N°38 / La propagande politique Janvier 2021

Jacques Ellul et la propagande

Patrick Chastenet

Résumé

 

Jacques Ellul (1912-1994) n’était pas seulement un universitaire enfermé dans sa discipline académique mais un penseur engagé dans tous les combats intellectuels et politiques de son temps. Avec son ami Bernard Charbonneau (1910-1996), il anima dans les années 1930 une composante « gasconne » --à la fois girondine, régionaliste, européenne, antiproductiviste et libertaire-- au sein du mouvement personnaliste et ouvrit la voie à l’écologie politique. La traduction de son maître livre La Technique ou l’enjeu du siècle (1954) lui valut une grande notoriété sur les campus américains du milieu des années 1960 aux années 1980. Historien du droit de formation, Jacques Ellul considérait le facteur technique comme la clé de notre modernité, l’élément central et explicatif des sociétés modernes. Parmi ce qu’Ellul appelait dans La Technique ou l’enjeu du siècle [1954] les techniques de l’homme (relations publiques, pédagogie, ressources humaines, publicité, psychologie, etc.), la propagande a très tôt retenu son attention puisqu’il s’y intéressait déjà durant l’entre-deux guerres [Ellul, 1937]. Outre la direction à l’université de Bordeaux, dans les années 1950, d’un centre d’études sur la propagande, il y consacre deux articles substantiels dans des revues de référence [1952, 1957] et deux livres : Propagandes [1962] et Histoire de la propagande [1967] auxquels on pourrait ajouter La Parole humiliée [1981] qui traite le sujet de façon oblique.

 

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DOSSIER : LA PROPAGANDE POLITIQUE AU 21e SIECLE

Jacques Ellul et la propagande

 

Patrick Chastenet est professeur de sciences politiques à l’université de Bordeaux, il est directeur des Cahiers Jacques Ellul. Il a publié en 2017 : Penser et panser la démocratie, chez Garnier et en 2019 : Introduction à Jacques Ellul aux éditions La Découverte

 

Sommaire

1. La technique n’est pas neutre

2. Propagandes d’hier et d’aujourd’hui

3. Brève histoire d’une très longue histoire

4. La propagande moderne est un produit de la technique

5. Les différents types de propagande

6. Le propagandé est-il complice ?

7. Quatre conditions

8. La propagande est une nécessité pour les gouvernants et pour les gouvernés

9. Information, propagande et démocratie

10. Ellul versus McLuhan ?

11. Pessimiste ou réaliste ?

 

 

« Et c’est un fait digne d’attention, et assez remarquable, que la grande propagande moderne ait commencé dans les États démocratiques. » Ellul [1962, p. 256]

 

Jacques Ellul (1912-1994) n’était pas seulement un universitaire enfermé dans sa discipline académique mais un penseur engagé dans tous les combats intellectuels et politiques de son temps. Avec son ami Bernard Charbonneau (1910-1996), il anima dans les années 1930 une composante « gasconne » --à la fois girondine, régionaliste, européenne, antiproductiviste et libertaire-- au sein du mouvement personnaliste et ouvrit la voie à l’écologie politique. La traduction de son maître livre La Technique ou l’enjeu du siècle (1954) lui valut une grande notoriété sur les campus américains du milieu des années 1960 aux années 1980. L’ampleur de son œuvre reste encore à découvrir en France [Chastenet, 2019, Rognon, 2007]. Historien du droit de formation, Jacques Ellul considérait le facteur technique comme la clé de notre modernité, l’élément central et explicatif des sociétés modernes.

 

1. La technique n’est pas neutre

 

