N°9 / La citoyenneté Juin 2006

La violence des « jeunes des banlieues » est-elle un symptôme ?

Christine Marsan

Résumé

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Nombreux sont ceux qui reconnaissent la pluralité des causes conduisant à manifester la violence et en particulier à brûler des voitures : difficile intégration, création de ghettos, expression d’un malaise social, instrumentalisation politique, réactions aux discours provocateurs des politiques, renforcement du phénomène par les médias, occasion de médiatisation et fantasme de devenir célèbre ou à tout le moins visible.

Tout ceci est vrai et plus profondément ce que l’on peut dire de ces violences c’est qu’elles sont l’épiphénomène de l’évolution de notre société. Changement qui pour le moment est peu piloté car peu compris, ce qui créée un malaise patent et les violences en sont les manifestations.

Une société plurielle

Un des problèmes majeurs est que nous ne savons pas gérer notre société française qui est plurielle. Nous ne parvenons pas à créer un modèle cohérent et structurant.

Le summum a été atteint par les réactions des parlementaires face au prochain buste de Marianne. Les uns voulaient une star, d’autres qu’elle soit noire et d’autres qu’il y en ait de toutes les couleurs !

Notre société française est diverse et multiple. C’est une richesse et une chance et aussi le résultat de notre histoire et des différentes décisions politiques prises dans le passé.

Nous ne savons plus que faire de notre pluralité, de notre diversité. Parfois nous cherchons à intégrer et nous dépensons des fortunes en projets sociaux sans que pour autant la société dans son ensemble sache, d’une part, où elle va et, d’autre part, se soit donnée une direction claire et, par dessus tout, une identité visible.

Des réactions « sparadraps »

Le gouvernement et de fait, nous aussi en tant que citoyens qui laissons faire, nous apportons des réponses « sparadraps ».

Nous réagissons par à-coup et sans jamais décider d’aller à la racine des problèmes pour en comprendre les causes profondes. Ou alors, connaissant les difficultés, nous ne voulons pas prendre des décisions probablement plus radicales et inévitablement moins démagogiques.

Nous mourrons notamment à petit feu du besoin individualiste et égoïste de nos politiques qui nous gouvernent. Pour une majorité, c’est devenu un métier et leurs motivations sont principalement électoralistes. Il semble que ce ne soit plus le temps de l’engagement  pour la cause commune et le bien public, ce qui était la base de la politique dans sa conception initiale.

L’engagement pour la Cité n’est plus. Le courage s’est fort atténué et l’objectif étant l’élection ou la réélection, les problèmes de fond ne sont pas traités à la racine. Alors la plupart des mesures prises sont des sparadraps sur une jambe de bois. Leur efficacité est assez relative puisque le fond du problème n’a pas été abordé. Ces derniers temps, les violences de banlieues ont créé l’imminence du besoin de réponses et nombre de décisions ont alors été prises un peu sous le coup de l’urgence et certaines à l’emporte pièce sans apprécier la situation dans son ensemble.

La responsabilité des sociologues

Aujourd’hui nombreux sont les sociologues qui contribuent à la fragmentation de la société. Rendre compte de l’état de la société est bien entendu le rôle de l’intellectuel. Il est alors incontestable que notre société française est fractionnée en différents groupes. Pour autant l’utilisation qui est faite des études et recherches sociologiques par les cabinets de marketing qui vont ensuite façonner la consommation de demain pose alors la question de la responsabilité. Car tout le monde ne peut pas se laver les mains des conséquences des phénomènes, il faut bien que de temps à autre, il y ait le courage de constater les dérives induites par différents acteurs sociaux et économiques.

La sociologie peut expliquer le besoin de recréer du lien au travers de l’appartenance multiple des individus à différents groupes, voire tribus. Soit ! Toutefois, lorsque ces observations sont exploitées pour définir de nouveaux segments de marché et encourager davantage la consommation qui augmente notre dépendance aux produits et nuit considérablement à notre environnement, cela ne va plus. 

