N°38 / La propagande politique Janvier 2021

La fin des idéologies universalistes : l'exemple du populisme

Pierre de Senarclens

Résumé

Nous traversons une période caractérisée par d’intenses confrontations politiques, paradoxalement inspirées par des discours qui ont souvent une faible consistance idéologique. Les démocraties prétendent toujours offrir une conception rationnelle de la société légitime, comme des fins et des moyens de l’action politique, mais elles ont du mal à se représenter des horizons d’espérance rassurants. La dégradation de l’environnement planétaire n’est pas la seule cause de cette insécurité. Les idéologies tendent à perdre de leur signification et de leur emprise lorsque la politique tourne trop exclusivement autour de questions identitaires, tout en repoussant les prémisses de l’universalisme et de la science, en refusant surtout de penser l’avenir.

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DOSSIER : LA PROPAGANDE POLITIQUE AU 21e SIECLE

La fin des idéologies universalistes : l’exemple du populisme

 

Pierre de Senarclens, professeur honoraire de relations internationales à l’Université de Lausanne

 

Sommaire

1. Des idéologies

1.1. Et de leurs interprétations

1.2. Le cas du nationalisme

2. Vers la fin des idéologies ?

2.1. Les déconvenues de l’histoire planétaire

2.2. Les équivoques idéologiques de la mondialisation

3. Le populisme

3.1. Une idéologie fragile

3.2. Le rôle des indignés

3.3. Malaise dans la société d’abondance

3.4. Le poids du passé

4. Les démocraties au défi du scepticisme

 

 

 

 

Nous traversons une période caractérisée par d’intenses confrontations politiques, paradoxalement inspirées par des discours qui ont souvent une faible consistance idéologique. Les démocraties prétendent toujours offrir une conception rationnelle de la société légitime, comme des fins et des moyens de l’action politique, mais elles ont du mal à se représenter des horizons d’espérance rassurants. La dégradation de l’environnement planétaire n’est pas la seule cause de cette insécurité. Les idéologies tendent à perdre de leur signification et de leur emprise lorsque la politique tourne trop exclusivement autour de questions identitaires, tout en repoussant les prémisses de l’universalisme et de la science, en refusant surtout de penser l’avenir. Les mouvements populistes traduisent cette réalité de manière extravagante, au même titre que bien des revendications d’inspiration ethnique ou religieuse. Ils témoignent de sociétés qui peinent à s’affranchir de leur passé, à partager des projets politiques à dimension prospective, à transcender les logiques individualistes et à confronter solidairement les défis écologiques. Avant d’examiner ce phénomène, il paraît nécessaire de faire un détour par la naissance et le déclin des grands systèmes idéologiques, en reprenant les débats qui ont accompagnés ces changements politiques, ceux qui ont dominé une bonne partie de notre histoire contemporaine.

1. Des idéologies

A partir des révolutions de la fin du XVIIIe siècle, les idéologies s’imposèrent comme des représentations politiques visant à prendre le relais des religions. En prétendant éclairer la destinée humaine, les dirigeants politiques et les intellectuels cherchèrent à se substituer aux hommes d’Église dans l’explication de la vérité et la promotion de l’espérance. Ils développèrent un discours porté vers l’avenir et donnèrent un sens à l’histoire, offrant une forme d’eschatologie séculière inspirée par des croyances dans les bienfaits de la science, conférant à la nation et plus tard au prolétariat, une mission émancipatrice dans la voie d’un salut politique universel. Ils investirent l’idéal de la raison, le mythe du progrès et les archétypes de la modernité en avançant une conception assez cohérente de la justice, de la liberté et du bien commun.

L’emprise politique et culturelle que les idéologies exercèrent sur les sociétés occidentales à partir de la fin du XIXe siècle a tenu non seulement aux rapports cognitifs et affectifs qu’elles entretenaient avec les représentations chrétiennes de l’histoire et de la société, mais également aux liens qu’elles maintenaient avec les conceptions de la morale, du devoir et de l’autorité issues de ces représentations spirituelles. Elles donnaient à ses adeptes l’illusion d’une sécurité face aux aléas de l’existence, à la souffrance et à l’échéance de la mort. Elles leur conféraient aussi une identité collective et un sentiment éphémère de contrôle et de puissance. Elles définissaient plus ou moins explicitement les adversaires, ceux qui assumaient des conceptions de l’histoire et du salut différentes, ceux qui étaient des étrangers parce qu’ils appartenaient à d’autres nations ou à des groupes politiques ou ethniques minoritaires.

Les conséquences néfastes de la Révolution et de l’Empire favorisèrent toutefois la résurgence de visions politiques marquées par la tradition religieuse, le respect des hiérarchies sociales et de l’autorité. Les idéologues de la Restauration cherchèrent dans le passé le modèle d’un ordre politique stable, cohérent et protecteur. Réfutant les constructions intellectuelles abstraites qu’ils associaient à la philosophie des Lumières, ils se réclamèrent de conceptions culturelle et politique influencées par d’anciennes allégeances identitaires. Dans le même temps, le romantisme en Europe défendit des représentations idéologiques hybrides, celles qui s’exprimèrent dans certains courants nationalistes et littéraires : les peuples participaient bien à une histoire universelle, mais en réalisant leurs aspirations culturelles endogènes, en assumant leur Volksgeist.

1.1. Et de leurs interprétations

L’explication la plus courante des idéologies est issue de la sociologie marxiste. Suivant une voie tracée par L. Feuerbach, Marx engagea une réflexion d’une valeur herméneutique incontestable sur les rapports dialectiques entre les intérêts des classes dominantes, d’une part, et les institutions, les normes et les valeurs marquant l’évolution des sociétés, d’autre part. Dans cette perspective, les idéologies reflètent des représentations politiques de nature illusoire, des phénomènes d’aliénation collective inhérents aux modes de production capitalistes. En articulant leur conception de l’histoire et du bien commun, les sphères dirigeantes défendent leur statut social, leurs avantages matériels et leur pouvoir politique.

Par la suite, analysant les structures de pouvoir assurant la pérennité de l’État bourgeois, Antonio Gramsci a défendu l’idée que les sphères dirigeantes ne s’imposaient pas seulement par le contrôle de l’appareil coercitif, mais par leurs capacités à faire accepter comme légitimes leurs visions du monde et la défense de leurs intérêts grâce à l’emprise qu’elles exercent sur les institutions, les intellectuels et les médias. L’hégémonie constitue une relation sociale qui réunit les classes dans un « bloc historique » limitant le champ des possibles, car le prolétariat et la petite bourgeoisie intériorisent les valeurs morales et culturelles, les pratiques, les engagements politiques de ceux qui les dominent.

