N°35 / L'avenir de la démocratie Juillet 2019

La temporalité identitaire : réflexions sur le sentiment d'appartenance nationale dans le contexte du processus d'intégration européenne

Fanny Guénéchault

Résumé

DOSSIER : L'AVENIR DE LA DEMOCRATIE

Grâce aux nouvelles technologies, chacun vit dans un monde en réseau, connecté. Les rencontres ne dépendent plus de notre capacité à nous déplacer. Nous pouvons découvrir d'autres modes de vie, d'autres rapports au monde que ceux de notre entourage proche. Nous avons accès, de fait, à une multiplicité de références et de possibles de référence. Si chacun tente de se définir singulièrement, certaines tendances s'affirment. D'aucuns se définissent alors comme citoyens du monde, dans une forme de refus d'appartenance à un espace de vie donné tandis que d'autres signifient leur identité en fonction d'un lieu, d'un espace, d'une terre et craignent de se dissoudre dans un trop grand ensemble. Ces dynamiques identitaires trouvent leur voix dans l'espace politique européen. La place grandissante de mouvements dits populistes dans l'espace public, mouvements qui placent l'identité nationale au centre de leurs discours et qui s'appuient sur une idéologie nationaliste en est une des conséquences.

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DOSSIER : L'AVENIR DE LA DEMOCRATIE

Fanny Guénéchault a soutenu sa thèse de doctorat en 2010 intitulée : « L’anticipation du contact culturel intraeuropéen. Etude des processus psychiques à l’œuvre dans l’anticipation du contact culturel chez le citoyen français dans le contexte de la construction européenne. » sous la direction du professeur Denoux.
 

Grâce aux nouvelles technologies, chacun vit dans un monde en réseau, connecté. Les rencontres ne dépendent plus de notre capacité à nous déplacer. Nous pouvons découvrir d'autres modes de vie, d'autres rapports au monde que ceux de notre entourage proche. Nous avons accès, de fait, à une multiplicité de références et de possibles de référence. Si chacun tente de se définir singulièrement, certaines tendances s'affirment. D'aucuns se définissent alors comme citoyens du monde, dans une forme de refus d'appartenance à un espace de vie donné tandis que d'autres signifient leur identité en fonction d'un lieu, d'un espace, d'une terre et craignent de se dissoudre dans un trop grand ensemble. Ces dynamiques identitaires trouvent leur voix dans l'espace politique européen. La place grandissante de mouvements dits populistes dans l'espace public, mouvements qui placent l'identité nationale au centre de leurs discours et qui s'appuient sur une idéologie nationaliste en est une des conséquences.

La France, comme les autres pays européens, y est confrontée. Depuis que le candidat d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, a été amené par les électeurs au second tour des élections présidentielles de 2002, cette question envahit les débats. Elle déclenche les passions, les polémiques et l'antagonisme des positions. Elle a pris une place telle qu'en 2010 un ministère chargé des questions relatives à l'identité nationale a été créé.

L'identité nationale est une acception porteuse en elle-même de polémiques.

Emise par Michelet (1798-1874) et Renan (1823-1892), cette idée est théorisée par Albert Fouillée (1838-1912)1. La théorie du « caractère national » se définit comme « une façon de penser, de vouloir et de sentir commune à l'ensemble de la nation ». Cette idéologie sera influente durant la moitié du XXème siècle.

Pour Deloye2, elle est une construction sociale qui comprend, à la fois, une élaboration stratégique et une dimension culturelle. De fait, elle donne lieu à deux modèles sémantiques séparés par un conflit idéologique, politique et historique. Le premier modèle suppose une identité définie dans la durée selon un caractère permanent et exclusif. C'est l'idée de la reproduction à l'identique dans le temps, supposant une séparation étanche avec celui considéré comme un étranger. Le second modèle présente plutôt l'identité comme un travail d’homogénéisation culturelle, historiquement et culturellement daté qui vise à rendre identiques les individus.

Dans les deux cas, celui qui ne possède pas cette identité nationale est exclu, mis à l'écart, hors du groupe car ne faisant pas partie, selon les mots de Sayad3 de l'ordre national, l'ordre de la nation.

Effectivement cette problématique identitaire renvoie à cette autre acception qu'est la nation. Mais qu'est-ce que la Nation ? Pour Dubois4il s'agit d'une « conscience d'identité et conscience d'altérité (…) les deux principes indissociables autour desquels s’établit une conscience nationale digne de ce nom, entre la conscience de soi et la conscience de l'humanité. ».

