N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

Le syndicalisme comme vecteur de développement de l’identité de classe : enjeux et défis pour les ouvrières du Bangladesh

Apolline Dupuis

Résumé

La grève historique d’octobre-novembre 2023, portée par les syndicats, démontre le passage d’une classe en soi à pour soi de la classe travailleuse du Bangladesh. Néanmoins, les défis pour le développement d’une identité de classe parmi les ouvrières du Bangladesh restent nombreux, et les enjeux sont grands. Le développement d’une identité de classe se construit de manière contre-hégémonique, par le bas, c’est-à-dire à partir des vécus des ouvrièr.e.s, et dans l’opposition, c’est-à-dire contre la manière dont la classe dominante les définit. Pour ce faire, cet article suggère au mouvement syndical et à ceux qui s’y intéressent de cultiver une fierté de classe, propre à celle-ci. Les syndicats, telle une école, forment politiquement leurs membres via les intellectuels dits « organiques ». Cependant, plusieurs défis se heurtent à cette configuration, le premier étant le risque que les syndicats deviennent les médiateurs entre les capitalistes, l’État bourgeois et les travailleur.se.s. L’autre défi est le manque d’agentivité laissé aux ouvrières et enfin, le manque de représentation de celles-ci, dans la société de manière générale mais aussi dans les syndicats. Enfin, pour les femmes de la classe travailleuse, il s’agit de développer une identité de genre, au sein de leur identité de classe.

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Le syndicalisme comme vecteur de développement de l’identité de classe : enjeux et défis pour les ouvrières du Bangladesh

« Instruisez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre intelligence, agitez-vous parce que nous aurons besoin de tout votre enthousiasme, organisez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre force »

Antonio Gramsci.

Apolline Dupuis est assistante et doctorante en Sciences Politiques à l’Université de Mons (Belgique). Elle est spécialisée dans l’approche marxiste du travail et du genre. Sa thèse porte sur les thématiques du syndicalisme et du féminisme en terrain social belge. En parallèle de sa carrière académique, elle est engagée politiquement ainsi qu’au sein des mouvements sociaux et féministes.

Fin octobre 2023, des milliers d’ouvrier.e.s de Dhaka, capitale du Bangladesh, entrent en grève[1]. Ils et elles n’ont pas assez d’argent pour vivre. Le constat s’étant aggravé depuis l’inflation économique (+9% entre 2022 et 2023), ils demandent par conséquent une augmentation du salaire minimum, resté bloqué à 8'000 takas (65€) depuis 2018. Le gouvernement a annoncé l’augmentation du salaire minimum à 12'500tk (102€) par mois, proposition que le mouvement syndical a rejetée[2]. Selon lui, 23'000tk (188€) par mois devrait être le minimum pour épargner leurs familles de la famine[3]. Le mouvement s’oppose au gouvernement, aux patrons d’usine et aux multinationales qui, par sous-traitance, les emploient[4]. La grève dure trois semaines : c’est historique[5]. La répression est forte. On estime qu’au moins 4 ouvriers sont décédés dans la répression policière ces dernières semaines, en plus des nombreux.ses blessé.e.s[6]. Dans cette grève et en amont, les syndicats du pays jouent un rôle important.

Dix ans plus tôt, le Rana Plaza, une usine de production industrielle textile de plusieurs étages située à Dhaka s’effondre sur ses travailleur.se.s[7]. Cet évènement s’ajoute au tragique incendie de l’usine Tazreen Fashion en novembre 2012, qui avait causé la mort d’une centaine d’ouvrièr.e.s textile[8]. Quelques mois plus tard et, non loin de là, plus d’un millier d’ouvrièr.e.s, principalement des femmes, périront sous les décombres du Rana Plaza. Ce drame a profondément marqué la classe travailleuse du Bangladesh, et le souvenir en est encore frais dans les esprits. Depuis, chaque année, la date du 24 avril 2013 est un jour de commémoration qui rassemble les syndicats autour d’une expérience traumatique commune et une promesse : celle que plus jamais un.e ouvrièr.e ne meurre au travail parce qu’il ou elle est ouvrièr.e. Cet évènement prend sa source dans le manque d’investissements et de soins portés aux ouvrièr.e.s par les multinationales qui, par sous-traitance, les emploient. Il a marqué, sous l’impulsion des syndicats, le début de grands changements légaux en ce qui concerne les conditions de travail (sécurité, services, salaires, etc.)[9]. Il a également été à l’origine d’un mouvement de solidarité mondial, dont les syndicats se sont servis pour développer la conscience de classe parmi les ouvrièr.e.s textile et dont ils continuent de cultiver la mémoire.

L’économie capitaliste impliquant la recherche permanente de nouveaux marchés, les grandes entreprises se sont mondialisées. Ce processus, ayant débouché sur une délocalisation massive de la production industrielle des pays du Nord Global vers les pays du Sud Global[10], fut motivé par la main d’œuvre bon marché des pays non-occidentaux, tel que le Bangladesh. Désormais, la plupart des ouvrières du secteur productif sont désormais dans le Sud Global. Ainsi, de même que les inégalités se creusent entre les travailleur.se.s, les femmes en subissent doublement les conséquences dans le Sud Global : si la mondialisation s’est en général opérée au détriment de la classe travailleuse des pays du Sud, le constat s’aggrave si l’on prend cette question par le prisme du genre[11].

Le Bangladesh est un pays dont l’économie connait l’un des essors les plus rapides, mais où la pauvreté reste pourtant généralisée avec 20,5% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté[12]. Il est le deuxième plus grand exportateur de l’industrie textile, après la Chine[13]. Plus de 80% des exportations du pays viennent l’industrie du prêt-à-porter[14]. Cela en fait la principale force économique du pays.

Historiquement, ce secteur industriel a toujours été composé en majorité de femmes. En 2015, il était estimé que le secteur employait de manière formelle 4 millions de travailleurs, dont 65% de femmes. Selon les chiffres de 2020 de l’Asian Center for Development, 59,2% des travailleurs des usines de prêt-à-porter sont des femmes[15]. Elles sont nombreuses à être déléguées syndicales au sein de leur usine, bien que la syndicalisation au Bangladesh reste un défi, tout comme le développement d’une identité ouvrière, de classe[16]. En effet, selon un rapport de l’institut Friedrich Ebert Stiftung (FES) : « Le nombre de syndicats au Bangladesh est faible : 7 885 syndicats pour environ 200’000 unités industrielles employant à la fois des hommes et des femmes. Selon une étude réalisée en 2002, moins de 10 % des travailleurs salariés appartiennent à un syndicat, et moins de 6,3 % d'entre eux sont des femmes »[17].

Le fait que cette industrie fasse tenir le pays sur pied et lui donne une place sur la scène internationale explique que les luttes sociales soient difficiles à mener tant la pression économique est forte. Selon un rapport d’IndustriALL[18]: « La situation est sombre lorsqu'il s'agit de s'organiser ou de négocier collectivement dans un secteur dont les bénéfices des exportations génèrent 85 % du PIB du Bangladesh »[19].

