N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

La fabrication des identités monstrueuses : le rôle du politique

Laurence Moliner

Résumé

Cette contribution ambitionne d’explorer l’usage tératologique du genre par le discours politique à propos de la fabrication d’identités monstrueuses appliquées aux personnes LGBT+. Si l’entreprise de la fabrication des lois visant à promouvoir l’égalité et la lutte contre les discriminations représente une avancée sociale majeure depuis les années 1980, des résistances persistent et la fabrication des identités monstrueuses accompagne l’accusation de « communautarisme » ou de « séparatisme ». Cet article prend appui sur les discours parlementaires français autour de la loi sur le Pacte Civil de Solidarité de 1999, ceux autour de l’ouverture du mariage de 2013 et ceux autour de la loi ouvrant la Procréation Médicalement Assistée de 2021. Dès 1998, la figure de l’homoparent, en troublant les normes familiales traditionnelles, pose problème aux politiques qui s’appliquent à la disqualifier notamment en convoquant la menace du monstre humain et elle interroge l’appartenance à la communauté nationale.

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La fabrication des identités monstrueuses : le rôle du politique

Après une expérience professionnelle dans l’éducation spécialisée et l’obtention d’un Master Egalités (spécialité genre), Laurence Moliner est actuellement formatrice en travail social à l’Ecole Nationale des Solidarités, de l’Encadrement et de l’Intervention Sociale et Doctorante en Science politique à l’Université Lyon 2 rattachée au Laboratoire Triangle. Ses travaux de recherche concernent les études de genre et leur croisement avec les pratiques du care, avec les sexualités et les parentalités.

 

Introduction

Depuis une douzaine d’années, l’émergence de l’illibéralisme (Hongrie, Pologne, Russie, Italie, Etats-Unis, Brésil, Turquie) dans le panorama international se manifeste notamment par l’exaltation d’une identité exclusive en matière de genre et la France n’échappe pas à cette tendance de la fabrication de l’ennemi de l’intérieur.  La loi française promulguée le 17 mai 2013 a célébré une décennie d’existence en 2023. Il s’agit d’une loi qui a marqué durablement la société par son empreinte politique puisque la mobilisation d’opposition à la loi s’est notamment muée en mouvement politique d’appui à la campagne de François Fillon en 2017, de lutte contre la loi de 2021 qui a ouvert la Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires, et en mouvement intellectuel qui a porté la lutte contre la « théorie du genre » depuis 2014. Pour certain∙es personnalités politiques opposées à la loi en 2013, leur position s’avère difficile à défendre en 2024 (voir Gérald Darmanin, Valérie Pécresse).

La loi du 15 novembre 1999 relative au Pacs reconnaissait le couple de même sexe mais excluait les sexualités non hétéronormées de la parentalité.

La loi du 17 mai 2013 qui ouvrait le mariage et l’adoption aux couples de même sexe se fondait sur la volonté du législateur d’instituer l’égalité des couples devant l’institution matrimoniale et d’aborder les problématiques des familles homoparentales afin de leur assurer une protection. La loi conservait cependant des spécificités concernant l’établissement de la filiation puisqu’il était matrimonialisé, qu’il obligeait à passer par un parcours adoptif, qu’il était réservé à certaines catégories de familles et qu’il excluait d’autres configurations homoparentales (pluriparentalités).

La loi du 2 août 2021, qui permettait aux femmes célibataires et aux couples de femmes d’accéder à la PMA, portait encore les traces d’une spécification du couple de même sexe dans l’établissement de la filiation qui montrait les hésitations des parlementaires à penser l’inclusion de ces couples (Mehl, 2021). Elle oubliait en outre les personnes transidentitaires et laissait de côté les couples d’hommes.

La contribution se propose d’étudier les discours de l’opposition aux textes lors des discussions publiques à l’Assemblée nationale (AN) pour la loi de 2013 et des deux chambres pour le Pacs et la loi de 2021 parce qu’elles donnent à voir une mise en scène des représentations concernant le couple, « la famille », les sexualités et les parentalités. Mise en scène dont on peut craindre les effets performatifs de la fabrication des monstres pour ceux et celles qui les regardent.

1. Des textes monstres

La proposition de loi du PACS est fréquemment présentée comme un « monstre juridique » par l’opposition parlementaire (voir Christian Estrosi, Jacques Myard, Pierre Lellouche, Jean-François Mattei, Charles de Courson, Thierry Mariani, Patrice Gélard, Jean-Jacques Hyest, Bernard Seillier, Alain Vasselle).

« Le Pacs est un monstre juridique selon le sociologue Guy Coq, une construction juridique boiteuse, un ersatz de statut, une chimère législative selon Claude Weill, un drôle de bidule en forme d'inventaire à la Prévert selon le Centre gai et lesbien. Oui, le Pacs est une chimère, un monstre qui prétend s'adresser aux personnes, mais qui joue avec les principes fondateurs de la société. » (Christine Boutin, Compte-Rendu [CR] intégral de l’AN 3e séance du 3 nov. 1998)

Le texte est qualifié d’hydre de Lerne par Claude Goasguen et ouvrirait la boîte de Pandore selon Christine Boutin et Jean-Claude Carle.

En 2013, la thématique de la monstruosité juridique est moins utilisée telle quelle (voir Phillipe Goujon et Patrick Ollier) mais elle persiste avec l’élément de langage de la boîte de Pandore (Marie-Jo Zimmermann) qui est également mobilisée en 2019 par Marine Le Pen et Annie Genevard.

2. Périls sur la société et la civilisation

Le Pacs mettrait en péril le mariage, la famille et les fondements de la société et de la civilisation (voir Jacques Masdeu-Arus, Thierry Mariani, Phillipe de Villiers, Christine Boutin). Ce texte dangereux serait « une construction artificielle, infondée, sans aucune utilité sociale » (Claude Goasguen CR intégral de l’AN 3e séance du 1er déc. 1998), qui crée des dissensions, des clivages dans l’opinion et menace l’équilibre de la société (voir Jacques Masdeu-Arus, Didier Quentin). Le Pacs produirait sa déstabilisation et son atomisation (voir Pierre Albertini, Henri Plagnol, Jacques Kossowski).

La loi d’ouverture du mariage et de l’adoption constitue un danger pour les fondements de la civilisation et de la société d’après ses opposant∙es. Pour Marion Maréchal Le Pen, il s’agirait d’un reniement civilisationnel alors que pour Julien Aubert, la future loi amènerait à « nier fondamentalement les bases de la civilisation dans laquelle nous vivons » (CR intégral de l’AN 1e séance du 3 fév. 2013,). Patrick Ollier revendique un attachement aux « valeurs de la famille, qui constitue le fondement de notre civilisation depuis des siècles » (CR intégral de l’AN 2e séance du 17 avril 2013). Plusieurs parlementaires redoutent un changement et une réforme de civilisation (voir Patrick Ollier, Guillaume Chevrollier, Xavier Breton, Véronique Louwagie, François de Mazières, Yves Albarello, Yannick Moreau, Laure de La Raudière, Étienne Blanc, Marc Le Fur, Sylvain Berrios, Henri Guaino), voire une rupture civilisationnelle (Bernard Perrut, Alain Leboeuf). Georges Fenech évoque « un changement de la conception philosophique de l’Homme » (CR intégral de l’AN 1e séance du 3 fév. 2013). Nicolas Dhuicq craint une « destruction de ce qui fait l’humain » (CR intégral de l’AN 3e séance du 8 fév. 2013) et revendique une conception de l’homme « comme être lié à une histoire et à une généalogie » (CR intégral de l’AN 2e séance du 6 fév. 2013) et Jacques Myard souligne un effacement de l’essence de l’histoire de l’humanité. Céleste Lett relève qu’il s’agit d’une « révolution [qui emmène] notre société dans les sens interdits de notre civilisation ! » (CR intégral de l’AN 3e séance du 3 fév. 2013). Nicolas Dhuicq évoque « une régression monstrueuse que vous apportez à la civilisation » (CR intégral de l’AN 1e séance du 4 fév.) et une mise en péril d’ « invariants structuraux qui dépassent les siècles et les millénaires, et qui constituent la nature humaine » (CR intégral de l’AN 2e séance du 4 fév. 2013).

En 2019-2020, la révision de la loi bioéthique sur la PMA est qualifiée de bouleversement civilisationnel (voir Stéphane Ravier, Annie Genevard, Marc Le Fur, Emmanuelle Ménard). D’autres repèrent une révolution (voir Xavier Breton, Frédéric Reiss, Bernard Accoyer, Gérald Darmanin) qualifiée d’anthropologique (voir Jacques Lamblin, Jean-Charles Taugourdeau, Philippe Gosselin) ou de « révolution copernicienne à l’envers » (Céleste Lett CR intégral de l’AN 3e séance du 8 fév. 2013). La thématique de la rupture anthropologique est reprise en 2019 par plusieurs parlementaires (voir Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Yves Daudigny, Sébastien Meurant, Agnès Thill, Valérie Boyer, Annie Genevard) ainsi que celle de la réforme anthropologique (Guillaume Chevrollier).

Le texte de 2013 touchant à l’organisation de la société (Annie Genevard ) conduirait à « une dénaturation complète de ce qu’est notre société » d’après Camille de Rocca Serra (CR intégral de l’AN 2e séance du 1er fév. 2013), à une remise en cause profonde de la société (François Rochebloine), à un bouleversement (voir Arlette Grosskost, Jean-Christophe Fromantin, Christophe Guilloteau), à des transformations  profondes de l’organisation de la société (Valérie Lacroute), à une déstructuration (voir Nicolas Dhuicq, Jean-Pierre Vigier), à une destruction (voir Guy Geoffroy, Jacques Bompard, Dominique Tian, Alain Leboeuf, Marie-Christine Dalloz) et à une décadence de la société (voir Céleste Lett, David Douillet).  Le texte est pressenti comme représentant un danger pour le corps social (Philippe Meunier), pour la cohésion sociale menacée de pulvérisation (voir Philippe Gosselin, Véronique Louwagie, Damien Abad Hervé Mariton) et pour le pacte républicain (voir Bernard Perrut Hervé Mariton). Il est dangereux pour la patrie (Philippe Cochet) et est susceptible de mettre le pays « à feu et à sang » selon Philippe Cochet et Claude Greff.

Philippe Le Ray voit dans le projet de loi un déracinement de valeurs, Yannick Favennec défend « les valeurs fondamentales qui régissent notre société depuis des siècles » (CR intégral de l’AN 2e séance du 17 avril 2013) et Philippe Meunier accuse le projet de loi de transgresser le socle commun de valeurs spécifique à la République française (voir aussi Georges Fenech, Jean-Christophe Fromantin Laurent Wauquiez). Pour Céleste Lett, « cette loi emmènera nos valeurs sur l’échafaud » (CR intégral de l’AN 3e séance du 3 fév. 2013) et Jean-Pierre Vigier voit aussi dans la loi une tentative « de tuer nos valeurs, notre culture, notre histoire ». François de Mazières annonce la marque d’une société moribonde, Hervé Mariton prévoit que la loi provoquera « l’effondrement de ce qui existe » (CR intégral de l’AN 2e séance du 4 fév. 2013) tandis que Guillaume Chevrollier qualifie le projet de loi de « texte destructeur de tout ce qui fait l’équilibre de notre société » (CR intégral de l’AN 2e séance du 7 fév. 2013). Yves Fromion prédit l’avènement d’un « modèle de société GayPride » (CR intégral de l’AN 1e séance du 18 avril 2013) qui s’imposerait par la loi.