Etymologiquement, le terme « nation » est né du latin « natio » qui exprime l'idée d'une parenté, proche du sens actuel d'ethnie. Il devient un concept politique lorsque la France révolutionnaire transfère la souveraineté de la personne du Roi au peuple. L'Etat National devient alors souverain absolu, la Raison d'Etat prime sur la religion. C'est la naissance de l'Etat Nation. La personne trouve le fondement de son identité à la fois dans l'environnement familial, ethnique, régional mais aussi dans la filiation mythologique et réelle à la nation. Ce cadre étatique se définit comme un cadre d'appartenance et de reconnaissance5 et renvoie la personne à une place dans une histoire et dans un espace géopolitique définis. Pour Morin6, c'est de ce cadre unitaire qu'émerge le sentiment d'identité nationale.

Mais cela veut-il pour autant dire que ce sentiment est vécu de manière indifférenciée par l'ensemble des citoyens ? Avons-nous tous la même histoire identitaire ? Élaborons-nous le même rapport à cette nation ?

La population française s'est construite au fil des mouvements migratoires. Ceux-ci ont permis à des personnes d'horizons géographiques différents de partager un même espace de vie. Afin de prendre en considération la diversité culturelle comme problématique sociale, le terme « multiculturalisme » émerge dans les années 60. Dans le même temps, ce phénomène permet « la renaissance des identités communautaires, ethniques »7. La personne devient plus importante que le personnage social. Elle cherche d'autres modes d'identification et d'agrégation sociale8. Afin d'expliquer ce phénomène, l'anthropologie psychologique qualifie l'identité de culturelle. Elle est abordée comme un processus en relatif devenir, se déroulant, d'une part, en fonction d'adhésion, d'identification à une communauté et, d'autre part, en fonction d'opposition et d'exclusion à d'autres communautés. Dans les années 1975-1980, l'anthropologie psychologique permet donc d'établir un pont entre social, psychique, collectif et individuel, mettant la notion de culture et la problématique identitaire au centre de sa réflexion.

S'appuyant sur cette approche, Camilleri9 élabore le concept de stratégie identitaire. Selon un processus dynamique, en mouvance tout au long de son évolution et intégrant les différentes expériences vécues, le sujet élaborerait son identité dans une redéfinition permanente de lui-même. Critiquant cette notion de « stratégie identitaire » basée sur une conception de l'identité où priment la cohérence, l'unité et la continuité, Denoux10 propose l'idée d'une identité en réseau, dynamique, sans cesse en évolution et en involution, s'adaptant au contexte et finalisée par le processus même du codage, la culture en traçant le tour des possibles : l'identité interculturelle. Il s'agit là d'une tentative de réponse à la complexité des références à partir desquelles le sujet peut s'identifier.

Bien que de nouveaux concepts et de nouvelles approches aient été élaborés pour nous aider à appréhender nos sociétés multiculturelles, le concept d'identité nationale garde une place importante dans les débats politiques. Il est régulièrement instrumentalisé pour opposer des groupes, des citoyens par certains mouvements politiques. Dans le contexte de la construction européenne, il garde une résonance particulière, nous rappelant que la nation et ses attributs symboliques ont toujours leur place dans l'imaginaire collectif.

En 2002, la monnaie unique européenne, l'Euro, est mise en circulation, remplaçant progressivement les monnaies nationales dans la partie de l'Union Européenne appelée « Zone Euro ». Elle est le premier attribut politique tangible de l'Union Européenne présent dans le quotidien des citoyens européens habitant cette zone. Cet événement, bien que préparé depuis plusieurs années, rencontre des réticences. Ainsi, la nouvelle monnaie est rapidement accusée d'une augmentation des prix en dépit de données officielles démentant cette affirmation. Symboliquement, l'Euro ébranle les repères géopolitiques de l'Etat nation. Le citoyen est projeté dans un nouvel espace géopolitique qui s'intrique avec celui qu'il connaît. Cette situation semble surprendre un certain nombre de citoyens.

L'idée d'une Europe unie est née à la fin des années quarante. Envisagée sous la forme d'une fédération, représentant la recherche d'un idéal de paix après la seconde guerre mondiale qui avait durement éprouvé le continent européen, se fondant sur la réconciliation franco-allemande, cette future Europe est promulguée par les partis sociaux-démocrates et démocrates chrétiens. Depuis la déclaration de Robert Schuman en mai 1950 signifiant sa naissance, la construction européenne a évolué par étapes et par élargissements en intégrant de nouveaux pays.