Les ouvrières ont des identités complexes, que je détaillerai, faites de potentiel mais aussi de tiraillements et de responsabilités multiples, avec lesquelles les syndicats doivent composer. Je pars ici de deux observations réalisées lors d’un terrain de recherche auprès des ouvrières œuvrant dans les usines textiles de Dhaka. La première observation est la volonté, les efforts et sacrifices des mamans pour extraire leurs enfants de la classe sociale dans laquelle elles les ont fait naître. La deuxième observation est la suivante : parmi les ouvrières membres ou proches d’un syndicat, on retrouve un degré de politisation plus important caractéristique d’une certaine forme de conscience de classe.

À partir des concepts de classe en soi et de classe pour soi développé par la littérature marxiste, d’entretiens de terrain réalisés au Bangladesh, ainsi que les travaux de Beaud et Pialoux, Gramsci, Burawoy, de Paul Boccara[20] et Frédéric Mellier[21], je tenterai de développer une analyse des enjeux et défis au développement de l’identité de classe parmi les ouvrières femmes du Sud Global, en proposant la voie du syndicalisme comme solution collective et individuelle. Il s’agit également de questionner une forme d’identité de classe spécifique aux femmes de la classe travailleuse.

Le terme « classe » sera ici utilisé dans son sens socio-économique, comme l’a défini Marx. Les femmes ne sont pas ici considérées comme une classe à part, telles que les féministes matérialistes[22] le font, mais comme une catégorie de sexe, une couche dont les expériences sont en partie spécifiques, au sein de la large classe travailleuse[23].

Garnier expose ainsi le concept de classe en soi de Marx : « La classe en soi est définie objectivement par sa place dans les rapports de production. Ainsi, l’appartenance à la classe ouvrière est-elle basée sur le fait que la seule chose que possède l’ouvrier est sa force de travail qu’il est obligé de vendre pour survivre, alors que le bourgeois est le possesseur des moyens de production, ce qui lui permet d’exploiter l’ouvrier »[24]. Quant à elle, la classe pour soi est : « consciente de la convergence de ses intérêts communs et se mobilise pour les défendre. Elle se dote de représentants, d’institutions, d’objectifs et de programmes pour s’organiser et lutter. Or, de nombreuses études sociologiques ont montré que la bourgeoisie est la dernière classe réellement consciente de ses intérêts et totalement impliquée dans leur perpétuation »[25].

Selon Cécile Piret, docteure en sociologie du travail à l’ULB : « La conscience de classe, à partir de laquelle peut se développer une classe pour soi, organisée syndicalement et politiquement, constitue ainsi à la fois la prise de conscience par les travailleurs de leur situation d’exploitation et la nécessité d’en sortir par des actions visant à dépasser le mode de production capitaliste »[26]. Cependant, ce sera davantage le terme d’« identité de classe » qui sera utilisé ici car il permet de démontrer la construction d’une classe pour soi et le caractère communautaire d’une classe.

Justement, ce qui nous intéresse est le passage de classe en soi à la classe pour soi, en ce qui concerne les femmes, dans le contexte du Sud Global et plus spécifiquement celui du Bangladesh. La récente grève d’octobre et novembre 2023 démontre ce passage de l’une à l’autre.

1. Construire des identités contre-hégémoniques par le bas et dans l’opposition

L’identité assignée aux ouvrières du Bangladesh est peu flatteuse et vise à justifier ainsi qu’à rendre légitime leur position dominée. Elles sont ouvrières, nées au Bangladesh, alors ce n’est pas choquant si le chiffre d’affaires des marques pour lesquelles elles produisent se compte en milliards, lorsqu’elles sont payées 65 euros par mois. Elles sont femmes, alors après avoir travaillé de nombreuses heures à l’usine, il est normal qu’elles fassent les courses, le repas, la vaisselle. Elles sont mères, alors elles vivront en permanence tiraillées entre double rôle, doubles journées et doubles responsabilités. Elles sont jeunes, donc leur cadence au travail ne peut jamais fléchir et leur corps ne peut être une excuse. C’est à partir de là - par le bas-, mais aussi contre ces réalités - dans l’opposition -, que des identités contre-hégémoniques peuvent être construites.

Lukács en expose à mon avis justement les raisons : la lutte de la classe travailleuse ne se mène pas uniquement contre un ennemi extérieur, à savoir la classe dominante. La classe travailleuse doit également se battre contre elle-même, « contre les effets dévastateurs et dégradants du système capitaliste sur sa conscience de classe ». Il estime que le prolétariat aura « remporté la véritable victoire que lorsqu'il aura surmonté ces effets en lui-même »[27]. La classe travailleuse doit donc se transcender, dépasser la manière dont elle se fait définir. Il s’agit, en termes bourdieusiens, de rompre avec le monde qu’elle a en elle, au travers de ses habitus[28].

Antonio Gramsci, est connu pour avoir conceptualisé « l’hégémonie de classe », définie ainsi : « l’hégémonie sert à définir la manière par laquelle une classe sociale en vient à être dominante dans la société en la dirigeant, c’est-à-dire à obtenir le pouvoir sur les autres classes et à orienter la société tout entière vers son projet politique et économique »[29]. Des auteurs tels Burawoy vont reprendre ses théories et les développer. Selon Piret, il ne s’agit pas de réduire Gramsci à un penseur de l’hégémonie sous le seul fascisme, car « sa thèse sur le despotisme hégémonique mène à interroger quelles formes de consciences de classe émergent dans un contexte qui n’est pas simplement un retour à un capitalisme plus coercitif, mais qui prend aussi en compte la manière dont la classe ouvrière s’est formée dans la période précédente »[30]. Il y a 10 ans, lorsque l’effondrement du Rana Plaza fait plus d’un millier de morts, c’est un nouveau pilier fondateur de l’identité ouvrière du Bangladesh et de son histoire qui se crée. Désormais, cette base s’impose aux syndicats qui construisent l’identité des ouvrières qui sont maintenant dans les usines.

Selon Burawoy, auteur de Manufacturing Consent[31] : « L’hégémonie ne se réduit pas à la coordination concrète d’intérêt ou aux liens qui relient l’Etat et la société civile. L’hégémonie n’est pas seulement une question de consentement. L’hégémonie a des fondements non hégémoniques : la mystification de l’exploitation (…). Transparente sous le socialisme d’Etat, l’exploitation a donné plus de marge de manœuvre aux intellectuels pour s’engager aux côtés des travailleurs pour élaborer des « hégémonies » alternatives par en bas (…). Différentes formes d’alliance entre les travailleurs et les intellectuels ont donné naissance à ces contre-hégémonies »[32].

Développer des identités contre-hégémoniques implique de savoir définir à quoi et à qui elles s’opposent, c’est-à-dire rompre avec ce que Burawoy nommait la mystification de l’exploitation. A mon sens, la formation d’une identité de classe dans le Sud Global repose sur la conscience d’un dehors qui profite de la main d’œuvre bon marché qu’elle représente. Il s’agit pour la classe travailleuse du Bangladesh de prendre conscience qu’elle est produite pour un Nord qui l’exploite en tant que Sud. En tant que classe ouvrière. En tant que femmes. En tant que non-blancs. A cette fin, comme je tenterai de le montrer, les syndicats jouent un rôle d’école politique.

