N°42 / Langues et politique en Afrique - Janvier 2023

La transposition du français parlé ivoirien dans les habitudes linguistiques burkinabè : examen lexical de deux supports audiovisuels

Sy Daniel Traoré, Youssouf Ouédraogo

Résumé

La langue est une pratique des hommes qui a la particularité d’être flexible et aussi de voyager. Les mots se promènent peut-on dire. Mais surtout, les mots contaminent les horizons auxquels ils accèdent. L’un des véhicules de leur propagation se veut l’immigration, le contact des langues. Le présent article se donne pour tâche d’en faire montre, à travers un cas de pratique langagière entre deux communautés linguistiques voisines que sont ; la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Il s’agit d’un examen spécifiquement lexical à travers lequel nous mettons en relief les interactions de manières ivoiriennes de parler le français, chez les locuteurs de ladite langue au Burkina Faso.

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La transposition du français parlé ivoirien dans les habitudes linguistiques burkinabè : examen lexical de deux supports audiovisuels

 

Sy Daniel TRAORÉ est doctorant en Sciences du langage et Youssouf OUÉDRAOGO est professeur titulaire de grammaire et linguistique du français à l'université Joseph Ki-ZERBO, Ouagadougou, Burkina Faso.

Introduction

Dans les anciennes colonies de la langue française de nos jours, le visage que celle-ci présente s’apparente bien à un celui d’une langue « tropicalisée ». Sa réappropriation y reste tout à fait impressionnante. Chaque pays y va de sa petite mosaïque du français insidieusement codifié pour divers besoins. Parmi ceux-ci, on retient, en plus des finalités ludiques et stylistiques, celle de la communication. Dans maints pays africains, l’ingénieux élan de création lexicale ou de pratique du français se manifeste et se généralise pourra-t-on dire. Le Cameroun, par exemple, s’illustre par son Camfranglais (Susie Telep[1]), la Côte d’Ivoire par son FPI (français populaire ivoirien) et le Nouchi ; une variété argotique très populaire dans les habitudes linguistiques de différentes générations et classes sociales. Au Burkina Faso de même, un type de français populaire avec un fort dynamisme du verlan et de variétés ivoiriennes dans les habitudes linguistiques des jeunes est patent. Les exemples ci-contre mettent à nu le constat que de son statut de langue auparavant privilégiée dans les sérails des soixantaines de langues locales africaines, le français fait bien l’objet d’une « domestication ». Certains pays, dans lesquels le fait est plus remarquables par rapport à d’autres, donnent d’assister à une évolution de leur variété du français dans d’autres décors linguistiques, hors de leurs frontières. En la matière, la Côte d’Ivoire est un exemple, à travers l’interaction de son style du français parlé, dans maintes contrées. L’exemple du Burkina Faso est assez significatif où, pour peu qu’on s’intéresse aux comportements linguistiques généraux, on croirait à un univers linguistique bien assez ivoirien. Dans les cercles des jeunes, scolaires, étudiants, dans les rues et parfois dans les cadres plus règlementaires, institutionnels, le français parlé à coloration ivoirienne est assez présent. De ce fait, l’on s’est donné pour préoccupation de savoir quel est l’impact linguistique résultant des interactions entre les deux contrées ivoiro-burkinabè ? Sur quels aspects linguistiques porte cet impact d’interactions ivoiro-burkinabè ? A priori, nous pouvons remarquer que le français parlé burkinabè, du fait des interactions, davantage marquées avec l’univers linguistique ivoirien, est de plus en plus marqué par une transposition de la structure du français parlé ivoirien. Plus spécifiquement, les interférences lexicales du français parlé ivoirien sont assez manifestes dans les habitudes langagières burkinabè. En vue de répondre à ces interrogations et de vérifier nos hypothèses, nous avons basé notre étude sur la démarche sociolinguistique d’étude des langues.

Deux supports numériques, l’un audio et l’autre audiovisuel, nous ont servi de corpus à l’analyse. La première est une capsule vidéo codifiée (C_V1), faite au Burkina Faso en 2019. Elle est une vidéo de sensibilisation aux mesures barrière de la lutte contre la maladie à Coronavirus. La seconde est un enregistrement audio d’une partie de prise de thé de jeunes à Banfora. Les deux supports, le premier dans un registre de l’oral préparé et le second dans celui de l’oral spontané, ont fait l’objet d’une transcription préférentiellement orthographique, au regard de la nature de l’examen ; fondamentalement lexicale. Parfois, et ce ; lorsque la première transcription s’est montrée insuffisante à refléter une spécificité orale du discours produit, celle phonétique est intervenue. Le style d’encodage ou de transcription est suivant celle du GARS[2]. Il s’agira d’un diagnostic uniquement lexical des contenus discursifs du corpus, dans une perspective descriptive des productions lexicales qui s’y dégageront. La description grammaticale qui s’en suivra portera sur les valeurs sémantiques et morphologiques des notions.

1. Présentation du cadre et des communautés d’étude

Le Burkina Faso et la Cote d’ivoire sont deux colonies occidentales françaises régies à nos jours par un même environnement linguistique de base qui est la francophonie. Ce sont deux pays limitrophes qui partagent chacun, ses frontières avec au moins cinq à six pays. Linguistiquement très hétérogènes, chaque pays compte en moyenne une soixantaine de langues. Le flux migratoire est très important entre les deux pays en raison de la générosité climatique de l’un contrairement à l’autre aux terres arides et au climat bien plus tropical : c’est le Burkina Faso.

