N°7 / Musiques et politique Juillet 2005

L’Androgyne : une figure archétypale de notre civilisation renaissante

Christine Marsan

Résumé

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Argument :

La réalité est binaire et modélise notre manière de penser

Françoise Héritier, de par ses recherches1, nous a expliqué comment notre appréhension du monde est basée sur la différence des genres et la cyclicité des contraires et en quoi cela a conditionné notre mode de pensée. Ainsi, depuis l’origine du monde, lorsque l’homme observe son environnement, il est face à la dichotomie magistralement incarnée par la différence des sexes et renforcée par nombre d’autres dyades qui s’opposent telles que le jour et la nuit, le froid et le chaud, le cru et le cuit, etc. Ce qui l’amène à classifier ce qui l’entoure, éléments naturels, animaux et humains en deux grandes catégories, ce qui est différent de lui et ce qui est identique. Ceci conditionne alors sa manière de penser sous la forme du raisonnement binaire et c’est ce qui conduit alors à l’intolérance. Car le fait que tout ce qui est différent peut revêtir des dangers, apparaît comme menaçant et l’homme est alors amené à le rejeter.

La modalité du même ou du différent dichotomise, sépare et incite davantage à la lutte et à l’exclusion, à l’intolérance qu’à la capacité de concevoir l’unité des contraires.

Ainsi Françoise Héritier, en mettant en avant ce premier invariant anthropologique fondamental, démontre que cette modalité de pensée binaire est ancrée dans notre patrimoine culturel depuis des milliers d’années et que les principes d’opposition, de combat et de lutte contre l’étranger envahisseur est une habitude, originellement liée à la survie, mais qui connaît des survivances aujourd’hui particulièrement néfastes au rapport de l’altérité.

Nous sommes loin, en Occident en tous cas, de nous situer dans un contexte de survie, en tous cas pour la majorité d’entre nous, et pourtant nous manifestons toujours la même aversion pour autrui. Nous remarquons d’ailleurs que plus les époques sont difficiles économiquement et socialement et plus l’intolérance à l’égard de « l’étranger » grandit.

Ainsi, malgré l’amélioration significative des conditions de vie, éloignant les problématiques de survie, nos comportements agressifs subsistent faisant de l’autre, un étranger et un danger.

Les radicalismes successifs qui ont conduit à toutes les barbaries de l’histoire ne semblent pas suffire à nous éclairer pour agir différemment.

C’est alors l’une des multiples causes qui explique que le paradigme moderne, reposant sur le progrès technique et avec lui l’avènement du confort, de la consommation et de la destruction massive des autres hommes, soit saturé. Car il n’a pas su répondre à sa promesse initiale, à savoir, apporter le bonheur à tous et ceci en respect des principes humanistes de ses inspirateurs des Lumières.

Le changement de paradigme annoncé 

Aujourd’hui nombreux sont ceux (Baudrillard, Maffesoli, Morin. Jacquard, Serres…) qui constatent la réalité d’un changement majeur de paradigme pour nos sociétés occidentales et dont l’une des caractéristiques principales repose sur la capacité à concilier les paradoxes (Michel Cassé, Emmanuel Caron, Etienne Klein) et à embrasser une réalité toujours plus complexe et systémique. Que ce soit en physique, en sociologie ou en psychologie, toutes les sciences de la matière et les sciences humaines en apportent les preuves. Les évolutions de la science conduisent inexorablement la société à devoir modifier ses représentations, sa manière de penser, d’appréhender tant la réalité que l’altérité. En fait, l’apport d’Einstein a principalement consisté à reléguer encore davantage notre besoin viscéral d’ethnocentrisme. Ce qui a coûté réputation et vie à Galilée et Copernic lorsqu’ils ont pu « prétendre » que la terre n’était plus le centre du monde, Einstein avec sa théorie de la relativité, éloigne encore davantage la possibilité que nous puissions être importants dans l’univers. Nous sommes probablement une infime partie d’un minuscule morceau de galaxie noyé au centre d’un univers aux multiples espaces et dimensions temporelles.

Si donc sa théorie a eu un impact sur la position de la terre dans l’univers, qu’en est-il alors de celle de l’homme ? Notre finitude et notre relativité deviennent alors criantes et ont un impact direct sur la question de la place que nous occupons au centre de l’univers. Nous sommes de moins en moins le centre du monde et donc nous devons alors travailler à l’échelle de l’humanité toute entière au sens de notre existence. Il n’est alors pas étonnant que ce questionnement existentiel et fondamental ait un impact sur tous les pans de notre vie.

Ainsi, la pensée binaire ne permet plus de comprendre et de gérer la complexité de la réalité.

Et l’on peut comprendre pourquoi notre société chancelle car ses principes structurants bougent et nous sommes démunis pour concevoir son évolution. Ce qui se traduit par toutes les crises des structures fondamentales que connaît notre société principalement depuis le milieu du siècle dernier. Les remises en cause portent sur le patriarcat, le masculin et l’autorité, la remise en cause des rôles sexuels et sociaux des hommes et des femmes, l’écroulement de la structure familiale classique avec les familles monoparentales ou recomposées, les mariages de couples homosexuels, les adaptations par des homosexuels d’enfant, la crise du mariage, etc. Il en est de même aussi pour l’Eglise catholique qui n’est plus un modèle structurant pour la société. Pour autant, nous ne rentrerons pas dans notre démonstration sur les causes, nombreuses, de la faillite de l’église, nous la citons simplement à titre d’exemple.