Dans le manifeste « Féminisme pour les 99% », Fraser, Bhattacharya et Arruzza mettent en avant un féminisme militant qui s’empare des questions sociales faisant l’objet des attaques néolibérales, dont les agents sont les 1%. Elles utilisent volontairement le concept des 99% VS 1%, démontrant une dualité qui leur permet de désigner à qui le mouvement féministe devrait s’opposer. Les hommes ? Ou les agents du capital ? Ce concept des 99% versus 1% permet aussi de montrer que nombreux sont ceux à avoir en commun l’intérêt de renverser l’hégémonie des 1%, numériquement faible.

En résumé, la construction de l’identité ouvrière, si elle peut parvenir à terme à exister en dehors de la manière dont les acteurs hégémoniques la définissent, doit à mon sens se développer dans l’opposition et dans le refus de consentir. En d’autres termes, les syndicats ne peuvent développer l’identité ouvrière qu’en opposition au « Nord profiteur », aux « patrons exploitants », aux « hommes oppressants », afin de rompre avec l’hégémonie qui a pour conséquence l’adoption d’une identité imposée par les dominants.

2. Cultiver la fierté

Ce qui permet de passer d’une classe en soi à pour soi, au-delà du « sens commun » de Bourdieu, c’est ’affirmation d’une fierté collective, une fierté de classe. C’est-à-dire donner de la valeur à soi-même et à ses camarades de travail. C’est avoir quelque chose à défendre, comprendre qu’il y a des victoires à aller chercher ou des droits à récupérer. C’est pourquoi, lors de mon terrain de recherche au Bangladesh, j’ai interrogé les ouvrières des usines textiles sur la fierté qu’elles tiraient de leur travail.

Lors des récentes grèves, les syndicats ont été à la fois organisateurs et porte-voix des expériences vécues par leur base à l’intérieur des usines et dans leur vie quotidienne. Leurs actions ont été multiples, de la sensibilisation dans les usines, à la mobilisation dans la rue, jusqu’à la collecte de fonds à l’international et à la communication dans la presse. Le signal envoyé par les syndicats au gouvernement et aux multinationales était une manière de dire : « nous, la classe travailleuse des usines textiles, nous, la première force industrielle du pays, valons mieux que ça, mieux que ces miettes que vous accordez nous laisser ». Les grèves de 2023 démontrent que les ouvriers mais aussi les ouvrières ont pris conscience qu’ils avaient de l’importance, que leur travail avait assez de valeur, que pour sortir dans la rue et revendiquer non par une simple augmentation de salaire mais presque le double de ce qui était proposé par le gouvernement et le patronat.

Pourtant, il existe une ambivalence dans les discours des ouvrières. Si l’on remarque une tendance générale à la fierté tirée du travail effectué et du rôle productif particulier dans la société bangladeshie, les ouvrières restent néanmoins convaincues que la meilleure chose qui puisse arriver à leurs enfants, est de ne pas se retrouver dans la même situation qu’elles, plus précisément le même niveau socio-économique qu’elles. Elles aspirent à des standards supérieurs à la fois pour leurs enfants, petites sœurs voire elles-mêmes : une éducation universitaire, un bien immobilier, un commerce, vivre à l’étranger, échapper à poussière des bidonvilles où elles ne trouvent pas d’avenir. C’est ce que j’ai conclu de mes entretiens à Dhaka.

Quand on vit dans les bidonvilles depuis sa naissance, quand on va jusqu’à couper des œufs en deux pour donner un apport en protéines minimum journalier à ses enfants, lorsqu’on se fait agresser sexuellement sur le chemin du boulot, quand la société nous considère comme misérables, comment développer une fierté ? C’est là un défi important au développement de l’identité de classe pour les travailleur.se.s du Sud Global.

Prendre part à une activité syndicale, en tant qu’ouvrière, aide alors à l’empouvoirement, à la construction d’une fierté dont le travail est au fondement. Lovly, déléguée syndicale et ouvrière depuis l’enfance dans une usine produisant pour les plus grandes multinationales du prêt-à-porter, expliquait se sentir fière de pouvoir porter les revendications des ouvrières face au patronat : « Je suis fière de travailler à l’usine en tant que femme. En que déléguée de notre syndicat, je peux faire plein de choses. Je suis fière de contribuer à l’économie du Bangladesh. Les autres ouvrières ne peuvent pas parler en face au patron, mais moi je peux le faire ».

Santoshi, déléguée syndicale d’une usine de production de chaussures, disait : « On est très fière. Parce qu’on se sent au même niveau que les hommes ». Chobha, ouvrière et déléguée syndicale elle aussi, exprimait : « Je me sens fière de contribuer à quelque chose de plus grand et de mieux », en d’autres termes à de meilleures conditions de travail pour ses collègues et au développement économique de son pays.

Tasmina m’a, elle, répondu qu’elle se sentait fière de travailler en tant que femme. Elle gagne son propre argent et cela la rend indépendante. Si elle était restée étudier à la campagne, elle aurait été mariée. Elle a le sentiment de contribuer à la plus grande industrie du pays. Elle est aussi heureuse de pouvoir aider les autres en tant que déléguée syndicale : « Cela me procure de la fierté d’être déléguée syndicale ».

De ces extraits d’entretiens semi-directifs que j’ai menés entre 2022 et 2023, retenons que le travail en usine, parfois combiné à une activité syndicale, donne à ces jeunes femmes un sentiment de fierté qui, s’il est cultivé, peut-être la base d’une construction identitaire mobilisatrice, émancipatoire et par-dessus tout, anti-hégémonique.

Cultiver une fierté de classe demande cependant de parvenir à dépasser l’idée selon laquelle celle-ci rimerait forcément avec la misère. Si, en effet, de nombreuses ouvrières textile du Bangladesh vivent dans les bidonvilles, rien n’oblige à ce que cette situation soit immuable.

Pour former une classe sociale qui se reconnait entre elle, il faut former ce que Bourdieu aurait appelé le sens commun. Pour cela, il est préférable de savoir qui l’on est, comment on s’appelle. Nous assistons à une diversification de termes utilisés pour qualifier la classe travailleuse : « salariés », « ouvriers », « employés »… Benjamin Pestieau et Alec Desbordes mettent le doigt sur l’importance pour la classe d’avoir un nom clair par lequel définir l’identité commune qui en rassemble les membres, celui de classe travailleuse[33]. Il permet d’apprendre à se connaitre à et se reconnaitre, en formant ainsi une identité englobante. Dans cet article, c’est le terme de « classe travailleuse », qui sera utilisé, pour sa capacité à englober le monde du travail, aussi stratifié qu’on le décrive, mais aussi pour son usage non-genré au masculin, incluant ainsi les femmes.

Enfin, lorsque l’hégémonie par la culture ne suffit plus, interviennent des appareils d’Etat chargés de maintenir cette hégémonie par la force. Si la répression policière a pour but de mater les révoltes, elle renforce aussi le sentiment d’une identité commune dont on tire de la fierté. Si les décès dans l’un et l’autre cas ne peuvent être comparés, un point commun entre l’effondrement du Rana Plaza en 2013 et la grève d’octobre-novembre 2023, se trouve dans la perte de plusieurs « des leurs » au sein de la classe travailleuse du Bangladesh, qui a marqué un tournant dans la fabrication de leur identité de classe.