Pour définir notre société, Ellul préfère le concept de société technicienne à ceux de société post-industrielle, société moderne, société de consommation, société du spectacle ou société de communication. Il préfère également parler de « technique » là où la plupart de ses contemporains – influencés par l’anglais technology – usent du mot « technologie » qui signifie pourtant au sens strict : discours sur la technique. Il analyse la technique non comme un simple intermédiaire entre l’homme et son milieu naturel mais comme « objet en soi » et « réalité indépendante ». Cette priorité accordée à la technique signifie que selon Ellul la caractéristique de l’homme moderne et de la société technicienne est de « rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace ». Ellul défend en outre la thèse de l’autonomie de la technique, c’est-à-dire d’un organisme partiellement clos, tourné vers l’autodétermination, n’ayant d’autre but que sa propre expansion. La technique ne progresse pas en fonction d’un quelconque idéal moral mais au contraire, c’est elle qui s’érige en puissance légitimante. La technique devient sa propre fin. Elle se suffit à elle-même. C’est « bien », simplement parce qu’on peut le faire ! Tout ce qui est techniquement réalisable devient moralement souhaitable. Selon Ellul, la technique est ambivalente car elle libère autant qu’elle aliène. Elle crée des problèmes aussitôt qu’elle en résout et elle s’accroît d’elle-même par les solutions (techniques) qu’elle apporte. Tout progrès technique se paie, ce qui signifie que ses effets positifs s’accompagnent toujours d’effets non souhaités que l’on peut appeler indifféremment secondaires, pervers ou contre-intuitifs (cf. l’automobile, le nucléaire, les OGM). Si le nom de Jacques Ellul réapparait aujourd’hui dans les cercles écologistes et décroissantistes l’on oublie généralement qu’il fut parmi les premiers en France à réfléchir sur le lien unissant la propagande au régime démocratique et partant, à contester le point de vue d’auteurs classiques comme Edward Bernays et Harold Lasswell. Parmi ce qu’Ellul appelait dans La Technique ou l’enjeu du siècle [1954] les techniques de l’homme (relations publiques, pédagogie, ressources humaines, publicité, psychologie, etc.), la propagande a très tôt retenu son attention puisqu’il s’y intéressait déjà durant l’entre-deux guerres [Ellul, 1937]. Outre la direction à l’université de Bordeaux, dans les années 1950, d’un centre d’études sur la propagande, il y consacre deux articles substantiels dans des revues de référence [1952, 1957] et deux livres : Propagandes [1962] et Histoire de la propagande [1967] auxquels on pourrait ajouter La Parole humiliée [1981] qui traite le sujet de façon oblique.

 

2. Propagandes d’hier et d’aujourd’hui

 

Selon Ellul, la propagande « est bien moins une arme politique d’un régime (ce qu’elle est aussi !) que l’effet d’une société technicienne qui englobe le tout de l’homme et qui tend à être une société tout à fait intégrée » [Ellul, 1962, p. 13]. Ce qui ne veut pas dire que la propagande soit une invention limitée à l’Occident du XXe siècle. Il a précisément retracé la longue histoire d’un phénomène, comparable mais non identique, pour mieux caractériser la spécificité de la propagande moderne en tant que « résultat de la combinaison des principales tendances de la société technicienne » [p. 181]. Il faut garder à l’esprit que ce que l’on nomme aujourd’hui communication lui emprunte nombre de traits.

 

3. Brève histoire d’une très longue histoire

 

Ellul démontre que jusqu’au XVe siècle, la propagande fut sporadique et localisée, non scientifique et généralement fondée sur des sentiments religieux. Du reste, pendant très longtemps précise-t-il, ce mot évoquait principalement sinon exclusivement une connotation religieuse. Il provient d’ailleurs du nom d’une commission catholique : la Congrégation pour la propagation de la foi, fondée en 1572. L’acception moderne viendra ultérieurement. On la trouve, par exemple, dans une correspondance du théoricien contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, datée de 1815. Ellul part donc d’une définition du phénomène plus compréhensive que celle adoptée pour la critique de la propagande moderne : « l’ensemble des méthodes utilisées par un pouvoir (politique ou religieux) en vue d’obtenir des effets idéologiques ou psychologiques » [Ellul, 1967, p. 6]. Ainsi comprise, il en trouve des traces incontestables dans l’Égypte ancienne, la Grèce avec en particulier le tyran d’Athènes Pisistrate, dont les supercheries et manipulations pour s’attacher le soutien populaire seront racontées par Hérodote, ou sous la Rome antique. Au Moyen-âge à travers les croisades et l’Inquisition, chez Machiavel avec ses théories du paraître, du prestige et de la diversion. Luther, au XVIe siècle, ne se contente pas de faire imprimer la Bible en langue vernaculaire, et non plus en latin, mais diffuse des tracts à des milliers d’exemplaires. Les réformés s’empareront aussi des almanachs (calendriers) pour y diffuser leur foi. Quant à Louis XIV, il est le premier chef d’État à utiliser tous les éléments de la propagande de son époque. Avec la Révolution française, la propagande s’oriente résolument vers la modernité. Le nouveau régime doit d’abord convaincre le peuple que la souveraineté réside désormais en lui, qu’il doit faire la guerre à la place des soldats de métier et que ces guerres sont légitimes. Dès lors, il y a rencontre entre l’intention du propagandiste et un besoin réel du propagandé. La propagande devient même institutionnelle pour la première fois, le 18 août 1792, avec la création du Bureau d’esprit public, section du ministère de l’Intérieur. Mais l’essentiel est de constater que la propagande révolutionnaire est une propagande de masse, organisée, durable et qu’elle met en mouvement des mythes : républicain, humaniste ou religieux. La propagande napoléonienne sera en définitive moins novatrice et efficace. Napoléon Bonaparte avait cependant compris que son charisme pouvait faire marcher non seulement ses troupes mais la nation toute entière. L’objet de la propagande n’est plus une doctrine mais un homme. La période comprise entre 1815 et 1914 se caractérise par une contradiction fondamentale. C’est le moment où se constituent les conditions sociologiques, psychologiques et techniques de la propagande moderne, mais aussi celui où pratiquement elle s’affaiblit. Deux accidents historiques vont alors être décisifs quant à cette émergence : la guerre de 1914 conduisant à l’apparition de la propagande moderne « de façon un peu incohérente et temporaire » [Ellul, 1967, p. 104] et la révolution bolchévique de 1917 qui la rendra systématique et durable. Dès la Première Guerre mondiale, les caractères de la propagande moderne sont donc désormais fixés.

