N°14 / Les multiples visages des crises Janvier 2009

Ştefan Bratosin, La concertation dans le paradigme du mythe. De la pratique au sens

Peter Lang, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New-York, Oxford, Wien, 2007, 268 p.

Constantin Salavastru

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Un nom respecté et de plus en plus fréquemment cité de nos jours en sciences de la communication, surtout grâce à une spécialisation poussée dans les domaines de la connaissance sociale (deux thèses de doctorat, une en sciences de la communication et l’autre en théologie), mais aussi grâce à l’intérêt pour les démarches interdisciplinaires employées dans le décodage des phénomènes et le lancement de certains instruments méthodologiques qui lui ont valu une place de choix parmi les spécialistes (le concept de „concertation“ est le point central dans l’interprétation des formes symboliques qui intéressent l’auteur),  Ştefan Bratosin1 met à la disposition des lecteurs intéressés un nouvel ouvrage2, la suite - attendue en quelque sorte - du premier, par lequel il faisait connaître sa méthodologie et ses idées herméneutiques ayant pour point de départ l’inépuisable Cassirer3.

Le livre de Ştefan Bratosin laisse voir, avant tout, une structure d’ordre bien déterminée, ce qui prouve que l’auteur lui-même sait ce que recouvre la problématique abordée, chose rare parmi ceux qui osent écrire! Une description du « concept-objet » de l’analyse (le mythe) et de la réalité à laquelle il renvoie, la redécouverte d’une interprétation symptomatique de cet objet par l’intégration dans la sphère plus large des « formes symboliques » de l’esprit (Cassirer), la diffusion du concept de « concertation », le concept-clé avec lequel l’auteur essaye d’ouvrir quelques-unes des portes fermées de la connaissance des formes symboliques, tout cela constitue « l’engagement conceptuel-théorique » avec lequel l’auteur accueille le lecteur pour le « contraindre » à comprendre « le cadre d’intelligibilité » où l’on pose et l’on cerne les problèmes compliqués de l’esprit philosophique obsédé par les origines conceptuelles et leurs interprétations. Une description de la méthode assumée pour dévoiler le concept-objet (l’herméneutique), une « instanciation » de l’herméneutique chez un des plus lus (et des plus cités!, peut-être) auteurs contemporains dans ce domaine (Ricoeur), une intégration du concept de „participation” dans la sphère plus large de la méthodologie herméneutique (l’auteur n’a-t-il pas eu le courage d’introduire ici l’idée même de concertation?), tout cela constitue le cadre où l’on peut comprendre les « conditions d’interprétation » proposées dans cet ouvrage. Enfin, une analyse  de ce que l’on pourrait faire avec cette méthode si on l’applique au concept en question nous montre quelque chose des interprétations possibles de certains mythes essentiels : la technique, l’homme, « l’effectuation ».

Du concept à la méthode et de la méthode à l’application, voicila structure d’ordre à laquelle nous faisions référence et que l’on retrouve sous une forme plus développée (plus de 250 de pages, riches en idées et très utiles  pour celui qui veut connaître d’une manière adéquate les phénomènes du mythe). Peut-être inconsciemment (les rencontres essentielles, nous les devons à l’inconscient, n’est-ce pas?), l’esprit hégélien sous-tend la construction de Ştefan Bratosin : une construction en triades qui essaye de mettre à nu le concept (le mythe, le mythe chez Cassirer, la concertation), la méthode (l’herméneutique, l’herméneutique chez Ricoeur, la participation), l’application (la technique, l’homme, « l’effectuation »), une représentation réussie de la pensée curieuse contrainte en quelque sorte d’entrer dans un schéma qui amplifie sa capacité de séduction même si cela ne semble pas confortable! L’auteur nous présente sa tentative comme un périple allant de la pratique au sens. Nous avons l’impression contraire: du sens à la pratique! Ce qui, en tant que démarche de compréhension, nous semble plus intéressant!