3. Le syndicalisme comme école politique et le rôle des intellectuels organiques

En détaillant mon échantillon, dont un aperçu est donné ci-dessus, on remarque que les ouvrières les plus politisées, sont celles qui sont membres d’un syndicat ou proches d’un syndicat. Par « politisées », j’entends celles qui ont une capacité d’analyse politique et critique de leur vécu. Elles sont toutes conscientes du salaire insuffisant qu’elles reçoivent, mais toutes n’expliquent pas leur situation par l’inégalité entre patrons occidentaux, cherchant à maximiser leurs profits, et ouvrières de pays anciennement colonisés, main d’œuvre bon marché. Elles savent toutes qu’elles produisent pour des grandes enseignes de prêt-à-porter qui ne sont pas destinées à être vendues dans leur pays, mais seules une partie d’entre elles sont capables de nommer les marques des vêtements pour lesquelles elles produisent au quotidien. Elles éprouvent toutes des difficultés à cumuler les doubles journées, celle du travail productif et reproductif, mais ne lient pas systématiquement leur vécu au système patriarcal. Elles ont toutes conscientes que leur situation est « injuste », mais toutes ne conçoivent pas qu’un changement, en s’organisant collectivement, soit possible.

Lors de mon terrain à Dhaka, j’ai pu assister à une formation d’une journée organisée par un syndicat, donnée par un avocat spécialiste du droits du travail et une permanente syndicale, à des délégué.e.s syndicaux.ales, travailleur.se.s en usines textile, afin d’apprendre à négocier avec le banc patronal. Sur la bannière de la formation, l’inscription : « Industrial relation and workplace cooperation between workers and management[34] ». En plus de la formation purement théorique sur leurs droits face au patronat, les délégués syndicaux étaient mis en situation, et devaient s’essayer à une négociation avec le patronat dans un contexte d’harcèlement ou de retard dans les rémunérations. Parmi les participant.e.s à la formation, de nombreuses femmes, jeunes, toujours plus hésitantes à prendre la parole que les hommes, mais attentives.

Les syndicats réalisent un travail d’éducation politique de la classe travailleuse, notamment lors de ces formations récurrentes, mais aussi sur le terrain via leurs délégué.e.s. Plus précisément, les syndicats, formés de bon nombre d’intellectuels, instruisent les travailleur.se.s à produire, à partir de leur vécu, une analyse critique et à tisser des ponts entre les identités de chacun.e.s. En effet, la prise de conscience politique d’intérêts communs, d’une identité collective, n’a rien d’un processus spontané. Cela relève, selon le marxiste Gramsci, du rôle des intellectuels, autrement dit des « organisateurs idéologiques du sens commun »[35], en l’occurrence, des syndicalistes. Selon Bourdieu, pour que les dominés prennent conscience de leur position sociale et s’approprient « les expériences de leur domination »[36], il faudrait que les intellectuels interviennent :

« Selon Bourdieu, le rapport réflexif à la compréhension du monde suppose une rupture dans le mode de connaissance : le passage de la raison pratique au regard théorique sur la raison pratique. Mais ce procédé n’est pas accessible à tout le monde. Si la raison pratique est partagée par tous, ce sont particulièrement les dominés qui n’ont pas de penchant ni de compétence pour la pensée théorique. Bourdieu voit même parmi les chercheurs qui tentent de voir une pensée théorique spontanée chez les dominés – comme une « prise de conscience » par exemple – l’erreur scolastique de prêter aux agents « la raison raisonnante du savant raisonnant à propos de leurs pratiques »[37]. Pour accéder réellement à cette distance théorique sur les déterminants sociaux, les intellectuels doivent rentrer en jeu »[38].

En résumé, bien que, en partant de ces idées, l’on pourrait se demander quelle place il reste pour l’agentivité des subalternes, passer d’une classe en soi à une classe pour soi, soit l’affirmation d’une identité de classe, nécessiterait donc l’intervention d’un dehors de classe, qui mettrait à disposition ses ressources – ici, théoriques et réflexives - au service de la classe travailleuse. 

Cependant, on ne parle pas ici des intellectuels « traditionnels », pour reprendre le concept de Gramsci, mais des « intellectuels organiques »[39]. Cette partie des intellectuels est sensible aux intérêts de la classe travailleuse et défend son identité et ses intérêts. Amirul Haque Amin, président du National Garment Workers Federation (NGWF)[40] et avec qui j’ai pu m’entretenir, en fait partie. Engagé dans les mouvements étudiants de gauche à l’Université de Dhaka, il a rapidement marqué son soutien aux luttes ouvrières. Diplômé en droit, « Amin a joué un rôle actif pour l’introduction d’un salaire minimum et la signature de l’Accord du Bangladesh sur les mesures de sécurité qui ont trait aux incendies et aux bâtiments »[41]. En 2015, le Prix international Nuremberg des droits humains lui sera d’ailleurs décerné.

Que le mouvement syndical puisse compter sur des intellectuel.le.s à des aspects positifs. Selon Gramsci : « La consolidation du leadership de la classe dominante sur l’ensemble de la société s’opère par le développement d’un État intégral, constitué de la société politique, appareil de gouvernance dominant par coercition, ainsi que de la société civile, s’assurant de l’hégémonie par consentement »[42]. Face à la nécessité de s’opposer au leadership de la classe dominante (qui se conjugue surtout au masculin), les intellectuel.le.s peuvent participer à développer un leadership ouvrier et féminin. Ils peuvent fournir les ressources à la fois intellectuelles et matérielles à la classe travailleuse. Ils peuvent soutenir psychologiquement celles et ceux qui affrontent quotidiennement la condescendance et la violence du patronat. Ils ont le capital social, permettant de faire connaitre les luttes en cours, notamment dans les médias.

Cependant, si Gramsci était là, il nous dirait de nous méfier du rôle de stabilisateur du système capitaliste que peut prendre le syndicat[43]. En effet, étant donné leur position dans la société, les intellectuels qui dirigent pour beaucoup les syndicats, peuvent détacher les orientations des syndicats des nécessités de la classe travailleuse. Pour cela, mais aussi en raison de la capacité du capitalisme de parvenir à reprendre à son compte des revendications pourtant progressistes[44], l’histoire a montré que, porté par une « croyance naïve dans les mérites du dialogue social »[45], les syndicats peuvent devenir les médiateurs entre les agents du capitalisme, de l’Etat bourgeois et de la classe travailleuse. Lors de la dernière grève, le fait que le mouvement syndical ait refusé la proposition du gouvernement de 12’500tk démontre une volonté de rupture avec ce rôle de négociateur de la « moins pire » des situations pour la classe travailleuse au profit de l’ambition de se battre pour le meilleur.

Bourdieu parle, lui, de fétichisme politique et de classe objet en considérant davantage que dans les faits, la classe dominée est mobilisée ainsi qu’elle est représentée : « Dominées jusque dans la production de leur image du monde social et par conséquent de leur identité sociale, les classes dominées ne parlent pas, elles sont parlées »[46]. Cécile Piret expose cette théorie bourdieusienne : « Les acteurs de cette mobilisation sont les représentants politiques et syndicaux de la classe, autrement dit, les professionnels de la représentation. Fondamentalement, l’analyse de la classe ouvrière et de sa représentation politique est réalisée par le prisme de la bureaucratisation et du fétichisme politique »[47].