Le regard que porte les français sur cette construction est mitigé. En 2006, Duboys Fresney11 a brossé un portrait des français et a noté que « beaucoup de français redoutent que la construction européenne conduise le continent à perdre sa diversité au profit d'une homogénéisation tiède et sans relief ». Il s'agit là d'une inquiétude relative aux particularismes identitaires.

Cette question est traitée par l'Union Européenne notamment à travers la reconnaissance des identités nationales de ses états membres. L'Union Européenne reconnaît également un certain nombre d'identités qui ne correspondent pas aux frontières des Etats et auxquelles les ressortissants sont attachés d'un point de vue émotionnel, culturel et spirituel12. L'Union Européenne emploie la notion d’« identité composite » pour souligner le fait que l'identité nationale et ethnique n'est pas la seule identité du citoyen mais qu'elle entre dans un mécanisme complexe d'identité individuelle et collective . Ce mécanisme participe à la construction de la personnalité du citoyen qui négocie ainsi en permanence sa place dans la société. Ainsi, l'identité nationale est considérée comme se déroulant à la fois au niveau de l'Etat-nation et à celui, plus local, de la région, voire du quartier.

Le lien entre ressortissants des états membres de l'Union Européenne et l'Union Européenne elle-même est défini depuis le Traité de Maastricht en 1992. Chaque ressortissant est désigné comme citoyen européen, cette citoyenneté se superposant aux citoyennetés nationales. Ce principe a été renforcé par le Traité de Lisbonne13 après l'abandon du projet de Constitution Européenne.

La citoyenneté se définit comme le droit d'appartenance des personnes à une entité politique reconnue. Dorna14 explique qu'elle s'établit grâce à « la transmission [d’] éléments affectivo-cognitifs via les mécanismes de socialisation et les pouvoirs politiques de contrôle (physiques et psychologiques) qui permet le maintien de la cohésion nationale et l'intégration des vagues successives de nouveaux membres. »

En 2009, Duchesne15 a soulevé la question du lien entre citoyenneté et identité européenne en évoquant le fait que c'est en fonction du système politique choisi que s'élaborera cette citoyenneté et permettra l'émergence de cette identité. Or, dix ans plus tard, le système politique de l'Union Européenne est loin d'être achevé.

Si la citoyenneté européenne a une existence sur le plan juridique, qu'en est- il de l'identité européenne ? Elle est difficile à circonscrire. Pour certains auteurs, il s'agit simplement d'une forme en négatif qui existe en cela que les européens existent dans la pensée des habitants des autres continents. Pour d'autres, comme Christophe-Tchakaloff16, il s'agit d'une identité communautaire plus qu'européenne qui se constituerait « au fil de l'intégration [européenne] (...) dégagée de l'identité nationale. ». L'identité européenne s'envisagerait donc potentiellement comme une construction inhérente et intrinsèquement liée au processus même d'intégration européenne.

Selon cette approche, le citoyen européen se définirait en tant que tel dans un double mouvement de construction / déconstruction de son espace géopolitique. En conséquence, il est à considérer que la personne puisse avoir un sentiment de perte et une forme d'incertitude identitaire. Elle se situe dans un entre-deux, entre deux espaces, entre deux temps. Cette place de l'entre-deux peut être inconfortable, générer tensions et crises mais elle peut être aussi source de création, d'inspiration pour se redéfinir. C'est sous cet angle que nous l'abordons en tant que temps de création et d'émergence identitaire. Cet entre-deux se déroule entre deux espaces qui sont redéfinis institutionnellement et relativement à un entre deux temps, celui des références du « en train de devenir passé », toujours accessibles, connues, et celles d'un « en train de devenir », de l'avenir, parcellaires et pour certaines inconnues. C'est ce que nous rappelle Rouquette17 dans sa description de ce qu'est un citoyen : « [il est] à quelque degré un théoricien politique : il se forme une image du passé, interprète ce que lui offre le présent et se projette plus ou moins dans l'avenir (…) le citoyen isolé n'existe pas, non plus que le vide social, mais chaque citoyen traite à sa manière et depuis le contexte qu'il investit l'information qui lui parvient. »

La temporalité occupe une place centrale dans la vie des hommes et dans la vie politique. Traiter du temps pose problème en raison de la possibilité, ou de l'impossibilité, dans laquelle nous nous trouvons, de le saisir et de le définir et ce, bien qu'il soit, avec l'espace, une dimension fondamentale de nos actions et de notre capacité d'agir. Mais de quel temps parlons-nous ? S'agit-il de celui du citoyen ou de celui de l'Union Européenne ?