 

4. La propagande moderne est un produit de la technique

 

Très en vogue durant la période 1944-1960, à la suite des expériences totalitaires mais aussi de la révolution chinoise et de la guerre d’Algérie – environ quatre mille titres d’articles et d’ouvrages ayant trait à cette question furent recensés –, les études sur la propagande furent délaissées par les chercheurs jusqu’à la guerre du Golfe en 1991. Pour Ellul, qui fut brièvement témoin de ce renouveau, l’usage de la propagande n’avait pourtant jamais cessé et s’était même développé et généralisé. Il la définissait dans ses cours à l’IEP et dans Propagandes comme « l’ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action, une masse d’individus psychologiquement unifiées par des manipulations psychologiques et encadrés dans une organisation » [Ellul, 1962, p. 74]. L’essentiel désormais est d’obtenir une orthopraxie (praxis : « action »), faire participer à une action, et non seulement une orthodoxie, littéralement une opinion correcte. Le travail de manipulation s’effectue au moyen d’une certaine unification psychologique préalable. L’individu ne peut être atteint par la propagande qu’au sein de la masse. Elle l’intègre à une certaine vie collective en coupant ses anciens liens (famille, village, église) et lui fait partager un nouveau langage.

 

5. Les différents types de propagande

 

Ellul distingue les caractères externes : la propagande s’adresse à la fois aux individus et à la masse (radio, télévision), elle suppose la conjonction de tous les moyens (histoire, littérature, cinéma), elle doit être permanente et orchestrée des caractères internes : la propagande est de plus en plus scientifique, elle ne crée rien ex nihilo mais renforce des tendances préexistantes. Nécessairement conformiste, elle repose sur des présuppositions sociologiques et des mythes sociaux. Ellul évoque aussi sa véracité : depuis 1945, il est admis que la vérité paie. À partir de faits exacts, on donne des interprétations spécieuses. Il est en effet courant de faire de la propagande efficace avec des informations vraies comme Ségolène Royal, la candidate socialiste aux présidentielles de 2007 l’a appris à ses dépens [Chastenet, 2017]. À l’heure de la post-vérité et de la prolifération des fake news un peu partout dans le monde [Colon, 2019, Troude-Chastenet, 2018], ce constat mérite toutefois d’être nuancé. Ou encore, avec la technique du barbouillage, on associe des faits qui n’ont aucun lien entre eux. Ellul opère trois séries de distinction au sein des différentes catégories de propagande. La première oppose la propagande politique à la propagande sociologique. La propagande politique nous est la plus familière car nous l’associons à des partis ou à des leaders charismatiques démocratiques (Churchill, Gandhi) mais plus généralement autoritaires (Hitler, Mao). Elle est dite « stratégique » quand elle fixe un objectif général et « tactique » lorsqu’elle vise un résultat plus limité mais immédiat. Ellul oppose le caractère direct, délibéré et coercitif de la propagande politique (que l’on trouve en priorité dans les autoritarismes et totalitarismes) au caractère plus vaste, incertain, diffus, inconscient et spontané de la propagande sociologique qui agit en douceur, par imprégnation. Ce concept est sans doute l’un de ses apports majeurs à l’étude de la propagande. Il se rapproche de ce que les sociologues nomment la socialisation politique, au sens du processus d’inculcation des normes et valeurs par lequel une société intègre ses membres. Dans la mesure où la propagande sociologique tend à imposer tout un style de vie, on peut en trouver un lointain écho dans la thèse de Joseph Nye [1990] sur le soft power, particulièrement pertinente à l’heure des séries télévisées produites par HBO et Netflix. Parfois, en effet, la propagande de type sociologique rejoint celle de type politique, dans la mesure où elle est organisée. Ellul donne pour exemple, les groupements d’agitateurs qui se chargeaient de démontrer la supériorité de l’American way of life aux États-Unis de 1936 à 1955.