Nous voyons alors le lien direct entre observation théorique, conséquence économique et enrichissement de quelque uns au détriment du bien-être de la majorité.

Cependant le résultat sur la société c’est une fragmentation accrue et une plus grande difficulté à se « rencontrer » entre tribus.

Le fait qu’il n’y ait plus guère d’identité française visible encourage le renforcement de celles des groupuscules qui s’opposent au vide laissé par le manque de référence nationale.

Cette confusion identitaire conduit alors à radicaliser les relations entre les groupes et en tant que tel peut être un phénomène de violence.

Il ne s’agit pas de revenir à des principes tels que travail, famille, patrie puisque ceux-ci ne recouvrent plus notre société française actuelle. En revanche, il semble évident qu’il devient essentiel de se poser la question du modèle global.

Pourquoi ?

Sans références claires, même si elles sont l’aboutissement de la diversité nationale, le risque est que les citoyens se sentent perdus et ne trouvent plus leurs repères. Face au vide et à son aspect angoissant et déstructurant, la violence apparaît alors comme un symptôme pour crier le besoin d’une identité et les modalités de vivre ensemble et collectivement.

Il est essentiel que nous produisions du sens et de la cohérence et que ce soit notre gouvernement qui porte ce sens, car sinon qui le fera ? Le danger pourrait alors être que les individus se rabattent sur des modèles de société plus binaires aux rôles plus visibles et plus faciles à acquérir.

Les crispations du social

Ainsi, il est notable de voir qu’il y a vingt ans environ, une génération s’est développée dans l’insouciance. La mixité faisait son apparition dans les écoles, la sexualité était simple car le sida n’était pas encore devenu ce grand problème de santé mondial. Et puis la société a continué à changer, les fruits des trente glorieuses étaient terminés, les premiers chocs pétroliers sont apparus (1973) et l’illusion du paradis économique a cessé. Les années 80 ont été l’idéal du l’entrepreneurial tapageur dont Bernard Tapie fut la figure de proue comme ensuite le bouc-émissaire idéal du rêve non abouti. Les crises économiques marquaient l’ère des difficultés et des vaches maigres et les différences sociales ont commencé à davantage poser problème.

Problèmes = inquiétudes et peurs.

Ce qui se traduit par des crispations du corps social qui cherche alors à l’extérieur de sa sphère ceux qui pourraient être responsables de ce malaise.

La cible idéale fut alors les étrangers. Et le racisme toujours présent est venu se manifester à nouveau avec sa cohorte de radicalismes, de réductionnismes et d’amalgames. Indifféremment les vieux diables sont revenus à la surface. L’antisémitisme d’abord, comme bouc-émissaire attitré. Toutefois, cela ne suffisait pas et ce fut au tour des arabes de devenir la cible de notre société française grugée sur le bonheur annoncé et cherchant alors sur qui reporter sa vindicte.

C’est la faute aux immigrés !

Ouf ! On est tranquilles ! On évite l’examen de conscience.

Pourtant qui est allé coloniser une bonne partie de la terre et en particulier l’Afrique ? Qui est allé chercher pour les guerres les artilleurs sénégalais et placer les immigrés en première ligne pour faire de la chair à canon ?

Qui a eu besoin des pays du « tiers » monde pour jouer le grand jeu géopolitique de l’expansionnisme économique ? Nous recueillons les fruits du colonialisme.

Alors une fois que nous avons attiré nombre d’étrangers chez nous, leur expliquant, par le menu, que notre civilisation est la meilleure, voici que nous ne parvenons plus à les intégrer correctement. Il devient alors plus simple de les rassembler en ghettos et ensuite de les expulser.

D’un côté nous (société occidentale prise dans son ensemble) vendons au monde entier le rêve libéral et le bonheur de vivre la consommation et de l’autre nous refluons à nos frontières tout ceux qui, réellement malheureux dans leur pays ou croyant à l’El Dorado des sociétés occidentales, arrivent en masse sur nos côtes.