3. Une atmosphère catastrophiste

A propos du Pacs, Dominique Dord lance à la majorité parlementaire : « vous nous avez enfermés dans une dialectique diabolique » (CR intégral de l’AN 1e séance du 13 oct. 1999).

En 2013, l’opposition installe une atmosphère catastrophiste en annonçant des menaces de clonage (voir Yves Nicolin, Bernard Accoyer, Georges Fenech, Hervé Mariton), des dérives eugénistes (voir Marc Le Fur, Jacques Lamblin, Nicolas Dhuicq), incesteuses (voir Jacques Bompard, Nicolas Dhuicq), ou polygames (Marc Le Fur, Marion Maréchal-Le Pen). L’homosexualité et l’homoparenté sont aussi associées à l’esclavagisme (Bruno Nestor Azerot), au terrorisme et au massacre d’enfants (Philippe Cochet).

L’évocation de la science-fiction et de l’anticipation apparaît au travers d’œuvres et d’auteurs majeurs de ce genre littéraire : Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (voir Marie-Christine Dalloz, François de Mazières, Céleste Lett, Nicolas Dhuicq), 1984 de Georges Orwell (voir Nicolas Dhuicq, Charles de Courson, Guillaume Larrivé, Yves Censi) Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (Guillaume Larrivé), Blade Runner inspiré de l’œuvre de Philip K. Dick (Nicolas Dhuicq).

Les opposant∙es reprochent à la majorité de vouloir se comporter comme des « apprentis sorciers » (voir Marc Le Fur, Jean-Pierre Door, Patrick Hetzel, Yves Foulon, Annie Genevard, Jacques Myard, David Douillet, Marie-Christine Dalloz). Ils et elles dénoncent une « tentation démiurgique » et totalitaire (voir Patrick Hetzel, Jacques Bompard, François de Mazières).

L’opposition affirme que la loi est inspirée par une vision faustienne (Nicolas Dhuicq) et relève d’une logique prométhéenne (voir Nicolas Dhuicq, Marc Le Fur, Xavier Breton). Marc Le Fur identifie la loi au Titanic en associant la nature aux icebergs tandis qu’Alain Leboeuf voit dans le texte « un cauchemar pour notre société et pour notre pays. » Jacques Myard évoque l’absurdité du projet de loi : « Marier deux êtres de même sexe, c’est un oxymore : c’est une contradiction dans les termes mêmes. […] Vous croyez créer un monde nouveau. En réalité, la terre va se dérober sous vos pieds. Un jour ou l’autre, un tremblement de terre vous balaiera ! (CR intégral de l’AN, 1e séance du 7 fév. 2013).

En 2019 l’eugénisme est aussi présent dans les préoccupations des parlementaires (voir Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Philippe Bas, René Danesi, Patrick Hetzel, Joachim Son-Forget, Fabien Di Filippo, Emmanuelle Ménard, Xavier Breton, Thibault Bazin). La référence à Aldous Huxley est également rappelée par Joachim Son-Forget. Le personnage de l’apprenti sorcier réapparaît (voir Patrick Hetzel, Marine Le Pen, Valérie Boyer, Damien Abad, Gilles Lurton) et les tentations prométhéennes sont aussi mobilisées (voir Philippe Bas, Annie Genevard, Marc Le Fur). Bruno Retailleau déclare notamment que « le rêve prométhéen peut dégénérer en cauchemar faustien. » (CR intégral du Sénat séance du 2 février 2021)

Stéphane Ravier déclare que le projet de loi bioéthique relève d’un « totalitarisme sociétal ». L’argument totalitaire peut être analysé dans sa récurrence comme étant destiné à amplifier la menace supposée représentée par les forces progressistes (Dupuis-Déri, 2022).

4. La perte des repères

Le Pacs provoquera selon l’opposition une confusion dangereuse notamment pour la jeunesse en quête de repères (voir Jacques Myard, Jacques Pélissard, Didier Quentin, Bernard Perrut, Pierre Lellouche, Bernard Accoyer, Jacques Masdeu-Arus Patrick Delnatte, Jean-Claude Carle, Valérie Boyer, Alain Vasselle). Christian Estrosi décèle dans le Pacs un projet pernicieux qui déstabilise la société :

« Alors que des jeunes n'ont plus de valeurs, que de plus en plus jeunes, ils tuent, violent, volent (…) pour un oui ou pour un non, vous faites perdre encore un peu plus les repères à ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui sont en devenir. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 7 nov. 1998)

En 2013, Jean-Pierre Door alerte sur la disparition des repères concernant la parentalité et la filiation qui serait engendrée par la nouvelle loi (voir aussi Guillaume Chevrollier, François Scellier, Patrick Ollier, Éric Woerth, Jean-Pierre Vigier, Daniel Fasquelle, Jacques Alain Bénisti, Pierre Lequiller, Marie-Christine Dalloz, Marc Le Fur, Marion Maréchal-Le Pen, Yannick Moreau, Bernard Perrut). Nicolas Dhuicq reprend l’argument de l’absence de repères :

« Dans une société où nos adolescents, justement, souffrent de l’absence de repères identificatoires, de l’absence, souvent, de cadre parental, de l’absence de repères adultiques et de l’incapacité, précisément, à transgresser des interdits – raisonnables–, vous n’offrez aux gens que des portes ouvertes et des solutions faciles. » (CR intégral de l’AN 3e séance du 2 fév. 2013)

Emmanuelle Ménard reproche à la future loi de 2021 de porter atteinte aux repères de la famille et des enfants (voir aussi Blandine Brocard, Bernard Perrut, Sébastien Meurant). Stéphane Ravier s’élève contre « une société sans racines, sans pères et sans repères » (CR intégral du Sénat séance du 21 janv. 2020).

Le législateur est sommé de se préoccuper des menaces induites par le Pacs sur l’équilibre psychologique des enfants (voir Bernard Accoyer, Bernard Seillier), sur les risques de confusion des relations affectives (Cyrille Isaac-Sibille), sur les déviances et la délinquance produites par l’éclatement des familles (voir Patrick Devedjian, Didier Quentin, Claude Goasguen, Thierry Mariani) et par une instabilité familiale (Charles de Courson, Jacques Kossowski). Bernard Murat voit également dans la famille une compétence de régulation sociale :

« Alors oui ! madame la ministre, je réaffirme avec force que la famille citoyenne est vraiment votre meilleur partenaire pour vous aider à lutter contre la délinquance des mineurs. Ainsi, plutôt que de proposer avec le PACS un clone du mariage, il aurait été plus judicieux de revaloriser le mariage civil en mettant en avant l'intérêt de l'enfant au sein de la cellule familiale pour éviter de glisser dans la délinquance. (…) Trop d'enfants souffrent de l'éclatement de la cellule familiale et de l'incertain. Ces situations contribuent à développer des phénomènes tels que la délinquance des mineurs. Nous avons tous à l'esprit les exemples inacceptables d'enfants laissés, dès leur plus jeune âge, dans les drames de la rue et qui glissent rapidement de l'incivilité à la petite puis à la grande délinquance. Oui, la délinquance des mineurs est d'abord l'échec d'une politique ne donnant pas aux familles les moyens de pourvoir à l'éducation de leurs enfants. » (CR intégral du Sénat séance du 30 juin 1999)

L’institution familiale est décrite comme étant un lieu primordial d’intégration des jeunes en difficulté (voir Patrick Devedjian, Henri Plagnol) alors que Pierre-Christophe Baguet rappelle que « la famille protège les plus faibles et c'est en son sein que les jeunes trouvent le principal réconfort. C'est bien par perte de repères familiaux que les jeunes se tournent vers les sectes, sombrent dans la délinquance ou, pis encore, en viennent à se suicider » (CR intégral de l’AN 2e séance du 12 octobre 1999). Valérie Boyer établit une articulation entre le manque de repères, la violence juvénile banalisée et le modèle de société supposément prôné par le Pacs :

« L'actuel affaiblissement de l'institution familiale et la perte de repères qu'il engendre sont à l'origine de bien des maux que connaît notre société aujourd'hui.
Les phénomènes de violences urbaines trouvent en partie racines dans la perte d'encadrement et d'autorité de la part des parents. (…) Cette proposition de loi (…) apporte une mutation irréversible aux droits de la personne et au droit de la famille. Le PACS est une bombe à retardement et à fragmentation pour notre société. Une fois mis en place, il produira une déstructuration dont on ne connaît pour l'instant ni l'ampleur ni les multiples répercussions. » (CR intégral du Sénat séance du 30 juin 1999)

En 2013, la thématique de la délinquance est moins présente telle quelle mais un glissement est opéré vers celle du terrorisme (Nicolas Dhuicq). Les homoparents sont accusés de mentir aux enfants sur leur conception et leurs origines (voir François Fillon, Bernard Accoyer, Annie Genevard), « les destinant à devenir des ‟délinquants ”, et des ‟ assistés de la société ”, voués aux tourments psychologiques de la recherche désespérée de leurs origines. » (Moliner, 2015 :12)

5. La fraude

Le thème de la fraude est récurrent dans les débats autour du Pacs. La fraude est décrite comme inévitable, qu’elle concerne la fiscalité (voir Bernard Accoyer, Christine Boutin), la Sécurité Sociale (voir Christine Boutin, Thierry Mariani), le logement (Henri Plagnol) ou le droit du travail (voir Thierry Mariani, Bernard Accoyer, Christine Boutin, Pierre-Christophe Baguet, Claude Goasguen).  

Les couples pacsés bénéficieraient en outre d’une imposition plus favorable au détriment des familles françaises et des célibataires et de l’Etat en général (voir Henri Plagnol, Bernard Accoyer, Marie-Thérèse Boisseau, Christian Estrosi, Gilles Carrez, Dominique Dord, Thierry Mariani, Christine Boutin, Robert Pandraud).

Les couples de même sexe sont présentés en outre comme étant plus enclins à pratiquer la fraude que le reste de la population comme l’explique Bernard Accoyer :

« Le PACS va modifier en profondeur les règles de vie dans notre société, en suscitant une inversion des priorités. Il s'ensuivra de larges possibilités de fraude, qu'il s'agisse de l'entrée et du séjour des étrangers en France, de la régularisation des clandestins, et à présent aux mutations de fonctionnaires, que je propose de réserver aux partenaires de sexe différent, pour éviter les PACS de complaisance. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 8 déc.1998)

L’imposition commune proposée par le Pacs profiterait aux « homosexuels » car ils sont représentés comme un groupe social dont le niveau de revenus est supérieur à la moyenne française, ce qui favoriserait les inégalités sociales (voir Bernard Accoyer, Christine Boutin, Thierry Mariani, voir Henri Plagnol).