On peut alors mieux comprendre en quoi ce changement de paradigme est l’occasion d’inquiétudes et de frictions. Celles-ci se traduisent par toutes sortes de violences ébranlant le corps social dans son entier et reflètent la transition et l’incapacité de la société à donner structures et sens pour en sortir. Car l’ancien paradigme, celui de la modernité, résiste tant qu’il peut à sa propre décadence et le nouveau n’est aujourd’hui qu’en émergence. La post-modernité2 incarne alors cet entre-deux, par une consumation effervescente et fusionnelle où la vie est en train de se renouveler sur les cendres d’une société gémissante. Il n’est qu’à voir le nombre d’ouvrages qui rendent compte de « la mort de ceci », de « la fin de cela » ou encore « d’une France qui tombe » et d’une société qui part en lambeaux. Ceci créant un climat délétère de sinistrose et de morbidité propre à l’inertie, au désespoir et à la fatigue d’être soi.

La violence comme symptôme de l’entre-deux paradigmatique

Pour l’instant notre civilisation moderne est aux prises avec des violences protéiformes parcourant tous les domaines de notre société. Celle-ci, si elle revêt une certaine complexité causale, pourrait aux plans sociologique et symbolique se comprendre comme l’illustration de ce temps chaotique de l’entre deux paradigmatique3. Lorsqu’un modèle de civilisation se meurt et que l’autre est balbutiant alors la société dans son ensemble est tiraillée, aux prises avec des normes différentes, voire paradoxales. Ce que nous voyons s’illustrer par les multiples sous-culturesqui caractérisent notre pays, par exemple.

Cependant si la diversité se constate elle ne cherche pas à se « rencontrer ». Chaque communauté, au mieux s’ignore, au pire s’affronte, dans cette lutte pour la survie identitaire de chaque groupuscule pensant détenir les clés de la vie éternelle (physique et symbolique). Chacun revendique la légitimité à porter les couleurs du prochain paradigme et en fait la société entière crie surtout son incapacité à repenser un sens qui pourrait fédérer l’ensemble. Ainsi encore récemment, Pierre-André Taguieff dans la République menacée rendait-il compte du fait que l’esprit républicain n’est plus et qu’il ne constitue plus l’unité pour les français. La république ne permet plus d’être ce matériel commun dans les représentations et dans la construction identitaire qui conduit chacun à pouvoir se sentir à la fois singulier dans sa communauté et aussi rattaché à un principe d’unité, de valeurs partagées qui le fait se sentir français plutôt qu’allemand ou italien.

Ainsi cette diversité culturelle qui illustre bien la richesse de notre société ayant accueilli différentes nationalités, cultures et pratiques sociales ne se traduit pourtant pas par un modus vivendi facilitant les compréhensions. A l’inverse la violence est partout et surgit au détour des rues comme à celui des bureaux. Cet « envahissement » de la violence pose alors question, comme un épiphénomène du malaise de la civilisation4 à ne pas pouvoir se repenser et se construire une nouvelle identité.

Vouloir éradiquer la violence, ce qui est le projet de la modernité (zéro défaut, risque zéro, etc), c’est ignorer une partie de nous-même, c’est nous leurrer sur notre humanité. C’est pourquoi, en suivant Françoise Héritier, il est important de penser la différence et de voir comment articuler les oppositions pour qu’elles ne se traduisent pas en radicalités et en violences.

Du goût pour la science à la séparation à outrance des champs disciplinaires (et par là même la fragmentation des aspects pluriels de la vie)

Par ailleurs, notre société est tombée dans l’excès de classification et de séparation, tout est devenu hermétique, les champs disciplinaires comme les personnes. Ce sentiment de fragmentation correspond à la désintégration du corps social dont les sociologues disent qu’il est constitué de nombreuses tribus5 bien distinctes les unes des autres.

Cette réalité sociale s’illustre aussi au niveau symbolique et c’est ce qui va nourrir l’imaginaire collectif d’une époque et intensifier son inclinaison vers une tendance constructive ou plutôt destructive. Ce n’est alors pas un hasard si dans cette phase instable on voit resurgir sur le devant de la scène les figures archétypales telle que celle du diable (diabolos, diaballein: désunir, séparer) illustrant l’état de l’imaginaire de la société. Ce qui se retrouve par le goût avéré pour les pratiques morbides en tous genres (gothiques, etc.) qu’arborent les jeunes.

La société dans laquelle nous vivons connaît les stigmates d’une décadence avec ses cristallisations sécuritaires et le développement chronique de psychoses sur tous les sujets. Elle se crispe en quelque sorte, sans pour autant avoir en contre-poids d’élan de vie particulièrement identifié.

C’est une phase délicate de trouble, de stagnation (la putrefactio des alchimistes), d’entre-deux, voire de mort à soi-même, que l’on se place au niveau de la société ou de l’individu. D’ailleurs cela fait plus de 20 ans que l’on parle de crise, à force cela devient un état permanent qui fait dire à certains (Ehrenberg) que notre société est dépressive par manque d’appétence de vie, par manque d’orientation, de direction, de sens.

Cette étape de mort d’une époque, ici d’un paradigme en l’occurrence, exige une désintégration plus ou moins forte de la conscience prométhéenne, moderne. Cette phase obscure de la pensée et de la réflexion (lorsque le modèle prégnant est en chute libre et lorsque le suivant n’est pas encore effectif et construit) est l’occasion de l’émergence mentale de contenus inconscients et l’activation d’archétypes pour raviver le processus vital de régénérescence social et individuel. 

L’inconscient collectif va alors produire les images qui vont nourrir l’imaginaire collectif et lui permettre, par l’intermédiaire de symboles redécouverts, de poser de nouvelles bases de civilisation.

