N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

L’usage théâtral du Mythe au XVIIe siècle : manifestation de l’inconscient collectif, ou manœuvre concurrentielle très consciente ?

Sandrine Blondet

Résumé

Si pour le grand public l’âge d’or du théâtre français se signale par la Trinité Corneille-Molière-Racine, on ignore généralement le reste de cette production, riche de plusieurs centaines d’œuvres, et impliquant une soixantaine de dramaturges. L’étude exhaustive de ce répertoire fait apparaître qu’il s’est développé au gré d’une concurrence diffuse, convoquant tous ses participants – dramaturges, comédiens et public – autour d’un nombre défini de sujets. En définitive, l’ensemble se range selon un nombre réduit de constellations thématiques ordonnées autour de schèmes mythiques immuables, au premier rang desquels on citera la fraternité ennemie, la figure d’Hippolyte, modèle mythologique et scénique de l’Innocent persécuté, ou celle de la Femme, Sainte ou Furie.
À première vue, c’est cette ordonnance mythique même qui incite à appliquer au théâtre classique la grille archétypale de l’Inconscient collectif sans craindre le moindre anachronisme. Mais si, de fait, cette crainte se voit dissipée par le seul exemple de Racine, cette proposition de lecture se voit de facto battue en brèche par la circonstance même qui semblait la fonder. En effet, la nature essentiellement concurrentielle de la production théâtrale parisienne, qui alimente son développement au gré de reprises et d’emprunts dans le but constant d’attirer le chaland, conduit dramaturges et interprètes à reprendre inlassablement les schèmes mythiques les plus anciens, au succès jamais démenti. Ainsi le mythe devient-il une forme de leurre, voire de publicité mensongère. Toutefois, l’enjeu ultime de cette rivalité ambiante rejoint en définitive quelques unes des structures anthropologiques majeures qu’elle met en scène, à commencer par la nécessité de se confronter à ses (con)frères rivaux.

The golden age of the French Theater is usually reduced to the well-known Trinity Corneille-Molière-Racine, neglecting the rest of the theatrical production of that time. That means thousands of works, written by around sixty authors. The complete study of this repertoire shows that it has developed through a concurrency, where all the participants – writers, actors and audience – gathered around a definite number of subject matters. The whole production deals with a small number of themes coming from unchanging mythical schemas, - first of all the fraternity of the enemies, the figure of Hippolyte, mythological and theatrical model of the prosecuted Innocent, or that of the Woman, Saint of Fury.
At first sight, it is this mythical order which leads to apply to the classical theater the archetypal grill of interpretation of the collective Unconscious, without being afraid of practicing any anachronism. But if this fear is dissipated by the sole example of Racine, this proposal of interpretation proves to be affected by the very situation from which it seemed to proceed. Indeed, the essentially concurrent nature of the Parisian theatrical production, that feeds its development by borrowing and reactivating some ancient patterns, leads authors and comedians to unceasingly take over the oldest mythical schemas, whose success is permanent; so that the myth becomes a kind of lure, if not of misleading advertising. Nevertheless, the ultimate stake of this rivalry comes back to some of the main anthropological structures which it stages, beginning with the necessity of confronting one’s (fellow) brothers and rivals.

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Amis, c’est à ce coup qu’il faut que nos esprits

Devant un Empereur se disputent le prix,

Et que chacun de nous amoureux de la gloire,

Tâche sur son Rival d’emporter la victoire.i

I. Du Mythe au XVIIe siècle en général, et dans le théâtre classique en particulier

1. L’imprégnation antique

« Le XVIIe siècle, Racine excepté, a relativement peu bénéficié des études de mythesii», écrivait Christian Delmas en 1988. Quelque vingt ans plus tard, la période classique n’a encore fait l’objet, à notre connaissance du moins, d’aucune étude de type anthropologique. Au demeurant, cet axe d’analyse semble presque incongru eu égard « aux réserves et au dédain affichés [devant les suggestions de l’imagination mythique] par les théoriciens du siècle classique, informés par un christianisme rigoureux et un rationalisme naissantiii». Or, poursuit Chr. Delmas, « la mythologie […] conserve une emprise réelle sur l’imaginaire du XVIIe siècle, proche encore par bien des aspects du sens de la merveille, de l’irrationnel, voire du magisme du siècle précédentiv ». En outre, « c’est le théâtre, déjà véritable rite social au XVIIe siècle, qui par le resserrement d’une structure narrative obligée et l’objectivité de se représentation, paraît offrir la forme la plus favorable à l’imaginaire mythiquev». À cela s’ajoute enfin que toute la poétique dramatique classique s’est construite sur l’héritage antique, théorisé par Aristote. En dehors de toute préoccupation esthétique spécifiquement dramatique, et tragique, le XVIIe siècle est celui de l’imprégnation antique, par un processus d’innutrition littéraire dont le parcours scolaire du jeune Racine se fait l’illustration exemplairevi.