Nous ne sommes pas cohérents, nous le payons.

Les vieux adages ont toujours une part de vérité intéressante : « nous voulons le beurre, l’argent du beurre et la crémière ». Et bien la réalité ne fonctionne pas comme cela.

Quelle que soit notre décision il reste essentiel d’envisager les conséquences et de faire le choix qui répond au maximum de contraintes anticipées.

Problèmes d’anticipation

Ce qui conduit à évoquer ce problème majeur de perte de sens. Un gouvernement est comme une entreprise. Il est essentiel pour le groupe social qui le constitue de savoir où il va, vers quelle direction. Il semble qu’il manque d’un côté une compréhension globale de l’état de la société, ou plutôt la volonté de voir la nature profonde des problèmes et d’y apporter en temps et en heure les solutions nécessaires.

Et plus encore de définir une vision qui porte, un projet de société qui ait du sens et qui reflète les tendances majeures d’évolution de notre société.

Sans la volonté d’examiner notre diversité et de la comprendre et ensuite de définir ce que serait aujourd'hui notre identité française, il est alors bien compliqué de pouvoir dire vers où va le navire. D’autant que nous ne sommes plus aussi autonomes qu’auparavant. La mondialisation implique des interactions sur un nombre très important de thèmes qui nous conduit à nous poser la question de qui nous sommes. Que voulons-nous être et devenir comme nation française, en respectant notre richesse culturelle tout en tenant compte de notre inscription dans l’ensemble économique mondial ?

Face au manque de sens, sans valeurs clairement identifiables qui permettent de croire, d’adhérer, de s’engager et donc d’agir, la cacophonique référentielle prime. Et la violence vient alors crier le manque, l’incohérence les paradoxes et les contradictions. Si nous comprenons le sens de ces manifestations extrêmes qui sont l’épiphénomène de toute la société alors peut-être pourrons nous trouver de solutions plus pertinentes et ralliant davantage de citoyens.

Crise de la stratégie et manque de temps

Cette crise de la pensée stratégique largement identifiée par nombre d’intellectuels de par le monde, laisse penser que quelque chose de profond se produit.

En effet, des directions d’entreprises et de groupes économiques aux gouvernements, les prises de décision sont de plus en plus erratiques répondent à la pression du peuple, des actionnaires, de l’environnement et laisse le goût amer qu’il n’y a plus de pilotage.

Lorsque l’on cherche à comprendre ce qui se passe, on constate notamment que le rapport au temps a changé. Et qui dit anticipation et stratégie implique le temps de la réflexion.

Tout va de plus en plus vite, les rapports annuels sont passés à trimestriels et parfois mensuels. La mondialisation a accru la complexité, les technologies ont accéléré les déplacements et les notions fondamentales de temps et d’espace sont chamboulées pour la première fois de l’histoire de l’humanité.

Stratèges, futurologues et dirigeants sont tous à la même enseigne. Nous sommes pris dans la tourmente du changement de paradigme et de la révolution des repères et cela devient alors très difficile de piloter et de voir quoi que ce soit à long terme.

Cependant, si l’ensemble se sent « coincé », il s’agit de ne pas baisser les bras par impuissance. Il paraît essentiel de reprendre la vigueur de la vitalité dont fait preuve tout organisme vivant qu’il soit unique ou collectif pour s’adapter et identifier dans la société les lieux de renaissance, les nouvelles formes que prend la vie afin de les modéliser pour les rendre visibles au plus brand nombre.

C’est cela qui rassurera et non pas des mesures sécuritaires abusives et déplacées créant leur bases sur un climat de peur et de psychose volontairement entretenu.

Par manque de capacité à concevoir le futur, il est alors préférable de laisser tout le monde patauger dans la peur, cela facilite le manque de pilotage.

La violence vient alors rappeler qu’il n’est pas possible de continuer à faire l’autruche.