En effet, tandis que le Burkina Faso s’illustre par la cruauté de sa nature en faisant un pays sahélien enclavé, formé d’un plateau d’altitude modeste, son voisin lui, a de nombreuses forêts et un climat équatorial donc très humide, avec deux saisons de pluie. Contrairement à son voisin donc, le climat burkinabè est naturellement défavorisé, de type soudanais. Le relief ivoirien est peu accidenté, constitué de plaines et de plateaux à l’exception de son Ouest montagneux mais, reste principalement forestier, à l’exception du Nord peu arboré. Les cours d’eau y sont nombreux. On dénombre quatre grands fleuves : le Cavally et le Sassandra ayant leurs sources en Guinée. Le Bandama est le seul fleuve ayant entièrement son bassin en Côte d’Ivoire. La Comoé enfin, prend sa source au Burkina Faso. Particulièrement intarissables à sec, ces grands cours d’eaux marquent la différence avec ceux du Burkina Faso qui connaissent bien par an, un asséchement. Les cultures industrielles (café et cacao) et les cultures vivrières diverses, en Côte d’Ivoire, prospèrent. Ces potentialités naturelles dont elle jouit, doublée de sa proximité géographique avec le Burkina Faso, expliquera en majeure partie une migration forte des Burkinabè vers elle, depuis des décennies déjà, en quête du bien-être.

Ce flux migratoire entre les deux pays, loin de dater d’hier n’est pas encore au bout de créer ses surprises ou ses influences allant même jusqu’au plan linguistico-identitaire. C’est en cela que nous assistons à une création, et par la suite une contamination lexicale entre ces deux pays, surtout de la Côte d’Ivoire vers le Burkina. Ceci réaffirme donc que la langue ne reste pas intacte dans le frottement des cultures. Le cas du français parlé entre ivoiriens et burkinabè nous en convainc.

2. La situation sociolinguistique du français en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso

En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, à l’image de bien de pays africains francophones, on assiste à une dynamique générale de transformation, de transgression du français pour le besoin essentiel de la communication. Elle se manifeste par un rejet de la norme de référence au profit d’une nouvelle presqu’endogène. Pareil choix de ne point s’aligner à un normativisme imposé, qui plus est, d’une langue qui n’est pas la sienne, est forcément réceptacle d’une nouvelle version de celle-ci : les variétés.  Mieux, cette liberté d’expression donne naissance à une norme africaine du français et partant, des français tantôt dits : ivoirien, burkinabè, togolais, malien, etc. qui, côtoyant une autre que Pierre Dumont nomme le français de France (FF), la tue en réalité, l’annihile. Pour s’en inquiéter d’ailleurs, il prévient que le « français est en passe de devenir le véhicule de valeurs expressives essentiellement africaines, le lieu de production d’un sens africain, le berceau d’un véritable et nouvel univers sémiotique ».

Cette inquiétude de P. DUMONT se légitime dans ces expressions ci-après, effectivement pensées en langues africaines et livrées dans des mots français :

- « Le sucre n’a pas entendu le café » / expression mooré de « Le sucre n’a pas suffi le café »

- « Partir dans bouche du goudron, dans le ventre de la ville » / expression partagée de « Se rendre au bord de la voie bitumée, se rendre en ville »

- « On sont pompé baïgon, les Mossi vont prendre dra[3] » /  « Les burkinabè auront de sérieux ennuis. »

- « …quand l’avion a garé[4] » / « Lorsque l’avion a atterri. »

 

De ce qui précède, on pourrait évidemment noter que le français se reconstruit, se réinvente dans les pratiques discursives des colonisés à qui il a voulu s’imposer sous le joug d’un second acte de colonisation, cette fois, linguistique ou culturelle. On peut en mesurer la teneur dans le dynamisme linguistique des Ivoiriens, dont les inventions lexicales transparaissent hors de leurs frontières. On peut, dans les chansons françaises du HIP HOP et bien d’autres genres et domaines, retrouver des expressions aux origines typiquement ivoiriennes :

- « laisse les kouman » de ZAHO, emprunté au groupe musical Zouglou[5] Espoir 2000 « je te kouma de quelque chose ».

- « on s’enjaille » chez les rappeurs français Willaxxx et La Fouine[6].

- « appelez-moi le chao », « la Floby-gang », respectivement des artistes musiciens burkinabè Sofiano et Floby, inspirés de la star du couper-décaler Arafat DJ.

C’est une réalité sociolinguistique qui ne laisse pas les Français eux-mêmes insensibles, aussi vrai que Yves SIMARD (1994) remarque :

« Ce qui étonne le francophone lors de son premier contact avec le français de Côte d’Ivoire, c’est la courbe mélodique de la phrase française produite par les locuteurs ivoiriens et plus précisément le découpage rythmique de la chaine parlée. » Gervais Mendo Ze (1992 : 15), s’en inquiétant aussi au plan général, souligne : « Ceux qui ont le goût de belles lettres françaises, qui sont soucieux du mot juste et de la belle plume, qui sont jaloux de la belle forme et de l'élégance dans l'expression des idées peuvent constater avec regret la dégradation de la qualité du français au fil des années². »

En tout état de cause, le français dans nos deux contrées retenues, et de façon générale en Afrique, se réinvente. Les variétés qui y naissent sont aussi d’une certaine vitalité car, d’un pays à l’autre, les structures de ces variétés naissantes transcendent bien leurs zones d’origine.

3. Le français parlé ivoirien dans les usages burkinabè

Le parler des Burkinabè est, de nos jours, empreint de celui ivoirien. Dans les marchés, les services publics, les écoles[7] et les universités, dans les regroupements sociaux divers, dans les foyers de jeunes, etc. on peut faire le constat des interactions de la manière ivoirienne de s’exprimer dans les habitudes linguistiques burkinabè. Progressivement, de Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Koudougou, Banfora, etc. à Bouaké, Yamoussoukro, Abidjan, Gagnoa, Soubré, San Pedro, etc. l’on est bien tenté de douter qu’on ait changé d’environnement linguistique. Au-delà de cette réalité, un recours au parler ivoirien comme principe ou référence d’expression se manifeste. De ce fait, il n’est pas rare d’entendre ; « comme disent les Ivoiriens…, d’après les Ivoiriens… » à titre d’introduction à un propos. On pourrait l’illustrer par exemple, par ces deux énoncés, respectivement d’un Inspecteur de l’enseignement secondaire lors d’un atelier de formation[8] et d’un journaliste d’investigation et activiste[9] ; tous Burkinabè.