 

La seconde oppose la propagande d’agitation à la propagande d’intégration. La propagande d’agitation est la plus visible et la plus massive. Indispensable en temps de guerre, elle joue sur l’autojustification et la haine de l’adversaire. En tant que propagande subversive, elle peut aussi déclencher la crise révolutionnaire. A contrario, la propagande d’intégration est une propagande de conformisation. L’individu doit se fondre dans le parti ou la nation, l’unanimité étant la condition de l’efficacité. Elle est d’autant plus efficace que « le milieu à qui elle s’adresse est plus aisé, plus cultivé, plus informé » [Ellul, 1962, p. 90]. Plus on a de chaînes, plus on est sensible à leur manipulation ! Les intellectuels sont donc les premiers visés, le besoin de certitude les conduisant d’un totalitarisme à l’autre en fonction des changements d’orthodoxie. Cette thèse qui s’applique parfaitement au cas français suscitera scepticisme, dénégation ou réprobation. Sur un mode humoristique, on la trouve illustrée dans la chanson de Jacques Dutronc : L’Opportuniste (1968). Le passage de l’agitation à l’intégration s’avère problématique. Après la prise du pouvoir, explique Ellul, les révolutionnaires désirent faire régner l’ordre – un ordre nouveau – mais les propagandés n’y ont pas été préparés. La troisième repose sur la distinction entre propagande verticale et propagande horizontale. La propagande verticale est liée à la personne d’un chef, donc elle est fragile. Que serait devenue la propagande nazie si la télévision avait existé ? Hitler aurait-il été jugé télégénique ? La seconde, plus scientifique, s’effectue au sein de groupes sans leaders apparents. Elle s’apparente à l’agit-prop de Lénine, au noyautage d’un syndicat par un clandestin du PC hier ou par un militant trotskyste aujourd’hui. Le rôle du mouchard (révolution chinoise) ou du ghost (relations humaines aux États-Unis) consistant à modifier, dans l’ombre, l’opinion du groupe. Ellul notait à l’époque que la propagande émotive ou passionnelle tendait à disparaître au profit d’une propagande informative et rationnelle. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le renouveau de la rhétorique conspirationniste, il est permis d’en douter. L’auteur de Propagandes pensait néanmoins que même s’il était soumis à une somme de faits exacts, l’homme vivant dans une société technicienne n’en était pas moins plongé dans un univers mythique. D’ailleurs selon lui, la propagande répond aux besoins fondamentaux de l’homme moderne.

 

6. Le propagandé est-il complice ?

 

Selon Ellul, l’existence de la propagande est soumise à trois conditions sociologiques. Elle a besoin pour s’exprimer d’une société à la fois individualiste et massive. Pour atteindre son but, la propagande s’adresse en même temps à l’individu et à la masse. Société individualiste et société de masse ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Dans une société individualiste, l’homme est la mesure de toutes choses. Du moins, on lui répète sans cesse qu’il est responsable de tous les mouvements de son milieu. Corrélativement, cette société individualiste se constitue en société de masse. Débarrassé des anciens cadres sociaux, l’individu en cherchant la liberté et l’égalité trouve l’anonymat et la solitude. La propagande s’adresse précisément à cet homme « massifié et solitaire » dont parlait David Riesman [1950]. Elle renforce son sentiment d’appartenance à la collectivité et en même temps son besoin d’auto-affirmation. L’individu est plus crédule dans la foule. La propagande existe en fonction d’une opinion publique. Mais, on le sait, cette opinion n’existe qu’à travers les problèmes qu’on lui (im)pose. « S’il y a opinion publique, c’est qu’il y a une propagande qui entraîne la cristallisation de cette opinion » [Ellul, 1962, p. 119]. La propagande suppose l’existence de moyens de communication de masse et la polarisation sur des centres d’intérêt identique. En achetant son journal, en écoutant la radio, en regardant la télévision, l’homme moderne s’expose à la propagande. On peut parler de complicité du propagandé dans la mesure où l’attrait pour les médias est plus fort que la crainte de la propagande. Il est naïf de croire à l’idéologie libérale voulant que le consommateur de médias échappe à la propagande en « choisissant » un média conforme à ses opinions. La propagande transforme des impressions diffuses en opinions cristallisées. Elle transforme des sentiments vagues en motifs d’action. La propagande est moins destinée à faire changer les opinions qu’à les renforcer et à les transformer en action.

 

7. Quatre conditions

 

Ellul énumère ensuite quatre conditions objectives concernant l’homme. Une propagande efficace suppose un certain niveau de vie car l’homme marginalisé, réduit à la misère, échappe à la propagande. Un certain niveau culturel car l’homme totalement inculte est hermétique à la propagande. Malheureusement sans en indiquer la source, Ellul cite des études réalisées en Allemagne entre 1933 et 1938 montrant que dans les campagnes reculées dépourvues de postes de radio, la propagande nazie n’avait eu aucun effet en raison de l’analphabétisme [Ellul, 1962, p. 127]. Dans les démocraties modernes, on a présenté l’apprentissage de la lecture comme un moyen de liberté alors que l’important n’est pas de savoir lire mais de savoir ce que l’on lit, c’est-à-dire d’exercer son esprit critique, de raisonner lucidement sur ce que l’on est en train de lire. La lecture est pour Ellul l’une des conditions de l’existence de la propagande alors que paradoxalement l’ignorance peut protéger. L’instruction permet à l’information de se répandre. Non seulement il faut sortir de l’opposition simpliste entre information et propagande mais l’information est une condition essentielle de la propagande. L’information donne à la propagande sa matière première, elle est créatrice des problèmes que va exploiter ensuite la propagande et auxquels elle prétendra apporter des solutions. La propagande nécessite la présence d’idéologies : une même idéologie pouvant donner lieu à diverses propagandes. On entend ici par idéologie une représentation du monde plus ou moins cohérente fondée sur une combinaison de propositions descriptives et prescriptives.