La masse critique des acteurs porteurs du changement est atteinte, le basculement est proche et tous les moyens de défense mis en œuvre pour masquer la réalité, toutes les conservatismes montrant leur incapacité à passer à autre chose n’y changeront rien.

Le mouvement est en marche.

6e république

Ce manque cruel de sens, cette incapacité à concevoir une réelle stratégie porteuse d’un projet de société qui réunisse les citoyens et surtout le déplacement de la mission politique en intérêts personnels et électoralistes laisse penser qu’il faudrait faire un grand ménage pour y voir plus clair.

Il serait ainsi temps de revisiter notre constitution pour que ces fondements correspondent davantage à la société plurielle que nous sommes devenus.

Etendre la responsabilité des élus… comme un contrat de travail avec évaluation, licenciement, etc.

Les récentes difficultés de l’Allemagne, d’une part à élire son chancelier, mais plus encore à constituer son gouvernement sont un  véritablement signe des temps qui changent.

La cacophonie allemande a duré de nombreuses semaines et l’Allemagne a failli être bicéphale. Ce qui aurait été cohérent avec certaines pratiques managériales ou il est assez fréquent de voir deux têtes à des postes d’encadrement.

Mais surtout ce phénomène a pu révéler plusieurs choses.

Tout d’abord le fait que les tergiversations durent si longtemps a bien montré en quoi cette situation posait problème à la société. Certains voulaient qu’ils y aient choix entre les candidats mais la pression du peuple souhaitaient de la co-construction. Cela a failli se faire. Les ambitions personnelles et les besoins de pouvoir / domination ont eu raison du désir social de coalition. Ceci dans le sens le plus noble de chercher à construire ensemble. C’était l’occasion de pouvoir réunir ce qui est différent en une société et un gouvernement. Il aurait alors illustré la société et ceci aurait permis d’agir pour le sens et non plus dans une logique de clivage de société.

Mais il a été préféré une cohabitation.

Nous avons connu en France des périodes de co-habitation, plus ou moins fructueuses. La différence avec ce qui arrive en Allemagne est tout d’abord l’accession d’une femme au pouvoir. Il en aurait fallu de peu pour qu’il y ait une co-gouvernance, gauche-droite, homme-femme. Cela aurait pu illustrer une nouvelle ère. Mais il semble que ce soit trop tôt. Nous sommes dans le moment des soubresauts et des signes du changement, mais nous ne sommes pas prêts.

Alors c’est le modèle précédent qui prime à nouveau, pouvoir et domination. Il faut choisir entre ceci OU cela. Il n’est pas encore possible de savoir conjuguer notre quotidien dans la liaison, la reliance et le ET.

Toutefois, l’Allemagne a failli réussir et ce temps d’indécision a marqué la profonde mutation qui survient dans nos mentalités. Mais elle est encore balbutiante. En ce qui nous concerne 2007 sera identique pour nous français.

Nous ne pourrons opérer de changements réels et complets qu’en 2012.

Il faut encore du temps à nos mentalités et encore des violences pour que nos prises de conscience progressent.

Nouveau paradigme

Mais de quoi parlons-nous en évoquant ces changements radicaux ?

Nous faisons allusion au changement de paradigme majeur qui s’opère et dans lequel nous sommes plongés. Nous sommes à mi-chemin de son processus d’involution. Gilbert Durand1 célèbre anthropologue et philosophe a largement écrit sur ce thème expliquant que pour qu’un paradigme s’installe il faut environ 200 à 250 ans. Nous savons qu’il faut entre 2 à 5 ans pour qu’une culture d’entreprise évolue et ceci en réalisant consciemment ce que l’on appelle un accompagnement au changement.

A la taille de l’humanité, on comprend qu’il faille davantage de temps. Si nous marquons, de manière un peu arbitraire, son démarrage à la découverte d’Einstein avec sa Relativité Générale, cela signifie que les bases sont posées depuis maintenant un siècle. Nous sommes donc à mi-chemin, au milieu du guet. Incontestablement, le processus est en route, de nombreux événements à la taille de la planète nous donnent des indications de l’évolution majeure. Faisons une liste non –exhaustive des évènements et de leurs aspects paradoxaux.