L’apport de la psychanalyse mérite d’être souligné dans ce contexte, car elle offre un accès privilégié à l’intelligence des facteurs émotionnels qui influencent la politique. Freud, son père fondateur, a dévoilé les besoins et les désirs, en partie inconscients, qui influencent la sphère des idées, aussi bien que les comportements. « …L’homme utilise son activité imaginative pour satisfaire ceux de ses souhaits qui ne sont pas satisfaits dans la réalité. » [1] Les idéologies mobilisent des affects touchant à l’histoire, à la destinée des sociétés humaines, et par conséquent à la sphère des identités individuelles et collectives. Les individus les investissent non seulement pour les raisonnements et les objectifs qu’elles articulent, mais également pour les passions qu’elles permettent d’assouvir. En fin de compte, les idéologies contribuent à des phénomènes d’aliénation socio-psychologique, induisant certains groupes à prendre des engagements politiques qui vont à l’encontre de leurs propres intérêts.

1.2. Le cas du nationalisme

L’exemple emblématique de cet investissement émotionnel est celui du nationalisme. Avec ses variantes, cette idéologie a fini par imposer au XIXe siècle sa prépondérance politique et culturelle, inspirant les peuples en quête d’émancipation et de dignité collective, en conférant aux Etats une mission historique, tout en légitimant leurs sphères dirigeantes. Mouvement de passions, plutôt que de raison, le nationalisme été propagé par les gouvernants et les militants politiques en quête de pouvoir. Il n’a cessé d’être animé par des intellectuels romantiques, mais aussi par des démagogues ou des cyniques. Il a inspiré des débordements d’émotions collectives et le surgissement de foules, plus ou moins organisées par les sphères dirigeantes.

En réalité, les doctrines dont le nationalisme se réclame ont moins d’importance que les passions qu’il anime. Ces émotions ont un large écho parce qu’elles touchent à ce qui relève de l’identité individuelle et collective. Les nationalistes s’enorgueillissent d’appartenir à une nation d’exception dont le passé et la destinée sont voués à la grandeur. Ils l’investissent de qualités anthropomorphiques, l’invoquant comme une personne aimée, douée de volonté et d’aspirations grandioses. Ils ont le sentiment de partager ses vicissitudes ; ils se sentent humiliés par ses échecs ou ses défaites, grandis par son prestige, par ses victoires sur les champs de bataille, par ses succès diplomatiques et sportifs. Leur quête de dignité implique une défense ombrageuse des frontières politiques et culturelles qu’ils établissent avec les autres peuples. Le spectre de menaces étrangères fait partie de leur imaginaire. Les solidarités nationales qu’ils exaltent comprennent aussi la dénonciation des groupes ou des individus vivant au sein de leur société qu’ils associent à des ennemis. Les dimensions émotionnelles du nationalisme expliquent les aspects contradictoires ou paradoxaux des engagements politiques qu’il commande, notamment les divergences entre les aspirations et valeurs qu’il proclame et les intérêts « réels » des gens qui le soutiennent. Ses buts s’énoncent en termes moralement ou philosophiquement incontestables, alors même qu’ils masquent des dispositions agressives, parfois des tendances paranoïdes, et la sublimation de toutes sortes d’autres besoins et désirs. [2]  

2. Vers la fin des idéologies ?

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la Charte des Nations unies renoua avec un universalisme marqué par l’empreinte du libéralisme et de la social-démocratie. La nouvelle organisation visait à promouvoir dans l’ensemble de la société internationale un ordre fondé sur le respect des droits de l’homme et de la justice sociale, en soutenant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en s’engageant en faveur des progrès économiques. Le gouvernement soviétique adhéra formellement à ces principes, alors même qu’il avançait une vision matérialiste de l’histoire et défendait un régime censé mettre un terme aux conflits politiques et sociaux.

Les espérances contenues dans ce projet étaient vouées à s’éteindre. L’URSS avait étendu son empire en Europe de l’est, mais restait l’incarnation d’un régime totalitaire. Or cette perversion du communisme affectait l’audience des partis et des milieux intellectuels qui s’en réclamaient. Dans le camp du « monde libre », les sociétés se reconstruisaient lentement, en cherchant à s’alléger des croyances néfastes qui avaient été à l’origine de grandes tragédies. L’idéal national était sur le déclin et les projets de solidarité nationale qu’il inspirait n’avait plus le même attrait politique que par le passé.  A l’âge atomique, les engagements de politique étrangère, y compris le développement de l’intégration européenne, s’imposaient comme une stratégie de survie, mais n’offraient pas l’assurance d’une vision rédemptrice de l’histoire. Par ailleurs, la révolte des élites et des peuples sous domination coloniale, autant que les guerres et les défaites des armées engagées pour les mâter, sapaient les croyances en la « mission civilisatrice de l’occident » et minaient les prétentions universalistes du libéralisme, même si le militantisme en faveur des droits de l’homme et de l’humanitaire en prolongeaient les attentes.

Les mentalités changeaient, car les processus de socialisation gagnaient en diversité, favorisant aussi le développement de systèmes d’allégeance culturels hétérogènes et changeants, achevant de détruire ou d’altérer les enracinements communautaires traditionnels. La politique jouait moins de rôle dans la définition et le développement des identités individuelles et collectives. La croissance de l’emploi, l’amélioration assez générale des conditions sociales entretenaient l’essor des loisirs et la quête du bien-être. La voiture devenait accessible à une partie toujours plus nombreuse de la population, au même titre que bien d’autres objets de consommation de masse. Elle s’imposait comme un objet fétiche pour beaucoup de gens, offrant la sécurité et l’euphorie d’un instrument de liberté et de puissance. Elle jouait un rôle important dans les nouveaux styles de vie et dans la déconstruction des solidarités traditionnelles et des dominations partisanes.

Ces évolutions tendaient à saper l’emprise des fanatismes idéologiques. Les enjeux de la vie politique perdaient une part de leurs dimensions polémiques, alors que les régimes démocratiques s’orientaient vers un style de gouvernance technocratique mobilisant les experts, les bureaucraties et les instances de coopération multilatérale. Les gouvernements optaient pour une gestion pragmatique des défis politiques, s’adaptant à l’abstentionnisme grandissant, à l’inconstance des opinions, aux contraintes économiques et sociales de nature transnationale. Certes, il subsistait des enclaves de contestation intransigeante qui avaient pour inspiration le stalinisme ou des cénacles d’intellectuels marxistes se réclamant d’une dissidence trotskiste, maoïste ou tiers-mondiste, mais leur audience politique restait d’ordinaire d’importance relativement marginale.

À partir des années 1960, nombre d’observateurs de la scène internationale annoncèrent l’érosion des principales confrontations idéologiques de la guerre froide. Raymond Aron pensait que la convergence des modèles de production capitaliste et soviétique annonçait la « fin de l’âge idéologique ». Dans la même logique, Daniel Bell, d’E. Shils et J.K. Galbraith annonçaient que les sociétés industrielles étaient vouées à suivre des voies convergentes, entraînées par le même type de technostructures et qu’elles finiraient par s’entendre sur les avantages du pluralisme politique, de l’État de droit et de la justice sociale. En fait, ces perspectives reproduisaient la logique du discours libéral dominant.