Le PACS serait un texte qui accorderait encore une fois beaucoup plus de droits et d’avantages qu’il n’exige de devoirs ni aucune contrepartie contrairement au mariage (voir Jean-François Mattei, Jacques Myard).

Le texte entraînerait également la production de Pacs de complaisance, des Pacs blancs, « un marché noir du PACS » (voir Bernard Accoyer, Thierry Mariani, Christine Boutin, Henri Plagnol) et l’opposition réclame des contrôles sur l’effectivité de la vie commune (Edouard Landrain).

Les opposant∙es à la loi de 2013 soulignent qu’elle aura des effets sur l’immigration, qualifiée de « clandestine », en augmentant les flux de personnes étrangères souhaitant se marier en France (voir Thierry Mariani, Marc Le Fur, Hervé Mariton, Philippe Gosselin, Guénhaël Huet, Frédéric Reiss, Véronique Louwagie, Guillaume Chevrollier, Michel Terrot, Patrick Ollier, Jean-Frédéric Poisson, Arnaud Richard). Camille de Rocca Serra redoute la multiplication des mariages blancs ou de complaisance (voir aussi Jean-Claude Bouchet, Véronique Louwagie, Dominique Tian, Nicolas Dhuicq).

Le Pacs nuirait également à la maîtrise des flux migratoires (voir Jacques Masdeu-Arus, Christine Boutin, Claude Goasguen, Henri Plagnol, Didier Quentin, Marie-Thérèse Boisseau, Pascal Clément), favoriserait l’immigration étrangère en facilitant l’obtention d’un titre de séjour (voir Christine Boutin, Jacques Pélissard , Dominique Dord, Yves Fromion) et la régularisation des « sans-papiers » et des « clandestins » (voir Thierry Mariani, Bernard Accoyer, Patrick Delnatte) tout en développant les filières de l’immigration (voir Thierry Mariani, Claude Goasguen, Dominique Braye).

L’opposition propose donc de réserver l’accès au Pacs aux personnes de nationalité française (voir Christine Boutin, Thierry Mariani, Bernard Accoyer) et un traitement différencié pour les personnes étrangères (voir Henri Plagnol, Thierry Mariani, Yves Fromion) en luttant contre le rapprochement familial (Henri Plagnol) et le séjour irrégulier en France (Bernard Accoyer).

Les nombreuses interventions sur le thème de l’immigration dans l’opposition mettent en évidence des représentations de « l’homosexuel étranger inquiétant » par l’assimilation des immigrés géographiques aux personnes dont la sexualité n’est pas hétéronormée (voir Dominique Dord, Bernard Accoyer). L’étranger n’est pas seulement celui qui vient de loin mais aussi celui qui n’est pas dans la norme sexuelle. Les peurs augmentent lorsque la déviance à la norme de genre rejoint celle de l’origine : « Notre amendement 404 a pour objet d'insérer après les mots ‟ pacte civil de solidarité ” les mots ‟ par des partenaires de sexe opposé ”. Il vise à empêcher que le PACS ne crée un flux migratoire spécifique. » (Yves Fromion, CR intégral de l’AN 2e séance du 2 déc. 1998).

6. Individualisme

Le texte du Pacs serait inspiré par une idéologie individualiste à laquelle les parlementaires de l’opposition préfèrent le principe de solidarité (voir Christine Boutin, Anne Heinis Jean-Claude Carle, Charles de Courson, Patrick Delnatte, Claude Goasguen). Le Pacs serait en outre moralement condamnable car il privilégie les droits des plus forts et des plus riches exaltant les valeurs de la société consumériste (voir Henri Plagnol, Pierre Albertini, Dominique Dord, Claude Goasguen, Bernard Accoyer, Christine Boutin, Patrick Devedjian, Jacques Myard, Jean-François Mattei, Jean-Claude Lenoir, Philippe de Villiers) au détriment des valeurs traditionnelles jugées essentielles (voir Pierre Albertini , Didier Quentin, Guy Teissier).

L’individualisme est un élément de langage qui est aussi avancé en 2013 afin de dénigrer la future loi (voir Arlette Grosskost, Philippe Gosselin, Xavier Breton, Jean-Frédéric Poisson, Guillaume Chevrollier, François de Mazières, Hervé Mariton, Marc Le Fur). Les opposant.es de la loi relient les dérives d’une société individualiste à l’ultralibéralisme voire au libertarisme qu’ils et elles affirment combattre (voir Xavier Breton, Philippe Gosselin, Jean-Frédéric Poisson, Marc Le Fur, Agnès Thill). En 2019 la critique se porte sur la primauté de la volonté ou le désir individuels au détriment de principes éthiques (voir Pascal Brindeau, Cyrille Isaac-Sibille, Xavier Breton, Emmanuelle Anthoine). La loi est jugée empreinte de néolibéralisme qui ouvrirait la procréation au marché et aux puissances de l’argent (voir Stéphane Ravier, Catherine Deroche), qui alignerait le modèle français sur un modèle ultralibéral anglo-saxon (Bruno Retailleau) ou « progressiste mercantiliste » (Pierre-Yves Collombat).

En 2013, les opposant.es au projet de loi soulèvent une inspiration consumériste du texte (Nicolas Dhuicq) et matérialiste (voir Daniel Fasquelle, Hervé Mariton) qui conduirait à une réification des individus (voir Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Marion Maréchal-Le Pen) et consacrerait une ouverture à la marchandisation du corps humain (voir Sophie Dion, Daniel Fasquelle, Laurent Wauquiez, Philippe Gosselin, Jean-Pierre Door, Marion Maréchal-Le Pen, Yves Fromion) et des enfants (voir Henri Guaino, Guillaume Chevrollier, Claude Greff, Julien Aubert, Dominique Tian).

Le texte de 2021 imposerait une marchandisation des corps souvent évoquée par l’opposition (voir Stéphane Ravier, Bruno Retailleau Loïc Hervé, René Danesi Guillaume Chevrollier, Michel Amiel, Sébastien Meurant, Patrick Hetzel, Agnès Thill, Marine Le Pen, Marie-France Lorho, Valérie Boyer, Xavier Breton, Fabien Di Filippo, Pascal Brindeau, Philippe Gosselin, Damien Abad), ainsi qu’une marchandisation des enfants (voir Pierre-Yves Collombat, Marie-France Lorho, Emmanuelle Ménard) au profit d’adultes consommateurs (Agnès Thill).

7. Enfants objets des désirs des adultes

Le Pacs provoquerait l’avènement d’une société post moderne hédoniste sur le principe du bon plaisir (voir Jacques Masdeu-Arus, Henri Plagnol, Jacques Myard, Charles de Courson, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Christine Boutin) et les bénéficiaires profiteraient des droits accordés sans contribuer à la solidarité nationale (Jacques Myard). Jean-François Mattei reprend les déclarations de l’épiscopat français afin de souligner que la loi « ne peut s'édifier que sur des réalités universelles et non pas sur des désirs, voire des représentations affectives singulières » (CR intégral de l’AN 1e séance du 9 oct. 1998). Jean-Claude Carle affirme que la loi ne doit pas légitimer les désirs individuels.

Le désir d’enfant des couples de même sexe est qualifié de « fantasme narcissique d'auto-engendrement » par Christine Boutin (CR intégral de l’AN 3e séance du 11 nov. 1998) et de « désir égoïste » (Aymeri de Montesquiou) et ne peut être confondu avec le désir d’enfant dans un couple hétérosexuel.

En 2013, l’opposition estime que la loi priorise le désir d’enfant et elle incite le législateur à poser les limites pour l’encadrer (voir Guillaume Chevrollier, Bernard Accoyer, Annie Genevard, Sophie Dion, Valérie Lacroute, Xavier Breton, Michel Heinrich, François de Mazières, Marc Le Fur, Véronique Louwagie, David Douillet, Pierre Lequiller, Claudine Schmid, Christian Jacob, Marie-Christine Dalloz, Jean-Christophe Fromantin, Daniel Fasquelle, Arlette Grosskost, Patrick Hetzel). Philippe Meunier enjoint les parlementaires à protéger les enfants des caprices des adultes et Philippe Gosselin dénonce une « logique de l’enfant à tout prix ». Nicolas Dhuicq reproche au gouvernement de vouloir « donner la primauté à ce désir d’immortalité, de fécondité à tout prix, de perpétuation à tout prix au détriment de celui qui est ainsi engendré. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 6 février 2013). Hervé Mariton relie le désir d’enfant des couples de même sexe à des dérives vers le clonage et au raëlisme.

En 2019, le désir d’enfant est problématique quand il n’est pas formé au sein d’un couple hétéronormé (voir Bruno Retailleau, Guillaume Chevrollier, Henri Leroy, André Reichardt, Michel Amiel, Laurent Duplomb, Angèle Préville, Jean-Michel Houllegatte, Jean-Marie Mizzon, Pierre Cuypers, Patrick Hetzel, Emmanuelle Ménard, Agnès Thill, Xavier Breton, Valérie Boyer, Pascal Brindeau, Philippe Gosselin, Annie Genevard, Véronique Louwagie, Émilie Bonnivard, Bernard Perrut). Stéphane Ravier assure que la future loi entend combler un désir matériel, un « désir de l’adulte, qui a manifestement perdu la raison » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020). Les opposant∙es prônent d’instaurer des limites à ce désir qui n’aurait pas de sens (Anne Chain-Larché)

Selon Christine Boutin, le Pacs contribuerait à une « chosification de l'enfant soumis au bon plaisir des adultes » (CR intégral de l’AN 2e séance du 3 nov. 1998) et à une consécration de « l’enfant-objet » (voir Claude Gosguen, Anne Heinis). Charles de Courson ajoute que l’enfant n’est pas un animal de compagnie.

Les opposant∙es à la loi de 2013 considèrent que le désir des adultes est problématique car il chosifie les enfants (voir Philippe Gosselin, Marie-Christine Dalloz, Hervé Mariton) et les instrumentalise (voir Xavier Breton, Marie-Christine Dalloz) notamment en ouvrant l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Guillaume Chevrollier déclare à ce propos que « l’enfant n’est pas un objet que l’on pourrait acquérir pour combler un manque » (CR intégral de l’AN 3e séance du 3 février 2013). Yves Fromion prévoit « l’avènement de l’enfant objet, de l’enfant de compagnie » (CR intégral de l’AN 1e séance du 18 avril 2013). Jacques Alain Bénisti refuse la création d’« enfants-Playmobil», Marc Le Fur annonce des enfants en « solde » et « l’enfant-caprice » alors que Nicolas Dhuicq et Xavier Breton s’élèvent contre l’idée que l’enfant soit considéré comme un bien de consommation. Nicolas Dhuicq met en exergue un affrontement entre le désir des adulte et les besoins des enfants :

« Vous êtes en train de substituer le désir d’adulte – derrière lequel point, selon moi, le désir d’immortalité par reproduction infinie (…) – à la volonté, à l’individuation des enfants qui ont besoin de cet espace de sujétion. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 18 avril 2013)

Jacques Bompard discerne dans la future loi une entreprise hédoniste :

« Votre prétendu mariage n’est qu’une triste comédie. Il est l’annonce effrayante d’une société post-moderne qui aura pour seule aspiration la jouissance. Hélas, la réalité que vous ignorez vous rattrapera (…) Tout cela, au nom de l’amour et du sacro-saint plaisir ! » (CR intégral de l’AN 1e séance du 18 avril 2013)

En 2019, la thématique de la chosification de l’enfant au profit d’un désir des adultes est aussi abordée (voir André Reichardt, Michel Amiel, Patrick Hetzel, Agnès Thill, Emmanuelle Ménard, Marc Le Fur, Fabien Di Filippo, Annie Genevard) ainsi que l’enfant transformé en produit de consommation ou produit marchand (voir Stéphane Ravier, Pierre-Yves Collombat).