Quelques évènements pris sur un siècle

Plus ou moins négatif

Plus ou moins positif

Attention rien n’est jamais binaire…

Loi pour la laïcité en 1905

2005 date anniversaire : cent ans et le débat est grandement ouvert entre les besoins de spiritualité, la multiplicité des religions et le le maintien d’une valeur républicaine….

Révolution russe (idéal populaire, mythe de la révolution qui solutionne les problèmes de société et exactions inévitables)

Avènement du communisme et de son idéal égalitaire et humaniste

Première guerre Mondiale et ses tranchées  = boucherie humaine.

Film Joyeux Noël qui sort cette année pour nous rappeler les fraternisations qui ont lieu dans les tranchées.

Deuxième guerre mondiale = barbarie et nazisme. Industrialisation de la mort humaine.

Création de l’Onu, de l’Otan et ensuite de toutes les organisations visant à faire respecter les droits de l’homme et aujourd’hui les droits humains. Depuis création de nombre d’ONG et associations pour s’occuper des questions sociales.

Bombes atomiques de Nagazaki et Hiroshima

Création de Green pace et de tous les mouvements anti-nucléaires. Début de l’intérêt pour l’environnement…

Révolution de Mao (au prétexte d’un idéal une nouvelle forme de dictature).

Génocides dans de nombreux pays du monde et notamment dan les pays soviétiques.

Révolution de mai 68 (l’une luttait contre l’autorité abusive, et a annoncé un message d’espoir, de liberté et de paix, mais n’a pas su transformer l’essai). Toutefois les graines étaient semées.

Effondrement du bloc soviétique.

Chute du mur de Berlin.

Faillite généralisée du modèle communiste.

On parle partout dans les entreprises de Chaos management, de big bang des organisations.

Conséquence la mondialisation économique, politique et militaire d’une seule puissance sur le reste du monde.

Avènement du développement durable qui vise à penser une gouvernance du monde responsable pour l’environnement et le social.

Chute des twin towers

Prise de conscience mondiale des horreurs du terrorisme et des abus de pouvoir (guerres infondées…notamment pour l’Irak avec une mobilisation internationale).

Il faut 4 ans pour qu’enfin on parle officiellement d’un nouveau paradigme.

Ainsi, en un siècle nous semblons être passés sans cesse d’une extrême à l’autre, allant toujours plus loin dans l’horreur et le non-respect de l’être humain et de son environnement. En contre-point, à chaque fois il s’en suit une prise de conscience bien plus importante que le seuil précédent et qui concerne sans cesse plus de gens.

L’entre-deux paradigmatique

Donc l’évidence est bien que deux paradigmes de société s’affrontent aujourd’hui. L’ancien, moderne, toujours dominant qui repose sur le progrès et sa promesse de bonheur généralisé passant par la technologie, l’économie telle que nous la connaissons et sa cohorte de contraintes et de désillusions (consommation à outrance qui rend les personnes dépendantes et pas forcément heureuses).

Le nouveau paradigme lui est en émergence. Certains paramètres balbutiant montrent un besoin de définir autrement les modalités de notre quotidien (place de l’homme dans la société, prise en compte de l’environnement, rapport à autrui, au travail, aux institutions, etc.). Tout ceci est à recomposer, l’ancien modèle ne satisfait plus mais le nouveau ne parvient pas encore à se définir2.

Et dans l’intervalle c’est le sentiment de chaos, l’entre-deux paradigmatique. Il se caractérise par une difficulté à concevoir le paradigme suivant, englués que nous sommes dans le fond ou le creux que l’on pourrait qualifier de matriciel. Ce qui nous conduit à faire un parallèle avec les eaux primordiales des temps des origines mythologiques, que l’on nomme aussi soupe chaotique où rien n’est encore précisément défini. Tout est en germe, tout est à venir. La vie est là fourmillante, mais encore en désordre. D’où les phénomènes de violence liés au délitement des repères anciens et au manque de structure et de clarté des nouveaux. Il est alors question d’identifier les fils qui vont permettre de dénouer la pelote des vitalités informes de manière à pouvoir créer de nouvelles opportunités, une renaissance de notre société.