Dans les pays qui se libéraient du colonialisme, l’hypothèse de « la fin de l’âge idéologique » n’était pas d’actualité. Un nationalisme ardent inspirait les dirigeants et les peuples des nouveaux pays indépendants, leur offrant le support d’une identité collective édifiante. Il justifiait leur combat contre le régime d’apartheid et la politique israélienne au Proche-Orient, leurs polémiques contre toutes les séquelles d’impérialisme, de racisme et d’hégémonie politique. Cependant, l’héritage du passé colonial, l’arriération économique et les contraintes de la guerre froide ne favorisaient pas l’évolution politique de ces Etats du « tiers monde ». Leurs dirigeants peinaient à établir un ordre politique et juridique stable, susceptible d’être accepté comme légitime par la majorité de leur population. Leurs discours sur la souveraineté nationale servaient aussi à couvrir leur régime plus ou moins despotique. Le modèle soviétique trouvait une certaine audience, en Afrique notamment, tandis que les dirigeants d’Amérique latine, soutenus par les Etats-Unis, associaient leurs projets nationalistes à un effort de légitimer leur « guerre sale » contre la subversion « communiste ».

 

L’échec des projets de développement favorisa un peu partout des contestations politiques et des insurrections ayant souvent des caractéristiques ethniques ou religieuse. Ces mouvements avaient des causes hétérogènes, mais ils réagissaient aussi à l’hégémonie des styles de vie et des modes de consommation qui se répandaient par le bais des réseaux de communication et d’information, en diffusant ainsi des besoins et des désirs qui s’avéraient largement hors d’atteinte. En Iran, la révolution de Khomeiny après le renversement du Shah, établissait une nouvelle dictature, inspirée par une idéologie religieuse. Le « guide suprême » soumettait l’État et l’ensemble de la société à de préceptes d’une rigueur extrême pour défendre sa vision de l’histoire, de la culture et de la politique, refusant ainsi la séparation entre la religion et les affaires temporelles. Ailleurs, l’islamisme radical gagnait en influence dans le monde arabe.

 

2.1. Les déconvenues de l’histoire planétaire

Les mutations entraînées par l’expansion du commerce international et des mouvements de capitaux, par les progrès dans les réseaux de communication et par les bouleversements dans les systèmes de production ont eu d’importantes conséquences politiques. Après la désintégration de l’empire soviétique, l’avancée de la démocratie libérale semblait constituer un mouvement irrépressible, alors que la Chine s’orientait vers une économie de marché et que l’Afrique du Sud mettait un terme à son régime d’apartheid. En publiant la Fin de l’histoire, Francis Fukuyama ranimait alors le débat sur l’érosion des grands débats idéologiques en reprenant à sa manière les théories de la modernisation. Il voyait dans les progrès scientifiques et techniques un processus entraînant des transformations sociales et culturelles de grande ampleur, affectant à des titres divers toutes les sociétés. La démocratie libérale lui semblait le meilleur aboutissement de cette évolution. Son avènement universel n’était pas inéluctable. Il lui apparaissait toutefois que la vision hégélienne qui avait dominé l’horizon politique des sociétés occidentales s’était tarie. Dans ce contexte, il fallait admettre que les idéologies n’étaient plus ce qu’elles étaient, tout au moins dans les pays démocratiques ; elles apparaissaient lestées des visions universalistes qui s’étaient imposées dans la confrontation est-ouest de la guerre froide. Il fallait aussi se résoudre à restreindre leur définition en acceptant qu’elles se résument à des croyances en partie incertaines sur la structure de la société, à des opinions sans vision historique de grande portée et n’inspirant que des engagements politiques limités.

En réalité, la majorité des États membres des Nations unies restait dominée par des gouvernements dont la légitimité démocratique était contestable ou simplement inexistante et le phénomène de l’hétérogénéité idéologique et culturelle de la scène internationale devenait toujours plus évident. Les espoirs suscités par l’épilogue de la confrontation est-ouest ont été rapidement déçus, en raison de la résurgence des guerres au Moyen-Orient, en raison surtout de la tragédie yougoslave en Europe et de l’effondrement de nombreuses autres nations dans des guerres civiles, en Afrique et dans le Caucase avant tout. En outre, l’islamisme s’imposait plus que jamais comme un courant idéologique à vocation conquérante, prétendant porter la guerre contre les régimes impies en vue d’étendre et de restaurer la plénitude de la communauté musulmane. Il inspirait l’engagement de toutes sortes de mouvements fanatiques, qui prétendaient combattre l’injustice, la corruption et l’impiété des gouvernements en place, tout en fomentant toutes sortes d’activités terroristes. A la différence des courants idéologiques d’origine libérale ou marxiste, l’islamisme récusait la science cherchant l’explication du monde et de son histoire dans le Coran.

Depuis lors, le processus de libéralisation politique en Russie s’est interrompu avec l’arrivée au pouvoir de Poutine et l’expansion de l’économie de marché en Chine s’est avérée compatible avec une répression impitoyable des dissidents politiques et la persécution des minorités ouighours. En bien d’autres régions du monde, notamment en Égypte, en Turquie, en Thaïlande, au Venezuela, des régimes autoritaires et corrompus sont aujourd’hui au pouvoir, avec l’appui des forces armées. Ils entretiennent un discours de légitimation très rudimentaire, se justifiant par des consultations électorales truquées et des régimes parlementaires de façade. Les dirigeants de ces Etats prétendent incarner la souveraineté nationale, du fait qu’ils contrôlent l’appareil de l’État, celui de la bureaucratie, de la police et de l’armée, parce qu’ils ont l’appui de forces policières et militaires, d’une ethnie dominante, d’un clan, d’une famille.

2.2. Les équivoques idéologiques de la mondialisation

La mondialisation est-elle en cause ? Elle semble exacerber paradoxalement la diversité des visions du monde, des conceptions de l’histoire et de la politique, sans que ces représentations aient la prétention d’assumer des perspectives universalistes analogues à celles qui ont dominé les antagonismes politiques du XXe siècle. Aux Etats-Unis, la démocratie s’est transformée en un régime oligarchique qui tend à miner l’assise des solidarités politiques et sociales, à détruire l’idée même d’une nation américaine. En Europe, les gouvernements et les partis politiques sont portés à se détourner des anciennes croyances idéologiques, même lorsqu’ils font des emprunts timides au libéralisme ou au socialisme. Ils s’efforcent de traduire en termes programmatiques les préoccupations disparates de leur société, mais ils peinent à trouver un ancrage doctrinal porteur d’espérances collectives. Ils sont confrontés à des taux d’abstention électorale croissants, au délitement des allégeances politiques traditionnelles, à la prolifération de réseaux d’information disparates et à des mouvements de foule difficiles à canaliser. Le rôle grandissant des médias audiovisuels dans la vie publique impose une simplification des délibérations politiques. Pour garder leur influence, gouvernements et partis soutiennent des engagements politiques de portée souvent limitée et pragmatique. Ils reprennent à leur compte l’agenda de mouvements sociaux poursuivant des buts sectoriels ou des demandes identitaires singulières. Ils évitent ainsi d’assumer des options politiques susceptibles d’être inspirées par des orientations doctrinales à plus large spectre.