Ainsi, selon l’orientation que prend la société soit nous sombrons dans le défaitisme chronique et nous courrons le risque d’une mort annoncée en restant enkystés dans l’archétype du diable ou alors nous nous emparons de ces sursauts éparpillés de vitalité pour redonner une forme à notre société et nous avons alors besoin d’un nouvel archétype pour en rendre compte.

La conceptualisation du changement de paradigme

Si la conception théorique de ce nouveau paradigme est bien en cours, notamment avec la célèbre dialogique d’Edgar Morin nous incitant à penser l’inclusion des contraires et non pas l’opposition binaire des dyades, il existe un réel gouffre entre l’élaboration intellectuelle et la mise en œuvre au quotidien. La réalité de nos pratiques est bien encore ancrée dans la confrontation des opposés et non dans la synergie, l’intégration ou la convergence. C’est pourquoi nous nous retrouvons si bien dans ce temps du diable (La part du diable- Maffesoli) et que le défaitisme l’emporte pour le moment sur notre capacité à concevoir une issue, d’autres modalités pratiques à la dialogique. A la décharge de ceux qui s’y emploient depuis plusieurs dizaines d’années, il semble manquer une pièce dans le puzzle afin de créer la reliance du sens au travers de la multiplicité observable. Et ce n’est alors pas un hasard si le « peuple » se dirige assez massivement vers de nouvelles croyances qui paraissent apporter la part manquante à l’édifice. L’intellectualisation de la conciliation des contraires ne semble pas suffire.

Succession des archétypes pour rendre compte de notre évolution

Ainsi les archétypes se succèdent pour rendre compte des étapes que traverse la société, celle du diable pour figurer les deux paradigmes qui s’opposent par la cohorte de pratiques consumatoires. Le grand intérêt de beaucoup de nos contemporains pour les croyances orientales, notamment bouddhistes et taoïstes, réside dans cette fascination pour l’intégration des contraires comme le yin et le yang dans le Tao, par exemple. Cette attirance transcendante exotique est le signe d’une nouvelle quête6 qui ouvre tout grand la voie à l’androgyne comme principe d’unification et de régénérescence. L’évoquer c’est rêver de cet Unus mundus médiéval, de l’Atman-Brahman védique, comme principe originel et fécond fertilisant les nouveaux possibles.

L’androgyne

Rappelons-nous que l’androgyne apparaît dans la mythologie comme l’instance originelle, l’Etre initial qui a engendré la vie sur terre et qui représente l’unité des principes opposés. Issu des eaux primordiales et du chaos, l’androgyne symbolise le principe de vie par excellence avant qu’il ne se sépare pour créer la matière, segmentant la réalité physique, la vie et l’esprit. Il est à la fois la représentation de l’Etre primordial comme celle de l’Etre réunifié vers lequel nous tendons comme pour envisager une issue paradisiaque et expiatoire à notre condition humaine souffrante et violente. C’est ainsi qu’à chaque époque particulièrement chaotique, lorsque le sens s’est perdu dans les méandres des violences guerrières, resurgit cet archétype de l’Androgyne comme une figure universelle permettant de recréer de la vie là où elle semble perdue, caduque et nauséabonde.

Ainsi à la sortie du Moyen-Age dans les effervescences préfigurant la Renaissance l’alchimie est-elle apparue comme liaison de la science balbutiante et de la pensée classique grecque et latine redécouvertes. Elle a sacralisé le mythe de l’Androgyne comme symbolisant, par excellence, la réunification, des contraires et la manière idéale de transmuter la matière brute (materia prima) en or physique et / ou symbolique. L’androgyne représentait alors la Pierre philosophale, le principe premier dont tout le reste est alors extrait, l’alpha et l’oméga en quelque sorte.

Illustration au travers de l’art

Nous pouvons puiser dans l’art, figuration à la fois contemporaine et visionnaire des temps à venir, pour trouver des traces de cette évolution paradigmatique. C’est bien à la fin du Moyen-âge que la peinture et la tapisserie représentent, pour la première fois, l’image de la mort aux côtés des notables du monde, comme dans la danse macabre (miniature du XV°siècle – Bibliothèque Nationale). Cette iconographie devient par la suite un genre et le thème de la mort s’imposa dans toute l’Europe. Ainsi intellectuels et artistes retraduisaient cet aspect morbide de leur temps laissant préfigurer l’ère suivante.

Aujourd’hui, nous observons combien la mort est à nouveau présente dans notre société, davantage dans l’art que dans le discours. Les personnes étant encore fort démunies à pouvoir parler de mort et de maladie dans notre société moderne, visant à l’aseptiser de tous les maux. Pourtant, en réaction à cette éradication d’une partie de notre réalité, la mort et le morbide se sont emparés de nos murs et de nos rues par la publicité, les pratiques juvéniles, les soirées tendances et les lieux branchés. L’imaginaire auparavant souterrain des tendanceurs underground s’affichent aujourd’hui en plein jour et a élu domicile partout.

Ainsi, les Halles, centre mythique de la nourriture, le ventre de Paris, est-il aujourd’hui, l’un des lieux privilégiés de rencontre des tribus gothiques. Dans la matrix generis, de la rue Montorgueil à la rue Berger, les étals de nourriture approvisionnent les restaurants avoisinants et côtoie l’imaginaire de la mort. Celui-ci s’illustre par ces bandes juvéniles arborant des tenues gothiques7 se mêlant aux restes des bandes punks et autres néo-porno chics mêlant allègrement les thèmes d’Eros et de Thanatos, jouant la provocation dans toutes les déclinaisons du noir.