 

8. La propagande est une nécessité pour les gouvernants et pour les gouvernés

 

Elle est nécessaire aux gouvernants. Désormais, la politique n’est plus seulement l’affaire des princes comme sous l’Ancien Régime. La propagande répond donc à une volonté de participation politique. Mais l’opinion publique étant versatile, les gouvernants ne peuvent la suivre. Or en démocratie, les gouvernants sont tenus d’informer les gouvernés. L’idéal consiste donc à prendre les décisions avec l’appui des masses, a priori. Elle est nécessaire aux gouvernés. L’homme dans la société technicienne a besoin d’être propagandé. Le contenu importe peu. Le propagandé est complice du propagandiste. Il veut avoir une opinion sur tous les évènements. Il lui faut un schéma explicatif simple pour comprendre et participer. L’information étant de plus en plus abondante, la propagande vient ordonner cette « toile pointilliste ». D’autre part, les médias transmettant une vision catastrophiste et complexe du monde, la propagande rassure en simplifiant. Par ailleurs, la propagande aide à satisfaire certaines attentes psychologiques de l’homme moderne : désignation d’un bouc émissaire, fusion dans une communauté, activité compensatoire, valorisation individuelle, autojustification, élimination de l’angoisse existentielle. Ellul étudie ensuite le phénomène de la propagande sous quatre aspects : la mesure de ses effets, l’inefficacité de la propagande, son efficacité et ses limites. Comment mesurer le changement ? Quel est l’état zéro de l’opinion ? À partir de quels critères peut-on discerner la présence de la propagande ? Qui a été touché et pendant combien de temps ? Les méthodes scientifiques initiées dès les années 1920 aux États-Unis par des chercheurs comme Harold D. Lasswell [1927] sont généralement inadaptées ou partiales. Pour une réponse du berger à la bergère, on lira le compte-rendu au vitriol de Propagandes publié par David Lerner [1964], un professeur ayant travaillé avec Lasswell et son équipe. De nombreuses études ont tendu à démontrer l’inefficacité de la propagande. Les stéréotypes transmis par le milieu culturel et les attitudes préexistantes seraient imperméables à la propagande ? Or, on ne lutte plus contre les stéréotypes, on les utilise. Quant à la thèse de la fixité des attitudes, Ellul cite deux exemples historiques de virages brutaux parfaitement acceptés par les publics concernés : le pacte germano-soviétique qui a été approuvé par la plupart des militants communistes et l’assassinat en juin 1934, sur ordre d’Adolf Hitler, d’Ernst Röhm, chef des SA, lors de la sanglante nuit des Longs Couteaux. Tous les leaders politiques sont persuadés de la nécessité et de l’efficacité de la propagande. Selon eux, une propagande n’est pas forcément efficace en soi mais renoncer à ce moyen équivaut à offrir la victoire à l’adversaire. Ellul rappelle l’analogie avec la publicité pour les chefs d’entreprise : « Ceux qui ne croient pas à la publicité aujourd’hui sont les mêmes qui ne croyaient pas hier au chemin de fer. » On justifie ainsi une technique par une autre ! La place accordée aux spins doctors et autres spécialistes en marketing politique n’a fait que croître au fil des décennies. Que l’on songe au cas emblématique du Premier ministre britannique Tony Blair à la fin des années 1990 et au rôle réservé à son directeur de la communication Alastair Campbell, qui s’est banalisé aujourd’hui. La propagande n’agit que dans le cadre des attitudes préexistantes. Elle doit utiliser les présuppositions sociologiques du milieu, concorder avec les faits et durer. Hors du cadre national son efficacité est limitée. D’autre part, indépendamment du talent du propagandiste, il reste chez l’individu une part incompressible d’imprévisibilité.

