N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

Question autour du concept d’identité nationale

Fanny Guénéchault

Résumé

 Cet article veut montrer que le phénomène d’identification et d’appartenance s’accroît dans ces stratégies de subversion clivantes, ainsi dénommées par Judith Butler. Elles agissent en proposant de nouvelles icônes – les drag queen – stéréotypes propagés à foison comme de nouvelles images pieuses ou militantes à imiter. Du fait de cet enjeu de substitution, ces constructeurs de normes opèrent, selon nous, comme des propagandistes de guerre, à la façon de nationalistes, au sens où leur territoire symbolique se définit par un combat contre un ennemi, l’adversaire à abattre.

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Introduction

Identités et appartenances, le lien entre ces deux notions peut paraitre à priori aller de soi. Implicitement nous inférons l’identité de notre semblable en fonction du territoire dont il vient, il en fait de même pour nous, nous y ajoutons des représentations, une certaine conception de sa personnalité, des traits de caractère… L’assignation à une identité peut donc être liée à un territoire alors même que la définition que chacun se fait de lui-même relève de l’intime, du personnel, de sa trajectoire personnelle… Mais nous ne pouvons pas faire abstraction de la dimension éminemment sociétale, voire institutionnelle de la question identitaire, même si celle-ci n’est pas toujours en congruence avec l’intime de cette même identité.

Pourtant lorsque le lien est établi ou supposé établi entre l’identité et l’appartenance territoriale il peut entraîner des conséquences politiques et personnelles importantes. Mais comment peut s’établir ce lien ? Par quels biais ? Est-il unique et indéfectible ?

L’exploration du concept d’identité nous permettra de saisir cette continuité entre intime, social et politique. Nous chercherons à comprendre ce qui établit la notion d’appartenance avant de nous questionner sur les résonances particulièrement fortes, actuellement, des questions identitaires au sein des sociétés européennes et de la France en particulier.

1. L’identité possède des dimensions multiples.

Sous l’angle de l’identité personnelle, de la conscience de soi, de l’individualité. « Je suis Moi » permet de se différencier de l’Autre, des autres. Les autres, l’extérieur de soi est toujours présent dans cette définition de Soi.

Tap (1986) évoque l’identité comme une structure ouverte, toujours en mouvance, toujours en communication avec l’extérieur, un extérieur où le regard d’autrui va être structurant. L’identité serait ainsi le résultat des interactions entre l’univers intérieur de la personne et le monde dans lequel elle évolue.

L’identité a également une dimension sociale (Tajfel, 1978) que l’individu chercherait à rendre toujours positive et dont l’inscription dans les groupes dépend. L’individu utilise alors des stratégies individuelles, collectives pour intégrer ou quitter des groupes selon qu’il les considère plus ou moins valorisants socialement.

La dimension culturelle de l’identité a été signifiée au milieu du XXe siècle avec l’avènement des sociétés post-industrielles (Poirier, 2002)

Ici nous pouvons relever un premier lien entre identité et appartenance.

Dans les sociétés traditionnelles, le processus de socialisation était considéré comme le produit de trois grands types d’appartenances prenant en charge les trois composantes du corps social : le groupe de co-descendance (les apparentés, les ancêtres communs et les alliés), le groupe de co-résidence (le village), le groupe de co-transcendance (tout le réseau des relations entre hommes et, au-delà de l’homme, la religion). Le concept d’identité culturelle n’existait pas en tant que tel car il n’avait pas d’utilité. Chaque membre savait qui il était, la société était installée dans une homogénéité culturelle indiscutée. La transformation de la société traditionnelle en société moderne puis post-moderne a entrainé la dispersion du groupe de co-descendance, la dispersion du groupe de co-résidence, et la dévalorisation du groupe de co-transcendance. Ainsi, même si l’être individuel a existé dans toutes les sociétés, le personnage social devient plus important que la personne.

2. L’individu cherche d’autres modes d’identification personnel et d’agrégation sociale.

L’anthropologie psychologique développe cette nouvelle pensée qui établit un pont entre social et psychique, collectif et individuel avec, au centre, la notion de culture. Selon cette approche, l’identité est conçue non pas comme un état stable et définitif mais comme un processus en relatif devenir, plurielle.