Dans ce schéma, on peut considérer qu’une classe est mobilisé, est représentée, est parlée, tout comme les femmes peuvent l’être par les hommes. La question de l’agentivité laissée à l’identité de classe se pose alors, « comme si les ouvriers ne pouvaient produire une représentation d’eux-mêmes »[48] Or, les ouvrières que j’ai pu rencontrer au Bangladesh sont conscientes d’une certaine double identité, au croisement de la mère et de la travailleuse, de l’épouse et pour certaines, de la syndicaliste.

Le syndicat Sommilito Garments Sramik Federation (SGSF) démontre un syndicalisme où la classe travailleuse se représente par elle-même. Ce syndicat a été fondé par deux travailleuses des usines textiles de Dhaka : Nazma Akter et Khadiza Akter, qui ont travaillé dès leur petite enfance dans l’industrie du prêt-à-porter, à une époque où employer des enfants était courant. Désormais, elles ne travaillent plus en usine, mais pour leur syndicat et son association Awaj Foundation, qui ont pris une part importante dans la récente grève. Si Nazma Akter s’est désormais professionnalisée dans la représentation de sa classe, jusqu’à l’Union Européenne, et maitrise mieux les lois du travail de son pays comme peu d’autres, elle a connu dans sa chair l’exploitation et se définit encore comme faisant partie de la classe travailleuse, dont elle défend ses sœurs et frères. Elle confiait au magazine Forbes : « J'ai commencé à travailler dans le secteur de la confection à l'âge de 11 ans, en aidant ma mère. À 14 ans, j'ai commencé à organiser mon syndicat et j'ai dû faire face à de nombreux défis, à de nombreuses difficultés. Mais ce sont les autres travailleurs, mes sœurs et mes frères, qui m'inspirent. Il ne s'agit pas de ma propre vie. Il s'agit de dignité et de respect. Le monde nous considère comme une main-d'œuvre bon marché, mais nous voulons les mêmes choses que n'importe qui, un traitement équitable, la sécurité, la sécurité sociale, l'assurance, la protection...»[49].

Le SGSF est composé de membres de la classe travailleuse, mais également d’intellectuel.le.s organiques. Ensemble, ils aident au développement de l’identité de classe à la fois en sensibilisant, mobilisant et organisant les ouvrières des usines de prêt-à-porter de Dhaka et Chittagong.

En résumé, pour parvenir à développer ces identités contre-hégémoniques, les syndicats doivent mener en leur sein ce que Gramsci appelait une « guerre de position »[50] (c’est-à-dire une guerre culturelle contre l’idéologie dominante), à la fois contre leur récupération par le système capitaliste et à la fois contre l’orientation que peuvent leur donner les intellectuels, pourtant organiques. En plus de cela, cette guerre de position, se mène également contre l’oppression patriarcale et l’utilisation du neutre-masculin comme point de départ d’une définition pour l’identité de classe, aspect qui sera développé dans le dernier point.

4. Identités autodéterminées et manque de représentation

Selon un idéal de construction des identités par le bas, on souhaitera leur auto-détermination. Lantz explique pourtant que « la classe ouvrière ne peut exister en soi et pour soi que par sa place dans le système général de représentations »[51]. De manière plus détaillée : « La difficulté vient de l’impossibilité de penser le concept de classe en dehors de l’ensemble que constituent dans les rapports sociaux, hic et nunc, les classes les unes par rapport aux autres. En d’autres termes, la classe ouvrière n’est pensable comme telle que par rapport à des représentations collectives : non celles de la classe d’appartenance mais celles de la société de classes elle-même. Celle-ci ne retient des expériences vécues que ce qui est représentable pour ceux qui ne les ont pas vécues, qui appartiennent à d’autres classes »[52].

En effet, publiquement, politiquement, médiatiquement, la classe travailleuse est peu représentée, bien que les chiffres manquent à ce sujet, démontrant le peu d’intérêt porté à la question. Pour le peu de documentation existant sur la question, la représentation dépeinte de la classe est la suivante : dans les journaux du Bangladesh, 79% des nouvelles concernant les travailleuses issues de l’exode rural et que l’on appelle migrantes[53] sont négatives[54]. Cette représentation négative des femmes au travail nuit au développement d’une fierté de classe. Autre fait orientant la représentation que l’on se fait des femmes, à la TV, 30% des femmes que l’on voit à l’image au Bangladesh sont enceintes[55]. Cette image participe à l’essentialisation du rôle des femmes dans le pays.

L’historienne Ludivine Bantigny explique que l’invisibilisation des ouvrières mène à ce constat : il existe une tendance générale à sous-estimer le nombre d’ouvriers[56]. Les seules figures qui percent le plafond de verre sous lequel se trouvent la classe ouvrière sont en majorité des hommes, de même que pour les syndicalistes intellectuels qui les représentent[57]. Pour les femmes, la tâche, même au sein d’organismes fondamentalement dévoués à leur classe, est donc ardue : comment s’identifier à des représentants syndicaux masculins, qui ne vivent aucunement cette tension entre responsabilités familiales et professionnelles, et qui est pourtant la première de leurs difficultés[58] ? Ainsi, le manque de représentation des ouvrièr.e.s contribue à freiner la construction d’une conscience et une identité de classe, plus encore chez les femmes. Au Bangladesh, Nazma Akter, figure de la lutte ouvrière, est un exemple de figure féminine qui attire la fierté de ses consœurs et à laquelle les ouvrières aiment s’identifier. Pour beaucoup, elle est un exemple, mais ceux-ci restent très peu nombreux.

Sylvie Mesure explique l’importance d’avoir le droit de définir son identité en tant que classe, qu’elle dénomme ici « communauté » : « L’idée de « communauté » exprime le fait que notre identité personnelle se construit à travers les nombreux liens que nous tissons les uns avec les autres, à travers une identité collective qui nourrit notre subjectivité. La référence identitaire, quand elle est pensée comme une affiliation et non au sens d’une assignation, est une source d’enrichissement personnel qui n’est pas contradictoire avec l’idée de liberté et de choix individuel »[59]. Ainsi donc, le fait que la classe travailleuse, par la construction d’identités contre-hégémoniques, avec l’aide des syndicats et de leurs alliés intellectuels organiques, puisse s’opposer à son identité assignée par la classe dominante, et décider de former une communauté à laquelle on peut s’affilier, est émancipateur.

Au sein des syndicats, le manque de représentation des femmes se répète. Comme dit plus haut, selon les chiffres de 2002 (une marge d’erreur est donc probable), parmi les 10% de salariés syndiqués, seules 6,3% sont des femmes. Si ces chiffres démontrent une faiblesse, si l’on se fie à l’enquête réalisée par Beaux et Pialoux [AD1] dans une usine Peugeot en France[60], il y a des raisons d’espérer. En effet, ils savaient qu’une élite parmi la classe travaille était « seule capable de donner une force sociale à l’ensemble dont elle faisait partie »[61].