Il existe un temps socialisé, décrit par Zarifian18 comme un temps mesurable et mesuré, contraint par la société et les cultures dans lesquelles il se déploie. C'est celui des institutions. C'est un temps juridique et politique. C'est le temps de l'Union Européenne, celui qui a permis, notamment, de modifier les frontières sans les déplacer géographiquement. Zarifian propose l'élaboration d'une « sociologie du devenir » qui s'écarterait d'une « sociologie de la régulation et de l'identité », sociologie de la recherche d'ordre et de cohérence. La sociologie du devenir serait une « sociologie de la communauté humaine en tant que totalité concrète considérée dans son mouvement (…) sans verser dans l'illusion que cette communauté puisse s'unifier dans une unique perspective. Il évoque notamment « l'anticipation de l'advenir » qui recoupe aussi l'anticipation du choix d'action de ce qu'on cherche à faire advenir.

Du point de vue du citoyen, ces modifications ont été peu palpables dans son quotidien jusqu'à la mise en circulation de l'Euro en lieu et place de la monnaie nationale. Partager la même monnaie peut faire partie des mécanismes affectivo-cognitifs évoqués par Dorna. Cet élément a eu une portée symbolique qui va bien au-delà de l'aspect pragmatique de la facilité des échanges. Elle symbolise et concrétise les avancées temporelles de l'Union Européenne, elle est le résultat du déroulé de ce temps institutionnel.

En psychologie, les conduites temporelles sont considérées comme des conduites « régulatrices de l'action »19. Sutter20 part du constat qu'une des seules préoccupations de l'homme est de vivre par avance son avenir. Il distingue la notion d'avenir de celle de futur. Le futur est « ce qui sera », l'itinéraire de vie dans lequel la personne se projette tandis que l'avenir est « ce qui pourrait ou devrait être » et « renferme la totalité des futurs possibles ». Sutter précise que la conduite anticipatrice occupe aussi une fonction instrumentale en cela qu'elle permet l'ajustement de la position actuelle du sujet en fonction de ce qu'il découvre, ou pense découvrir, dans ses pérégrinations intellectuelles. Pour Sutter, l'anticipation se définit comme « une conduite qui dispose et organise en fonction de l'avenir personnel toute l'activité humaine ».

Lorsque le citoyen va voter, il le fait pour son futur et pour l'avenir de la société dans laquelle il vit pour ce qu'il souhaite d’un avenir collectif dans lequel son futur est inscrit. Son choix est aussi soumis à des influences souvent inconscientes qui le concerne individuellement et intimement.

Cette temporalité intime, ce temps vécu tel qu'évoqué par Minskowski21 est assujetti au temps socialisé et mesurable. Dans le contexte de la construction européenne, le citoyen est confronté à un temps qui le dépasse, qui l'assigne à une position de spectateur et, ponctuellement, à une position d'acteur décisionnaire.

Comment envisager la problématique identitaire dans ce contexte particulier autrement que dans l'opposition ou la juxtaposition ? En reprenant les approches de Zarifian, de Denoux et les réflexions de Sutter, il nous semble nécessaire d'envisager l'identité dans un mouvement qui se construit. L'articulation nécessaire que le citoyen doit faire entre ses références identitaires nationales bousculées et les contours d'une identité en devenir se retrouve dans le processus anticipatif et son mouvement récurrent entre présent et avenir.