8. Droits de l’enfant/droits à l’enfant

Les opposant∙es à la loi de 2013 revendiquent une logique dans laquelle l’enfant ne peut constituer un droit créance, il ne peut être objet du droit mais un sujet. La rhétorique développée est celle du droit de l’enfant qui s’opposerait au « droit à l’enfant », qui apparaît dès 1998 et traverse les trois textes étudiés.

Au cours des débats sur le Pacs, l’opposition redoute que le texte ne favorise le droit à l’enfant au détriment du droit de l’enfant (voir Jean Claude Carle, Claude Goasguen, Dominique Braye, Charles de Courson). D’après Thierry Mariani, la reconnaissance juridique et sociale de l’homosexualité entraînera la reconnaissance automatique d’un droit à l’enfant.

Jean Claude Carle estime que « la loi n'a pas à légitimer des droits-créances » (CR intégral du Sénat séance du 17 mars 1999). Le sénateur poursuit en soutenant que par le Pacs, « la loi perd son commandement moral » et que « les droits créances prennent le pas sur les droits fondamentaux » (CR intégral du Sénat séance du 30 juin 1999). Il fait ainsi référence à une taxonomie juridique qui différencie les droits-libertés des droits-créances dont l’historicité anime le débat juridique (Gay, 2001).

En 2013, l’opposition parlementaire au texte souligne massivement que la loi consacre la supériorité du droit à l’enfant au droit de l’enfant et réclame l’inscription dans la loi de la proscription du droit à l’enfant par l’accès à la PMA et à l’adoption (voir Jean-Frédéric Poisson, Patrick Hetzel, Bernard Accoyer, Philippe Gosselin, Xavier Breton, Patrice Martin-Lalande, Guillaume Chevrollier, Catherine Vautrin, Jean-Christophe Fromantin, Véronique Louwagie, Daniel Gibbes, Sophie Dion, Paul Salen, Jean-Pierre Vigier, Michel Heinrich, Yannick Favennec, Marc Le Fur, Pierre Lequiller, Christian Jacob, Yves Fromion, Dominique Tian, Frédéric Reiss, Daniel Fasquelle, Patrick Ollier, Alain Leboeuf, Guillaume Larrivé). Hervé Mariton réaffirme son opposition à ce droit-créance :

« Nul n’a de droit à l’enfant. Les droits de créance, quand il s’agit d’objets, sont déjà une manière assez périlleuse de procéder. Ils engagent des créances bien davantage qu’une responsabilité et sont causes de déséquilibres et de désillusions. Le droit au logement, d’autres types de « droits à » en témoignent. Quand il s’agit du droit à l’enfant, la situation est encore plus périlleuse » (CR intégral de l’AN 3e séance du 2 février 2013).

Marie-Christine Dalloz argumente son souhait de voir inscrire dans le code civil que « nul n’a le droit à l’enfant » :

« Les désirs des individus ne sont pas constitutifs de droits ou de créances sur la société. Toute la partie du code civil relative à la filiation adoptive doit être lue au travers de ce principe d’interprétation et d’application. » (CR intégral de l’AN 3e séance du 2 février 2013).

Les opposant∙es à l’ouverture de la PMA dénoncent également un effacement du droit de l’enfant au profit du droit à l’enfant (voir Stéphane Ravier, Henri Leroy, Anne Chain-Larché, Pierre-Yves Collombat, Philippe Bas, Guillaume Chevrollier, Christine Herzog, Pierre Cuypers, Laurence Garnier, Sylviane Noël, Catherine Deroche, Emmanuelle Ménard, Valérie Six, Valérie Boyer, Véronique Louwagie, Bernard Perrut, Marc Le Fur, Philippe Gosselin, Pascal Brindeau) et plusieurs réclament l’inscription de son interdiction dans la loi (voir Roger Karoutchi, Michel Amiel, Jean-Marie Mizzon).

9. Les familles et les enfants en danger

L’opposition au Pacs dénonce un modèle d’union destiné à tous les couples sans distinction de sexualité qui met en péril l’institution matrimoniale alors que la nature différente des couples exigerait de les traiter différemment (voir Pierre Albertini, Jean-Claude Lenoir Dominique Dord, Claude Goasguen) comme Thierry Mariani l’affirme clairement :

« Nous pensons, nous, qu'il faut distinguer entre chacune de ces catégories qui n'ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes aspirations, ni non plus les mêmes obligations vis-à-vis de la société. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 8 nov. 1998)

Les opposant∙es réclament une différenciation des droits liés au Pacs selon la sexualité des couples en priorisant un principe procréatif exclusivement hétérosexuel comme l’explique Thierry Mariani (voir aussi Henri Plagnol, Pierre-Christophe Baguet, Christine Boutin) :

« Les couples homosexuels ne peuvent être féconds : il faut donc des règles différentes de celles qui s'appliquent aux concubins hétérosexuels, car les enfants sont un enjeu important. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 8 nov. 1998) 

Le rôle de l’Etat serait ainsi de favoriser les familles hétéroparentales utiles à la société puisqu’elles ont la fonction majeure d’assurer son développement et sa pérennité par le renouvellement des générations (voir Dominique Dord, Christine Boutin, Bernard Accoyer, Jacques Myard, Jean-François Mattei, Jacques Masdeu-Arus, Pierre Lellouche,  Marie-Thérèse Boisseau). Les parlementaires n’envisagent pas alors de mettre sur le même plan les familles homoparentales et les familles hétéroparentales. Il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie entre les deux configurations en 1998-1999, l’homoparentalité est peu visible dans le discours parlementaire alors que le terme est apparu en 1997 en France (Gross, 2007).

L’homosexualité pose cependant question pour l’opposition qui craint qu’elle ne devienne un modèle sur le plan symbolique comme l’explique Jean-François Mattei (voir aussi Jacques Myard) : « Présentant votre texte comme universel pour éviter d'aborder clairement la question de l'homosexualité, vous butez sur les interdits sexuels fondamentaux de notre société. Cette confusion entre solidarité et sexualité, à elle seule, suffit à disqualifier ce texte.  Il ne s'agit pas d'un pacte de solidarité, mais de sexualité. » (CR intégral de l’AN, 1e séance du 9 oct. 1998)

La différenciation opérée entre les couples selon la sexualité se traduit en 1998 par la proposition élaborée par l’opposition d’une législation spécifique puis en 2013 sous la forme d’un Contrat d’union civile ou alliance civile (voir Hervé Mariton, Philippe Gosselin, Bernard Accoyer, Daniel Fasquelle, Laurent Wauquiez, Luc Chatel, Paul Salen, Olivier Dassault, Sophie Dion, Marie-Louise Fort, Claude Greff, Hervé Morin, Patrick Ollier, Catherine Vautrin, Marie-Jo Zimmermann). Lors des débats de la loi 2021, des voix s’élèvent dans l’opposition pour réclamer un texte spécifique (voir Pascal Brindeau).

Le rappel du principe hétéronormatif qui gouverne la famille est également puissant en 2013 comme le montre les déclarations de Daniel Fasquelle :

« Quand M. Binet dit que les homosexuels font des enfants, il me fait peur, parce qu’il légitime à la fois la procréation médicalement assistée, l’adoption plénière, la gestation pour autrui, le double verrouillage d’une filiation à l’égard de deux pères ou de deux mères, empêchant ainsi définitivement la possibilité pour les enfants d’établir leur filiation naturelle. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 17 avril 2013)

Les opposant∙es au Pacs considèrent le texte comme un marqueur de l’immixtion de l’Etat dans la sphère privée ainsi qu’une remise en cause des principes fondateurs de la société que sont la différence des sexes et des générations (voir Claude Goasguen, Christine Boutin, Henri Plagnol, François Goulard, Jacques Kossowski, Bernard Accoyer, Patrick Devedjian). Ils et elles assurent que leur préoccupation majeure est constituée par l’intérêt de l’enfant. La préoccupation de l’opposition se cristallise sur le plus faible, c’est-à-dire l’enfant qu’il faut protéger contre les menaces du Pacs (voir Anne Heinis, Christine Boutin, Claude Goasguen, Pierre Albertini, Maurice Leroy, Thierry Mariani, Yves Fromion, Henri Plagnol, Aymeri de Montesquiou, Pierre-Christophe Baguet, Alain Vasselle, Cyrille Isaac-Sibille, François Goulard, Jacques Pélissard, Charles de Courson). Bernard Perrut assure que les « enfants seront les victimes de ces unions précaires sans obligations » (CR intégral de l’AN  3e séance du 7 nov. 1998) tandis que Jacques Myard rappelle la centralité de l’enfant :

« Le Gouvernement et la majorité n'ont cessé de nous le répéter : le PACS n'est pas la famille. Mais ils se trompent. Et l'enfant, grand oublié du débat, rendra caduque toute votre construction idéologique. L'enfant vous demandera des comptes ! Est-il imaginable de légiférer sur le droit des personnes sans avoir le souci obsessionnel de l'enfant ? Sans se préoccuper de ce que devient l'autorité parentale dans cette affaire et sans répondre clairement à la question de l'adoption par les couples homosexuels. » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 7 nov. 1998) 

En 2013, l’opposition affirme sa volonté de protéger l’enfant, présenté comme la future victime, face aux dangers de la loi (voir Pierre Lequiller, François de Mazières, Nicolas Dhuicq, Valérie Lacroute, Marie-Christine Dalloz, Hervé Mariton, Bernard Debré, Élie Aboud, Jean-Frédéric Poisson, Yves Nicolin). Marc Le Fur incite à observer un principe de précaution concernant l’homoparentalité (voir aussi Paul Salen, Hervé Mariton, Marie-Christine Dalloz, Xavier Breton, Julien Aubert, Patrick Hetzel, François de Mazières, Bernard Accoyer, Jacques Myard, Éric Woerth, Philippe Vitel) car elle priverait les enfants de l’accès à leurs origines (voir Daniel Fasquelle, Sophie Dion, Marc Le Fur, Xavier Breton, Bernard Gérard, Julien Aubert, Philippe Gosselin) et créerait des inégalités entre les enfants (voir Bernard Gérard, Michel Heinrich, Philippe Gosselin, Daniel Fasquelle).