Ce qui est alors à comprendre de cette tendance tribale urbaine ce n’est non pas que nous entrons dans une phase morbide, non nous en sortons plutôt. Car lorsqu’il y a surabondance de signes cela ne signifie pas que nous installons dans un état de la société mais plutôt que nous en illustrons la saturation. Par conséquent, il devient plus pertinent de chercher parmi les décombres de cette illustration mortifère les signes du Phénix. Cette expression de l’humus (cendres), sous sa version putride préfigure les nouveaux semis. Ces humeurs sociales cherchent à rappeler la primauté de la vie oubliée en faisant surgir le côté sombre des imaginaires et inconscients collectifs pour que de nouvelles vitalités s’expriment. Ainsi après le temps du diabolon est-il celui de l’androgyne, Dyniosos ayant alors assuré la transition androgyne et orgiaque (post-moderne) de la fin d’un temps moderne qui se désagrège dans les amoncellements morbides pour faire la place au besoin d’un nouvelle vie, d’un nouveau paradigme, qui sait d’un nouvel humanisme ?

C’est pourquoi, la figure de l’androgyne illustre, dans l’imaginaire, la possibilité d’exprimer l’intégration des contraires (coïncidentia oppositorum), de repenser la différence et la diversitécar c’est ce qui peut couper court au cycle infernal de la violence8. Bien entendu, il  est question ici de penser la gestion de la violence. Car c’est bien contre cette intention moderne d’aseptiser le monde, d’ignorer la mort et cette part barbare de nous-mêmes que la jeunesse résiste en affichant les couleurs du morbide pour bien rappeler que la mort est à la vie ce que l’homme est à la femme, cet autre essentiel pour comprendre l’unité indissociable des contraires.

Nourrir l’imaginaire collectif pour raviver l’Eros de l’inconscient collectif

Il s’agit donc de gérer cette violence, en conscience, comprenant ce qu’elle exprime et cherchant par une restauration d’un projet qui ferait sens à l’ensemble, apporter les éléments de la sublimation de la pulsion de mort qui se traduit notamment par la violence contre soi et contre autrui. Et c’est bien là qu’il s’agit d’un projet ample de société et c’est pourquoi il nous semble important de nourrir l’imaginaire social d’autres représentations, davantage tournées du côté de la vie, qui permettront de pouvoir retrouver l’impulsion entrepreneuriale9 et la créativité. Il devient « vital » de sortir de l’inertie, de l’impuissance ressenties par beaucoup de personnes qui conduisent parfois jusqu’aux violences par désespoir à devoir être face à cette complexité et à l’excellence exigée10.

Et ceci ne peut se faire, selon nous, que si notre imaginaire individuel et collectif se nourrit à nouveau à d’autres sources afin de trouver un nouvel élan qu’il pourra alors traduire dans le champ du symbolique, de l’action et de la création.

Les sources d’inspiration d’une nouvelle société

Dans le parallèle que nous avons réalisé entre la fin du Moyen-Age et notre époque, nous pouvons remarquer comment une civilisation, occidentale en l’occurrence, est allée puiser dans la pensée classique, grecque essentiellement, pour s’alimenter par de nouveaux apports lui permettant de se repenser plutôt que de s’éteindre11. Ce qui a donné alors toute la vitalité de la Renaissance et qui s’est aussi traduit par de nouvelles explorations, un art riche et l’accouchement in fine du siècle des Lumières. Ainsi même si aujourd’hui nous en contestons les effets pervers quelques siècles plus tard, par distorsion des principes premiers, il n’empêche que nous avons su faire preuve d’une extraordinaire créativité pour revivre à nous-mêmes. Notre civilisation possède en elle les ressorts du Phénix. Elle a aujourd’hui le choix de continuer en se reconstruisant où alors elle décide, finalement, de se diluer dans les valeurs et les principes d’autres civilisations en effervescence, faisant l’écho de leur vitalité juvénile ?

Qu’en est-il  aujourd’hui de notre civilisation contemporaine ?

Il semble que notre civilisation ait cherché à trouver dans l’histoire de l’humanité un autre terreau propre à lui redonner une nouvelle vie.

Ne pouvant plus se ressourcer auprès des civilisations dites classiques, il semble que ce soit alors parmi les sociétés primitives que nous trouvons une nouvelle inspiration. Afin de rendre compréhensible notre propos, nous utiliserons la production cinématographique pour en rendre compte.

L’illustration cinématographique

Ainsi la modernité s’illustrait dans des séries telles que Star Trek ou Cosmos 1999 faisant l’apogée de la technologie et l’exploration de l’espace. La post-modernité s’est annoncée timidement avec Star Wars commençant à amalgamer les genres, puis avec Mad Max montrant ce maillage de techniques avec une société post-apocalyptique12. Puis les séries se succèdent mêlant médiéval et modernité telles que le Seigneur des Anneaux, trouvant auprès du public un fantastique succès car il remet le Moyen-Age au devant de la scène et fait alors rêver….Puis c’est la phase de Matrix illustrant l’actualisation des progrès technologiques conciliant les contraires de temps et d’espaces, temps accélérés et suspendus tout à la fois13. Ceci tout en abordant des réflexions existentielles. Pour enfin nous amener à Harry Potter apportant alors sur le devant de la scène tout ce qui était il n’y a pas si longtemps était « interdit ». Son succès tient au fait de pouvoir recouvrir le droit de parler de ce qui était tabou à savoir l’ésotérisme, la magie, le surnaturel, éradiqués par la pensée cartésienne et condamnés par l’Eglise d’abord et la Sorbonne ensuite, comme autant d’archaïsmes intellectuels et indignes de notre société moderne14.