Rôle principalement assigné à tous ceux qui sont en charge de prospective quel que soit leur domaine d’application.

Image1

En quoi ce nouveau paradigme est-il inquiétant ?

Il conduit à redéfinir à nouveau la place de l’homme dans l’univers et l’avancée scientifique qu’elle soit dans le domaine de la physique ou des sciences de l’homme ne va pas dans le sens de l’égocentrisme. Bien au contraire. Nous sommes touchés par le relativisme et nous devenons un élément toujours plus minuscule de l’ensemble, presque un accident de parcours dans le processus du vivant.

Alors nous pouvons nous demander quelle est la conséquence d’une telle prise de conscience dans notre quotidien et dans nos mentalités. Et il est alors moins surprenant de voir des crispations égotistes et des excès de narcissisme3 fleurir un peu partout et en parallèle un état dépressif quasi généralisé. Il est toujours difficile de prendre conscience que nous représentons encore moins que ce que nous nous imaginions. Nous sommes passés du centre de l’univers (avant les révolutions de Copernic et Galilée) à prendre conscience que nous ne sommes qu’une parcelle infinitésimale de l’ensemble.

L’entre-deux paradigmatique se traduit aussi par toutes ces secousses sociales, tout du moins en France, qui ont eu pour conséquence d’ébranler un certain nombre de vérités établies. Notamment depuis 1968 qui a remis en cause le paradigme de l’autorité.

Et depuis les hommes et les femmes se cherchent, chacun tentant de se construire ou de se reconstruire au gré des fluctuations des institutions sociales qui se modifient et des rôles sociaux qui évoluent également.

Cette nécessaire recomposition des repères que l’on peut voir se profiler dans d’autres domaines de la société (économique, écologique, scientifique, politique, etc.), illustre bien cette conclusion des avancées scientifiques et notamment de la physique quantique ayant encore une fois relativisé la place de l’homme dans l’univers.

Nous sommes face à une complexité accrue, produit des progrès scientifiques, technologiques et des conséquences économiques et politiques (notamment la mondialisation) et dans la nécessité de prendre conscience de notre relativisme. C’est pourquoi nous sommes dans cet entre-deux paradigmatique, et pour beaucoup coincés dans le creux, par manque de compréhension globale des phénomènes et du coup de visibilité pour en sortir.

Face au blocage la violence est une réaction mais pas une réponse

Depuis 2001, certaines prises de conscience ont pu être notées. Après l’abattement qu’a produit la chute des twin towers, progressivement un élan populaire s’est manifesté.

Nos observations de l’époque4 nous avaient fait constater que la plupart des personnes se sentaient démunies à savoir comment réagir collectivement et n’envisageaient qu’une chose c’est d’agir localement, dans leur sphère immédiate d’influence. Ce constat démontrait que le grand public était de plus en plus « coincé » dans l’instant présent, dans l’incapacité à pouvoir se projeter en avant et envisager la moindre anticipation.

Il va s’agir de retrouver les leviers de l’action

De quoi a-on besoin pour repartir ?

Tout d’abord de voir avec réalisme la situation dans son ensemble, en évitant de se voiler la face alors il sera possible de faire un état des lieux correct et lucide. Ce qui signifie alors déjà un niveau de conscience de qualité car si les observateurs en charge du diagnostic sont en train de se battre pour des guerres de chapelle, de méthodologies ou de pouvoir, leur résultat sera biaisé et intéressé.

Ensuite en partant du postulat que l’état des lieux pourra être correctement fait, il va être question de se projeter dans l’avenir et de penser ensemble un projet de société qui ait du sens pour la majorité des français même si cela veut dire une réalité plurielle.