Les avantages de l’économie de marché ne font plus l’objet d’une contestation significative dans le cadre de la société internationale. En revanche, les mécanismes pour réguler sa dynamique sont au cœur d’importantes controverses. Les défenseurs du néolibéralisme sont sur la défensive. Ils continuent néanmoins d’avancer une vision utilitaire, technique, pragmatique et marchande des rapports sociaux ; ils sont enclins à dénigrer aussi le rôle que peut jouer la politique dans la construction de l’avenir, misant sur le commerce, les flux d’investissement et les nouvelles technologies. La méfiance à l’égard des instances étatiques est forte dans les milieux d’affaires comme au sein de certaines bureaucraties internationales, celles de l’OCDE et des organisations de Bretton Woods en particulier. Dans cette perspective, les problèmes inhérents à la mondialisation, avant tout les grandes disparités sociales et les atteintes à l’environnement, seraient des défaillances épisodiques et sectorielles ; elles seraient susceptibles d’être redressées grâce à la croissance économique, aux effets percolateurs de la richesse et aux progrès techniques. Il n’est plus question de développement ou de modernisation. Ces notions qui désignaient le cheminement des populations indigentes vers la croissance économique et le progrès social, sont passées de mode. Les programmes de développement sectoriels contre la pauvreté de masse et les actions humanitaires, associés aux forces du marché, ont pris le relais des projets d’infrastructure et d’industrialisation.

Les insuffisances de cette vision libérale sont aujourd’hui manifestes dans la faillite de nombreux États, dans la montée en puissance des fanatismes de toute sorte et l’essor du terrorisme islamiste, dans l’expansion des mouvements migratoires, mais aussi dans la dégradation très rapide de l’environnement planétaire. Lorsque les Etats s’avèrent incapables d’assumer leurs fonctions essentielles d’intégration sociale, leurs ressortissants ont tout lieu de rechercher une forme de sécurité en maintenant ou en ravivant des systèmes d’allégeance traditionnels, en investissant d’autres solidarités imaginaires celles des liens familiaux, du clan tribal ou de la communauté religieuse, et même en poursuivant leurs objectifs de survie économique par la violence ou en prenant le chemin de l’exil. Cette fragilité des Etats est d’autant plus grande que leur politique publique se négocie dans l’espace d’une coopération multilatérale aléatoire, par le biais d’une gouvernance transnationale impliquant l’engagement problématique des entreprises privées et des ONG.

Avec la crise environnementale, en particulier celle liée au réchauffement climatique, l’avenir semble porteur de grandes catastrophes politiques et sociales. Dans ces circonstances, les partis écologistes ont le vent en poupe. Ils nous rappellent que le présent n’appartient pas seulement aux vivants et qu’il n’est pas de projet politique moralement acceptable qui n’intègre également le destin des générations futures. Les promoteurs de l’écologie politique expriment une quête ardente de changement de paradigme, impliquant pour le moins une modification radicale de nos modes de vie, sans toujours parvenir à articuler un ensemble cohérent de valeurs et de conceptions économiques qui donneraient corps à leur perspective idéologique. Ils défendent en tous les cas une conception pessimiste du mouvement de l’histoire, au risque d’assumer une critique radicale de la modernité et des idées de progrès, et parfois même de l’humanisme associé à ces représentations.

3. Le populisme

3.1. Une idéologie fragile

Dans les régimes démocratiques, les mouvements populistes témoignent à leur manière de l’érosion des principaux systèmes idéologiques. Leurs dirigeants peinent à se projeter positivement dans le mouvement de l’histoire. Ils ressassent le thème de la souveraineté nationale et prétendent traduire la volonté du peuple. Ils invoquent ainsi des idées et défendent des attitudes empruntées à l’ancien nationalisme, en particulier l’exacerbation des antagonismes à l’encontre des gens qu’ils considèrent comme des étrangers. Ils se nourrissent ainsi de polémiques identitaires, notamment en avivant la crainte des migrants, des groupes ethniques ou religieux différents, mais sans pour autant intégrer leurs revendications dans une représentation claire des liens de solidarité, de l’engagement politique et du sens de l’histoire. Les populistes se méfient du pluralisme politique et des principes assurant le respect de l’État de droit. Leurs discours sont en règle générale dépourvus de cohérence doctrinale et de réflexion politique. Ils évacuent l’articulation d’un projet de société porteur d’idées économiques et sociales consistantes. Il n’est pas rare que la pauvreté de leur langage et de leurs arguments discursifs, l’indigence de leurs orientations programmatiques obscurcisse la signification de leur conceptions politiques et trahisse également un manque de préoccupation pour le bien commun. Ils défendent des positions qui relèvent pour l’essentiel de la tactique électorale démagogique. Ils en appellent aux masses, dans l’espoir de créer un univers politique fusionnel d’où serait éliminée fantasmatiquement toute instance de régulation, hormis celle du leader.

Les partis populistes prétendent simplifier les enjeux de la vie politique. Leurs adhérents manifestent leur rage contre les sphères dirigeantes, accusées de profiter de leurs privilèges. Ils n’ont cure de la science ; ils se méfient des arguments un peu complexes, de ceux qui imposent la réflexion et introduisent le doute dans l’analyse de la réalité politique et sociale. Ils expriment surtout leur besoin de rompre avec les normes juridiques, les procédures et les règles morales, associées aux contraintes accablantes. C’est la raison pour laquelle, ils investissent des leaders qui jouent avec les provocations, les insultes, les propos vulgaires, le dénigrement des opposants, autant de comportements qui manifestent l’inconfort qu’ils éprouvent à l’égard des règles de civilité et des normes juridiques qui constituent l’assise des rapports de solidarité.

L’ancien président américain a incontestablement avancé une version caricaturale du populisme. Il fut la personnification d’un dirigeant dont les pulsions ne sont pas endiguées ; il fut entièrement centré sur lui-même, incapable des moindres sentiment d’empathie à l’égard d’autrui. Son intérêt pour la politique se limita au service de son exhibition personnelle, de ses avantages matériels et de sa volonté de puissance. A cette fin, il cultiva le mensonge et tout ce qui relève de l’infâme. Il a joui d’une grande fortune et s’est complu dans un univers de tocs, tout en incarnant l’encanaillement prédateur qui préside au libre fonctionnement du marché capitaliste, à la violence néo-darwinienne qui domine parfois le monde des affaires. Ce n’est pas un hasard s’il est issu de la télé-réalité, d’un espace qui entretient et vit en partie de personnages dérisoires mettant en scène ce qui relève de la vanité émotionnelle. Son cercle rapproché, qui a constitué un clan issu de l’ancien parti républicain, était composé d’individus interlopes, cyniques, dépourvus de conscience civique, sensibles aux avantages que confère la richesse, facilement corruptibles, parfois même criminels, généralement inaccessibles aux obligations inhérentes à la défense de l’intérêt public.