Outre les aspects personnels, sociaux et culturels, Chevalier (1994) souligne la nature intrinsèquement politique des phénomènes identitaires du fait de l’indissociable liaison en la matière de l’individu et du collectif. L’identité politique est considérée comme la résultante active d’influences venues de l’extérieur : la socialisation, l’exemple d’une formation politique, la prise de conscience d’une situation de domination et d’autres influences conjoncturelles ou historiques.

Cheleb (1997) la définit comme « la capacité individuelle acquise lentement durant les périodes initiales de socialisation et de participation et visant l’efficacité de l’action dans le contexte d’une situation sociopolitique ». Pour lui, « l’identité politique, comme structure intégrée, n’est pas seulement un agencement d’éléments cohérents selon une harmonie statique, elle est fondamentalement une action, un sens, une stratégie qui structure à la fois le réel et la personnalité. »

Relevant d’un déterminisme de situation, elle prolonge l’identité psychologique qui relève, elle, d’un déterminisme d’acquisition. Ainsi, l’identification serait au centre de toute identité individuelle ou collective.

Parmi les organisateurs de cette identité politique, on notera l’influence directe du milieu, la prise de conscience, les facteurs conjoncturels comme la langue, la religion et la conscience de classe. L’identité politique serait donc la résultante du monde extérieur dans lequel évolue l’individu mais elle a une résonance au niveau de l’intime, du personnel, par son articulation avec l’identité personnelle. Cette identité se forme aussi à parti du territoire d’appartenance, de référence de l’individu.

Cette conception de l’identité politique peut rejoindre l’idée de ce qu’est un citoyen selon Rouquette (1995) : [Le citoyen] est «  (…) à quelque degré un théoricien politique : il se forme une image du passé, interprète ce que lui offre le présent et se projette plus ou moins dans l’avenir (…). Tout citoyen est aussi un héritier à qui échoit au fil de son éducation, traditions, mythes et croyances (…) »

Notre questionnement porte sur la complexité des liens entre identité et territoire d’appartenance. En cela il existe un concept polémique qui aborde cette question celui de l’identité nationale. A priori, il s’agit de l’identité liée à l’appartenance territoriale telle que définit par la nationalité. Mais la réflexion historienne sur cette dimension de l’identité, élaborés par Michelet et Renan au XIXe siècle en font un concept polémique.

Michelet est le premier à avoir défini la France comme une personne. Pour lui « la nation française est une, car elle a conscience de son passé ». Ce qui fait polémique est l’analogie qu’il effectue entre le caractère national et le caractère individuel du citoyen. Le courant d’Alfred Fouillée a déterminé les éléments d’une théorie du « caractère national » et a tenté de l’appliquer à l’identité française. Il définit le caractère national comme une « façon de penser, de vouloir et de sentir commune à l’ensemble de la nation ». Fouillée en est arrivé à définir « un type français » et est devenu le porte-parole d’une idéologie nationale influente durant la première moitié du XXe siècle.

Ainsi, selon cette perspective de pensée, l’appartenance territoriale jouerait un rôle identitaire fort, allant jusqu’à influencer le caractère d’un individu.

Deloye (1994) analyse l’identité comme une construction sociale à comprendre à la fois dans son élaboration stratégique et dans sa dimension culturelle. Il part du principe selon lequel ces deux termes « identité » et « nationale » sont deux termes polysémiques dans leur usage courant.

Pour l’« identité » il considère que deux acceptions sont possibles. Selon l’une, on peut trouver une conception ouverte selon laquelle l’identité peut être acquise et non présente. Selon l’autre, l’identité relèverait d’une conception fermée comme une communauté de caractère, historiquement stable, une association d’hommes et de femmes spécialement engagés les uns envers les autres.

Pour l’adjectif « national », la même problématique se pose. Il peut renvoyer à «  ce qui est relatif à une nation, qui lui est propre ». Si on l’associe au terme « identité », nous arrivons à l’idée de territoire, d’appartenance. Pour Deloye, « national » peut également prendre une autre dimension au sens de lien entre Etat et nation, cet aspect supplémentant d’autres types d’appartenance au sens de la totalité de la nation.