Selon Nawaz et Haque[62], les principales barrières pour les femmes au fait de rejoindre un syndicat au Bangladesh sont en premier lieu le manque d’informations sur le syndicalisme, le manque d’activités structurées organisées par les syndicats, la discrimination envers les femmes concernant l’accès aux postes à responsabilités au sein des syndicats, le manque de sécurité et le harcèlement sexuel, les conflits au sein du foyer lié à un engagement militant en tant que femme qui implique une meilleure répartition des tâches domestiques, la stratégie de recrutement des syndicats, et enfin, le cadre légal inadapté à l’inclusion des femmes dans les syndicats.

Le Bangladesh a pourtant adopté des lois pour améliorer la représentation des femmes dans les syndicats, mais, concrètement : « La législation du travail du Bangladesh ne prévoit pas de quota spécifique pour l'adhésion des travailleuses aux syndicats. Seuls 10 % des membres du comité exécutif doivent être des femmes. L'absence d'obligation légale d'inclure des femmes n'incite guère les syndicats à donner la priorité au recrutement de travailleuses. De même, au niveau de la direction, l'exigence de seulement 10 % de femmes dans les comités exécutifs ne fait que renforcer le statu quo de l'inclusion nominale des femmes en tant que dirigeantes syndicales »[63]. Dans les faits, dans bon nombre de syndicats, le quota des 10% de femmes dans le comité exécutif n’est pas atteint. Prendre sa place et exister en tant que femmes au sein des syndicats est un défi en tant que tel.

Aussi, le rapport démontre que si un homme le souhaitant intègre généralement le comité exécutif d’un syndicat en quelques années, il faut souvent plus de 20 ou 30 ans avant qu’une femme y soit intégrée. Enfin, les femmes syndicalistes se sabotent elles-mêmes à coup de sexisme intégré, se considérant souvent comme moins capables que les hommes aux tâches syndicales. Ces barrières sont structurelles et puisent leur source dans l’idéologie patriarcale[64].

Pour pallier ce déficit de la représentation des femmes dans les syndicats, de nombreuses études prouvent que la solution se trouve dans les politiques internes volontaristes de féminisation[65].

5. Développer une identité de genre au sein d’une identité de classe

Si le développement d’une identité de classe est en soi un défi, parvenir à développer une identité de genre au sein d’une identité de classe en est un autre. Ne pouvant être exhaustive sur cette question, je me limite ici à quelques considérations.

Qu’est-ce que le genre ? Selon Lépinard et Lieber : « Le concept de genre désigne les processus sociaux, culturels, historiques et psychiques par lesquels les identités sexuées et sexuelles sont produites, les processus par lesquels les frontières entre ces identités sont tracées et/ou subverties, et les dynamiques par lesquelles les rapports de pouvoir qui sous-tendent ces identités et ces frontières sont perpétués ou négociés »[66]. Il sert à discuter les inégalités entre femmes et hommes qui ne sont pas liées à la nature.

Le défi est alors le suivant : comment produire du commun face aux inégalités liées à l’oppression patriarcale ? En effet, si le « nous » est mobilisateur et englobant, s’il est une force, il est aussi trompeur sur les systèmes de dominations et donc, les vécus particuliers, qui se jouent en son sein. Parmi ces systèmes, existe le patriarcat, et selon la théorie féministe marxiste, le sexisme (manifestation du patriarcat) est une force de division de la classe travailleuse.

Selon Bourdieu et Gramsci, l’intervention d’intellectuels (organiques) est nécessaire pour produire une identité de classe et pour que cette dernière se mobilise. Or, nous savons que ces intellectuels sont en majorité des hommes, que ceux-ci ne font pas face aux mêmes barrières que les femmes et que les savoirs sont construits à partir de la position des personnes qui les produisent[67]. Le challenge pour les syndicats est alors de parvenir à développer une identité de classe qui délaisse le masculin comme base neutre et de se montrer capable à la fois d’englober et de souligner les expériences que vivent spécifiquement les femmes ouvrières. En d’autres termes, parmi l’identité large et complexe de la classe travailleuse, les femmes ne peuvent plus être uniquement « les autres » derrière « les uns »[68].

Il s’agit - bien que cela soit simple à poser sur le papier -, pour les hommes, de cesser de répéter et de propager une hégémonie oppressive sur les femmes. Pour les femmes, c’est se détacher de leurs conceptions limitatives d’elles-mêmes, qui participent à fabriquer le consentement à l’hégémonie masculine, notamment celui d’accepter le cumul du travail domestique en plus du travail salarié. Cela ne se fera cependant pas de manière individuelle. La culture imprègne les êtres d’une société et demande autant de temps que d’efforts pour être changée.

Une piste, sur laquelle le Bangladesh est déjà bien engagé, est le déploiement de la sororité. Au Bangladesh, entre militant.e.s, ouvrières ou intellectuelles, syndiquées ou non, le nom utilisé pour s’interpeller est « apa », qui signifie « sœur ». Cette rhétorique de la famille donne un sentiment de proximité, de respect et de solidarité, presque communautaire. Il est à mes yeux un outil intéressant et inconscient de lutte face aux sentiments d’adversité vers lesquels sont poussés les travailleuses payées à la pièce[69]. Les manifestations de cette sororité peuvent être inter-classes et ainsi également provenir des femmes en dehors de la classe travailleuse, soit d’intellectuelles organiques, qui se considèrent plus proches d’une ouvrière de Dhaka que d’une Margareth Thatcher.

Conclusion

En résumé, les défis pour développement d’une identité de classe parmi les ouvrières du Bangladesh sont nombreux, et les enjeux sont grands. Depuis l’effondrement du Rana Plaza, les syndicats du Bangladesh réalisent un travail de mémoire, grâce auquel la classe travailleuse fonde son histoire. La récente grève d’octobre et novembre 2023 écrit une nouvelle page de celle-ci, dans laquelle les syndicats ont joué un rôle fondateur. Cette grève démontre le passage d’une classe en soi à une classe pour soi.

Le développement d’une identité de classe se construit de manière contre-hégémonique, par le bas, c’est-à-dire à partir des vécus des ouvrièr.e.s, et dans l’opposition, c’est-à-dire contre la manière dont la classe dominante les définit. Pour ce faire, cet article suggère au mouvement syndical et à ceux qui s’y intéressent de cultiver une fierté de classe, propre à celle-ci.

Les syndicats, telle une école, forment politiquement leurs membres via les intellectuels dits « organiques ». Ils permettent à la classe de faire une lecture de leurs expériences quotidiennes et dans les usines, en d’autres termes, de démystifier l’exploitation. Ils participent aussi à la mobilisation et à l’organisation, c’est-à-dire à se structurer en tant que classe travailleuse partageant une identité commune. Cependant, plusieurs défis se heurtent à cette configuration, le premier étant le risque que les syndicats deviennent les médiateurs entre les capitalistes, l’Etat bourgeois et les travailleur.se.s. L’autre défi est le manque d’agentivité laissé aux ouvrières et enfin, le manque de représentation de celles-ci, dans la société de manière générale mais aussi dans les syndicats. Enfin, pour les femmes de la classe travailleuse, il s’agit de développer une identité de genre, au sein de leur identité de classe. Je me suis alors interrogée sur les difficultés à produire du commun face aux inégalités liées à l’oppression patriarcale et à s’identifier à des représentants syndicaux masculins qui ne vivent aucunement cette tension entre responsabilités familiales et professionnelles.