 

Trump s’est imposé comme un modèle identificatoire pour d’innombrables Américains, venant de tous les milieux, le plus souvent des gens de peu d’éducation et de qualification professionnelle y compris des minorités ethniques et des femmes, mais également des individus appartenant aux couches favorisées de la société américaine et qui font traditionnellement allégeance au parti républicain. Ses supporters ont aimé ses mensonges, ses inepties et sa vulgarité. Son incompétence les rassura. Ils furent confortés par son langage rudimentaire, ses idées à l’emporte-pièce, son rejet des élites, par des prises de position qui étaient validées par leur chaîne de télévision préférée, avant tout Fox news. À des titres divers, les électeurs qui le soutinrent ont manifesté la voracité et les tendances anarchisantes d’une partie de la société américaine : ils n’ont plus d’autre horizon que leurs désirs individuels et les profits qu’ils peuvent tirer de la vie politique. Le soutien qu’ils apportèrent aux pires outrances du président américain exprime un esprit de caste qui leur permet de vivre enfermés dans leurs passions haineuses, en particulier celle du racisme.

 

3.2. Le rôle des indignés

 

Le phénomène Trump n’est pas isolé. Berlusconi en Italie et les dirigeants populistes qui lui ont succédé assument les mêmes dispositions, au même titre que Boris Johnson, qui témoigne d’une personnalité instable, imprévisible, ayant besoin de s’exhiber, de provoquer et de porter atteinte aux normes juridiques et aux règles de la bienséance politique. En Europe, une partie de l’électorat populiste provient de populations économiquement vulnérables, des ouvriers, des artisans, des chômeurs, des travailleurs soumis à des emplois fastidieux, des personnes âgées, des individus qui pour la plupart n’ont pas suivi une filière éducative conséquente et ont peu de formation professionnelle. A un titre ou à un autre, ils ont des raisons de craindre d’être condamnés par la dynamique économique et socioculturelle de la mondialisation. Il n’est pas rare qu’ils vivent à la périphérie des grandes villes et qu’ils soient contraints de passer une partie de leur temps dans leur voiture ou les transports publics. Ils protestent contre leur condition de vie, contre les injustices dont ils sont victimes, ayant le sentiment que les sphères dirigeantes ne leur assurent pas le bien-être auquel ils ont droit et qu’elles s’avèrent indifférentes aux injustices sociales dont ils souffrent. Ils s’en prennent à ceux qui profitent de la nouvelle économie, ceux qui ont accès aux avantages qu’elle confère. Dans la même logique, ils sont en terrain sûr en attaquant les élites, le cosmopolitisme et la tolérance culturelle dont elles se prévalent.

 

L’humiliation joue incontestablement un rôle important dans l’émergence du populisme. Elle procède d’un sentiment collectif d’être dépassé par « la vie des autres », ceux dont il faut imiter les modes de production et les styles de vie parce qu’ils semblent détenir les clefs du futur en matière de ressources intellectuelles, culturelles et matérielles. Ivan Krastev et Stephen Holmes expliquent le retour d’un nationalisme autoritaire et chauvin en Pologne et en Hongrie en faisant l’hypothèse que ce populisme raviverait les illusions d’une communauté nationale édifiante dans des sociétés traversant une forme d’humiliation collective. À partir de la fin du rideau de fer, le modèle des sociétés occidentales a pris un ascendant irrépressible, mais la dépendance à l’égard de l’Europe et les échecs inhérents aux efforts d’imitation eurent pour contrecoup un sentiment de dévalorisation qui chercha une compensation dans la glorification des valeurs culturelles endogènes à ces sociétés. L’avancée brutale de l’économie de marché a eu de surcroît pour conséquence de marginaliser d’innombrables artisans et des gens restant en marge des centres de production et d’échange qui ont les plus directement profité du changement de régime politique.[3] Comme aux Etats-Unis, les slogans pseudo-nationalistes des populistes séduisent des gens de tous les milieux, notamment ceux qui craignent la perte de leur statut en raison des changements démographiques et socioculturels. Lorsque leur assise identitaire est fragile, les individus sont plus que d’autres enclins à se laisser séduire par les thèmes d’une la souveraineté nationale édifiante et exclusive, comme aux sortilège du clanisme, mais aussi à croire les rumeurs, les fausses nouvelles ou les mensonges qui mobilisent les passions sur les réseaux sociaux.

3.3. Malaise dans la société d’abondance

 

On peut rappeler dans ce contexte que le marais idéologique de la société de consommation, qui contribue au déclin assez répandu de l’esprit civique, à l’abstentionnisme politique et au désintérêt ordinaire pour les affaires publiques favorise l’irruption de démagogues qui agissent avant tout en fonction de leur propre idiosyncrasie, sans être capables de soutenir une ligne politique claire et un projet institutionnel articulé, sans même défendre des programmes sociaux susceptibles d’améliorer le sort de ceux qui sont victimes des élites qu’ils dénoncent. En fait, leurs discours et leurs attitudes touchent des individus peu intéressés par les affaires publiques, n’ayant pas de compétence pour comprendre leurs enjeux, vivant avec impatience la complexité des débats qu’elles suscitent et qui tolèrent mal les problèmes et les troubles engendrés par la vie en société. Pour la même raison, il n’est pas rare que les partis populistes entraînent leurs adeptes à défendre des positions allant à l’encontre de leurs intérêts, à l’instar de ces populations vulnérables aux Etats-Unis qui combattent un système d’assurance de santé qui leur est destiné. Timothy Snyder a bien défini le « trumpisme » comme du « sadopopulisme ».[4]

On peut ajouter que les sociétés trop exclusivement orientées vers les désirs de bien-être et de loisirs s’avèrent difficiles à satisfaire, car elles se heurtent nécessairement à toutes sortes de frustrations. Le marketing des entreprises et des médias, de la télévision surtout, soulèvent des attentes qui ne peuvent pas être pleinement et durablement satisfaites. Elles construisent un monde illusoire qui se présente comme réel. Les catégories sociales qui n’ont pas les ressources financières sont exposées en permanence à des images reflétant une réalité virtuelle, celle associée au bonheur, à des biens matériels et symboliques inabordables auxquels elles n’ont pas accès. Pour les autres, ceux qui vivent dans le confort matériel, les désirs de consommation et de loisir, tels qu’ils sont définis par les modèles socioculturels dominants, entretiennent des besoins factices qui relèvent de l’éphémère et du futile. Ces représentations hédonistes constituent une source intarissable d’insatisfaction existentielle et débouchent nécessairement sur le vide de l’insignifiance.

Gilles Lipovetsky a sans doute raison d’affirmer que l’on est entré dans une « civilisation du désir » qui tend à rompre avec les cadres normatifs et les traditions qui endiguaient les aspirations individuelles et collectives.[5] Or on ne vit pas sans limites, sans mécanisme institutionnel, sans dispositif légal et sans conventions morales assurant l’endiguement ou la répression des comportements portant atteinte à l’ordre social. On connaît les hypothèses de Freud à cet égard, formulées dans l’explication qu’il donne de la Première guerre mondiale et qu’il développe ensuite dans Malaise dans la civilisation. Les contraintes normatives, quelles qu’elles soient, y compris les règles de civilité les plus élémentaires, sont une entrave à l’expression des pulsions et s’avèrent pour cela difficiles à endurer. Les sociétés libérales sont portées à repousser sans cesse l’inconfort de ces restrictions. Dans les pays occidentaux, la sexualité n’est plus réprimée, ou fort peu, et les individus ont mille manières d’exprimer leur agressivité, notamment dans le sport. Et pourtant cette tolérance ne suffit pas, car elle n’endigue pas les désirs et les fantasmes dont la réalisation serait socialement intolérable. L’agressivité qui en découle trouve une forme d’exutoire dans le populisme qui, à sa manière, mise sur « le tout, tout de suite, tout à la fois et tout ensemble ».