En réunissant ces deux acceptions de ces deux termes, il dégage deux modèles sémantiques d’analyse, différenciés, séparés par un conflit idéologique politique et historique :

-   Le premier modèle suppose que l’identité nationale est posée dans sa durée, selon un caractère permanent et exclusif. Ce serait la reproduction à l’identique dans le temps, avec une séparation étanche avec celui qui est considéré comme étranger.

-    Le second modèle présente l’identité comme le résultat d’un travail historiquement et culturellement daté d’homogénéisation culturelle qui viserait à rendre identique les individus.

Le premier modèle exclurait une possible évolution du contenu de l’identité nationale. Le second tendrait à ne pas exclure cette possibilité tout en conservant des invariants identitaires entre les individus partageant une même identité nationale.

Mais qu’est-ce qui détermine l’identité nationale ? A priori un élément est objectivant : la nationalité.

Lipiansky (1989) pose le fait que la nationalité doit être définie en tant que variable socio-culturelle au même rang que les autres variables. Dans une recherche-action mené sur le couple franco-allemand il a constaté que l’importance de l’identité nationale est souvent déniée alors même qu’elle est, par contre, souvent reconnue et conçue comme caractéristique des autres groupes. Elle est alors généralement attribuée de manière collective, niant la spécificité de l’individu. Elle est souvent perçue comme un ensemble de conduites propres à une culture donnée.

Kelman, dans ses recherches sur le nationalisme, explique que la simple présence d’éléments culturels communs entre les membres d’une collectivité n’est pas suffisante pour les définir comme une nation. Ils doivent également avoir conscience que ces éléments communs représentent des liens particuliers entre eux.

L’identité nationale reposerait donc, au-delà d’un élément objectivable comme la nationalité, sur des éléments culturels, partagés avec d’autres dont l’individu aurait conscience.

L’Union Européenne est une entité politique qui amène à explorer cette relation entre identité et nationalité. Elle reconnait les identités nationales de ses états membres. Elle valorise également un certain nombre d’identités qui ne correspondent pas aux limites tracées par les frontières des états. Ce sont des identités auxquelles les ressortissants sont attachés d’un point de vue émotionnel, culturel voire spirituel. Certaines de ses identités sont dites à territoire compact, d’autres sans territoire compact et d’autres qui n’ont pas une telle référence (Collectif Ranelpi, 2008).

L’Union Européenne a introduit la notion d’ « identité composite » qui permet de souligner que l’identité nationale et ethnique n’est pas la seule identité du citoyen européen.

Une démarche de valorisation des régions a été initiée et par-delà même l’identité régionale. Celle-ci peut être investie dans une recherche d’enracinement historique, de traditions dans une perspective de réinvestissement généalogique. Elle est aussi parfois investies à travers des stratégies volontaristes d’auto-qualification des individus (Dupoirier, 1994).

Et pourtant, parmi les paradoxes inhérents à la construction européenne, on observe que, alors qu’elle valorise les identités locales, régionales dans lesquelles les citoyens se retrouvent et les revendiquent, il est difficile à ces mêmes citoyens de donner une définition de ce qu’est l’identité européenne ou d’en donner des caractéristiques, investies ou non… Ceci apparait d’autant plus paradoxal que depuis le Traité de Maastricht les ressortissants des états membres de l’Union Européenne sont dotés, en plus de leur citoyenneté nationale, d’une citoyenneté européenne. Cette dernière se juxtapose à la première sans la remplacer. Il s’agit d’un élément juridique, objectivable, défini par une appartenance territoriale en termes de domiciliation ou de naissance mais, pourtant ces éléments ne permettent pas de donner une définition construite de ce qu’est l’identité européenne. Il est souvent évoqué le partage de valeurs en lien avec l’état de droit mais ne caractérisant pas de manière spécifique les individus.

Dans un sondage Eurobaromètre datant de 2007, soit 15 ans après l’acquisition de cette citoyenneté et 5 ans après la création de la zone Euro et de la mise en circulation de la monnaie unique, seuls 47 % des citoyens interrogés savaient ce que représenter le statut de « citoyen de l’Union Européenne » et il ne s’agissait pas de caractéristiques identitaires ou culturelles mais plutôt des valeurs et des droits.