Philippe Cochet accuse le texte de massacrer et d’assassiner les enfants et David Douillet de saccager la vie d’enfants tandis que Dominique Tian soutient que la loi fabriquera des enfants en souffrances. Jacques Alain Bénisti annonce des « enfants à la dérive » et Jean-Pierre Door affirme que par la loi, l’enfant devient « SDF – sans domicile filiatif ». Nicolas Dhuicq prédit des effets transgénérationnels :

« Vous proposez une fiction aux enfants, une fiction délétère, dont les ravages ne se feront pas forcément sentir à la première génération, mais parfois jusqu’à la troisième » (CR intégral de l’AN 2e séance du 17 avril 2013).

Jacques Bompard interpelle sur les effets psychologiques qu’il qualifie de criminels : « Ce qui sera chamboulé, c’est l’âme de ces enfants, qui vont chercher soit leur mère soit leur père et ne pas les trouver. Se moquer de la psychologie de l’enfant dont on a la responsabilité, pour moi, c’est un crime ». (CR intégral de l’AN 3e séance du 1er février 2013)

En 2019, la vulnérabilité des enfants est encore une préoccupation pour l’opposition (voir Bruno Retailleau, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte) qui associent la PMA à un mensonge imposé aux enfants (voir Stéphane Ravier, Loïc Hervé), à une quête identitaire douloureuse des origines (voir Philippe Bas, Angèle Préville, André Reichardt, Bruno Retailleau, Jean-Marie Mizzon, Yves Daudigny, Gérard Longuet, Julien Bargeton, Catherine Deroche) et à une rupture d’égalité entre les enfants (voir Bernard Bonne, Christine Herzog, Bernard Jomier).

10. La nature

L’attachement au principe de la différence des sexes sur un mode binaire s’opère par un recours à la naturalité de cette bi catégorisation qui concerne aussi le champ social qui se construirait « sur l'altérité immuable de la nature » d’après Jacques Myard (CR intégral de l’AN 3e séance du 7 nov. 1998).

La naturalisation de la famille permet de délégitimer le Pacs car le modèle matrimonial hétéronormé et hétérosexiste prévaut selon Christine Boutin :

« (…) l'Etat a toujours reconnu la famille, réalité naturelle, comme première éducatrice de l'enfant.  En tant que comportement privé, le comportement homosexuel relève de la conscience personnelle et n'a pas à entraîner de discriminations, mais de là à considérer ce comportement comme anodin et à le mettre sur le même plan, socialement, que la relation entre un homme et une femme, il y a un pas que le responsable politique ne peut pas franchir (…). Il n'est pas en notre pouvoir de modifier une réalité qui existe depuis l'origine du monde : le fait que c'est la relation naturelle entre l'homme et la femme qui fonde la société et la fait vivre, et les sociétés se sont toujours attachées à protéger cette relation vitale, d'où le refus du prosélytisme homosexuel et la réprobation, plus ou moins forte, que l'on rencontre dans toutes les civilisations.

L'homosexualité, en outre, ne s'inscrit pas dans le cadre des lois non écrites qui fondent la vie des sociétés (…). Inféconde par nature, elle ne répond pas aux critères démographiques et éducatifs qui fondent les devoirs de l'Etat à l'égard du couple. Dès lors, se mettre à considérer comme des conjoints deux personnes homosexuelles et leur permettre d'adopter et d'élever des enfants serait, pour la société, une conduite absurde et suicidaire, ainsi que l'a reconnu Mme Guigou (…). Elle serait, par rapport aux enfants, criminelle. Elle serait, enfin, une illusion pour les homosexuels eux-mêmes.

Refuser de consacrer la relation homosexuelle en lui conférant les mêmes droits qu'à la relation naturelle sans laquelle il n'est pas de société ne constitue nullement une discrimination, ni un obstacle à l'acceptation pleine et entière des individus. » (CR intégral de l’AN 2e séance du 3 nov. 1998)

Le recours au naturalisme est utilisé dans les discours parlementaires de façon récurrente et il permet de justifier la ségrégation des sexes sur un mode binaire en évitant de d’appréhender leur construction « dans et par des rapports sociaux » (Mathieu, 2000 : 118-119). Il permet aussi de représenter la famille comme un archétype, celui de la famille éternelle qui se situerait hors de l’histoire.

En 2013, l’homoparenté n’est pas conciliable pour les opposantes à la loi avec un modèle dit naturel, exalté par l’argumentaire de la « loi naturelle » (voir Marie-Louise Fort, Jacques Bompard), car il est exclusivement hétéronormatif. Selon Véronique Louwagie (voir aussi Marie-Jo Zimmermann, Jean-Frédéric Poisson), le législateur doit suivre les « lois de la nature (…) [qui] a organisé la civilisation » (CR intégral de l’AN 3e séance du 1er févr. 2013) alors que Jean-Pierre Door souligne l’existence de « données naturelles de la famille » constituées par la présence du couple parental hétérosexuel (voir aussi Bruno Nestor Azerot). Marc Le Fur s’exclame d’ailleurs à ce propos : « On va à l’inverse des règles élémentaires de la nature ! » (CR intégral de l’AN 3e séance du 18 avril 2013)

Henri Guaino exhorte le législateur à obéir à la nature qui commande la raison :

« Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est donner le droit d’avoir des enfants à des couples auxquels la loi de la nature ne le permet pas. […] Il faut l’homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l’enfant sur le chemin de la vie. Oui, c’est une loi de la nature, une loi qu’aucune communauté humaine ne peut abolir. […] Vous ne voulez pas seulement que l’homme domine la nature. Vous voulez que le social triomphe de la nature et que sa victoire soit sans partage. Vous tournez ainsi le dos à la raison, car c’est la déraison qui commande à l’homme de vouloir nier sa nature. Où cela nous mènerait-il, sinon sur les voies les plus dangereuses ? » (CR intégral de l’AN 2e séance du 29 janv. 2013)

Les argumentaires des opposant.es à la loi de 2021 sont marqués par l’influence des courants idéologiques qui se sont développés à partir de l’opposition à la loi de 2013 dans la mouvance de la Manif pour tous et notamment de l’écologie humaine (voir notamment Derville, Gomez et Hériard Dubreuil, 2017) à partir du concept de l’écologie intégrale (voir notamment Esbjörn-Hargens et Zimmermann, 2009 ; Van Gaver, 2017 ; Bès, Durano, Norgaard Rokvam, 2014 ; Bastié, 2023). Ces mouvements s’opposent également à l’extension des études de genre en fabriquant une panique morale autour de « la théorie du genre ».

Un échange entre deux député∙es lors de la discussion publique du texte met en évidence les fondements idéologiques des prises de position de l’opposition (voir aussi Thibault Bazin, Arnaud Viala, Damien Abad) :

« Mme Blandine Brocard. Un enfant, par nature, est issu d’un homme et d’une femme, d’un père et d’une mère. Ce père et cette mère sont à l’origine de sa naissance et doivent rester ses repères tout au long de sa vie. J’insiste sur les termes « par nature » car, une fois encore, je vous comprends mal : d’un côté, l’on prône ce retour à la nature par le biais de l’alimentation et des constructions. On érige en principe premier le respect de notre planète.

M. Xavier Breton. L’écologie humaine.

Mme Blandine Brocard. On constate qu’en imposant notre technique, nous sommes en train de détruire notre planète, mais nous n’hésitons pas à reproduire les mêmes erreurs sur ce qui fonde notre espèce elle-même. En tant qu’espèce vivante, nous sommes et serons toujours issus d’un principe femelle et d’un principe mâle. Ne mettons pas délibérément de côté le principe masculin, qui représente tout de même la moitié de l’espèce humaine. Ne rejetons pas cette altérité qui est à l’origine de toute vie. » (CR intégral de l’AN 1e séance du 25 sept. 2019)

Xavier Breton poursuit son raisonnement en se questionnant sur « la pertinence de l’introduction de la notion de genre dans notre droit [car] le genre n’est certainement pas un choix : il est en tout cas subjectif, contrairement au corps, qui est objectif. » (CR intégral de l’AN 1e séance du 26 sept. 2019)

Sébastien Meurant reprend également la thématique de la loi naturelle afin de justifier le principe hétéronormatif appliqué à la famille : « L’évidence n’est-elle pas, mes chers collègues, de reconnaître qu’il y a une loi naturelle et que celle-ci doit fonder une partie de notre droit positif ? Cette loi naturelle, sans être triviale, n’impose-t-elle pas que, pour faire un enfant, il faille un père et une mère ? » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020)

L’opposition à l’ouverture de la PMA avertit le législateur des risques à vouloir « défier le temps » et « déjouer la nature » (Stéphane Piednoir), à aller : « à l’encontre d’un amour filial qui existe depuis la nuit des temps [et] contrarier la nature » (Pierre Cuypers CR intégral du Sénat séance du 2 février 2021), à vouloir se confronter à « tout ce qui est réel, naturel, inné » et détruire la « famille traditionnelle et la transmission naturelle » (Stéphane Ravier CR intégral du Sénat séance du 2 février 2021). Sophie Primas rappelle les « règles naturelles intangibles » de la reproduction humaine qui justifient un traitement différencié des couples tandis que Jean Lassalle et Damien Abad s’interrogent sur les limites au défi à la nature.

Blandine Brocard utilise l’argument naturel pour décrire l’arrangement hétérosexué de la famille :

« Un enfant, par nature, est issu d’un homme et d’une femme, d’un père et d’une mère. Ce père et cette mère sont à l’origine de sa naissance et doivent rester ses repères tout au long de sa vie. J’insiste sur les termes ‟ par nature ” car, une fois encore, je vous comprends mal : d’un côté, l’on prône ce retour à la nature par le biais de l’alimentation et des constructions. On érige en principe premier le respect de notre planète. » (CR intégral de l’AN 1e séance du 25 septembre 2019)

La conception de la nature qui est convoquée ici est une conception irénique d’une « bonne nature », associée à un modèle biologique avec lequel la loi se situerait en rupture en prônant l’artificialisation de la filiation (voir Bruno Retailleau, Laurent Duplomb, Dominique de Legge, Chantal Deseyne, Bernard Jomier, Stéphane Ravier). Michel Amiel s’inquiète en outre de la distinction « entre une maternité biologique et une maternité contractuelle, le vieux débat entre nature et culture » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020).

11. La différence des sexes

« La différence des sexes » est omni présente dans les débats parlementaires autour des trois textes. Elle se décline au travers de l’élément de langage fréquent de « l’altérité sexuelle » ou « altérité des sexes » et elle permet de mettre en évidence une confusion systématique entre le sexuel et le sexué, c’est-à-dire entre ce qui appartient au registre de la libido d’une part et ce qui relève du registre de l’identité sexuée d’autre part (Molinier, 2006). De plus, l’altérité est souvent réduite à sa dimension sexuelle.