Les mouvements populistes expriment ce malaise. Ils légitiment la colère des individus contre les institutions et les règles de civilité, tout en justifiant cette destructivité et peut-être les sentiments de culpabilité qui en résultent. Les sociétés vouées à la réalisation du bien-être matériel s’avèrent particulièrement intolérantes aux mécanismes de contraintes institutionnels et juridiques, surtout si ces systèmes régulation étatique sont injustes. Les frustrations qui en découlent sont difficiles à gérer, surtout quand la politique n’offre guère d’utopie directrice et que les projets qu’elle décline relèvent surtout du réformisme ou de choix technocratiques. En considérant la destructivité des sociétés capitalistes contemporaines, on ne peut s’empêcher de penser aux considérations de Freud sur les rapports entre Éros et Thanatos, à l’hypothèse de l’instinct de mort qui lui est associée.

3.4. Le poids du passé

La problématique identitaire, nous l’avons rappelé, est un enjeu important des revendications politiques contemporaines, en particulier des particularismes ethniques et religieux ou des récriminations populistes, ce qui implique fatalement la question de la mémoire que les sociétés entretiennent avec leur passé. Lorsque le récit des sphères dirigeantes sur la nation et le développement n’est plus crédible, parce qu’il tend à couvrir leur hégémonie, leur incompétence, leur corruption, parfois même leur tyrannie, les mouvements de repli communautaire centrifuges resurgissent, légitimant des contestations violentes, des insurrections ou des guerres civiles. Il n’est pas rare que les militants de ces séditions ressassent la mémoire tragique de la domination coloniale. Leurs discours expriment également une nostalgie d’un autre temps, défendant des positions qui visent implicitement à la restauration des statuts, des hiérarchies sociales et des visions du monde qui étaient celles d’un monde précolonial. Dans les pays de tradition libérale, les populismes ont leurs spécificités nationales, mais leurs attaques contre l’État de droit, les libertés publiques et la justice, leur racisme aussi, semblent difficilement intelligibles sans référence à des expériences et des modes de pensée enracinés dans le passé. Ces polémiques renvoient notamment à des croyances et des pratiques politiques qui ont des analogies avec certains courants d’idées qui ont marqué l’ère des régimes totalitaires.

Les traditions du passé ont souvent une longue vie. Marx avait déjà cette constatation en tête lorsqu’il écrivit : « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. » En suivant les idées et les attitudes développées par les populistes, on ne peut manquer d’évoquer ses considérations sur Louis Bonaparte, inspirées de Hegel : « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » Il n’est pas rare en effet que les mentalités issues d’anciennes visions du monde manifestent une grande résilience, malgré les ruptures politiques et les mutations socioéconomiques. Elles se perpétuent en subissant des métamorphoses idéologiques et culturelles en partie inédites, remodelées par les aspirations du présent. Elles ont souvent pour conséquence d’attiser les clivages politiques et parfois la violence.

Les courants de pensée s’imposent non seulement pour les logiques qu’ils véhiculent, mais en raison de leur charge affective. Freud a reconnu que le poids des générations passées pèse sur celles du présent, mais en complexifiant l’analyse de ces mécanismes de répétition historique. Il insistait sur l’importance de la famille dans le développement de l’identité individuelle, mais plus largement sur le rôle de la société et de son histoire dans cette évolution. Il a même fait l’hypothèse qu’il pouvait y avoir une transmission de traumatismes collectifs archaïques. Le destin des sociétés serait ainsi marqué par des traditions et des légendes qui pourraient resurgir de manière inopinée, dans un mouvement analogue au retour du refoulé au niveau individuel. C’est la position qu’il développe dans ses travaux sur L’homme Moïse et la religion monothéiste.

En suivant sa perspective dans l’interprétation du phénomène populiste, on peut faire l’hypothèse que des traumatismes collectifs passés qui n’ont pas été suffisamment élaborés et symbolisés laissent des traces qui s’actualisent par la suite dans des discours et des engagements politiques étranges, agressifs et partiellement impénétrables. Il y a la réalité des faits matériels et il y a celle des oublis. On en garde une forme de mémoire, mais elle est partiellement réprimée parce qu’elle est associée à des images intolérables et qu’elle est source de culpabilité. Les blessures de ce passé sembleraient resurgir de manière transgressive dans l’histoire politique de notre temps. Ces traces se manifesteraient aujourd’hui dans les discours et les attitudes des partis populistes, dans leur rejet des principes qui fondent l’ordre démocratique. Leur style de contestation politique ne va pas sans rappeler les positions fascistes de l’entre-deux-guerres à l’encontre de l’état de droit, des institutions parlementaires, des élites et de leur morale hypocrite. Ils répéteraient ainsi certains aspects de leur histoire nationale. L’ombre portée de ce passé trouble s’imposerait aussi parce que la nation n’est plus le support d’identité collective édifiante et que les partis traditionnels n’offrent pas de projets politiques susceptibles d’éclairer l’avenir avec assurance.

Le phénomène Trump refléterait ainsi tout un pan d’une mémoire américaine fondée sur le refoulement collectif et le clivage. Ses impulsions destructrices à l’encontre des institutions américaines et son apport à l’idéologie raciste des suprématistes blancs séduisent un large électorat, ce qui donne à penser que le trauma du racisme et de la guerre civile n’a jamais été entièrement intégré et symbolisé dans une bonne partie de la société américaine. En Angleterre, les partisans du Brexit ressassent la mémoire d’un passé d’isolement et de grandeur impériale. Ils cultivent celle des discours de Churchill, des heures tragiques marquées par l’engagement héroïque des aviateurs qui écartèrent les menaces de l’invasion allemande, périls anciens que leur propagande populiste associe à ceux l’Union européenne.

 

Dans le reste de l’Europe, les partis populistes entretiennent une relation complexe au passé. Ainsi, leurs revendications s’affirment avec le plus de force dans les pays qui ont mal géré la mémoire tragique de leur passé, notamment en France, en Italie, en Autriche et dans l’Allemagne issue de l’ancienne RDA. Ainsi le populisme du Front national s’est imposé comme la résurgence de courants de pensée qui ont eu leur heure sous Vichy, mais qui avaient été réprimés depuis lors. Il ravive à la fois la nostalgie d’une souveraineté repliée sur les frontières nationales et la tradition politique issue du boulangisme et des Ligues. Il anime des polémiques de type fascisant contre les gens qu’ils perçoivent comme des étrangers, mais aussi contre les élites politiques et l’esprit des institutions républicaines. Son audience serait aussi l’expression de l’échec des efforts qui ont été accomplis en France pour assumer pleinement les traumatismes de la défaite, de la collaboration et de la persécution des Juifs. Dans cette perspective, ce populisme exprimerait la résurgence d’une mémoire inconvenante, celle que le discours officiel sur la nation, et les mythes gaullistes qui lui ont été associés, ont cherché à refouler. Il serait également lié aux défaites et désillusions des guerres coloniales, de la guerre d’Algérie en particulier, dont les séquelles mémorielles restent blessantes. À gauche, le populisme refléterait plutôt l’héritage trouble du parti communiste qui eut tant de peine à rompre avec le stalinisme.