Nous proposons donc d'aborder la question identitaire du citoyen dans le cadre de la construction européenne en tant que « positionnement culturel du citoyen face à la construction européenne »22. Le terme de positionnement laisse l'idée d'un mouvement, d'une possible évolution de posture identitaire. Cette idée de mouvement nous semble importante par le fait qu'elle suppose que le sujet peut faire preuve de souplesse dans l'utilisation de ses références identitaires. Ainsi que nous l'évoquions précédemment le citoyen européen se trouve dans un temps d'incertitude identitaire qui peut l'amener à utiliser plus fortement les références identitaires qu'il connaît pour se définir. Or, nous observons que l'identité nationale est régulièrement présentée et instrumentalisée comme une posture centripète, tournée vers elle-même. Cela nous renvoie à une de nos questions : tous les citoyens élaborent-ils le même rapport à la Nation ? Nous pensons que non. Nous pensons que les citoyens peuvent s'appuyer sur leur identité nationale pour se définir dans un contexte européen sans se replier sur ces seules références, nous pensons qu'ils peuvent tout à la fois se définir comme national et rester ouvert à d'autres références, allant même jusqu'à les intégrer dans un mouvement créatif. Il s'agit donc de ne pas laisser ce qui est de l'ordre de l’appartenance territoriale première, de la nationalité être définie comme une entité figée, défensive et non évolutive. Il s'agit donc de pouvoir s'affirmer comme national et européen, dans une posture centrifuge créatrice de sens.

Mais, l' « identité nationale » porte en elle les stigmates d'idées plus anciennes, imprégnées d'idéologie nationaliste. Dans notre étude, nous avons établi un lien entre la question identitaire, ce que nous avons appelé « le positionnement culturel du citoyen face à la construction européenne » et la manière dont le citoyen anticipe le contact culturel. Nous avions considéré trois types d'anticipation du contact culturel pouvant être élaborés par le sujet, en nous appuyant notamment sur les processus en jeu dans l'interculturation telle que définie par Denoux : la Création Culturelle, l'Assimilation Culturelle et la Protection Culturelle. Du côté du citoyen, nous avions défini trois types de rapports à la culture, au sens ici d'identité française : Appartenir, Se Réclamer, Etre Référé. Nos résultats nous avaient amené à conclure que, plus un sujet se sent proche de cette identité culturelle, plus il tendrait vers un type d'anticipation mixte « assimilation-Protection Culturelle où, considérant l'influence réciproque des cultures, le sujet adopterait un mouvement de protection identitaire n'offrant que peu de possibilités à une métabolisation de la différence et à l'émergence d'une culture tierce. Il est intéressant de noter le lien entre la position actuelle du citoyen et ce qu'il projette de l'évolution de son identité dans l'Union Européenne. Cependant cette conclusion doit être considérée avec nuance car, dans le cadre de cette étude, la référence implicite à l'identité culturelle de référence est celle de l'identité française. Or, cet élément n'ayant pas été exploré, il a été laissé à l'imaginaire des sujets interrogés et, au regard des résultats, nous pouvons percevoir la prégnance de l’acception « identité nationale » telle que nous l'avons évoqué précédemment, développée dans l'imaginaire collectif et dans le discours politique. Ainsi, nous devons envisager que ce n'est pas seulement la vision de la construction européenne par les citoyens que nous devons faire évoluer pour qu'ils se sentent participatifs du projet mais aussi la perception d'eux-mêmes en tant que nationaux et surtout en tant que nationaux européens et de leur devenir identitaire.

L'Union Européenne a pour origine le projet de faire vivre ensemble des personnes qui, de par leur lieu de naissance, vivent séparés et ce sans la dimension migratoire. Ce vivre ensemble particulier signifie le partage d'un espace de vie culturel, politique et humain unifié et divers. Les problématiques sociétales posées sont vertigineuses, complexes et semblent se complexifier au fil des années peut-être parce que les dimensions pragmatiques, économiques et commerciaux semblent avoir pris le pas sur la réflexion idéologique et citoyenne. Introduire une réflexion sur le devenir identitaire des citoyens européens est indispensable pour redonner sens à ce projet et, aussi, parce que force est de constater qu'au niveau politique les mouvements populistes se sont approprié la question. Leurs représentants emploient des concepts anciens qui divisent et enferment chacun dans une forme d'opposition binaire lié à un sentiment d'appartenance nationale.

Les sciences humaines ont proposé de nouveaux outils pour penser le multiculturalisme, prenant en compte la notion de culture qui a permis d'élargir la réflexion au-delà de la question territoriale. Il est nécessaire à présent, dans l'Union Européenne de traiter de manière nouvelle les problématiques identitaires qu'elle fait émerger afin de ne pas tomber dans les travers de la xénophobie.

1 Noiriel, G. (1994). L'identité nationale dans l'historiographie française, note sur un problème. In Centre de relations internationales et de sciences politiques d'Amiens, centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (1994). L'identité politique : [2è séminaire de formation doctorale, Amiens, 1992-1993- organisé par le] (p.294-305).Paris : PUF.