 

9. Information, propagande et démocratie

 

Le pessimisme (ou le réalisme) d’Ellul en matière de propagande se résume en deux propositions : il n’existe pas de démocratie sans information pas plus qu’il n’existe d’information sans propagande. La démocratie, en tant que régime, doit faire de la propagande pour survivre mais la propagande est, par essence, la négation de la démocratie comme principe [Ellul, 1952]. Il commence par s’attaquer à deux lieux communs : l’information est la clef de la démocratie ; l’information, domaine du bien et de la vérité, se distingue aisément de la propagande, lieu du mal et du mensonge. On fait de la propagande avec des mensonges mais aussi avec des informations exactes. D’autre part, une relation de complicité unit le propagandiste au propagandé. La victime tend le cou à la hache du bourreau, la servitude est volontaire comme le dirait Étienne de La Boétie. D’autre part, l’information et la propagande partagent des moyens matériels identiques : journaux, radio, cinéma, télévision. La comparaison ne s’arrête pas là. Pour faire passer l’information, on doit renoncer à toute présentation froide et nue. Du côté du récepteur, pour s’informer il faut du temps, des connaissances, un esprit de synthèse et de la mémoire. L’homme que l’on prétend informer doit avoir toutes ces qualités. Loin de favoriser la démocratie, l’information peut donc engendrer une nouvelle source de clivages et d’exclusions. Ce que l’on nomme aujourd’hui fracture sociale ou fracture numérique englobe également cette dimension. Quant au gouvernement, toujours soucieux de légitimer son action, qui pourra fixer la limite entre l’information objective des gouvernés et le plaidoyer pro domo ? L’État ne peut se passer d’intervention psychologique et la simple information est déjà une (dé)formation de l’opinion publique. En outre, pour qu’une information honnête atteigne sa cible, elle doit régner seule, ce qui suppose l’élimination des propagandes pouvant la parasiter. Or, comment lutter contre la propagande sinon par la censure ou la création d’une contre-propagande ? Dans les deux cas, on sort des limites de la démocratie.

 

Par ailleurs, l’information est la condition d’existence même de la propagande. Elle agit lorsque l’opinion est déjà émue par l’événement. Mais l’opinion publique n’existe pas – Ellul l’écrit dès 1952 – elle est produite par l’information et sert de support à la propagande. L’information, en fournissant les faits, crée le problème, exploité à son tour par le propagandiste. « Il apparaît même que l’opinion est d’autant plus sensible à la propagande qu’elle est plus informée (je dis plus et non pas mieux) » [Ellul, 1957, p. 39]. L’intellectuel n’est donc pas épargné : « Plus ample est la connaissance des faits politiques […] plus vulnérable le jugement. » La propagande envenime le problème mais fait miroiter l’espérance d’une solution. Non seulement l’information est une condition de la propagande mais c’est elle qui la rend nécessaire. Pris dans le kaléidoscope des nouvelles, l’homme moderne est étourdi par le flot incessant de catastrophes qui le dépassent. « Écrasé par l’information, il est redressé par la propagande. Il avait acquis le sentiment de son impuissance radicale dans un monde trop compliqué et trop vaste, et voici qu’il apprend son importance : la propagande lui dit que son adhésion est essentielle, que l’on compte sur son intervention, que son action est décisive, et que sans lui rien ne peut être résolu » [1957, p. 44]. L’information crée la prise de conscience, la propagande empêche le désespoir. À l’absurdité et la folie du monde se substitue la perspective d’un avenir radieux. Si l’on ne peut pas dissocier information et propagande, peut-on concilier propagande et démocratie ? Au préalable, Ellul précise que l’État totalitaire n’est pas à l’origine de la fusion entre techniques mécaniques (radio, cinéma, télévision) et techniques humaines (sciences de l’homme). Dès 1910, en Europe, la publicité commerciale s’est appuyée sur la psychologie pour provoquer des réflexes conditionnés chez les consommateurs. La propagande s’avère inévitable en démocratie dans la mesure où ce régime suppose la concurrence entre partis et la formation de l’opinion publique. Inévitable également car l’État démocratique doit riposter à la propagande des pays totalitaires. Et il n’y a pas de vérité en soi finissant par s’imposer à l’Histoire. Aujourd’hui, dit Ellul, la vérité est impuissante sans la propagande.

 