Comme nous avons dit précédemment la pensée est en panne d’idées. Trop englués que nous sommes dans l’entre-deux paradigmatique il va être question de repasser par le rêve et relancer l’imaginaire pour relancer anticipation, stratégie, vision et capacité à concevoir des projets.

A titre d’illustration au journal télévisé de France 2, du 7 décembre 2005, un jeune homme interviewé disait que les jeunes de parviennent plus à rêver. Ils comptent sur les adultes pour les aider à y parvenir.

Les consoles vidéo ne suffisent pas à relancer l’idéal.

On comprend alors mieux l’engouement mondial pour les romans de fiction tels qu’Harry Potter ou le Da Vinci Code qui tour à tour renouent avec les basiques de l’imaginaire, la magie, les contes, le fantastique et le mystère.

Relancer notre imaginaire nous permettra alors de pouvoir trouver une vision que nous pourrons définir alors, soit comme un projet de société pour les politiques, soit comme des projets d’entreprises pour les organisations.

Avec un sens clarifié et une direction nette, l’action des salariés, comme des citoyens s’articulera avec davantage d’élan et de cohérence.

Revoir nos principes républicains : liberté, égalité, fraternité

De cette vison, il viendra alors tout naturellement la question des valeurs. Quelles sont celles de notre république auxquelles nous sommes majoritairement attachés ? Comment les déclinons-nous ? Quels sont les débats et les ajustements à réaliser en fonction des évolutions de notre société ? Qu’est-ce qui rassemble et qui nous représente en tant que français ?

Ce sera sans doute le moment de revisiter la triade Liberté, Egalité, Fraternité. Les élans collectifs, les initiatives de tous poils montrent un besoin manifeste des citoyens de recréer du lien et font preuve de beaucoup de créativité dans le domaine.

En ce qui concerne la liberté nous nous sommes fourvoyés avec l’idéal de mai 68 ayant confondus liberté et anarchie. Autonomie et responsabilité individuelle sont les corrélats du libre-arbitre et non pas l’envie de faire ce que l’on veut ce qui conduit au laxisme et aux différents égarements dont nous payons aujourd’hui les conséquences.

Quant à l’égalité, nous voyons bien avec les explosions sociales que nous en sommes loin. Toutefois, tout comme la liberté, il semble essentiel de pouvoir clairement définir ce que nous entendons par égalité. Car une mauvaise compréhension a conduit au communisme et nous avons vu comment il a failli. Le modèle n’est pas viable.

Peut-être est-il alors question d’équité, de justice, de droits égaux pour tous, des développements durables qui reposent sur des gouvernances responsables. Toutefois, gare aux angélismes et aux idéologies !

Il nous reste ainsi encore bien des choses à définir, pour autant que nous saurons sur quoi nous accorder comme essentiel. Une fois, le sens trouvé ou retrouvé et la majorité adhérant à cette nouvelle orientation alors l’action pourra se déployer au lieu d’être devenue aujourd’hui le prétexte pour masquer le manque de réflexion. Car prendre aujourd’hui du recul inquiète, voire angoisse. Ainsi la fuite éperdue dans l’activisme, aurait pour objectif de masquer le néant, le vide de sens ! Et qui sait peut-être quelques remises en causes fondamentales ?

1  Gilbert Durand. Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Dunod. Paris. 1992.

2  Marsan, C. L’androgyne : figure archétypale d’une civilisation renaissante. In les Cahiers de la Psychologie Politique. Juillet 2005. Présenté lors du colloque Congrès Européen Sciences de l’Homme et Sociétés. Juin 2004.

3  C.F. les différentes études sur le narcissisme (psychanalyse et psychologie).

4  Enquête : Marsan, C. 11 septembre 2001 : une nouvelle œuvre du diable. Synthèse présentée dans un article au colloque du CEAQ en 2002. Les représentations sociales du diable à travers des éléments de la vie quotidienne.

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