Pour le Pacs, Jacques Myard exalte « l’altérité immuable de la nature » (CR intégral de l’AN 3e séance du 7 nov. 1998) et la différence des sexes comme un fondement anthropologique de notre société (voir aussi Charles de Courson, Bernard Murat). Christine Boutin présente « l'altérité homme-femme » comme étant « le principe fondateur de toute construction sociale et politique » (CR intégral de l’AN 3e séance du 8 juin 1999). Philippe de Villiers souligne que les différences sexuelles sont au fondement de la famille tandis que Henri Leroy, citant Guy Coq, affirme que le Pacs contribuera à « brouiller encore davantage la nécessaire distinction des sexes » (CR intégral de l’AN 2e séance du 8 nov. 1998). Philippe Marini assure que le pacs menace la différence des sexes qu’il considère comme étant une institution fondamentale qui soutient l’ordre social :

« C'est bien l'ordre social tout entier qui est en cause dans cette affaire, et pas seulement l'institution du mariage ! Je sais bien que les idées mêmes d'ordre et d'institution peuvent être insupportables à certains au sein de cet hémicycle. Mais, ce qui est fondamental, c'est que l'on ‟ désinstitue ” la différence des sexes, en faisant en sorte que la société reconnaisse un cadre unique quel que soit le sexe des intéressés. C'est une évolution structurelle, substantielle : nous passons en quelque sorte d'une société à une autre. Sur le plan des valeurs, c'est une mutation à laquelle nombre d'entre nous ne peuvent, à l'évidence, souscrire. » (CR intégral du Sénat séance du 30 juin 1999)

En 2013, selon les opposant∙es, la loi priverait les enfants de la présence d’un père et d’une mère, inscrirait une négation de l’altérité sexuée du couple parental alors qu’il constitue un principe constitutionnel fondamental (voir Jean-François Lamour, Anne Grommerch, Guillaume Chevrollier, Patrick Hetzel, Annie Genevard, Jean-Christophe Fromantin, Rémi Delatte, Georges Fenech, Arlette Grosskost, Marc Le Fur, Jean-Pierre Barbier, Philippe Gosselin, Jean-Frédéric Poisson, Bérengère Poletti, Charles de Courson, Pierre Lellouche, Dominique Tian, Yannick Favennec, Yves Censi, Gilles Lurton, Christian Jacob). Le texte viserait l’abolition de la différence des sexes dans la famille et dans la société (voir Xavier Breton, Michel Terrot, Guénhaël Huet, Hervé Mariton, Jacques Bompard, Guillaume Chevrollier, Nicolas Dhuicq, Virginie Duby-Muller, Annie Genevard, Dominique Nachury). L’altérité est placée en supériorité au principe d’égalité par l’opposition qui soutient une volonté d’effacement de la différence des sexes de la part de la majorité (voir Sylvain Berrios, Jacques Bompard, Patrick Ollier, Philippe Meunier, Marie-Christine Dalloz).

La complémentarité entre les femmes et les hommes est aussi une thématique souvent associée à la différence des sexes (voir Jean-Christophe Fromantin, Xavier Breton, Pierre Lequiller, Marie-Christine Dalloz, Valérie Lacroute, Claudine Schmid). Arlette Grosskost assimile l’altérité à un équilibre qui constitue « l’intérêt de l’enfant et le socle de notre société ». Patrick Hetzel tente de démontrer que la différence des sexes est bénéfique pour l’intérêt de l’enfant (voir aussi Hubert Haenel) :

« L’enfant doit pouvoir “ s’originer ” dans la différence des sexes. Si nous ne maintenons pas la vérité sur la naissance des enfants, à savoir l’inscription filiative dans un couple composé d’un homme et d’une femme, des enfants se retrouveront dans des impasses filiatives, privés du sens de leur histoire, confrontés à de l’indicible. » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 2 février 2013)

Lors des débats autour du Pacs, la naturalisation de l’altérité sexuée permet d’étayer le modèle de famille hétéronormatif et de confirmer sa supériorité par son utilité sociale procréatrice comme l’illustre Eric Doligé (voir aussi Aymeri de Montesquiou, Dominique Dord, Christine Boutin, Jean-François Mattei, Bernard Seillier) :

« Mais le législateur n'a pas à inscrire dans la loi la confusion des relations et des sexes. Quel intérêt a-t-il à affaiblir la relation entre homme et femme, origine de la société et de son renouvellement ? Peut-on imaginer une société composée de couples d'hommes et de couples de femmes ? Qu'on m'explique alors comment seront conçus les enfants ! » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 7 nov. 1998)

L’opposition insiste sur la nécessité indépassable pour les enfants de grandir au sein d’une famille hétéroparentale comme l’évoque Jean-Claude Carle (voir aussi François Goulard) :

« A la différence des adultes qui ont décidé de vivre ensemble, l'enfant ne choisit pas de venir au monde. Pour se construire, il a besoin d'un père et d'une mère. » (CR intégral du Sénat, 3e séance du 2 février 2013)

L’opposition au Pacs a d’ailleurs introduit l’argument du « droit de l’enfant d’avoir un père et une mère » (voir Jean-François Mattei, Christine Boutin, Aymeri de Montesquiou, François Goulard, Claude Goasguen).

Cet élément de langage est repris ensuite massivement au moment des débats autour de la loi de 2013 et présenté comme un droit fondamental (voir François de Mazières, Guillaume Chevrollier, Xavier Breton, Yves Nicolin, Éric Woerth, Sophie Dion, Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson, Marie-Christine Dalloz, Patrick Hetzel, Julien Aubert, Philippe Meunier, Marc Le Fur, Bernard Debré, Annie Genevard, Guillaume Larrivé, Christian Jacob, Jacques Alain Bénisti, Patrick Balkany, François Scellier, Céleste Lett, Jacques Myard, Jacques Bompard, Claude Greff, Jean-Christophe Fromantin, Véronique Besse, Georges Fenech, Laure de La Raudière, Yves Albarello).  Yves Nicolin soutient l’existence d’ « une différence, en particulier affective, pour l’enfant entre le père et la mère » (CR intégral de l’AN, 1e séance du 7 fév. 2013). Paul Salen postule que les enfants ont « besoin de pouvoir se représenter une origine crédible » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 1er février 2013) alors que Jean-Pierre Vigier déclare : « Depuis la nuit des temps, une famille, c’est un papa et une maman » (CR intégral de l’AN, 1e séance du 6 fév. 2013)

Certains parlementaires énoncent un déni de l’homoparentalité à l’image de Frédéric Reiss qui affirme : « Un couple de personnes de même sexe ne veut donc rien dire. » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 8 février 2013). Nicolas Dhuicq souligne aussi son refus d’envisager l’homoparentalité : « Vous compliquez inutilement la vie des enfants et vous propagez des mensonges : un enfant n’aura jamais deux pères ni deux mères. Il y aura toujours, à la source de chaque vie humaine, un homme et une femme, que vous le vouliez ou non. » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 3 février 2013).

La revendication du « droit de l’enfant d’avoir un père et une mère » conduit à une dénonciation de la loi qui instaurerait pour les enfants une privation légale de père ou de mère (voir Patrick Balkany, Patrice Martin-Lalande, Guillaume Chevrollier, Frédéric Reiss, Yves Fromion, Jacques Kossowski, Michel Herbillon, Annie Genevard, Xavier Breton, Jean-Pierre Door, Dominique Tian, Éric Woerth, Marc Le Fur, David Douillet, Bernard Gérard, Bernard Perrut). Yannick Favennec et Yannick Moreau assurent que le législateur est en train de créer des orphelins de façon délibérée.

En 2019, l’opposition promeut également le « droit de l’enfant à avoir un père et une mère » (voir Bernard Bonne, Jean-Pierre Leleux, Pierre Cuypers) alors que les parlementaires affirment que la loi va organiser la fabrication d’enfants privés de pères (voir Stéphane Ravier, Loïc Hervé, Bernard Bonne, Guillaume Chevrollier) voire d’orphelins de pères (voir Jean-Pierre Leleux, Stéphane Ravier, Guillaume Chevrollier, Olivier Paccaud) qui seront en quête de paternité (voir Philippe Bas, Bruno Retailleau, Christine Herzog). André Reichardt dénonce « la spoliation délibérée du père permise par ce projet de loi » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020) tandis que Laurence Garnier regrette une institutionnalisation de l’absence de père en l’inscrivant dans la loi qui revient « à institutionnaliser la famille sans père » selon Jean-Marie Mizzon. René Danesi critique « la légalisation de la filiation volontairement sans père [qui] est invraisemblable » en soulignant « l’injustice infligée à des enfants qui n’auront pas de lignée paternelle » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020).

12. PMA et adoption

Dès les discussions parlementaires autour du Pacs, l’ouverture de la PMA et de l’adoption ont été abordées comme devant suivre logiquement la promulgation du Pacs à partir du principe du droit à l’enfant qui s’oppose aux droits des enfants (voir Christine Boutin, Eric Doligé, Jacques Masdeu-Arus, Jacques Kossowski). Charles de Courson s’inquiète de l’existence d’ « un vide juridique anormal » qui permet aux célibataires homosexuels d’accéder à l’adoption (voir aussi Claude Goasguen, Richard Cazenave, Yves Fromion, Thierry Mariani, Christian Estrosi, Phillipe de Villiers).

D’après les parlementaires, la loi doit tenir compte des limites à poser à l’égalité en interdisant l’accès à la PMA et à l’adoption. Plusieurs député∙es de l’opposition proposent de refuser l’accès à la PMA et l’adoption aux couples de même sexe afin d’empêcher que le principe d’égalité des droits entre couples pacsés de même sexe et de sexe différent ne s’applique dans un futur proche (voir Bernard Accoyer, Richard Cazenave, Christian Estrosi, Dominique Dord, Edouard Landrain, Christine Boutin, François Goulard, Jean-Pierre Foucher, Claude Goasguen, Charles De Courson). Thierry Mariani, relevant que la PMA pose problème au respect du principe d’égalité, insiste sur la nécessité d’inscrire l’interdiction dans la loi :

« Il faut préciser que la procréation médicalement assistée est interdite aux homosexuels, sans quoi un même statut emportant les mêmes droits, il y aura bientôt des recours devant les juridictions européennes. La procréation médicalement assistée pose aussi un problème d'égalité entre les homosexuels, puisqu'elle sera possible pour les couples composés de deux femmes mais non pour ceux composés de deux hommes » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 31 mars 1999).