Alors, est-il possible de pratiquer une propagande démocratique ? Croire que le problème se situe au niveau du contenu, c’est oublier la caractéristique essentielle de la société technicienne : le primat des moyens sur les fins. Ellul réfute la thèse des classiques comme Edward Bernays [1928, 1940] ou Daniel Lerner [1951] et Harold D. Lasswell qui considèrent la propagande comme un simple instrument technique pas plus moral ou immoral que la manivelle de la pompe à eau. En outre, la démocratie ne constitue pas en soi un bon objet de propagande. Pour être efficace, l’usage du mythe est nécessaire. La propagande doit créer une « image motrice à caractère émotionnel » provoquant l’adhésion sans la réflexion. C’est donc dans la mesure où le modèle démocratique est ravalé au rang de mythe qu’il s’avère exportable. Ce faisant, le régime démocratique joue avec l’irrationnel et manipule les forces obscures. Il ne prépare pas au comportement démocratique mais change seulement l’orientation du conditionnement. La propagande transforme l’opinion en croyance, le relatif en absolu, le multiple en unique. Faire de la démocratie un mythe, c’est en présenter son contraire. L’objet de la propagande tend à s’assimiler à sa forme, le moyen dicte sa loi car l’instrument n’est pas neutre. On peut même dire que la propagande est totalitaire par essence. D’ailleurs une démocratie authentique ne se réduit pas à une idéologie et des institutions : elle suppose un certain comportement que la propagande ne peut créer ex nihilo. Enfin, Ellul réfute l’argumentation libérale classique selon laquelle en démocratie plusieurs propagandes contradictoires finissent par s’annuler au profit de la liberté de choix de l’individu. C’est confondre information (discussion rationnelle et débat d’idées) et propagande (manipulation du subconscient des foules). La propagande entraîne des phénomènes d’accoutumance et d’inhibition. Bien loin de s’annuler parce qu’elles se contredisent, les propagandes ont des effets cumulatifs. Dire que leur nombre constitue une garantie d’innocuité est aussi absurde de dire qu’un mal chasse l’autre. « Un boxeur groggy par un coup de poing reçu à gauche ne redevient pas normal lorsqu’il reçoit un coup de poing à droite : il est un peu plus groggy » [1952, p. 502]. Y compris dans le cadre de partis démocratiques s’exprimant dans un État de droit, la propagande s’apparente au viol des foules pour reprendre la formule titre du livre de Serge Tchakhotine [1939]. Et si l’on poursuit la métaphore, il s’agit d’un viol effectué dix fois de suite par dix partis différents ! Pour se prémunir contre ce danger, il existe deux attitudes symétriques : l’apathie politique ou l’engagement partisan. Dans le premier cas, nous dit Ellul, cette exclusion volontaire du champ politique équivaut à une démission ou à de l’inhibition, et non pas au choix authentique d’un esprit libre. Dans le second cas, l’individu troque sa liberté personnelle contre une prétendue vérité collective. La propagande de son parti le protège de celle des autres. Il s’agit donc là de deux réactions antidémocratiques par excellence. En résumé, « la propagande ruine non pas les idées démocratiques mais le comportement, le substratum de la démocratie, l’étoffe sans laquelle elle n’existe pas » [Ellul, 1952, p. 78].

 

10. Ellul versus McLuhan ?

 