Certes, nous ne pouvons pas nous attarder sur tous les aspects des analyses proposées par Ştefan Bratosin dans son épais ouvrage que nous essayons de présenter au lecteur plutôt comme architecture structurale qu’en tant qu’expérience de détail. C’est l’auteur qui donne des détails, et ce sont le lecteur et en dernière instance le critique qui jettent un regard global sur le livre. Mais nous tenons aussi à attirer l’attention sur certains aspects de l’ouvrage de Ştefan Bratosin qui nous semblent importants. La tentation du livre est de comprendre : comprendre le mythe, comprendre l’expérience mythique chez Cassirer, comprendre la concertation en tant que forme symbolique. Jusqu'à ce point, nous sommes dans la voie de la compréhension du concept. Comprendre l’interprétation, comprendre l’expérience de l’interprétation chez Ricoeur, comprendre la participation en tant que forme d’interprétation. Nous avons affaire ici à la compréhension de la méthode (comment pourrait-on comprendre le concept si ce n’est par l’utilisation de l’instrument de l’interprétation ?). Comprendre la technique („le comment?“), comprendre l’homme („le qui?“), comprendre l’effectuation („le quoi?“). On arrive à la compréhension de l’application au concept, la dernière étape – la plus fine – d’une démarche compréhensive à laquelle aspire l’auteur et qu’il essaye d’articuler dans ses points nodaux par la construction triadique à laquelle il nous convie de participer.

Pour chacune des trois articulations explicatives qui se proposent de dévoiler la compréhension on construit des démarches explicatives spécifiques. Certes, nous ne saurions les analyser toutes, mais nous en exemplifierons la première : la compréhension du concept. Comprendre le mythe, c’est comprendre les interprétations qu’on a proposées de cette forme symbolique. L’auteur nous présente une certaine compréhension du mythe en tant que manière de décrire la réalité (allégorique, poétique, linguistique ou sémiotique), en tant qu’objet qui permet d’appréhender et de connaître les phénomènes (on peut déceler quatre perspectives : structuraliste, sociologique et ethnographique, phénoménologique, psychologique et psychanalytique), en tant que moyen de comprendre les événements (en mettant en évidence une vie symbolique, en dépassant la dualité subjectif-objectif, par l’intermédiaire de la « déduction » critique de la représentation du signe dans ses configurations concrètes, en dépassant la théorie de la réflexion). Comprendre l’expérience mythique chez Cassirer, c’est, bien évidemment, déchiffrer l’appareil conceptuel de l’auteur de la Philosophie des formes symboliques dans la perspective de l’analyse du mythe en tant que forme symbolique (les sources et la définition du symbole chez Cassirer : pas moins de quinze instanciations différentes de la signification du symbole chez Cassirer sont mentionnées par l’exégète en question, la critique faite par Ricœur de la siginification du symbole chez Cassirer), déterminer la force sociale de la symbolique mythique et ses fonctions dans la pratique humaine (régler les conduites, objectiver l’expérience collective, l’enjeu politique du mythe : « le mythe de l’Etat »). Selon l’auteur en question, comprendre la concertation en tant que forme symbolique, c’est lui donner une dimension représentative (en tant qu’image située entre l’espace sensible et celui de la connaissance pure, en tant qu’unité fonctionnelle tridimensionnelle, en tant que détermination numérique affective), créer un monde par l’intermédiaire de l’expression (l’art de « faire » la concertation, la construction discursive du monde de la concertation, l’irrruption du « prélogique »), construire le concept (par identification, différenciation, comparaison, attribution et estimation). C’est de cette manière – subtile et séduisante – que se construisent les autres éléments d’un tout dont la connaissance est et reste redevable à l’auteur Ştefan Bratosin.

Voici quelques-unes de nos réflexions que nous dévoilons grâce aux méditations de notre collègue de Toulouse en marge de l’interprétation, de la concertation, des significations que certains concepts laissent voir si on les analyse avec intérêt, avec assiduité et surtout avec passion. Mais nous nous en tiendrons à l’opinion que l’auteur a exprimée dans la brève présentation du livre : « une signification, une fois trouvée, n’est pas la meilleure, car la meilleure est toujours celle qui va venir »! C’est probablement ici que se trouve l’essence du sens caché du concept d’interprétation que l’auteur analyse dans cet ouvrage.

1  Ştefan Bratosin este un spécialiste réputé des sciences de l’information et de la communication; il a fait une thèse en théologie (Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence) et une deuxième en sciences de l’information et de la communication (Université Charles-de-Gaulle de Lille 3). Il enseigne la communication organisationnelle, la théorie de la communication et la communication interculturelle à l’Université Paul Sabatier de Toulouse 3. Il a de nombreuses responsabilités professionnelles et de recherche à l’université susmentionnée, il collabore à des revues prestigieuses dans le domaine de la communication; il a également été le promoteur d’une réunion internationale d’envergure (« Démocratie participative en Europe », Toulouse, 15-17 novembre 2006);

2  Ştefan Bratosin, La concertation dans le paradigme du mythe. De la pratique au sens, Peter Lang, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New-York, Oxford, Wien, 2007, 268 p.;

3  Ştefan Bratosin, La concertation: forme symbolique de l’action collective, Editions L’Harmattan, Paris, 2001;

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