Si l’engouement est tel c’est que cela répond à un besoin de société, à une tendance de fond et qu’il devient alors pusillanime de combattre. Il est plus utile de comprendre à quoi répondent ces nouvelles passions de manière à pouvoir « canaliser » l’élan pulsionnel de la société vers un sens pensé et construit, ensemble. D’ailleurs la télévision ne s’y est pas trompée nous proposant durant l’été deux séries, le zodiaque sur TF1 et ensuite le miroir de l’eau sur France 2, chacune puisant dans les mystères surnaturels ou ésotériques. La nature des intrigues change. Dans les années 60/70, il s’agissait des bandits contre la police, puis de la mafia contre la police 70 /80, puis ce fut la grande époque des thrillers et des films sanguinolents des années 80 et 90 et puis sont arrivés les films et les séries apportant du mystérieux, du surnaturel et du magique avec la série X files, basé sur les extraterrestres, Charmed mettant en scène des sorcières ou Buffy luttant contre les vampires. D’ailleurs nous savons que le thème de Dracula est un succès garanti quelque soit les époques. Pourquoi ? Parce que cela nourrit le côté sombre de notre imagination. Et ce qui jadis était caché surgit aujourd’hui au grand jour. Ainsi les intrigues actuelles mêlent surnaturel, ésotérisme et enquête policière.

Les emprunts aux sociétés primitives

Car si la société aime ses emprunts faits au médiéval comme aux traditions primitives telles que l’animisme, le chamanisme, etc. C’est qu’elle a besoin de se reconstruire, à partir de nouveaux ingrédients afin de retrouver son identité psychique et pouvoir alors produire à nouveau une civilisation vivante et dynamique quelqu’en soient ses expressions.

Ainsi aujourd’hui c’est auprès des civilisations dites archaïques que notre civilisation cherche à puiser son limon et retrouver la source matricielle d’une nouvelle vie.

Par ailleurs, nous observons que la société a du mal avec la théorie, les concepts, l’abstraction en un mot avec la rationalité comme si elle exprimait par là-même son ras-le-bol face à la modernité. Car celle-ci a conduit, avec ses progrès technologiques, aux barbaries et aux violences en tous genres.

Les sociétés primitives privilégient le ressenti, la communion avec la nature par la voie de la perception. C’est alors le retour à la terre, à la Déesse Mère, à la pensée du ventre comme dirait Michel Maffesoli, qui conduit à une sorte d’incapacité de penser, comme en réaction au trop plein de rationalité. L’attirance pour ces sociétés repose aussi sur le besoin de retrouver une manière de vivre ensemble. L’individualisme forcené qu’a apporté la modernité conduit les individus à l’isolement, démunis et asséchés par le manque de lien. Ils cherchent alors, éperdument, d’autres modalités de vivre la communauté humaine. Les sociétés primitives semblent alors avoir des modèles intéressants pour répondre à ce besoin social fondamental.

L’exigence de vigilance et de discernement

La suite de la Révolution française a été marquée par un rejet massif et quasiment unanime de la religion au point de laisser notre pays dans l’assèchement spirituel. Aujourd’hui l’excès de rationalité conduisant à des abus, privilégiant la productivité et la performance a pour conséquence de pressuriser les individus, alors notre société à sa manière dit stop ! Elle   oppose, par exemple, au temps cartésien de l’action moderne (kronos) le temps circulaire (illustré par l’Ouroboros, serpent qui se mord la queue), quelque peu suspendu des sociétés archaïques.

Notre civilisation va donc pouvoir se réinventer en conciliant cette ultra modernité technologique avec les ressources qu’apportent les civilisations premières, primitives et archaïques.

Cependant c’est avec discernement que nous pourrons combiner ce que nous sommes et ce que les autres parties de l’humanité peuvent nous apporter. Ce sera alors une nouvelle étape pour notre civilisation.

Car aujourd’hui le risque réside, d’un côté, dans la possibilité de sombrer dans la situation du paradigme moderne, tout aux prises avec une consommation effrénée qui va nous perdre et asphyxier notre terre. De l’autre, le manque de lucidité sur notre évolution nous conduirait à embrasser les merveilleux aborigènes ou indiens guaranis oubliant la réalité de notre patrimoine culturel. Là aussi nous commettrions une erreur fatale et dans les deux cas nous serions à la merci de civilisation émergente et conquérante qui par des voies culturelles et démographiques pourraient bien faire basculer prochainement l’équilibre entre nos différentes civilisations. Et c’est ainsi que nous pourrions être absorbés et disparaître sans avoir trouver la voie qui nous permettrait de réagir plus justement. Nous sommes condamnés, d’une certaine manière, à trouver la voie du milieu.

C’est pourquoi, pour survivre et continuer, notre civilisation cherche alors une nouvelle alternative.

On pourrait alors se satisfaire de l’archétype du Phénix qui ravive la société l’incitant à renaître de ses cendres. Cependant il n’est pas suffisant pour mobiliser notre imaginaire et permettre à notre société entière de tourner son énergie vers la vie d’abord, et ensuite, vers de nouveaux élans de création. Si nous choisissions l’androgyne c’est pour aller plus loin, dépasser les oppositions et envisager une ère où nous pourrions penser autrement nos différences pour une nouvelle société.

De l’opposition à une tentative de dépassement : le détour par le tiers

Celle-ci est actuellement en émergence, tantôt retombant dans les radicalités et les oppositions pour s’affirmer, tantôt parvenant à engager la dialogique de la conciliation. Ainsi dans les champs économique et social, la mondialisation et l’anti-mondialisation illustrent bien l’opposition féroce de deux tendances profondes de la civilisation. Et le récent terme d’alter-mondialiste illustre un soubresaut de dialogue et la volonté de restituer à cet Autre, différent, son altérité afin que le dialogue soit à nouveau possible et que l’opposition ne se termine pas en violence.