On a pu dire que les théories prophétiques de la communication étaient « protégées par leur invérifiabilité » [Bourdon, 1997, p. 95]. La formule s’applique sans doute davantage à la pensée du canadien Marshall McLuhan [1964] qu’à l’œuvre d’Ellul. D’une certaine façon la problématique de ces deux auteurs est symétrique et ils arrivent par des voies différentes à des conclusions similaires. Tous deux privilégient la dimension technique des processus de communication en concentrant l’attention sur les émetteurs et non sur le contenu des messages. Ils réfutent la vision classique des humanistes quant à la neutralité de la technique. Ils ne reprennent pas à leur compte la rengaine habituelle : « Ce ne sont pas les médias qui sont dangereux en soi mais l’usage qu’on en fait. » Tous deux contestent le modèle de « la piqûre hypodermique » comme représentation de l’action des médias, mais ils divergent radicalement dans leur vision de l’avenir : pessimiste chez Ellul, optimiste chez McLuhan. Selon Marshall McLuhan en effet, les médias de l’âge électronique ouvrent la voie à une «conscience cosmique universelle » (l’inconscient collectif de Bergson) fondée sur la sympathie et la compréhension mutuelle. Alors que le langage divise et sépare (la tour de Babel), l’ordinateur traduit instantanément tous les codes, toutes les langues et donc rapproche l’humanité entière dans une sorte de Pentecôte technologique (descente du Saint-Esprit sur les apôtres) permettant l’unité et la compréhension universelles. Jean-Louis Seurin [1983] a fait remarquer que le principal mérite de McLuhan avait été de populariser en France l’idée d’Ellul selon laquelle c’est le mode de transmission même de la culture qui modifie cette culture et lui donne une signification nouvelle, indépendante du message que le média se propose de véhiculer. Ceux qui prétendent que la télévision pourrait être la meilleure ou la pire des choses, selon ce qu’on y met, oublient ce qu’elle est : un instrument qui n’est pas neutre. « Le médium, c’est le message. » À la suite d’Ellul en effet, McLuhan a lui aussi questionné le postulat de la neutralité de la technique. Sa prophétie optimiste d’une société intégrée sur une base communielle – le village planétaire – n’en a pas moins été démentie par les faits. Les divisions et les inégalités entre les hommes, entre les nations, entre les États, ont survécu à la diffusion des nouveaux moyens de communication de masse. En fait d’intégration communielle au sein du grand « village tribal », l’on a assisté à son contraire : l’hégémonie culturelle américaine et la mondialisation capitaliste. Si les formules de McLuhan pêchent par excès d’optimisme, les thèses « puritaines » d’Ellul sont empreintes d’un pessimisme wébérien. On accuse Ellul d’exagération. Il surestimerait l’impact de la propagande et sous-estimerait la rationalité de l’opinion publique. Mais comment en mesurer les effets ? Comment déterminer un niveau zéro, trouver un groupe totalement à l’abri, alors que la thèse d’Ellul décrit précisément la propagande comme un processus universel, continu et souvent non intentionnel ? On lui a reproché son refus de différencier la propagande des régimes totalitaires de celle des pays démocratiques. Si on peut admettre à la rigueur que la discrimination ne s’effectue pas au niveau du contenu, on ne peut pas conclure à l’identité des moyens utilisés. Ellul négligerait les adjuvants particuliers de la propagande totalitaire liés à son essence même : climat policier, persécutions politiques, parti unique, censure, etc. Jean-Marie Domenach [1950] affirme, par exemple, que la radio peut servir à consolider la dictature mais qu’elle peut tout aussi bien défendre la démocratie. Radio Paris versus Radio Londres ! En réduisant la propagande à un simple produit de la société technicienne, Ellul se condamnerait à la noyer dans l’ensemble des moyens de communication de masse. Pour sa part, le Canadien Randal Marlin [2005] a pointé un certain nombre de contradictions entre sa (ses) définition(s) du concept de propagande et sa caractérisation du phénomène comme une sorte de fait social total. Il est inexact, selon lui, de prétendre que la propagande moderne est totalement différente de l’art de la persuasion utilisé du temps d’Aristote. Ellul affirme que pour mériter son nom « la propagande doit être totale », alors que l’on peut constater des cas de propagande partielle, comme par exemple le Fahrenheit 9/11 de Michael Moore (2004) qui s’apparente bel et bien à un film de contre-propagande. Au plan éthique, si comme le pense Ellul, la propagande est une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire, elle est donc amorale et non pas immorale puisqu’elle est inévitable. En fait, la notion de propagande est à manier avec beaucoup de précaution et on ne peut la séparer de son contexte. Ellul aurait gagné à raisonner au cas par cas puisqu’il admet lui-même, dans la discussion, qu’après la victoire de Franco contre la république espagnole, le gouvernement Français aurait dû favoriser la diffusion d’une propagande antinazie. Au plan méthodologique enfin, de nombreux chercheurs en sciences de la communication considèrent qu’Ellul, comme McLuhan, prête le flanc à la critique. Ellul procède souvent par accumulation d’exemples venant justifier une théorie préconçue, voire par des pétitions de principe, et non par démonstration logique fondée sur des sources primaires et un authentique travail de terrain. De son côté, McLuhan, encore moins soucieux de vérification, procède par formules fulgurantes et par de simples analogies. Le courant « scientifique » des théories critiques quant à lui rejoint à la fois le pessimisme d’Ellul et l’utopisme de McLuhan. Le courant « prophétique » et le courant « scientifique » se démarquent tous deux du conformisme des recherches empiriques et de leur incapacité à s’élever au niveau des questions fondamentales relatives au sens des phénomènes décrits. Les empiristes prétendent mesurer la culture, alors que pour les théoriciens critiques comme Adorno, la culture est précisément « cette condition qui exclut une mentalité capable de la mesurer » [Mattelart et Mattelart, 1995, p. 42]. Les théoriciens de l’École de Francfort n’accordent pas la même importance et ne donnent pas la même signification qu’Ellul au facteur technique. Selon eux et pour le dire simplement, les moyens de communication de masse ne sont pas, en soi, des instruments d’aliénation mais le deviennent au sein de structures socioéconomiques oppressives.

 

11. Pessimiste ou réaliste ?

 

À ceux qui incriminent le pessimisme foncier d’Ellul il est toujours loisible de rétorquer qu’ « il est plus intelligent d’être pessimiste, car on évite les déceptions »,  comme l’écrivait dans son journal le théologien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) quelques jours avant d’être pendu par les nazis [Bonhoeffer,1970]. À l’inverse, pour revenir au seul cas français et conclure sur une note plus optimiste quant à l’impact de la propagande politique en démocratie, on peut évoquer rapidement deux faits historiques. Le soutien massif de la presse audiovisuelle, à commencer par TF1, n’empêcha pas Edouard Balladur d’être battu par Jacques Chirac au 1er tour des présidentielles de 1995. Dans le même sens, l’omniprésence médiatique jamais atteinte dans toute l’histoire de la République française ne fut ni une garantie de popularité, ni de réélection pour le télé-président Nicolas Sarkozy vaincu par Francois Hollande en 2012. Lorsque Jacques Ellul écrit que l’objectif de la propagande est d’« atteindre et d’englober le tout l’homme et tous les hommes » ce n’est ni pour s’en réjouir ni pour nous inciter à la résignation. C’est au contraire un appel à la vigilance de tous, et de tous les instants. Le fondement de l’analyse ellulienne de la propagande est indissociable de la question politique, éthique et spirituelle du rapport de l’homme moderne à la liberté.

 

 

Bibliographie

 

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