En 2013, des parlementaires de l’opposition rebaptisent la PMA en « PMA pour convenance personnelle » lorsqu’elle concerne les couples de femmes, arguant qu’elle dériverait d’un « hypothétique droit à l’enfant » (voir Christian Jacob, Bernard Accoyer, Xavier Breton, Patrice Martin-Lalande, Marc Le Fur, Guillaume Chevrollier, Pierre Lequiller, Jean-Pierre Barbier). Jacques Lamblin reproche au gouvernement de vouloir créer « avec la PMA (…) une fiction invraisemblable pour l’enfant, car l’enfant découvrira à un moment donné qu’il ne peut pas avoir deux mères ou deux pères. » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 2 février 2013)

L’opposition en vient à réclamer que la PMA soit réservée exclusivement aux couples de sexe différent afin de ne pas devoir modifier les règles d’établissement de la filiation (voir Philippe Gosselin, Jean-Frédéric Poisson, Gérald Darmanin, Patrice Martin-Lalande, Philippe Meunier, Valérie Lacroute, Bernard Accoyer, Isabelle Le Callennec, Yves Nicolin, Hervé Mariton). Les parlementaires souhaitent limiter l’adoption aux couples mariés hétérosexuels (voir Marc Le Fur, Christian Jacob, Hervé Mariton, Patrick Ollier, Jacques Alain Bénisti, Philippe Gosselin, Sophie Dion, Daniel Gibbes, Antoine Herth, Véronique Louwagie, Guillaume Chevrollier, Gérald Darmanin, François Scellier, Patrick Hetzel, Céleste Lett, Annie Genevard, Jacques Kossowski, Michel Herbillon, Philippe Vitel, Philippe Meunier, Jacques Myard, Charles de La Verpillière, Claudine Schmid) ou donner la priorité aux couples de sexe différent afin de respecter l’intérêt de l’enfant (voir Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson, Philippe Gosselin, Jean-Pierre Door, Yves Fromion, David Douillet, Xavier Breton) ou interdire la mise en place de quotas en faveur des couples de même sexe (voir Patrice Martin-Lalande, Christian Jacob, Hervé Mariton, François de Mazières, Sauveur Gandolfi-Scheit, Philippe Gosselin, Frédéric Reiss, Sophie Dion, Nicolas Dhuicq, Véronique Louwagie, Guillaume Chevrollier, Pierre Lequiller, André Schneider, François Scellier, Gérald Darmanin, Jean-Frédéric Poisson, Bernard Accoyer, Céleste Lett, Bernard Debré, Annie Genevard, Claude Sturni, Guillaume Larrivé). Certains parlementaires exigent que l’adoption soit fermée aux personnes ayant eu recours à la PMA et à la Gestation Pour Autrui à l’étranger (voir Xavier Breton, Yves Fromion, Philippe Vitel, Marc Le Fur, Guillaume Larrivé).

En 2019, l’opposition demande aussi que la PMA ne soit destinée qu’à pallier les effets de l’infertilité du couple hétérosexuel (voir Anne Chain-Larché, Michel Canevet, Alain Richard, Philippe Bas, Guillaume Chevrollier, Henri Leroy, Pierre Cuypers, Sylviane Noël) ou que les couples de femmes soient exclus de la prise en charge par la Sécurité Sociale (Daniel Chasseing, Philippe Bas, Alain Milon).

13. La disparition des pères

Lors des débats autour du Pacs, les parlementaires de l’opposition expriment leur inquiétudes concernant le devenir de la paternité, générées par les menaces qui pèseraient sur la filiation paternelle à laquelle serait liée le sort de l’enfant. Anne  Heinis évoque ainsi le « délicat problème de la paternité, dont on connaît l'importance pour la formation de la personnalité de l'enfant » (CR intégral du Sénat, séance du 17 mars 1999). Dominique Braye s’appuie sur « les ravages des relations monoparentales, de l'absence du père ou des divorces sur la psychologie des adolescents » pour exhorter le Parlement à « ne pas vouloir créer de nouveaux problèmes en validant comme modèle social des situations qui s'écartent de tous les modèles naturels de l'anthropologie. » (CR intégral du Sénat, séance du 18 mars 1999)

Les député∙es de l’opposition au Pacs s’inquiètent du devenir de la présomption de paternité et des menaces qui pèseraient sur la filiation paternelle et le sort de l’enfant (voir Henri Plagnol, Jacques Pélissard, Thierry Mariani, Christine Boutin, Christian Estrosi, Bernard Accoyer, Charles de Courson Jacques Pélissard). Jean-Claude Carle déploie une argumentation d’inspiration masculiniste :

« La réalité, c'est aussi la fragilisation des droits du père et d'une population masculine à la recherche de son identité. Pour se construire, l'enfant a besoin d'un père et d'une mère. Lorsque l'on regarde l'évolution de la loi et de la société, sans parler des perspectives ouvertes par le progrès génétique, on constate une chose : du modèle patriarcal, nous sommes passés à un système où la femme, seule, peut désormais donner un sens et un projet à la famille. De là, en particulier, l'augmentation du nombre de familles monoparentales, où l'absence du père produit des effets négatifs sur la personnalité de l'enfant. Cette situation peut se gérer plus ou moins bien dans les milieux favorisés, où les échanges entre générations sont plus faciles. En revanche, nous pouvons en mesurer les conséquences dans les quartiers difficiles. Que signifie, en effet, l'apparition de bandes et de caïds dans les banlieues ? Que démontrent leurs coutumes, leur code d'honneur, la délimitation de leur territoire, sinon la volonté d'affirmer une autorité qui n'existe peut-être plus dans leur famille ? La réalité, c'est enfin la féminisation de la société, dont nous pouvons nous féliciter mais qui n'a pas que des conséquences positives pour la femme et pour la famille. Le taux d'activité des femmes a explosé depuis trente ans, sans que la politique familiale de l'Etat évolue de concert. Les femmes ont leur premier enfant beaucoup plus tard. Ces changements ne sont pas sans conséquences : ce que la femme a conquis d'égalité dans la vie publique, elle l'a perdu dans sa vie personnelle. Aujourd'hui, la femme est confrontée à un choix qu'elle ne veut plus ou ne peut plus faire entre sa responsabilité de mère de famille et la volonté ou la nécessité de s'accomplir dans un métier. Or rien, dans notre société, n'est prévu pour faciliter ce choix ou permettre de concilier ces impératifs. Madame la ministre, au lieu de distraire l'opinion publique avec des réformes comme la parité hommes femmes en politique, ne croyez-vous pas que c'est d'abord dans ce domaine-là qu'il faudrait agir ? » (CR intégral du Sénat séance du 30 juin 1999)

En 2013, l’opposition s’inquiète de la disparition du « principe masculin des sociétés humaines » face à la fragilisation de la position paternelle (Nicolas Dhuicq) en réclamant le respect « pour nos cultures méditerranéennes, fondées sur des structures patriarcales » (Yves Censi CR intégral de l’AN, 3e séance du 3 février 2013). Marc Le Fur regrette que « bon nombre d’enfants ne connaissent pas leur père » et évoque une réalité qu’il rencontre lors de ses permanences parlementaires, celle « des pères désarmés, qui se sentent inutiles [qui] ont un besoin d’enfant qu’ils ne peuvent satisfaire car, en froid avec leur compagne, ils ont perdu tout contact avec leurs enfants » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 7 février 2013). Il ajoute :

« Deuxièmement, je ne sais pas si c’est votre cas, mais moi, dans ma permanence, je suis surpris d’une certaine révolte des pères. Souvent, ils contestent des jugements de divorce, ils ont le sentiment d’être mis à l’écart. C’est une réalité sociologique, qui est soulignée par bon nombre d’experts. » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 3 février 2013)

L’opposition se concentre aussi sur la modification des modalités de transmission des noms de famille associée à une révolution d’une pratique traditionnelle multiséculaire par Frédéric Reiss et Marie-Louise Fort qui marquerait un affaiblissement symbolique du père (voir Patrick Hetzel, Hervé Mariton, Christian Jacob, Guillaume Chevrollier, Xavier Breton, Jean-Frédéric Poisson, André Schneider, Bernard Accoyer, Annie Genevard, Yannick Favennec, Jean-Pierre Barbier, Gilles Lurton, Jacques Myard, Jean-Christophe Fromantin). Patrick Hetzel le résume ainsi :

« On a pu le dire à plusieurs reprises et je me répète peut-être, mais c’est plurimillénaire : le patronyme est transmis par le père. » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 3 février 2013)

Marc Le Fur décèle un « problème symbolique majeur » constitué par « celui de la sortie du père » qui serait organisée par l’évolution des noms de famille. Nicolas Dhuicq se réfère aux « Noms-du-Père » de Jacques Lacan afin de contrer cette évolution en invitant les parlementaires à « s’interroger sur ce qui pousse des enfants de ce pays à le rejeter et à commettre le meurtre et l’assassinat » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 3 février 2013). Invoquant la « forclusion du nom du père », Nicolas Dhuicq fait le lien entre terrorisme, autorité et absence de père :

« Monsieur le président, il y a quelques semaines, je me suis interrogé sur le rapport à l’autorité que pose le terrorisme, en ayant en mémoire le parcours de terroristes d’origine française et de nationalité française. J’avais, en particulier, constaté la distance affective et géographique majeure qui avait séparé un jeune, qui avait tué, et son père. À mon sens, il y a trois endroits où l’autorité doit s’exercer et être respectée : la prison, sujet que je connais bien, sur lequel le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, m’a répondu ; la famille, sur laquelle je vais revenir ; enfin, l’école – je pense notamment à l’enseignement de l’histoire. Pour ce qui est de la famille, quand j’ai évoqué l’absence de cadre parental, de repères identificatoires, de limites transmises à l’enfant afin qu’il sache ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 3 février 2013)

Le député prédit finalement « la destruction de la paternité, de la famille, de la filiation » (CR intégral de l’AN, 3e séance du 8 février 2013) et la destruction du « principe masculin » indépassable et nécessaire à l’intégrité psychologique de l’enfant :

« De quelle scène primitive disposeront ces enfants pour se construire ? Comment fonctionnera la dyade primitive ? Qui séparera la mère de l’enfant ? Vous niez des millénaires d’évolution ! Vous niez que l’être humain a une double nature, psychique et physique, biologique et spirituelle, parce que vous cédez à l’hybris de quelques-uns, dans un sentiment de démesure. » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 17 avril 2013)

Dhuicq annonce que la rupture avec « la dualité de l’être humain » assènera « un coup fatal à la fonction masculine et à la fonction paternelle. (…) qui est la plus fragile. »  (CR intégral de l’AN 3e séance du 8 fév. 2013).