Il y a de réelles tentatives pour dépasser la pensée binaire et faire que l’intégration des contraires puisse modéliser le monde. Cependant, ces essais sont encore timides. Et c’est pourquoi, il me semble important d’agir en conscience sur la « nourriture » que nous donnons à notre inconscient collectif afin que nos représentations changent et que nous trouvions de nouvelles ressources symboliques pour élaborer un mythe de société davantage fondé sur le respect et l’intégration des différences.

D’ailleurs la diminution très significative de l’accès au symbolique de très nombreux jeunes augmente la réalité de passages à l’acte. Cette tendance est dangereuse. Ce qui nous caractérise c’est justement le langage et le symbole, c’est cela qui détermine la culture.

La recomposition du masculin et du féminin

Nous pouvons alors nous saisir de la problématique homme / femme comme la chance anthropologique d’un changement essentiel dans notre mode de pensée binaire. Ainsi les évolutions de la femme, de son statut, de son rôle, de ses prérogatives et de ses droits au siècle dernier a remis très fondamentalement en cause l’homme et sa représentation de la masculinité. Après avoir beaucoup disserté sur la faillite d’être père ou homme, sur le délabrement de l’autorité, etc, la réalité aujourd’hui c’est que chaque homme ou femme est amené à se recomposer à partir des principes masculins et féminins selon une recette qui lui est quasiment particulière. Si la pluralité des modèles et des structures familiales a tout d’abord créé beaucoup de désordre, il apparaît que nous entrons dans le temps de la reconstruction identitaire à partir d’une pluralité de modèles. A titre d’illustration, nous reprenons à notre compte les propos recueillis par Valérie Colin-Simard dans son récent livre Nos hommes à nu  dans lequel les hommes témoignent de leur rapport aux femmes et à la féminité. Ce qui ressort majoritairement de leur témoignage est bien que notre époque est celle de l’intégration de sa féminité pour l’homme et de sa masculinité pour la femme et ceci dans l’acceptation mutuelle de la différence. Chacun est pleinement habité de diverses nuances qui ont toutes le droit de s’exprimer sans pour autant porter atteinte à l’autre.

Pour autant, cette proposition de construction à la carte, en quelque sorte, pose, pour un certain nombre d’individus, de réels problèmes. L’exigence interne est forte15. Il est, en effet, relativement plus facile de « choisir » les modalités de son identification sexuelle si la personne est psychologiquement forte et structurée (d’autant que les constructions psychologique et identitaire se font en parallèle et de manière combinée). Ceux qui se sentent faibles, risquent d’aller se radicaliser et rejoindre les propositions de civilisation qui sont suffisamment rigides pour répondre à leur fort besoin de structuration interne.

C’est pourquoi nous retrouvons dans la mode la variété de ces tendances comme pour illustrer la variété des évolutions de notre société. Une première tentative d’unification avec Calvin Klein qui a exagérément posé la marque de l’androgynie. Beaucoup s’y sont perdu et de ce fait la proposition reste marginale. Pour autant, au vu de notre discours sur l’archétype de l’androgyne, ce phénomène est très intéressant, comme l’expression de l’embryon d’une tendance de société.

Puis récemment, c’est le retour des modes sexuelles très différenciées, posant à l’extrême le rôle de la femme dans celui d’objet sexuel. Ceci répondant alors à une frange de la population qui a besoin de segmenter les rôles sexuels et d’objectiver la femme car l’Autre fait encore peur. Pourtant malgré cette alternance des cycles naturels de la mode, les sociologues, observateurs de la mode16, notent une récurrence du baroque qui lui aussi est une marque de l’époque de le Renaissance et donc de cette dynamique inconsciente de régénérescence d’un modèle de société.

Ainsi, nous voyons comme cette option de conciliation des opposés est encore fragile.

Nous pourrions dire, pour rester dans notre cadre archétypal, que la figure du diable se bat contre celle de l’androgyne émergente. Comme si nous n’étions encore pas tout à fait prêts. L’ancien paradigme n’a pas dit son dernier mot et le nouveau prend du temps à trouver ses marques pour s’affirmer. Peut-être que certains ont craint, dans l’apparition de l’androgyne dans la réalité sociétale, la dilution des différences, ne retrouvant plus le masculin, ni le féminin. Alors par réaction, par désespoir pour certains hommes, en quête d’identité, la société a cru bon de se laisser portée par une minorité qui pour d’autres raisons, a besoin de radicaliser la différence, et nous sommes alors retombés dans le piège de la ségrégation.

Conclusion : L’androgyne : de l’Un au tiers

Ainsi choisir la figure archétypale de l’androgyne pour illustrer l’étape de l’évolution de notre civilisation, c’est mettre délibérément l’accent sur la réconciliation des parties opposées de l’individu.  L’anima et l’animus ont aujourd’hui à se repenser en chacun de nous que nous soyons un homme ou une femme. Cette nouvelle possibilité de construction identitaire, dépassant la réalité physiologique des sexes préfigure de la capacité à s’ouvrir à la tolérance, à intégrer les différences comme facteur de richesse et non plus comme une menace. Ce qui est alors possible à l’échelle de la psyché de l’individu pourrait être une tierce voie pour envisager de penser les différences à la taille des groupes ethniques représentés dans tous les pays du monde, ceci afin que de la diversité devienne une richesse et non plus une source d’opposition et de guerre. Si nous parvenons à réaliser cette mutation au niveau psychologique, nous pourrons alors l’envisager plus largement sur un plan anthropologique.

