tiré de son entretien accordé au nº 4 de Gaie France reproduite in Philippe Randa, Homosexualité, Puiseaux, Pardès, 2004, pp. 98-99.

[55] Philippe Baillet, Julius Evola ou la sexualité dans tous ses « états », op. cit., p. 27.

[56] Julius Evola, L’arc et la massue, Paris/Puiseaux, Trédaniel/Pardès, 1983, p. 25.

[57] Ibid., p. 25.

[58] Cf. Luc Saint-Étienne, La sexologie politique de Hans Blüher, Paris, GRECE, 1994.

[59] Olivier Hamond, « Violation d’alcôves », art. cit., p. 13.

[60] David Halperin, John Winkler et Froma Zeitlin (dir.), Bien avant la sexualité. L’expérience érotique en Grèce ancienne, Paris, EPEL, 2019.

[61] Paul Veyne, « L’homosexualité à Rome », in Paul Veyne (dir.), Sexe et pouvoir à Rome, Paris, Tallandier, « Texto », 2016, pp. 195-204.

[62] Cf., Stéphane François, La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin. Révolution conservatrice allemande, national-socialisme et alt-right, Lormont, Le Bord de l’eau, 2024

[63] Il a été mis en avant, à compter des années 1990 par Dominique Venner, puis, après son suicide en 2013, par l’Institut Iliade, créé l’année suivante par des néo-droitiers historiques pour perpétuer sa pensée.

[64] Claude Lévi-Strauss et Jean-Marie Benoist, « Conclusions », in Claude Lévi-Strauss (dir.), L’identité, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 331.

[65] Ibid., p. 332.

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Fanny Guénéchault

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