Exemple 1 : « … comme disent les ivoiriens, tout à coup brusquement soudain… »

Exemple 2 : « … j’ai décidé de faire ce direct-là. A l’oral, je pense que je peux tout ramasser tout rapidement et puis bon, on va mieux se comprendre et puis voilà on va quitter ici comme on dit de l’autre côté chez mes cousins ivoiriens »

Ce qui précède met donc en relief qu’on parle presqu’identiquement à Abidjan et à Ouagadougou. De plus, si « Ado la solution » est un label politique ivoirien, de même que l’énoncé élogieux « Découragement n’est pas ivoirien », le Burkina Faso en possède les siens sous l’habile étiquète de « Roch la solution », « Découragement n’est pas Burkinabè ». Rahim Ouédraogo[10], promoteur burkinabè de football en rajoute à la palette : « …je voudrais préciser que notre candidat est la solution. » « Forfait spécial Choco » est aussi bien cette formule de l’opérateur téléphonique Orange-Burkina, formée de la trouvaille lexicale ivoirienne « Choco », dans « garçon choco, tantie choco… » pour exprimer le beau, l’élégant, le soigneux…

Les marques linguistiques du français ivoirien ne manquent, à n’en point douter, pas dans celui des Burkinabè.

3.1. Les procédés de dénomination

Dans notre corpus, la transposition du lexique de parlers ivoiriens se manifeste au niveau des emplois des noms (propres, communs, pseudonymes). Ce procédé que nous nommons par « la dénomination », renvoie à l’affectation ou au port de noms propres, des sobriquets et autres pseudonymes types qui ne sauraient être dits des appellations originellement burkinabè. Considérons le lexique souligné d’extraits de Support_Audio N° 1, désormais, (S_A1).

Loc_1 : non non c’est même pas kpètou jetable/ kpètou:: quoi/ pour:: se­" frapper aoko/ pour se masturber¯ (…) P5

Loc_1 : le vié père de Gôzô (Loc_N rit) ah son papa a eu l’argent à Gagnoa hein¯= P6

Loc_1 : c’est le prémier librai::re de Gagnoa Bon bazar:::= P6

Loc_1 : quand i(l) part i(l) dit y a rupture de s(t)ock là/ non:::/ les vieux-là vont dire on part pas payer ailleurs/ [Loc_N : ils vont attendre] Sococe quoi­" non:::¯ attendez:::­ Bon bazar dit ça vient la semaine prochaine¯= P6

Les noms « kpètou, aoko, Gôzô/Gagnoa, Sococe » sont des noms communs et tantôt des noms propres de lieux, d’objets, et de choses… Gôzô et Gagnoa sont, en effet, le nom propre d’une même ville ivoirienne du sud du pays. Communément connue sous l’appellation de la « Cité des fromagers », la première appellation « Gôzô », en est l’appellation affective ou argotique. Sococe ou SOCOCE lu (so. co. cé) est lui, une lexie nominale de type nom propre d’entreprise renvoyant à une chaine de super marché ivoirien. Kpètou et aoko quant à eux, relèvent tous deux du lexique de la sexualité à force de métaphore ou d’extrapolation surtout pour le second. Diversement interprétables en effet, chacun prête son sens le plus en vogue à une image. Dans cette lancée, « aoko » est originairement un instrument de musique du peuple Baoulé. Il s’agit d’un bâtonnet éraillé qu’on insère dans un flocon troué et dont le frottement donne une émission de son, mais dont le geste mime à la perfection, le mouvement d’aller et retour rythmé. « Kpètou » lui, est passé dans les habitudes d’appellation de l’appareil génital féminin[11], même si des villages ivoiriens sont reconnus porter pour nom le vocable (Kpètou).

Le locuteur 1 (Loc_1) à qui appartient ce lexique, s’exprimant dans un environnement linguistique non originel du dit lexique fait quelque peu montre de ce que le français parlé ivoirien n’est pas moins un type de parler effectivement présent dans les habitudes linguistiques du locuteur burkinabè. Si cette première remarque peut avoir les allures d’un constat hâtif, la fréquence du dit lexique, sur l’ensemble du discours, de la part de celui-ci en étaye mieux la prégnance.

Au-delà des noms propres et/communs de lieu, de choses, etc. un usage pseudonymique aux relents du style ivoirien s’en veut richement illustratif. Sans pour autant être seul fait de l’Ivoirien, l’affectation des surnoms lui est assez reconnue tout de même. Dans Support Vidéo N° 1 (S_V1), les surnoms reflétant le langage Nouchi sont affectés aux acteurs. Ce sont Don Sharp, Deejay Abdel le Manitou, Sam Floband. Quasi Ivoiriens, de fait, le phénomène de ces surnoms atypiques ne passe pas inaperçu. Ces pseudonymes fondent leur ancrage dans le style des milieux de la Jet set, du showbiz. On peut le pressentir dans (S_A1) à travers les pseudonymes « Madou, djo ». De plus, « un bras canon » qui, par rapprochement phonologique, par exemple, fait référence à Dénis Bra Kanon (1930-2009), homme politique ivoirien proche du PDCI, montre que le parler burkinabè peut être dit empreint d’emplois divers appartenant à l’univers ivoirien aussi bien dans l’appellation des êtres que des choses.