Des syndicalistes telles que Nazma Akter, donnent des perspectives positives au Bangladesh. Par leur manière à exister au monde, elles participent à créer une identité ouvrière féministe et combative qui nous pousse à questionner le caractère misérabiliste que nous, occidentaux, imposons à la classe travailleuse du Sud Global.

 

[1] Thaslima Begum et Redwan Ahmed, « Bangladesh Garment Workers Fighting for Pay Face Brutal Violence and Threats », The Guardian, 15 novembre 2023, sect. Global development, https://www.theguardian.com/global-development/2023/nov/15/bangladesh-garment-workers-fighting-for-pay-face-brutal-violence-and-threats. Consulté le 2 décembre 2023.

[2] Shafiqul ALAM, « Bangladesh : Les ouvriers du textile rejettent une hausse de 56 % du salaire minimum », La Presse, 7 novembre 2023, sect. Asie et Océanie, https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2023-11-07/bangladesh/les-ouvriers-du-textile-rejettent-une-hausse-de-56-du-salaire-minimum.php.

[3] Vanessa Yurkevich, « Violent Wage Protests in Bangladesh Could Hit Top Fashion Brands | CNN Business », CNN, 9 novembre 2023, https://www.cnn.com/2023/11/09/business/bangladesh-wage-hike-protests-fashion/index.html.

[4] « Minimum Wage Protests Continue in Bangladesh », IndustriALL, 9 novembre 2023, https://www.industriall-union.org/minimum-wage-protests-continue-in-bangladesh.

[5] « Bangladesh : quel bilan pour les ouvriers textiles après la grève historique ? », RTBF, consulté le 18 décembre 2023, https://www.rtbf.be/article/bangladesh-quel-bilan-pour-les-ouvriers-textiles-apres-la-greve-historique-11288959.

[6] « Unions in Bangladesh Demand Revision of New Minimum Wage », IndustriALL, 16 novembre 2023, https://www.industriall-union.org/unions-in-bangladesh-demand-revision-of-new-minimum-wage.

[7] « What Was the Rana Plaza Disaster and Why Did It Happen? », The Independent, 23 avril 2020, https://www.independent.co.uk/life-style/fashion/rana-plaza-factory-disaster-anniversary-what-happened-fashion-a9478126.html.

[8] Jason Burke et Saad Hammadi, « Bangladesh Textile Factory Fire Leaves More than 100 Dead », The Guardian, 25 novembre 2012, sect. World news, https://www.theguardian.com/world/2012/nov/25/bangladesh-textile-factory-fire.

[9] The Brussels Times, « Promoted | Rana Plaza Tragedy: A Turning Point for a Safer Garment Industry », consulté le 29 décembre 2023, https://www.brusselstimes.com/466462/rana-plaza-tragedy-a-turning-point-for-a-safer-garment-industry.

[10] Les concepts de Nord Global et Sud Global sont utilisés en sciences sociales pour démontrer les dynamiques de domination des pays occidentaux, dits du « nord global » sur les pays anciennement colonisés, notamment, dits du « sud global ».

[11] Jules Falquet, « Penser la mondialisation dans une perspective féministe », Travail, genre et sociétés 25, no 1 (2011): 81‑98, https://doi.org/10.3917/tgs.025.0081.

[12] ralph, « Bangladesh: Poverty », text, 5 décembre 2022, Bangladesh, https://www.adb.org/where-we-work/bangladesh/poverty.

[13] A.K. Haque et Estiaque Bari, A Survey Report on the Garment Workers of Bangladesh 2020, 2021.

[14] « Bangladesh : Garment Industry’s Share of Total Exports 2021 », Statista, consulté le 29 décembre 2023, https://www.statista.com/statistics/987683/bangladesh-garment-share-total-exports/.

[15] Haque et Bari, A Survey Report on the Garment Workers of Bangladesh 2020.

[16] « La Syndicalisation Au Bangladesh Reste Un Défi », IndustriALL, 19 septembre 2023, https://www.industriall-union.org/fr/la-syndicalisation-au-bangladesh-reste-un-defi.

[17] Farzana Nawaz et Tania Haque, « A Guide to Ensuring Gender Equality for Women Workers in Trade Unions in Bangladesh », s. d.

[18] Groupement syndical international auquel sont affiliés la plupart des syndicats du Bangladesh

[19] « La Syndicalisation Au Bangladesh Reste Un Défi », IndustriALL, 19 septembre 2023, https://www.industriall-union.org/fr/la-syndicalisation-au-bangladesh-reste-un-defi.

[20] Paul Boccara, « Défis identitaires de classe des salariés », s. d.

[21] Frédéric Mellier, « “Blocs” politiques ou unité du salariat ? », La Pensée 412, no 4 (2022): 106‑13, https://doi.org/10.3917/lp.412.0106.

[22] « Christine Delphy », Ballast 2, no 1 (2015): 38‑52, https://doi.org/10.3917/ball.002.0038.

[23] Saliha Boussedra, « Envisager les femmes comme une classe à part | LAVA », 25 mars 2019, https://lavamedia.be/fr/envisager-les-femmes-comme-une-classe-a-part/.

[24] Jean-Pierre Garnier, « L’invisibilisation urbaine des classes populaires », L’Homme & la Société 197, no 3 (2015): 169‑89, https://doi.org/10.3917/lhs.197.0169.

[25] Jean-Pierre Garnier, « L’invisibilisation urbaine des classes populaires », L’Homme & la Société 197, no 3 (2015): 169‑89, https://doi.org/10.3917/lhs.197.0169.

[26] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat]. Université Libre de Bruxelles.

[27] « Class Consciousness by Georg Lukacs 1920 », consulté le 20 décembre 2023, https://www.marxists.org/archive/lukacs/works/history/lukacs3.htm.

[28] Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Editions du Seuil (ISBN 978-2-7578-5153-1)

[29] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat] : p.63. Université Libre de Bruxelles.

[30] Ibid.

[31] Michael Burawoy. (1982). Manufacturing Consent : Changes in the labor process under monopoly capitalism. University of Chicago Press.

[32] Michael Burawoy, « La domination est-elle si profonde ? Au-delà de Bourdieu et de Gramsci », Actuel Marx 50, no 2 (2011): 166‑90, https://doi.org/10.3917/amx.050.0166.

[33] Alec Desbordes et Benjamin Pestieau, « Pour gagner, notre classe a besoin d’un nom », Économie et politique (blog), 26 août 2023, https://www.economie-et-politique.org/2023/08/26/pour-gagner-notre-classe-a-besoin-dun-nom/.

[34] En français : Relations industrielles et coopération sur le lieu de travail entre les travailleurs et la direction

[35] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat] : Université Libre de Bruxelles.

[36] Ibid.

[37] Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Editions du Seuil (ISBN 978-2-7578-5153-1), p. 90.