Ce nouveau paradigme de société pourra alors apparaître en quelque sorte comme une néo-renaissance rétablissant les prérogatives de l’Homme, en le plaçant au cœur d’une société qui saurait gérer les différences autrement que par la peur et la lutte mais davantage comme facteur d’enrichissement croisé. Il s’agit de modifier nos représentations de l’altérité comme de la différence et d’encourager la capacité à penser le tiers inclus, cette dimension dialogique dépassant les paradoxes. Chaque chose n’est pas ceci ou cela mais plutôt ceci et aussi cela.

Ainsi reparler de l’androgyne au sein d’une civilisation dont la société est en crise, prise entre deux paradigmes, c’est identifier un processus de Renaissance à l’œuvre. C’est reconnaître qu’au milieu des cendres, refleurissent les germes de quelque chose de nouveau qui a besoin de repasser par les eaux primordiales pour reprendre de la vigueur et apporter le limon d’une nouvelle impulsion et d’un autre élan de société. L’androgyne marque alors ce moment d’unité encore non indifférenciée dont vont pouvoir jaillir alors tous les possibles. Cependant, lorsque l’on parle dans les tous premiers frémissements de cette phase émergente du nouveau paradigme, cela dérange car cela ne correspond pas à la tendance généralement observable.

Enfin pour y parvenir, il semble que nous sommes en quête de sagesse pour recréer notre monde, autrement. Quête annoncée par André Malraux lorsqu’il disait le XX°eme siècle sera religieux ou ne sera pas. Ce sera visiblement le XXI° siècle qui doit absolument se repenser s’il ne veut pas sombrer dans le chaos.

Il semble que ce soit dans la recherche plus étendue de spiritualité que les occidentaux puisent le sens de leur existence. Le politique s’étant effondré sur les cendres des barbaries issues des plus grandes idéologies, il ne paraît plus répondre à la grande majorité car il ne permet plus de rêver et de porter la vision d’une société à venir. L’économique touche au paroxysme de son apogée en rendant chaque habitant de la planète un objet de consommation, éphémère, dépendant et jetable. Bien entendu ce modèle ne permet pas l’épanouissement de l’être, le culte de l’avoir ne suffit pas à nourrir un projet de civilisation.

La part spirituelle contenue dans les philosophies et religions orientales semble apporter le morceau manquant à la dyade intellectuel / imaginaire incarnant alors le tiers (et), illustrant la conciliation de l’esprit, de l’intelligence et de l’âme. Le spirituel apporterait alors, à son tour, cette dimension d’intégration des différents principes humains. Il jouerait le rôle de l’androgyne réunifiant et conciliant la concindia oppositorum. C’était d’ailleurs le propos premier de l’alchimie. Sa finalité résidait dans la transmutation des métaux vulgaires en or que ce soit au sens physique et surtout symbolique. C’est-à-dire qu’il s’agissait de parvenir à trouver en soi l’or de la sérénité intérieure. Et n’est-ce pas ce que beaucoup de gens essaient de faire aujourd’hui, retrouver un sens général à leur vie par la restauration du sens particulier de leur intériorité ?

1  HERITIER, F. Hommes et femmes I et II. Odile Jacob

2  Voir à ce sujet les ouvrages de Michel Maffesoli qui est le fer de lance de cette tendance d’observation et d’explication sociologique. Notamment MAFFESOLI M. L’ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l’orgie. Le livre de poche. Biblio. Essais. Librairie des Méridiens. Paris. 1985. OU La violence totalitaire. Desclée de Brouwer. Paris. 1979. Et encore La part du diable. Flammarion. Paris. 2002

3  C. Marsan.  Les représentations sociales du diable à travers des éléments de la vie quotidienne. Colloque de sociologie. Ceaq. Juin 2002.

4  En référence à Freud, S. Malaise dans la civilisation FREUD, S. PUF. Paris. 1971. et aussi à HUNTINGTON S. Le choc des civilisations. Editions Odile Jacob. Paris 1997

5  Ce terme de « tribu » introduit par Michel Maffesoli rend compte de la diversité sociétale des différentes sous-cultures créant des groupes distincts et hermétiques.

6  Ce n’est d’ailleurs pas un hasard de parler de quête faisant évidemment penser à la quête du Graal, occupation majeure des hommes et de quelques femmes (les bonnes femmes) du Moyen-Age qu’ils soient cathares, templiers ou alchimistes. Nous allons revenir à ce parallèle avec le Moyen-Age.

7  Rappelons pour la petite histoire que le gothique flamboyant était le style architectural de cette même fin du Moyen-Age alternant l’excès de surabondance de détails sur ses façades avec le début du style morbide dans l’art.

8  Nous entendons le mot violence dans le sens d’une négation de l’altérité et donc rendant très difficile la compatibilité des différences à la fois en soi (CF Ehrenberg La fatigue d’être soi dans l’exigence des multiples recompositions du moi) et aussi à l’extérieur à supporter la variété des autres et notamment, dans certains cas le fait qu’ils incarnent exactement le contraire de ses propres valeurs.

9  Au sens premier d’entreprendre et donc pas uniquement dans l’acception économique.

10  En référence à l’ouvrage d’Ehrenberg sur la fatigue d’être soi. Odile Jacob. Expliquant comment l’exigence de la société moderne à augmenter toujours sa performance, conduit certains au désespoir et à ne plus avoir l’élan vital permettant de retrouver le ressort de la créativité de sa propre vie.

11  Peut-être que l’inconscient collectif avait été traumatisé par ces grandes civilisations qui avaient disparu (Egypte, Grèce, Rome et toutes les autres civilisations méditerranéennes) et qu’il existait alors une nécessité incontournable à devoir éviter à tous prix la mort ? La question reste ouverte.