D’autres types de substantifs achèvent de même de convaincre que dans les habitudes linguistiques des Burkinabè, s’invite le parler ivoirien (dans sa composante surtout lexicale). Il s’agit des manières argotiques de nommer dans (S_V1) : « mon vieux, le vieux, vieux môgô choco (Loc-1 et 2) ; tombeur des go (Loc-4 ; Ibidem), le vieux père (Loc-2 Ibidem), etc. » et de même que « Kpôclé, mon vié père, le vieux de AB, AB, etc. (Loc_1) ; mo(g)o là (Loc_2) » dans (S_A1).

Le nom, comme nous venons de le mentionner, a un certain rôle et une certaine présentation dans leur langage qui tantôt reflète la nature, le comportement de son auteur. S’il n’est pas exagéré de dire que les prénoms de baptême de Burkinabè cèdent la place à de sobriquets, on pourrait pour le moins constater que le monde de la jeunesse en a fait un credo linguistique. C’est en cela que certains répondent parfois aux sobriquets de Diaspo[12], comme l’illustre bien Mamadou ZONGO[13], aux surnoms affectifs d’Ivoirien, de ADO, Koudou, Woudi, Awouli, etc.

Au-delà d’un usage, dira-t-on onomastique à coloration ivoirienne, le diagnostic de notre corpus fait constater, toujours au plan lexical, un fort relent du Nouchi dans les situations de discours. Faites au Burkina Faso, et prioritairement pour un auditoire burkinabè, pour ce qui est de (S_V1) surtout ; une capsule de sensibilisation aux mesures barrière de lutte contre la Covid19, cette variété ivoirienne du français qu’est le Nouchi, y est véritablement dominant.

3.2. Le Nouchi

Le Nouchi ou Nounsi est le langage argotique ivoirien dont les origines remontent aux années 1970, avec pour véritable foyer Abidjan. Orthographié de deux manières suivant la perception phonologique d’un locuteur à un autre, il est étymologiquement étriqué. D’aucuns situent le vocable dans des origines dioula composé du ‘’Noun’’ qui veut dire « nez » et ‘’chi’’ ou ‘’si’’ signifiant les « poils ». Le composé collé littéralement traduit veut dire donc : « le poil du nez », mais pour signifier « la moustache ».

De nos jours, passé pour une langue métisse[14] de type créole (Béatrice Akissi Boutin, Jérémie Kouadio N’Guessan), c’est un parler assez imposant même hors des frontières ivoiriennes. Au sein de notre corpus, les cas d’emprunts à la dite variété foisonnent. Dans sa manifestation d’office, l’emprunt caractérise le fait d’une transposition, l’apparition, dans une langue donnée, d’un vocable d’une autre. Michel ARRIVÉ et al. (1986 : 244), soulignent qu’il « consiste à faire apparaitre dans un système linguistique, un élément issu d’une autre langue. » Dans le principe donc de l’emprunt, on entend un usage d’un mot d’une langue dans une autre. Les lexies empruntées à cette variété ivoirienne du français foisonnent dans notre corpus.

- Exemples de (S_A1)

« Loc_1 : c’est une vèrai kpôclé même P1, pour gérer le kèn tchè¯ P1, quand t(u) n’as jamais mougou même là/ P3, quand ti mougou ine seule fois seulement et pu(i)s on gbara là/ hé::eu:::::¯ ko mougou pan de femme ça peut tu::er= P3

Loc_3 : toi tu as avoir une go::¯ P2, il a fraya même P2, elle gbaye e(lle) ta::pe P2, mo(g)o là s’en (v)a à Oua(g)a là P2, y a le djè:::¯ dédans ou (bi)en­ P5 »

 

- Exemples de (S_V1)

« Loc_1 : mon vieu­" P1, chaque jour yé si zo, bi:en djêguê chaque jour/ le tombeur des go du quartier P1,  in vie(ux) môgô choco conwan P2

Loc_3 : non mais c’est é(ux) i(ls) daba leur conori P1, ré(g)a(r)de le v(i)e(ux) père (…) comment il est tapé­/ P2

Loc_4 : tu es choco hein­= P3, : toi tu es f.rais::­ P3, toi tu es le tombeur des go::­ P3 »

Les mots soulignés ci-dessus sont tous d’origine du Nouchi. Cela dit, même si sa forte présence pourrait se justifier dans une conversation libérale autour du thé, comme c’est le cas en (S_A1), la même réalité peut être étonnante dans (S_V1).

En effet, suivant son genre, (S_V1) est un produit cinématographique de sensibilisation à l’adresse d’un public, un auditoire prioritairement burkinabè, à l’effet de comprendre un message véhiculé. Par contre, dès lors que le Nouchi n’entache pas l’efficacité du message véhiculé, ou n’en brouille pas la perception, l’on peut soutenir que son lexique ne constitue pas un code étranger au Burkinabè : ce qui n’est pas moins une confirmation des interférences du français parlé ivoirien dans les mœurs linguistiques burkinabè. Explicitement dit, si (S_V1) est un discours de sensibilisation des Burkinabè face à une menace sanitaire grave, mais très empreint de mots d’une variété que seuls les connaisseurs et/ou locuteurs des langues ou parlers populaires ivoiriens sauraient s’y reconnaitre ; alors, ces interférences montrent un usage ou le recours au code de langue le mieux partagé ou le mieux compris.