Marc Le Fur insiste sur la nécessité d’un « référent masculin » dans les situations d’adoption et Annie Genevard évoque les « cris de détresse d’enfants élevés sans père ». L’absence de père dans les couples de femmes serait vécue comme une amputation par les enfants. Hervé Mariton déplore l’oubli du nom du père alors que Jacques Bompard opère un rappel patriotique :

« La Patrie, madame, c’est la terre des pères, c’est la terre d’une famille et d’une lignée. La famille, alors que vous jetez le pays dans une crise effroyable, est tout ce qu’il reste aux plus vulnérables. La famille, liée par la filiation et les liens du sang, est le premier lieu de la solidarité, le dernier recours des prolétaires face à l’abandon de l’État que vous orchestrez. » (CR intégral de l’AN, 1e séance du 18 avril 2013)

La présomption de paternité fait encore débat d’abord dans l’opposition qui considère qu’elle est menacée par l’ouverture de la filiation aux couples de même sexe (voir Catherine Vautrin, Jean-Christophe Fromantin, Bernard Accoyer, Bernard Gérard). Marc Le Fur présente la présomption de paternité comme une évidence : « Le propre de la famille est d’assurer les conditions de la stabilité fondée sur la présomption de paternité, qui est une évidence et non pas une fiction. » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 7 février 2013)

Xavier Breton marque une différenciation entre les familles selon l’absence ou la présence paternelle :

« Une famille avec un père est objectivement différente d’une famille sans père. Que l’on en tire des conclusions ou non, on ne peut nier ces différences objectives. Nous pensons que celles-ci sont à l’origine d’autres différences, en matière d’éducation et de construction des personnalités. Cette différence objective touche à l’altérité sexuelle. Vous dites qu’il n’y a pas de différence entre un enfant élevé dans une famille avec un homme et une femme et un enfant élevé dans une famille constituée de deux hommes ou de deux femmes. Or il y a bien une différence : c’est l’altérité sexuelle. Vous la niez, et c’est tout le sens de votre combat. Vous êtes des militants de la théorie du gender. Nous ne sommes pas d’accord, et nous allons continuer à débattre » (CR intégral de l’AN, 1e séance du 8 février 2013)

La nouvelle loi abimerait, affaiblirait et fragiliserait la présomption de paternité et mettrait en péril l’institution matrimoniale et le système de filiation en construisant une théorie familiale alternative (voir Hervé Mariton, Christian Jacob, Philippe Gosselin, François de Mazières, Jean-Frédéric Poisson, Patrick Hetzel, François Vannson, Jean-Christophe Fromantin, Frédéric Reiss).

La loi de 2021, renommée par les opposant∙es « PMA sans père » (voir Thibault Bazin, Patrick Hetzel, Fabien Di Filippo), créerait « un ordre sans père » (Emilie Bonnivard) qui porterait atteinte aux droits de l’enfant (voir Marine Le Pen, Agnès Thill, Valérie Boyer, Gilles Lurton) par la négation de « l’altérité sexuelle » (Thibault Bazin) et la suppression des pères en produisant des « enfants orphelins de père » (voir Emmanuelle Ménard, Emilie Bonnivard, Blandine Brocard, Annie Genevard, Véronique Louwagie, Bernard Perrut, Marc Le Fur, Julien Aubert, Patrick Hetzel). Le texte instaurerait un « droit à l’enfant » (voir Valérie Boyer, Véronique Louwagie, Bernard Perrut) et ignorerait la souffrance générée par la privation de père (Emmanuelle Ménard). Agnès Thill fustige ce qu’elle nomme une mutilation :

« La France va inscrire dans sa loi le père facultatif et permettre la venue au monde d’enfants sans père. Mais qui êtes-vous, pour vous permettre une telle mutilation ? Pour moi, voyez-vous, il n’y a pas plus grand que l’homme, et vous le piétinez, vous le réduisez à rien, à ses gamètes, à 1/60 000e de millimètre ! ‟ Un donneur ”, vous appelez ça. ‟ Ça ”, c’est un homme, madame la ministre, pas un donneur ! C’est celui qui porte, qui élève et qui soulève des montagnes pour son petit, celui qui l’élève jusqu’à lui, qui le soigne et l’encourage, celui qui le rassure et le grandit, qui l’écoute et l’accompagne ; mais n’en avez-vous donc jamais eu pour que vous ne sachiez pas à quel point on ne se passe pas d’un père ? » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 24 sept. 2019)

Il s’agit pour les opposant∙es de consacrer un principe biologique de la filiation (voir Valérie Boyer, Blandine Brocard, Véronique Louwagie, Bernard Perrut) et de défendre « la figure du père, de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales » (Emmanuelle Ménard CR intégral de l’AN 1e séance du 25 sept. 2019 ; voir aussi Marc Le Fur).

Les débats parlementaires montrent une réticence davantage marquée sur l’ouverture de la PMA pour les femmes seules (voir Thibault Bazin, Annie Genevard, Jean-Christophe Lagarde, Julien Aubert) que pour les couples de femmes (Mehl, 2021). Il semble possible d’expliquer cette réticence à partir d’une représentation des couples de femmes à l’œuvre chez les parlementaires selon laquelle l’une des deux mères servirait de « père manqué » qui constituerait « une altérité de substitution » reconnue par les opposant∙es (voir Marc Le Fur) et les partisan∙es (Olivier Faure). Il s’agirait davantage pour les opposant∙es d’exalter une essence paternelle comme le précise Agnès Thill (voir aussi Xavier Breton) :

« Il ne s’agit pas de ‟ faire ” mais d’‟ être ” ! » (CR intégral de l’AN, 2e séance du 25 sept. 2019)

Stéphane Ravier reproche au gouvernement de vouloir « la légalisation de la PMA sans père » (voir aussi Bruno Retailleau) et de « piétiner la paternité » en excluant le père. Guillaume Chevrollier prédit la suppression du père du modèle légal de filiation et une institutionnalisation de l’absence de père par la loi. Sébastien Meurant et Pierre Cuypers annoncent la disparition des pères tandis que Bruno Retailleau affirme que l’absence de père « peut poursuivre un individu adulte tout au long de sa vie. » (CR intégral du Sénat séance du 21 janvier 2020). Pour André Reichardt, la loi conduit à « effacer la fonction paternelle » et Jean-Michel Houllegatte s’inquiète des fragilités générées par l’absence de père. René-Paul Savary soutient que l’impossibilité de connaître son père biologique risque de pénaliser l’enfant dans sa construction individuelle. Bernard Bonne souligne « l’intérêt d’avoir une image du père, de se construire à partir de cette image et de le connaître le plus tôt possible » (CR intégral du Sénat, séance du 3 février 2021) alors que Philippe Bas met en évidence une « faille créée dans la personnalité en formation d’un enfant qui devient adolescent, puis adulte, lorsque ce manque qui se creuse en lui ne trouve aucune réponse. » (CR intégral du Sénat, séance du 21 janvier 2020)

André Reichardt affirme que la PMA « qui prive délibérément de père les enfants à naître reviendrait à dénier au père tout autre rôle que celui de simple géniteur, à nier la différence et la complémentarité des sexes, ainsi que le besoin de l’enfant de savoir qu’il est né de la relation amoureuse d’un homme, son père, et d’une femme, sa mère, de les connaître et d’être élevé par eux, comme stipulé dans la charte des Nations unies relative aux droits de l’enfant. » (CR intégral du Sénat, séance du 21 janvier 2020)

Conclusion

L’usage politique de la fabrication des monstres accompagne la propagation de paniques morales telles que « la théorie du genre », le « wokisme » propre à une revanche réactionnaire (Dupuis-Déry, 2022). Les discours parlementaires contribuent à développer une atmosphère dans laquelle les personnes LGBT+ sont perçues comme des menaces pour la famille et la société voire pour la civilisation. Elles sont associées à des identités monstrueuses car elles relativisent la prépondérance de la différence des sexes, dictée par la Nature, élevée à une identité supérieure à l’égalité pour les opposant∙es (Fassin, 2005).

La figure de l’homosexuel ainsi représenté correspond à l’esprit de l’amendement Mirguet de 18 juillet 1960 qui qualifiait l’homosexualité de « fléau social » au même titre que l’alcoolisme, la tuberculose ou le proxénétisme et renvoie à un rôle de bouc émissaire : « l’homosexuel » fraude, il est riche, hédoniste et complice d’un étranger inquiétant qui envahirait le pays, il constitue une menace pour le principe masculin et patriarcal fondamental. « L’homosexuel » remplit ici une fonction attribuée aussi à d’autres groupes sociaux dans l’histoire, celle de l’internal other (George L. Mosse, 2020). L’assimilation de « l’homosexuel » à l’étranger opère comme si l’homosexualité venait de l’étranger, comme si elle n’avait pas sa place dans la nation. La fabrication d’un ennemi intérieur ainsi désigné est le produit de mobilisations conservatrices qui établissent une alliance du religieux et du nationalisme.

Les éléments descriptifs issus des discours parlementaires rappellent ceux utilisés par Michel Foucault lorsqu’il énonce les trois éléments de formation du « groupe des anormaux ». La composante monstrueuse de l’anormalité, par laquelle le monstre humain est désigné, se définit en référence à un cadre qui relève « non seulement des lois de la société, mais aussi des lois de la nature ; le champ d’apparition du monstre est un champ juridico-biologique. » (1975 : 1690) Selon le philosophe, le monstre est caractérisé principalement par le trouble qu’il produit dans la loi ; « le monstre humain combine l’impossible et l’interdit » (Ibid. :1691). Il constate finalement la persistance « des équivoques des vieux monstres séculaires » dans les dispositifs législatifs (Ibid. :1692).

Les discours politiques se fondent sur un argumentaire ancien (Pacs) et ils s’appuient sur des éléments de modernité issus des mouvements conservateurs transnationaux qui s’inscrivent dans une continuité depuis la moitié des années 1990 (Kuhar et Paternotte, 2018). Si l’étude des discours parlementaires montre une évolution de la « démocratie sexuelle » (Fassin, 2005) qui se trouve élargie par la multiplication de dispositifs législatifs de promotion de l’égalité, elle doit aussi fait face aux persistances résistantes d’un ordre de genre conservateur.

Au fil de l’étude des débats parlementaires, la fabrication de figures monstrueuses se dévoile en tant que mécanisme de genre appliqué aux couples et aux familles déviants de l’ordre de genre. Les tentations de la fabrication des monstres dans la fabrication des lois invitent à la vigilance quant à ce qu’elle permet la reconstitution du genre lorsqu’il est déconstruit par le processus législatif.

Les voies possibles et à explorer pourraient se situer du côté de la dépatriarcalisation des processus législatifs et des politiques publiques qui permettrait de passer à des arrangements de genre d’un après patriarcat (Macé, 2015) voire d’un après genre (Delphy, 2009).

 

Références bibliographiques

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Esbjörn-Hargens, S. et Zimmermann M. E. (2009). Integral Ecology: Uniting Multiple Perspectives on the Natural World. Shambhala Publications

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Gay, L. (2007). Les "droits-créances" constitutionnels. Bruylant

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Kuhar, R. et Paternotte, D. (2018). Campagnes anti-genre en Europe Des mobilisations contre l’égalité. PUL

Macé, E. (2015). L’après-patriarcat. Le Seuil

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Mehl, D. (2021). La PMA déconfinée. La révision de la loi bioéthique en 2020. L’Harmattan.

Moliner, L. (2015). La chimère de « la théorie du genre » ou comment le débat autour de la loi française du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe dévoile les mécanismes d’un système de genre EFG n° 23, 2015, p. 1-17

Molinier, P. (2006). L’énigme de la femme active Egoïsme, sexe et compassion. Payot

Mosse, G. L. (2020). Nationalism and sexuality : middle-class morality and sexual norms in Modern Europe. The University of Wisconsin Press

Van Gaver F. (2017). Christianisme contre capitalisme : l’économie selon Jésus-Christ. Le Cerf

 

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