12  En effet, il a fallu du temps à notre société pour digérer les souffrances de la deuxième guerre mondiale. Star Treck répondant alors plutôt à la dynamique de la reconstruction et des trente glorieuses. Les effets de la déstructuration qu’a apporté la barbarie, notamment du nazisme, nous ont explosé à la figure plus tard. C’est pourquoi ce n’est que tardivement que l’art et la filmographie en apportent le témoignage. Un peu comme si en tant que société nous avions suivi les phases du processus de deuil.

Immédiatement après la guerre, tout le monde à remonté ses manches afin de rebâtir un pays dévasté et cela a correspondu au déni de l’horreur car il fallait agir tout de suite et non pas baisser les bras. Alors lorsque la frénésie de reconstruction s’est terminée, à l’instar de la femme qui accouche et qui connaît le baby blues, notre société a alors pris en pleine face les effets symboliques de la barbarie qu’elle avait produite. Les trente glorieuses ont alors fait place à la crise, qui s’est depuis installée comme une fatalité. Car si la plupart des européens étaient tout occupés à rebâtir nos pays, les intellectuels, en parallèle, découvrirent avec effroi la faillite de leurs idéaux et la dangerosité de l’idéologie. Ils produirent alors de manière quasiment cathartique une foison d’ouvrages pour rendre compte de le barbarie, de leur désillusions et de leur vide, nommons Sartre, Cioran, Foucault, etc. Le structuralisme et l’existentialisme venant comme point d’orgue achever le sujet sur l’autel d’une rationalité qui vivait ses dernières heures de cartésianisme assassin. Et donc lorsque la reconstruction fut terminée, le spleen des intellectuels a pris le dessus et nous assistons depuis au « thinking blues ». Ce fut le temps nécessaire aussi pour que les effets des pensées agissent sur la société entière. L’intellectuel de gauche n’a plus de matière sur laquelle raccrocher sa pensée pour la rendre optimiste, idéale, utopiste et peut-être féconde. Donc elle fait état douloureusement de la fin de tout, du désespoir et elle se consume dans le néant comme les jeunes s’éclatent à s’oublier dans la transe, attendant un sursaut de sens qui tarde à venir, malgré les cocktails d’exctasy et autre substance censées restaurer la vie dans l’oubli de soi-même.

L’inertie et l’impuissance ont touché tous les domaines et même les milieux autorisés s’épuisent à trouver une pensée. Alors à l’image de la société de consommation, nous observons une surenchère de néologismes de mots vides et de guillemets pour rendre compte de tout ce qui est observable. Comme il n’y a plus rien à penser noyons la pauvreté du discours dans la variété des néologismes pour redéfinir sans cesse sans jamais plus concevoir. Bien entendu, trouver les mots justes est bien un impératif de la pensée, mais des mots adaptés pour une pensée qui a quelque chose à proposer serait peut-être plus utile que des mots qui sonnent tendance et qui vont suivre les effets de mode. Ils tomberont très vite en désuétude pour rendre compte de l’obsolescence de la pensée.

Ainsi l’archétype de l’androgyne se voudrait cette nourriture imaginaire qui redonnerait un élan symbolique et créatif permettant de concilier les nouvelles oppositions, à savoir réalité économique moderne et attirance pour les sociétés tribales. Car la modernité crée de magnifiques schizophrénies cognitives s’illustrant notamment par l’exigence pour l’entreprise de donner ses résultats au trimestre, réduisant alors considérablement nos capacités d’anticipation. La modernité exige, d’un côté, des capacités de créativité et d’innovation et, de l’autre, asphyxie la possibilité d’anticipation. Alors ? Une multitude de facteurs rend bien compte de la difficulté à penser actuellement. La peur des nouvelles idéologies par crainte de nouvelles barbaries, le temps de la prise de recul qui manque pour avoir une dynamique réflexive sur les choses (d’où le recours au spirituel où là la méditation restaure ce temps pour soi, cette réhabilitation de l’intériorité) et peut-être aussi que le potentat de l’économique asphyxie l’autonomie de la pensée. Tout comme le sport depuis qu’il est devenu professionnel a perdu son âme dans la quête de toujours plus d’argent, il en est de même pour le politique qui a perdu le sens du bien public au détriment de la carrière personnelle et aujourd’hui les professionnels de la pensée se trouvent, à leur tour, confinés dans l’exigence de productivité et n’ont plus le droit de la libre expression. La qualité de la pensée s’en ressent alors automatiquement.

13  Nous noterons alors le besoin de mêler les temps linéaires de la modernité et circulaire, c’est-à-dire suspendu, des sociétés primitives. D’où le succès, qui ne repose pas uniquement sur l’effet visuel et la nouveauté mais bien aussi sur cette compréhension implicite du besoin des spectateurs de voir les contraires s’harmoniser et se réunir.

14  Voir le livre de  Georges Charpak et Henri Broch Devenir savants devenirs sorciers. Odile Jacob

15  Constat qui rejoint la fatigue d’être soi. D’Ehrenberg.

16  Equipe Gemode. CEAQ. Laboratoire d’observation sociologique du contemporain. Paris V, La Sorbonne.

Bibliographie succincte :

Eliade, Mircéa. Méphistophélès et l’androgyne. Paris. Gallimard. 1962. Folio. Essais.

Collectif. L’Androgyne. Cahiers de l’Hermétisme. Dervy. Albin Michel. Paris. 1986.

Delcourt, Marie. Hermaphrodite. Paris. PUF. 1958.

Eliade, Mircéa. Mythes, rêves et mystères. Paris. Gallimard.. Folio. Essais.

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Alvaro Díaz Gomez

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