Une autre raison de cette transposition fréquente, du point de vue de l’argot, tient à la mode pour A. NAPON[15]. La mode ou le désir de parler comme l’Ivoirien, souligne-t-il, est l’un des réceptacles de la fréquence de l’argot chez ses cibles d’une enquête dans le milieu scolaire de Ouagadougou. Il est important de signaler que son inventaire lexical comporte aussi des argots qui peuvent être dits d’origine ivoirienne du Nouchi. Cela pourrait en plus réconforter notre hypothèse que le français parlé ivoirien en général est davantage marqué chez le Burkinabè, à travers le cas des écoliers de la ville de Ouagadougou chez qui l’abondance argotique est quelque peu un fait ordinaire. De ce fait, il résume :

« Ainsi, les expressions ‘’c’est la mode’’, ‘’être à la page’’, (‘’être à la mode’’), être branché (‘’être à la mode’’), parler comme ses camarades ivoiriens, montre l’importance qu’occupe la mode dans la création lexicale en milieu scolaire. Ainsi, on crée par plaisir mais également par imitations des habitudes collectives passagères de parler. »

Par ailleurs, ce parchemin que connait le parler ivoirien bien au-delà de ses frontières est manifeste dans l’hybridation ; procédés lexical aussi reconnu au Nouchi.

3.3. L’hybridation

Les mots hybrides sont des formations lexicales hétérogènes, nés à partir de plusieurs origines linguistiques mais qui ont la particularité d’être des unités sémantiques compactes. J. DUBOIS et al. (2002 : 235) en disent des mots composés aux constituants empruntés à des racines de langues différentes. Difficilement perceptible comme tel à l’oral, nous les analyserons suivant le repère de démarcation prosodique. En clair, si à l’écrit, il est aisé de reconnaitre dans le composé collé ‘’Automobile[16]’’, un mot hybride composé du grec ‘’auto’’ et du latin ‘’mobile’’ de « movere » ; à l’oral, cela ne va pas de soi. La production orale d’un lexique ne donne pas de percevoir une structure lexicale compacte ou séparée, encore moins dans une flexion particulière que l’orthographe rendrait somme toute, aisée à appréhender.

Les hybridations lexicales alliant les terminologies locales et étrangères de toute sorte sont assez remarquables dans notre corpus. Ce sont les cas des énoncés soulignés ci-dessous.

« Loc_1 : chaque jour yé si zo[17] ; yé s(i) toutÈtemps zo:: bi:en djêguê P1»

« Loc_2 : non mais c’est é(ux) i(ls) daba leur conori de caviars quoi (qu)oi P1»

« Loc_1 : le vieux/ y a foyi/ y a foyi= ; in vie(ux) môgô choco conwan P2» (S_V1)

« Loc_1 : y a in Dagari à côté qui vient [Loc_N : non yé:::¯] pour gérer le kèn tch诠P1»

« Loc_3 : à Ouaga nous on lui a dit¯ (…) toi tu as avoir une go::¯ toi ti as avoir une go qui est callée¯/ in mo(m)ent in farfélu l’a enceinté::/ il a fraya (…) elle est callée seule/ e(lle) elle gbaye e(lle) ta::pe P2 » ; « cha(qu)e fois qué mo(g)o là s’en (v)a à Oua(g)a là/ qu’il i(l)­" i(l) rent(r)e chez go là/ P2 » (S_A1)

Comme on peut le remarquer, les constituants lexicaux soulignés des extraits sont des formations lexicales mixtes qui allient des mots de langues différentes. L’illustration la plus appropriée est l’énoncé « in vie(ux) môgô choco », composé respectivement du Français, du Dioula et du Nouchi ; « in vie(ux) », « môgô » et « choco ». Il en est de même pour « le kèn tchè » de (S_A1) qui allie le déterminant français « le » + le nouchi « kèn » et enfin le dioula « tchè ». Mais dans chaque usage lexical, c’est le style du parler Nouchi qui prédomine. Le mot est fait d’assemblage de mots de langues variées. En cela, Kouadio (2008 : 10) fait remarquer qu’au plan lexical, le nouchi se caractérise par des changements de sens, mais surtout par des emprunts massifs aux langues ivoiriennes ayant parfois des substantifs empruntés aux langues locales précédés d’un déterminant français.

Par ailleurs, on peut le constater, comme énoncé ci-dessus, le phénomène de l’hybridation à l’oral transcende le statut lexical. En effet, les énoncés ci-après sont tantôt des énoncés phrases, tantôt des locutions verbales, mais qui ont valeur d’un seul mot. Mais, du fait de leur mixité linguistique, ils affichent des énoncés hétérogènes incorporant des mots de plusieurs langues (le français, le dioula, le baoulé, le nounsi) lexicalement indissociables sans altérer le sens de l’expression. Il s’agit de :

« Loc_2 : non mais c’est é(ux) i(ls) daba leur conori de caviars quoi (qu)oi P1» et « Loc_2 : in mo(m)ent in farfélu l’a enceinté::/ il a fraya (…) elle est callée seule/ e(lle) elle gbaye e(lle) ta::pe P2 », « Loc_1 : ko mougou pan de femme ça peut tu::er= P3 », « kpètou:: quoi/ pour:: se­" frapper aoko/ P5»

De ce fait, ils sont des énoncés hybrides. Leur détachement ne donne plus le sens escompté de l’usage. Dans la locution verbale « frapper aoko », par exemple, l’un sans l’autre dénature la charge sémantique du composé séparé, mais qui obéit ici à un principe de compacité lexicale ; donc indissociable.