2 Deloye, Y. (1994). La nation entre identité et altérité. Fragments de l''identité nationale. In Centre de relations internationales et de sciences politiques d'Amiens, centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (1994). L'identité politique : [2è séminaire de formation doctorale, Amiens, 1992-1993- organisé par le] (p.281-293).Paris : PUF.

3 Sayad, A. (1991). L'immigration ou les paradoxes de l'altérité. Bruxelles : De Boeck Université.

4 Dubois, Cl-G. (1991). L'imaginaire de la nation (1792-1992) : colloque européen de Bordeaux [Maison de l'Europe, 2-4 mars 1989, Talence, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 10 mars 1989]. Talence : Presses Universitaires de Bordeaux.

5 Tenzer, N. (1993). L'Etat contre la société ? Le Banquet, 1993/1, n° 2. Récupéré en novembre 2002 de : http://www.revue-lebanquet.com/reposoir/docs/a_0000031.html

6 Morin, E. (1999), Penser l'Europe. Paris : Gallimard.

7 Constant, F. (2000). Le multiculturalisme. Paris : Flammarion.

8 Poirier, J. (2002). Des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes, une genèse du concept identitaire. In Rosse, P., Midol, N., Triki, F. (dir.) Unité-diversité, les identités culturelles dans le jeu de la mondialisation (p.44-66). Paris : L'Harmattan.

9 Camilleri, C., Kastersztein, J., Lipiansky, E-M. (2002). Stratégies identitaires. Paris : PUF 4è édition.

10 Denoux, P. (1994). Pour une nouvelle définition de l'interculturation. Dans J. Blomart et B. Krewer (Eds). Perspectives de l'interculturel, [actes] - [4è congrès de l'Association pour la recherche interculturelle, associé au 11è congrès de l'international association for cross-cultural psychology, Liège, juillet 1992] (pp.67-81). Paris : L'Harmattan.

11 Duboys Fresney, L. (2006). Atlas des français aujourd'hui : modes de vie et valeurs. Paris : Ed. Autrement.

12 Ranelpi (Collectif) (2000, revu en 2008). Statut-Cadre du peuple Rrom en Union Européenne. Récupéré en mai 2009 de : http://www.rroma-europa.eu/

13 Toute l'Europe (2010). Un nouveau traité pour l'Union Européenne. Récupéré en février 2010 de : http://www.touteleurope.eu/fr/action/construction-europeenne/reforme-des-traites-et-des-institutions/presentation/traite-de-lisbonne-presentation.html#c1121168

14 Dorna, A. (2006). Citoyenneté : l'enjeu démocratique. Les cahiers de psychologie politique, n°9. Récupéré du site : http://a.dorna.free.fr/CadresIntro.html

15 Documentation française (2009, entretien réalisé en mai). Questions à Sophie Duchesne. Récupéré du site : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/citoyen-europeen-2009/sophie-duchesne.html

16 Christophe-Tchakaloff, M.-F. (1994). L'identité communautaire. In Centre de relations internationales et de sciences politiques d'Amiens, centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (1994). L'identité politique : [2è séminaire de formation doctorale, Amiens, 1992-1993- organisé par le] (p.441-444). Paris : PUF.

17 Rouquette, M.-L. (1988). La psychologie politique. Paris : PUF.

18 Zarifian, Ph. (2001). Temps et Modernité : le temps comme enjeu du monde moderne. Paris : L'Harmattan.

19 Janet, P. (2006). L'évolution de la mémoire et la notion du temps : leçons au Collège de France, 1927-1928. Paris : L'Harmattan.

20 Sutter, J. (1983). L'anticipation, psychologie et psychopathologie. Paris : PUF.

21 Minkowski, E. (2005).Le Temps vécu, études phénoménologiques et psychopathologiques. Paris : PUF, 1933.

22 Guénéchault, F. (2010). L'anticipation du contact culturel intraeuropéen, étude des processus psychiques à l'œuvre dans l'anticipation du contact culturel chez le citoyen français dans le contexte de la construction européenne [Thèse de doctorat]. Amiens : Université de Jules Verne Picardie, Ecole doctorale de sciences humaines et sociales, Laboratoire de psychologie appliquée EA 4298.

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Paul Wiener

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