 

En Italie, il semble qu’une partie de la société ait cherché à réprimer la mémoire d’un passé douloureux renvoyant au fascisme et à la guerre civile qui suivit le renversement de Mussolini. Elle fait partie des pays que Géraldine Schwartz range parmi les « amnésiques ».[6] L’après-guerre y fut dominée par les communistes, la démocratie chrétienne, les socialistes et les libéraux qui s’efforcèrent d’imposer leurs représentations politiques en faisant abstraction du passé. Dans ces discours dominants, les Italiens devenaient de « braves gens », victimes d’une guerre qu’on leur avait imposée, avant qu’ils se rallient sans peine la cause des vainqueurs. Au cours des années 1970, le mythe d’une résistance trahie s’imposa au sein des milieux de gauche, mais aussi les récits réprimés des engagements fascistes du peuple italien.[7] Avec l’arrivée de Berlusconi au pouvoir (1994-95, 2001-6, 2008-11) le style du fascisme renaquit de ses cendres dans une version adaptée à la société de consommation. Ce populiste fit alliance avec Gianfranco Fini, qui avait été membre fondateur du Mouvement social italien, un parti qui se situait dans la mouvance fasciste, et qui a obtenu plus de 13% des suffrages aux élections de 1994. En 2018, Matteo Salvini, qui dirige la Ligue du Nord, obtint 17,4% des voix aux élections générales ; il entra dans le gouvernement Conte en tant de vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur. Il se situa également dans l’héritage du fascisme par son style politique et ses déclarations sur Mussolini.

 

En Autriche, le parti de Jörg Haider a fait une entrée fracassante dans le paysage politique autrichien, obtenant, le 12 mars 1989, 29% des voix aux élections régionales pour son parti de la liberté FPÖ. Il devint le chef de gouvernement de la province de Carinthie. Peu après, il a déclenché une polémique en faisant l’apologie du IIIe Reich, dont il vanta la politique de l’emploi. En Allemagne, l’extrême droite populiste de l’AFD trouve sa plus grande force électorale dans les régions qui faisaient partie de la RDA, dont les dirigeants communistes se contentaient de rejeter la tragédie du nazisme sur le compte du régime capitalisme. Le succès de ces formations politiques et de leurs leaders ne s’explique pas seulement par les programmes, au demeurant vagues, qu’ils développent, mais aussi par les représentations interdites d’un passé qu’ils s’efforcent de rendre tolérables. Par ailleurs, il est intrigant de constater que l’épanouissement du populisme en Suisse -qui a pour leitmotiv le rejet des migrants et pour mythe dominant le retour aux forteresses de la Seconde Guerre mondiale, le « réduit national » - exprime un refus d’assumer une vision réaliste de la neutralité helvétique chargée de tant d’équivoques. Son point culminant a coïncidé, dans les années 1990, avec les attaques menées contre la Suisse par les sphères dirigeantes israéliennes et américaines visant l’affaire des fonds en déshérence et les rapports économiques que les industries helvétiques ont entretenus avec le IIIe Reich.

 

En Europe centrale et dans les Balkans, la désintégration de l’empire austro-hongrois a maintenu des « frontières fantômes », celles des minorités qui peuplent les États instaurés à l’issue de la Première Guerre mondiale.[8] Les séquelles du passé sont d’autant plus importantes que ces nations fragiles et divisées ont pour caractéristiques de n’avoir pas engagé sérieusement leur « devoir de mémoire » et d’avoir persévéré dans la construction des mythes d’une histoire édifiante, ayant ses martyrs et sa rédemption. Dans la guerre de Yougoslavie, les haines associées à des traumatismes ancestraux ont resurgi. La politique génocidaire engagée par les combattants fut en partie inspirée par les mémoires de la guerre civile qui s’était déroulée pendant l’occupation allemande.

 

En Hongrie et en Pologne, le populisme favoriserait le retour de représentations politiques interdites, celles des régimes autoritaires ou fascistes que les gouvernements d’inspiration soviétique ont voulu chasser dans l’oubli et le clivage. Ces réminiscences, notamment l’antisémitisme officiel, traduiraient ainsi la réapparition d’expériences et de modes de pensée enracinés dans un passé plus ou moins proche, métastases résistantes issues de régimes répressifs comme ceux de Pilsudski et de Staline en Pologne ou ceux d’Horthy et de Rákosi en Hongrie. Dans ces pays, les traces infamantes du IIIe Reich furent rejetées par les dirigeants satellites du Kremlin comme les séquelles d’un régime capitaliste qui avait été victorieusement renversé par le peuple. Le parti « droit et justice (PIS) en Pologne a mis en avant une idéologie conservatrice, voire même réactionnaire, s’appuyant sur les positions les plus traditionnelles de l’Église catholique. On sait que les historiens de ce pays n’ont pas le droit de toucher à certains aspects sensibles de l’histoire polonaise, de raviver des spectres d’un passé dérangeant. Il y a les héros que l’on célèbre, les résistants, mais il y a aussi la mémoire de tous les autres, ceux qui ont collaboré avec la dictature et l’occupant, qui ont persécuté les minorités et les dissidents. Victor Orban a établi en 2014 un institut, Veritas, dirigé par un historien militaire membre d’un parti d’extrême droite, qui a pour fonction de renforcer l’identité hongroise en produisant un discours réhabilitant le régime Horthy. Les barrières électrifiées que le gouvernement place aux frontières de la Hongrie pour éviter l’arrivée de migrants ont également des analogies avec l’ancien « rideau de fer » comme si la violence qui fut liée indéfectiblement à cet instrument de contrainte était inscrite dans les représentations collectives des Hongrois.

 

Le « poutinisme » s’appuie sur les pratiques répressives qui viennent du régime soviétique et notamment du KGB, en invoquant des références idéologiques marquées par une mémoire encore plus ancienne, celle du panslavisme et de la religion orthodoxe. Le maître du Kremlin défend le passé imaginaire de la grandeur des empires soviétique et tsariste, tout en ressassant les thèmes classiques du nationalisme. Il exalte la supériorité de « l’homme russe », la beauté du sacrifice pour la défense de la patrie, l’hostilité du monde extérieur, justifiée notamment par la « décadence morale » de la société occidentale. Sa propagande exerce une emprise incontestable sur la société russe, dont le travail de mémoire sur le passé reste inachevé. Elle donne une légitimité à son régime, lui permettant de faire accepter ses échecs économiques et les énormes inégalités sociales qu’il entretient en s’appuyant sur un appareil bureaucratique, qui bénéficie de toutes sortes d’avantages, et surtout en cajolant un cercle d’oligarques qui tire l’essentiel de ses ressources de la rente créée par l’extraction du pétrole, du gaz et de certains secteurs industriels. Elle offrirait aux Russes une identité collective édifiante ; elle rendrait ainsi tolérable l’humiliation inhérente à la désintégration de l’empire soviétique, à la persistance du marasme social, ainsi qu’à la prépondérance économique, technologique et culturelle de la société occidentale.