3.4. L’agglutination

J. Dubois et al. (2022 : 22) définissent l’agglutination en ces termes : « L’agglutination est la fusion en une seule unité de deux ou plusieurs morphèmes originairement distincts, mais qui se trouvent fréquemment ensemble dans un syntagme. » Fortement influencée par le code de l’oral, la manière populaire ivoirienne de s’exprimer s’en rapproche en réalité, où la prononciation lexicale est détériorée. Elle est non seulement propre au style Nouchi de l’expression, mais surtout donne naissance par déformation, à de nouveaux mots qui ne sont parfois pas donnés d’office à comprendre par tout le monde. À juste titre, L. J. CALVET (2010 : 133) soutient que le Nouchi est « un code impossible à comprendre pour le non initié » Dans notre corpus, le fait est irrévocable mais, avec pour destinataires principaux les populations d’un autre pays où n’est pas née ladite variété. Considérons dans (S_V1), les extraits suivants :

Loc_1 : y a qué cho(se) yé compr(end) pas dans dé jours-là/ c’est gâ:té façon là

Loc_1 : toi-mê(me) ré(g)a(rde) moi/ ré(g)a(rde) comment yé s(u)is frais

Loc_2 : (mdr) ré(g)a(r)deÈ(r)é(g)a(r)de¡ (mdr)

Loc_1 : non mais yé té pa(rle) de qué(lqu)é cho(se)¡¯

Loc_3 : non mais c’est é(ux) i(ls) daba leur conori de caviars quoi (qu)oi/ c’est Corona là/ ça yé(st) dans ça¯// à nous là/ ça (v)a fai(re) quoi a(v)e(c) nous¡­=

Loc_3 : ré(g)a(r)de le v(i)e(ux) père [Loc_1 : ça tombe bien même¯] comment il est tapé­/ Corona (ut) pas¯=

Ces extraits ont la particularité de refléter surtout le FPI et le Nouchi. Ce fait se situe plus au niveau de la perception auditive des lexies, soit le niveau phonétique.

On note en premier lieu, des faits d’articulations contractées d’unités lexicales comme : «Loc_1 : y a qué cho(se) yé compr(end) pas », «Loc_1 : toi-mê(me) ré(g)a(rde) moi/ ré(g)a(rde) », «Loc_2 : à nous là/ ça (v)a fai(re) quoi a(v)e(c) nous¡­= », etc. En effet, les constituants entre parenthèses sont des phonèmes ou groupes de phonèmes non articulés[18]. N’étant pas propres au Burkinabè, l’hypothèse d’une ‘’ivoirisation’’ continue de leur style de langage peut s’avérer plausible. En effet, le FPI selon Ayewa (2005 : 1-5) se distingue dans son lexique, par sa marginalisation phonologique et morphologique. De ce fait, le mot est parfois prononcé avec une articulation relâchée, engloutie de bien de voyelles et même de la lexie entière parfois. C’est le cas de Loc_1 (S_A1) dans «pa(rc)é *si tu les prends bien/ rien ne t’arriveD= P2» ; où l’agglutination rend imperceptible le mot de celui-ci. Le même type de relâchement s’arrimant à une paresse articulatoire ou presque, se retrouve à foison dans (S_V1) : «Loc_1 : yé s(u)is frais (…) chaque jour yé si… ». Dans les deux extraits respectivement, « pa(rc)é » et s(u)is lu ‘’si’’ sont curieusement des réalisations de ‘’parce que’’ et de ‘’suis’’. C’est le phénomène de l’agglutination.

Cet accent ivoirien du parler est, outre ce qui précède, manifeste chez les locuteurs de notre corpus, à travers la transformation morphologique de phonèmes aux réalisations nécessitant l’arrondissement labiales, en de phonèmes articulés avec ouverture des lèvres. Par exemple, ‘’je’’ devient très aisément ‘’yé’’ ; ‘’tu’’ devient ‘’ti’’ ; ‘’peut, peux’’ deviennent ‘’pé’’. Ces oppositions articulatoires témoignent de deux phénomènes : la réalisation ouverte de la voyelle semi-fermée [ ø] en [ e ] ; dans ‘’je’’, ‘’peut’’ et ‘’peux’’ ; tout comme dans ‘’tu‘’, la voyelle [y] se réalise [i].

Exemples :

Loc_1 : y a qué cho(se) yé compr(end) pas dans dé jours-là (P1, S_V1)

Loc_3 : non mais c’est é(ux) i(ls) daba leur conori de caviars (Ibidem)

Loc_3 : toi ti as avoir une go (…) ti as ta station:: (…) ca::lme ti n’as pas::: (P2, S_A1)

Loc_1 : c’est in truc en kpètou/ *tuD places et p(u)is ti té­" couche= (Ibidem, P5)

Si l’on illustre la transposition progressive de la manière ivoirienne de parler le français, dans les habitudes linguistiques burkinabè, par la réalisation vocalique, c’est parce que le phénomène de vocalisation est surtout un fait allant de soi dans l’accent ivoirien du FPI. À propos d’ailleurs, Kouadio (2008 : 7-8), l’appréhendant au niveau phonologique, cela met en exergue des aspects d’ordre de la prononciation approximative de sons, de l’absence d’opposition entre des sons, de la réduction systématique de certains groupes consonantiques. Dans la réalisation lexicale chez le locuteur ivoirien du FPI, effectivement, il n’est pas étonnant d’assister à une mutation de consonne en voyelle et vice versa.

On peut spécifiquement souligner d’emblée, la mutation fréquente de la fricative post-alvéolaire [ʒ] en la semi-voyelle [j]. Ce style en marge du français de référence (FR), suivant Plahar Beurkhir (2017 : 22), est non seulement purement ivoirien, mais est en passe d’être un français de tous les ivoiriens (lettrés et non-lettrés) ; si bien que pour Brou-Diallo, (2007 : 39), on peut en dire une langue communautaire interethnique de la Côte d’Ivoire. Par contre, faut-il le souligner, cette tendance articulatoire n’est pas tant originelle chez le Burkinabè. Lui est assez souvent enclin à une articulation lexicale conventionnelle ou normative. Dans le cas contraire, ses réalisations originelles se reconnaissent par une difficulté articulatoire des suites consonantiques ‘’sp’’, ‘’st’’, ‘’gb’’, ‘’psy’’, ‘’kp’’ qui dans certaines langues ivoiriennes sont des consonnes fréquentes. La même réalité existe dans les confusions/substitution des chuintantes et sifflantes ‘’ch’’ et ‘’s’’, assez caractéristique du parler Burkinabè, mais assez spécifiquement du plateau moaga[19]. L’influence de même du mooré qui constitue une langue assez populaire, mais aussi maternelle ou première d’une frange importante de Burkinabè conduit à une substitution des phonèmes ‘’d’’ et ‘’r’’ et vice versa…