[38] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat] : p.42. Université Libre de Bruxelles.

[39] Antonio Gramsci, « IV. Les intellectuels », in Guerre de mouvement et guerre de position, Hors collection (Paris : La Fabrique Éditions, 2012), 132‑58, https://www.cairn.info/guerre-de-mouvement-et-guerre-de-position--9782358720304-p-132.htm.

[40] En français « Fédération nationale des travailleurs de la confection », l’un des plus importants et anciens syndicats du pays.

[41] « Un Dirigeant Syndical Bangladais Reçoit Le Prix Des Droits Humains », IndustriALL, 30 septembre 2015, https://www.industriall-union.org/fr/un-dirigeant-syndical-bangladais-recoit-le-prix-des-droits-humains.

[42] Michael BurawoyConversations avec Bourdieu, Paris, Amsterdam éditions, 2019, 280 p., trad. Juan Sebastian Carbonell, Ugo Palheta, Anton Perdoncin, Quentin Ravelli, préf. Juan Sebastian Carbonell, Aurore Koechlin, Ugo Palheta, Quentin Ravelli, ISBN : 978-2-35480-191-5.

[43] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat] : Université Libre de Bruxelles. p.71.

[44] Nancy Fraser, « Féminisme, capitalisme et ruses de l’histoire », Cahiers du Genre 50, no 1 (2011): 165‑92, https://doi.org/10.3917/cdge.050.0165.

[45] Cécile Guillaume, « Conclusion », in Syndiquées, Académique (Paris: Presses de Sciences Po, 2018), 233‑37, https://www.cairn.info/syndiquees--9782724621952-p-233.htm.

[46] Pierre Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la Recherche en Sciences Sociales 17, no 1 (1977): 2‑5.

[47] Cécile Piret. (2023). En quête de conscience de classe : Etude de cas élargie des subjectivités de classe des anciens ouvriers de la sidérurgie liégeoise face aux restructurations [Thèse de doctorat] : Université Libre de Bruxelles.

[48] Michel Kail, « Vous avez dit matérialisme ! », L’Homme & la Société 150‑151, no 4‑1 (2003): 159‑201, https://doi.org/10.3917/lhs.150.0159.

[49] Ashoka, « Bangladesh’s New Generation Of Women-Led Labor Unions Confronts The Pandemic », Forbes, consulté le 28 décembre 2023, https://www.forbes.com/sites/ashoka/2020/04/07/bangladeshs-new-generation-of-women-led-labor-unions-confronts-the-pandemic/.

[50] Pour une synthèse des conceptions gramsciennes sur la question, voir par exemple : Patrice Moundounga Mouity, « Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position », Lectures, 29 février 2012, https://doi.org/10.4000/lectures.7700.

[51] Pierre Lantz, « La classe ouvrière comme réalité et représentation », L’Homme & la Société 152‑153, no 2 (2004): 271‑78, https://doi.org/10.3917/lhs.152.0271., p.277

[52] Ibid.

[53] Au Bangladesh, nombreu.x.ses sont celles et ceux qui migrent des campagnes vers les villes de Dhaka et Chittagong. Bien que ces migrations soient internes, les personnes qui se déplacent pour le travail sont considérés comme migrant.e.s.

[54] Nazneen Ahmed. (2023). Media representation of women migrant workers : a critical look. P.39. Dans International Labour Organization. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---asia/---ro-bangkok/---ilo-dhaka/documents/publication/wcms_867627.pdf

[55] Ibid.

[56] « La représentation médiatique porte à croire que le monde ouvrier n’existe plus » | la revue des médias », consulté le 6 décembre 2023, https://larevuedesmedias.ina.fr/classe-ouvriere-lutte-representation-mediatique.

[57] « Les Jeunes et Les Femmes Du Bangladesh s’engagent à Construire Des Syndicats plus Inclusifs », IndustriALL, 28 novembre 2022, https://www.industriall-union.org/fr/les-jeunes-et-les-femmes-du-bangladesh-sengagent-a-construire-des-syndicats-plus-inclusifs.

[58] Apolline Dupuis. (2023). Incidences du capitalisme, de la mondialisation et du patriarcat sur les ouvrières de la production industrielles. Analyse comparative : Belgique, Népal, Bangladesh. [Mémoire de master] : Université de Mons.

[59] Sylvie Mesure, « De l’identité dans un monde globalisé : pour une communauté ouverte », Diogène 269‑270, no 1‑2 (2020): 121‑37, https://doi.org/10.3917/dio.269.0121.

[60] Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière : enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Éditions La Découverte, 2012.

[61] Pierre Lantz, « La classe ouvrière comme réalité et représentation », L’Homme & la Société 152‑153, no 2 (2004): 271‑78, https://doi.org/10.3917/lhs.152.0271., p.277

[62] Nawaz et Haque, « A Guide to Ensuring Gender Equality for Women Workers in Trade Unions in Bangladesh ».

[63] Ibid.

[64] Cécile Guillaume et Sophie Pochic, « La fabrication organisationnelle des dirigeants. Un regard sur le plafond de verre », Travail, genre et sociétés No 17, no 1 (2007): 79‑103, https://doi.org/10.3917/tgs.017.0079.

[65] Cécile Guillaume, « Le syndicalisme à l’épreuve de la féminisation. La permanence “paradoxale” du plafond de verre à la CFDT », Politix no 78, no 2 (2007): 39‑63, https://doi.org/10.3917/pox.078.0039.

[66] Éléonore Lépinard et Marylène Lieber, « Introduction / Théoriser le genre », Repères (Paris: La Découverte, 2020), 3‑8, https://www.cairn.info/les-theories-en-etudes-de-genre--9782348059162-p-3.htm.

[67] Je me permets ici une remarque de réflexivité épistémologique sur les savoirs situés : Je suis consciente de ne mobiliser que des hommes, blancs, intellectuels, dans ma bibliographie. Or je cherche pourtant à adopter une approche féministe de la question des identités ouvrières. Les savoirs sont situés, c’est-à-dire construits à partir de la position des chercheur.se.s qui les produisent. Gramsci, dont la théorie est largement mobilisée dans cet article, ne prenait pas en compte les intérêts spécifiques des femmes. L’exercice réalisé ici – qui se sait imparfait - propose une approche qui inclut les dynamiques oppressives et émancipatrices de genre.

[68] Christine Delphy, « Les Uns derrière les Autres », in Classer, dominer, Hors collection (Paris: La Fabrique Éditions, 2008), 7‑52, https://www.cairn.info/classer-dominer--9782913372825-p-7.htm.

[69] Michael Burawoy, « Le procès de production comme jeu », trad. par José Angel Calderón, Tracés. Revue de Sciences humaines, no 14 (30 mai 2008): 197‑219, https://doi.org/10.4000/traces.388.


 [AD1]référence

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La haine meurtrière

Alain Deniau(1)

Il y a un potentiel de haine dans l'inconscient. Normalement, cette haine est réprimée. Mais elle est parfois libérée par un évènement, individuel ou collectif. Elle devient dès lors contagieuse quand elle résonne chez un sujet fragilisé. En se communiquant d'individu à individu, elle sera amplifiée par des figures d'identification qui s'en empareront.

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