On pourrait prendre bien d’autres exemples de vécus collectifs issus d’événements anciens, souvent difficilement représentables, qui resurgissent de manière inopinée et énigmatique. La politique israélienne en cours est intéressante à cet égard. En observant les barbelés, les phares et les tours qui entourent les colonies israéliennes dans les territoires occupés, il est difficile d’échapper à l’idée que les gens qui s’engagent dans cette expérience coloniale cherchent peut-être inconsciemment à représenter à leur manière l’expérience obsédante des ghettos et des tragédies qui ont marqué l’histoire des juifs en Europe. L’enfermement dans ces implantations leur permettrait de revivre la persécution du passé, de lui donner une représentation et de justifier en même temps l’agressivité à l’égard du monde palestinien qui les entoure. Il faut ajouter à cela que le populisme du gouvernement Netanyahu autorise la désacralisation des principes et des valeurs qui avaient fondé le projet sioniste originel.

 

4. Les démocraties au défi du scepticisme

      

La conception de l’ordre politique fondée sur le pluralisme et l’État de droit est aujourd’hui menacée par le populisme, par le refus de l’équivoque en politique et la déshumanisation de l’adversaire, par l’exaltation des particularismes ethniques et religieux. Elle est aussi battue en brèche par toutes sortes de gouvernements d’orientation autoritaire ou tyrannique et par l’essor de mouvements fanatiques qui excitent ce qui relève de la volonté de puissance et de l’identitaire, mais sans qu’il soit toujours possible de cerner la nature de leurs croyances idéologiques, lorsque la logique de leurs arguments se dilue dans la sphère de ce qui relève essentiellement des émotions collectives. Sans projet d’avenir soutenu par des arguments rationnels, il n’est plus d’idéologie, du moins si l’on donne à cette notion sa définition originelle. 

Confrontés au populisme et à d’autres courants politiques porteurs de revendications identitaires, les défenseurs des régimes politiques d’inspiration libérale sont parfois sur la défensive. Leur fragilité tient au fait qu’ils sont encore trop enclins à penser l’avancée de l’humanité comme une quête d’un bien-être, largement fondé sur la consommation de biens matériels. De surcroît, ils peinent à concilier ce projet hédoniste avec des préceptes normatifs stables tendant à endiguer les désirs et les passions susceptibles de miner le lien social et d’entraver la protection de l’environnement planétaire. Ce désarroi pèse sur leurs capacités de transmettre des repères symboliques, des limites et des interdits. Eugène Enriquez a exprimé l’idée que la déchéance des idéalisations nécessaires à la poursuite du lien social pouvait s’avérer néfaste. « Quand une société n’est pas capable de proposer des idéaux, il ne peut plus y avoir de processus d’idéalisation chez l’individu, sauf l’idéalisation de la haine, l’idéalisation d’une conduite qui n’a d’autre sens que de s’exprimer en tant que pure négativité sans but. »[9] La crise de l’environnement risque même de renforcer le sentiment individuel et collectif d’être étranger dans un univers « privé d’illusions et de lumières » pour reprendre la vision d’Albert Camus.[10]

Faut-il en déduire que les sociétés démocratiques seraient à bout de course, affaiblies dans leur capacité à défendre leurs principes et leurs idéaux ? Certainement pas. Elles restent acquises au respect de la dignité individuelle, de la liberté d’expression, de la tolérance politique et culturelle. Elles valorisent le progrès social et l’avancée des connaissances, qui passent notamment par l’éducation et la formation professionnelle. Elles soutiennent des mécanismes institutionnels assurant l’équilibre des pouvoirs et limitant les dérives autoritaires des gouvernements. Elles sont attachées à l’héritage historique et aux repères idéologiques issus des Lumières qui soutiennent ces principes et valeurs. Elles sont engagées à protéger l’environnement planétaire, un dessein qui implique plus que jamais la protection de leur sécurité et de celle des générations futures. Leurs régimes politiques gardent une grande autorité et dans l’ensemble de notre planète, des gens en nombre illimité aspirent à faire partie des sociétés qui préservent ces institutions démocratiques, en prenant le risque de la migration, de la prison et parfois de la torture. A l’heure de la mondialisation, les mécanismes de coopération régionale sont nécessaires à leur évolution et en Europe, le processus d’intégration d’orientation fédéraliste offre un idéal de solidarité, de souveraineté partagée et de sécurité qui endigue les dérives illusoires du nationalisme.

Les sociétés démocratiques doivent aujourd’hui assumer leurs principes et de leurs idéaux, sans se bercer de grandes illusions, sans l’assurance que leur trajectoire historique puisse être une source de rédemption, sans le secours de grands récits édifiants, sans une explication assurée qui soit porteuse d’espoirs. La sauvegarde de la démocratie implique des croyances qu’il est encore possible de classer sous la rubrique de l’idéologie, si l’on accepte que cette représentation puisse rester sceptique, sinon même agnostique, sur le mouvement de l’histoire. Elle exige le respect des connaissances scientifiques et techniques, tout en reconnaissant qu’elles puissent être remises en cause, altérées, modifiées. Il convient également d’admettre que les idéaux politiques soient assumés en gardant une part de doute et d’ambivalence, en rejetant les visions manichéennes de l’ordre et des rapports d’autorité. Ce scepticisme est-il néfaste ou plutôt un signe de maturité politique ? Après les tragédies suscitées par les régimes totalitaires, il est devenu pour le moins déraisonnable d’imaginer que l’histoire ait un sens et que les dirigeants politiques puissent le révéler.

 

[1] Le motif du choix des coffrets », in L’inquiétante étrangeté et autres textes, Gallimard, Folio, 2001, p.179

[2] Pierre de Senarclens, Nations et nationalismes, Paris, Editions sciences humaines, 2018

[3] Ivan Krastev, “Stephen Holmes, Explaining Eastern Europe: Imitation and Its Discontents”, Journal of Democracy, Volume 29, Number 3, July 2018, pp. 117-128

[4] Timothy Snyder, The Road to Unfreedom. Russia, Europe, America, London Vintage 2018, p.274

[5] Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard (folio essais),2006, p. 9

[6] Géraldine Schwarz, Les Amnésiques. Paris, Flammarion, 2019

[7] Rosario Forlenza, “Sacrificial Memory and Political Legitimacy in Postwar Italy: Reliving and Remembering World War II”, History and Memory , Vol. 24, No. 2 (Fall/Winter 2012), pp. 73-116

[8] Béatrice von Hirschhausen, « Leçon des frontières fantômes : les traces du passé nous viennent (aussi) du futur », in L’Espace géographique,  2017/2 Tome 46, p. 97 à 105

[9] Eugène Enriquez & Claudine Haroche, La face obscure des démocraties modernes, Paris, Erès, 2002, p. 47

[10] Le mythe Sisyphe, La Pléiade, p. 101

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