4. De l’économie de l’analyse

Aucun fait de langue ne demeure innocent en soi. Il est aussi reconnu que la langue est l’expression de vie des cultures. Celles-ci se mêlant, les manières de pratiquer des langues le deviennent aussi. Le Burkina et la Côte d’Ivoire en témoignent à l’issue de cet examen. Le cas de transposition lexicale du français parlé ivoirien dans celui de Burkinabè que nous venons d’analyser, en fait gage. L’usage lexical est de fait, assez ivoirien à travers une part d’interférence notable du Français populaire ivoirien et le Nouchi. Si pour en peser la teneur, nous nous sommes intéressés seulement à l’emploi lexical, bon nombre de raisons extralinguistiques pourraient en rendre compte.

En effet, la Côte d’Ivoire a pendant longtemps constitué une importante poche d’accueil de migrants de la sous-région Ouest-africaine, faisant d’elle l’un des pays comptant une diaspora aux origines variées. Les descendants de cette diaspora (jeunes, scolaires, étudiants…) négociant le retour au bercail, sous diverses motivations (les études, les affaires, convenances personnelles diverses, dégradation du climat socio-politique en terre natale...), en impactent progressivement les habitudes langagières : c’est le cas du Burkina Faso, aussi manifeste qu’on s’y sentirait parfois dans des micros-univers ivoiriens.

L’industrie culturelle ivoirienne en général, son secteur musical très dynamique, les médias et réseaux sociaux, l’univers politique, diplomatique (le TAC)[20], la nature de l’ivoirien, lui-même, et par-dessus tout ; les enfants de la diaspora qu’elle a éduqués, formatés, l’expliquent mieux. Ces derniers sont d’ailleurs nommés au Burkina Faso, les Diaspo qui, aussi bien dans leurs apparences que dans leurs attitudes, sont de pseudo clones ivoiriens éparpillés dans ses quatre recoins. Turbulents, volubiles et surtout touche-à-tout, ils stimulent, influences les habitudes linguistiques des autres avec une certaine aisance. Cette nature explique alors que pour un choix à opérer, en termes de discours pour la sensibilisation de Burkinabè à propos d’un fléau, on puisse dans un paradoxe, s’exprimer en un code linguistique exogène.

Il pourrait se poser dès lors, la préoccupation d’en savoir le destinataire principal, d’autant qu’il s’agit d’un discours dans un savant simulacre d’environnements et de présentations rendus ivoiriens. C’est pourquoi les acteurs/locuteurs ont une mise vestimentaire essentiellement ivoirienne : tee-shirts, jeans aux ouvertures multiples (dites blessures dans leur jargon ‘’jeans blessé’’), serrant le corps et pendants sur la cheville.

En bref, on retient de leurs apparences vestimentaires une imitation de la Jet set, groupement d’artistes ivoiriens de l’hexagone des années 2000 et précurseurs du concept du « couper-décaler », genre musical populaire dans les années 2000 et 2010, suivant Wikipédia. Cette volonté de parler tel un Ivoirien, sans faire une montre d’une acculturation linguistique, est aussi un sentiment candide ou volontaire de se ressentir ou de se réclamer Ivoirien. La population burkinabè, mais surtout dans sa frange jeune, augmente de plus en plus de concitoyens natifs de la Côte d’Ivoire ou l’ayant fréquentée peu ou longtemps. Les liens affectueux d’avec la terre natale, la nostalgie, etc. les poussent à une représentativité psychologique du dit pays, en étant au Burkina Faso. Cette réalité doublée du fait que la langue est une presque seconde nature, sa pratique échappe alors à bien de soucis d’adaptations permanentes aux contextes énonciatifs. C’est ce qui justifierait, au mieux, les interférences lexicales ivoiriennes, dans le parler de Burkinabè, bien qu’étant au Burkina Faso. La causerie, de tendance générale, dans un code de langage du Nouchi et le FPI l’illustre bien dans (S_A1), de même que (S_V1) ; un discours public à caractère de sensibilisation de Burkinabè.

Dans chacun des supports étudiés, donc, la réalité est identique et met en relief, le fait que le parler ivoirien du français s’invite véritablement à nos jours, dans les habitudes linguistiques de plus d’un locuteur de son voisin le Burkina Faso.

Conclusion

Le français au contact de nos langues locales et de ce qui reste de son sort aujourd’hui, peut relativement conduire à déduire que celui-ci est une langue en métamorphose. Cela se traduit par une extraversion de la norme du français de France de P. DUMONT. La Côte d’Ivoire s’en avère une icône et les fruits de ses ingéniosités n’épargnent pas bien d’autres contrées. Au niveau lexical, orientation de la présente réflexion, le Burkina Faso en a pu faire montre. Les locuteurs Burkinabè, natifs et non natifs de sol (I. SAWADOGO et O. SORÉ), mais essentiellement jeunes, faut-il le souligner, se mutent en de véritables promoteurs du style du Français ivoirien dans leur pays d’origine (le Burkina Faso).