L’exploration du concept d’identité et de ses liens avec le politique, le territorial, le culturel, notamment à travers l’exemple de l’Union européenne qui a essayé d’élargir et de conceptualiser ce sujet, nous donne à la fois un aperçu de la complexité des liens identité/territoire, identité/appartenance et dans le même temps de l’importance que revêtent ces mêmes liens dans notre rapport au monde.

Ce qui peut être mis en avant à un moment donné, dans une situation circonstanciée ne l’est pas forcément à un autre moment mais la résonance reste de l’ordre de l’intime ce qui rend ces questions si sensibles.

Le danger actuel est la simplification de l’identité à un seul espace-temps et assignation par l’autre alors même que ce qui fait dynamique c’est ce que nous appellerons : le positionnement culturel du sujet en tant que le rapport que la personne entretient avec l’identité culturelle à laquelle il est assigné (Guénéchault, 2020).

En nous appuyant sur ce qu’énonçait Dorna (2006) sur la nation c’est-à-dire que « le citoyen se trouve (…) lié aux autres membres du groupe dans le temps et dans l’espace par des sentiments et une histoire commune », le patrimoine culturel étant le socle de solidarité et « la nation est une culture », nous envisageons, par ce biais, que le sujet peut se sentir assigné à une identité culturelle, nationale, dans le discours et que sa réaction est inhérente au rapport qu’il entretient de manière intime avec cette dimension identitaire définie extérieurement à lui-même.

Ceci pourrait être une perspective de réflexion sur des postures pouvant être perçues comme ambivalentes chez une même personne en fonction des circonstances, se définissant à la fois d’une appartenance identitaire tout en refusant d’y être assignés ou s’y référant à d’autres moments et ce selon la résonance intime, pas toujours nécessairement consciente. Ceci nécessite une analyse complexe de l’utilisation de la question identitaire dans les discours et situations politiques. Mais les modalités de communication tendent à simplifier, schématiser cette dimension et à l’instrumentaliser et ce quelque soit le courant politique ce qui génère des incompréhensions et peut pousser des personnes à radicaliser une position plus nuancée au départ. Cette utilisation tend à opposer des identités culturelles et si l’extrême droite a un ancrage politique fort sur ces questions, l’utilisation qui en est faite de manière générale n’aide pas à l’apaisement du climat sociétal.

Depuis 2002, les votes pour le FN devenu RN ne cessent de croitre. Cela signifie-t-il pur autant que le sentiment xénophobe augmente ? Cela justifie-t-il pour autant d’avoir une attitude un peu condescendante envers cet électorat ? S’il existe un « noyau dur » qui partage les idées idéologiques historiques de ce parti, le nombre croissant d’électeurs peut être aussi analyser comme le fait qu’une partie de ce discours à une résonance intime, personnelle chez ces personnes.

Comme nous l’avons vu précédemment l’identité nationale est un concept polémique de par sa création historique. Mais aujourd’hui, à une heure où le respect de la différence culturelle, des minorités culturelles représente un combat pour les sociétés européenne ce concept ne devrait-il pas être abordé selon une perspective nouvelle ? Les partis d’extrême droite se sont approprié ce concept mais les citoyens qui s’y réfèrent y investissent-ils les mêmes perspectives ? Pour certains revendiquer leur identité nationale est plus une recherche de reconnaissance, de valorisation, de place sociale qu’un rejet des autres de par cette résonance intime qu’il éveille en eux. Le choix de ces partis n’est ni anodin ni significatif d’une adhésion totale à leurs idées mais il signifie bien qu’il y a besoin d’une expression politique nouvelle de leur identité nationale.

 

Les débats actuels tendent à opposer les groupes culturels en simplifiant ces sentiments d’appartenance. Au lieu du « vivons ensemble » souvent lancé lorsqu’il est demandé un respect des minorités, les discours amènent à une radicalisation des positions. Les autres ont toujours participé à la définition identitaire de chaque personne, par identification, rejet, rapprochement… Mais pour vivre ensemble il faut aussi définir des éléments communs, ce que Bauer a appelé « la communauté de destin » pour décrire ce qui donne à une nation son identité.

 

 

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