De façon générale, partant d’un constat non statistique certes, la conquête d’horizons du style ivoirien du français parlé, singulièrement interrogée dans le cas du Burkina Faso, peut se vérifier au-delà de cette frontière ; mais, moins qu’il n’en est le cas dans les habitudes linguistiques ivoiriennes. Ce dernier constat ne peut-il pas amener à douter qu’un processus de vernacularisation d’un type de parler du français dans la sous-région Ouest-africaine n’y soit en bon cours, à travers le Français parlé ivoirien ?

Bibliographie

1. Articles

Abou NAPON (2005) « Déconstruction et reconstruction de la Langue française par les étudiants burkinabè : l’exemple des abréviations en milieu estudiantin », Revue électronique internationale de sciences du langage, Sudlangues N° 5, PP 71-87. http://www.sudlangues.sn

Amélie HIEN, Michel GIROUX, « Le français au Burkina Faso : Usages multiples et socio-affectifs complexes » n°2-Volet n.1- novembre 2012- Les francophonies et francographies africaines face à la référence culturelle française, Coordonné par Cristina Schiavone.

GAJOS, Mieczyslaw (2006), « Parler en écrivant : le lexique des internautes français », Verbum Analecta Neolatina VIII, N°1, pp.171-180.

Issaka. NACRO (1988) « Le français parlé du Burkina Faso : approche sociolinguistique », Cahiers de Linguistique Sociale, 13, 1988 a, PP. 134-146.

K. B. HEMA, R. ZERBO, G.R.Y. KOFFI, (2018), « Pratiques agricoles des migrants burkinabè en Côte d’Ivoire et investissements socio-économiques liés à la culture d cacao », TROPICULTURA, pages 299-313.

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N’Guessan Jérémie KOUADIO (2008), « Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, PP 179-197, URL : http://journals.openedition.org/dhfles/125.

N’Guessan Jérémie KOUADIO (1998), « Le nouchi abidjanais, naissance d'un argot ou mode linguistique passagère ? »,

SORE, OUSSENI (2015), Le langage argotique comme obstacle à la performance linguistique des élèves en français oral : cas de la ville de Ouagadougou, mémoire de master, département de linguistique, Université de Ouagadougou.

Youssouf OUÉDRAOGO (2000), « Le français basilectal dans la littérature burkinabè », in Actes de la XVIIIe Biennale de la langue française tenue à Ouagadougou sur le thème ‘’ L’expression du droit. Le français, langue africaine et internationale. La jurisfrancité. Le Burkina Faso et la francophonie’’, Paris.

Yves SIMARD, 1994, « Les français de Côte d’Ivoire », In Langue française, 104 pp. 20-36.

2. Ouvrages, Thèses et mémoires

BERNARD KABORE (2004), La coexistence du français et des langues burkinabè : le cas des villes de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso, thèse de doctorat unique, département de linguistique UFR/LAC, Université de Ouagadougou.

Buerki Plahar, Le français en Côte d’Ivoire : une analyse linguistique de six animations ivoiriennes en français normé ivoirien, en français populaire ivoirien et en nouchi, Faculty of Graduate and Post doctoral Affairs, (Maîtrise en français/Master of Arts), Department of French Carleton University Ottawa, Ontario, April 2017.

LUDOVIC KIBORA (2010), « Le phénomène « diaspo » à Ouagadougou », Le Burkina Faso contemporain, racines du présent et enjeux nouveaux (Sous la direction de Mandé, I.), Paris, Laboratoire Sedet Université Paris Diderot- L’Harmattan, pp.81-96.

Michel ARRIVÉ, Françoise GADET, Michel GALMICHE, 1986, La grammaire d’aujourd’hui : guide alphabétique de linguistique française, Paris, Flammarion.

 

[1] Le camfranglais sur internet : Pratiques et représentations.

[2] Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe. La table de convention de transcription jointe en annexe.

[3] Extrait de ‘’Bonjour 2011’’, RTI. Propos de l’humoriste ivoirien Ramatoulaye.

[4] Du groupe musical ‘’Poussins choc’’, dans le titre ‘’Foutaise’’.

[5] Musique urbaine ivoirienne.

[6] JIACI TV, dans ‘’Le nouchi un langage qui met dra’’/ un langage qui a du succès.

[7] Napon Abou

[8] Loumbila le 12 juillet 2019, atelier de formation sur l’approche pédagogique intégratrice (API).

[9] Yacouba Ladji Bama, Direct-Facebook du 15 septembre 2020.

[10] Responsable de campagne, dans l’Ouest, du candidat aux élections à la Fédération burkinabè de football, Adama TRAORÉ. Extrait du  J.T. de 13 H  du 10 aout 2020 de la chaîne de télévision BF1.

[11] nouchi.com Url : htt://www.nouchi.com ˃ dico ˃ item

[12] Terme désignant plus les natifs hors du Burkina, mais plus caractéristique de ceux venant de la Côte d’Ivoire.

[13] Mahamadou ZONGO, « LA DIASPORA BURKINABÈ EN CÔTE D'IVOIRE : Trajectoire historique, recomposition des dynamiques migratoires et rapport avec le pays d'origine », Editions Karthala | « Politique africaine » 2003/2 N° 90 | pages 113 à 126. Lien : https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2003-2-page-113.htm

[14] (Queffelec 2007) https://hal-auf.archives-ouvertes.fr

[15] NAPON, Abou (1999), « Quelques faits d’appropriation du français à l’école secondaire à Ouagadougou », Le français en Afrique, N°13, pp.93-103.

[16] Wikitionnaire, sous la licence CC BY-SA 3.0

[17] Joli

[18] Voir la table de transcription. Un phonème entre parenthèse est selon le GARS non réalisé ou articulé.

[19] Ensemble des régions originellement mossé. Le terroir moaga en général.

[20] Le traité d’amitié et de coopération est un rendez-vous annuel devenu biennal de la diplomatie des deux pays.

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Les causes du phénomène de l’emprunt lexical en Côte d’Ivoire

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