2. Un processus de remythisation

Ce sont précisément Corneille et Racine, auxquels se joint inévitablement Molière, que Chr. Delmas distingue sur cette toile de fond. Par « le jeu des métaphores qui portent au plan symbolique les enjeux positifs du fil narratif, formulés en termes rationnels de conflits interhumainsvii », ils procèdent à la « remythisationviii » d’un scénario mythologique originel. Exemplaire à cet égard, l’Andromède de Corneille se rapproche de son Œdipe comme de La Thébaïde et de la Phèdre de Racine pour valider « l’existence théorique au XVIIe siècle, et l’exercice effectif, de l’esprit mythique sur des schèmes mythologiques élaborés pour l’essentiel par la tradition théâtrale antique, et ceci dans un esprit de recréation originaleix», tandis que « le cas du Dom Juan […] atteste par l’invention du motif de la statut l’importance décisive de l’investissement par l’imaginaire de schèmes éparsx». Au terme de cette analyse, « on conviendra toutefois aisément d’un fonds disons durandien de "structuralisme figuratif", dépourvue de tout mysticisme jungien. […] Il paraît donc acquis qu’il vaut la peine, sans anachronisme arbitraire, de jeter un regard d’anthropologue sur le XVIIe siècle et son théâtre[.]xi ».

II. Une production essentiellement concurrentielle

1. Les doublons dramatiques

Sans le moins du monde remettre en cause ces conclusions, nous voudrions toutefois les reconsidérer au regard de l’économie générale de la production théâtrale parisienne. De fait, si, pour le grand public, l’âge d’or du théâtre français se signale par la Trinité Corneille-Molière-Racine, on ignore généralement le reste de cette production, riche de plusieurs centaines d’œuvres, et impliquant une soixantaine de dramaturges. L’étude exhaustive de ce répertoire fait apparaître qu’il s’est développé au gré d’une concurrence continuelle, et volontiers agressive, entre ces auteurs d’une part, leurs interprètes de l’autre. Entre autres passes d’armes, la rivalité des compagnies parisiennes bénéficie d’un usage particulier :

« Quand une Troupe promet une pièce nouvelle, l’autre se prépare à lui en opposer une semblable, si elle la croit à peu près d’égale force ; autrement il y aurait de l’imprudence à s’y hasarder. Elle la tient toute prête pour le jour qu’elle peut découvrir que l’autre doit représenter la sienne, et a de fidèles espions pour savoir tout ce qui se passe dans l’État voisinxii ».

À première vue, définir ces doublons dramatiquesxiii ne soulève aucune difficulté : on désignera comme tel toute paire de pièces composées sur le même sujet, pourvue de titres indicateurs de cette identité de sujet, et respectivement présentées à quelques semaines ou mois d’intervalle sur l’un ou l’autre des deux théâtres de la capitale (l’Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Marais). Entre autres exemples, on peut citer les deux Lucrèce d’Urbain Chevreau et de Pierre Du Ryer (publ. 1637 et 1638)xiv, les deux Panthée de Durval et de Tristan L’Hermite (publ. 1639), les deux Coriolan de Chevreau et de Chapoton (publ. 1638), en attendant les deux Bérénice de Corneille et de Racine (1670).

2. Thème et sujet

Mais pour être aisés à définir, ces doublons dramatiques posent rapidement la question de distinguer thème et sujet. À strictement parler, le sujet d’un poème dramatique recouvre son intrigue, qui consiste dans la représentation d’un épisode particulier de la vie d’un ou plusieurs héros : on parlera ainsi du sujet de Lucrèce, du sujet de Marc-Antoine et Cléopâtre, de celui d’Iphigénie, de Phèdre ou de Bérénice. Du sujet peut alors se déduire le thème d’une piècexv, que révèle la réduction de l’intrigue à ses seules relations actancielles, dépersonnalisées : cette dépersonnalisation permet l’extension du sujet à une configuration plus générale, qui l’englobe et ouvre simultanément le champ à d’infinies variations. Par exemple, le sujet de Lucrèce concentre deux thèmes dramatiques : le viol de l’héroïne et la vengeance de son honneur d’une part, la révolte contre le tyran de l’autre. La comparaison de cette combinaison thématique avec celle d’autres pièces contemporaines rend alors visibles rapprochements ou divergences : le sujet de Crisante, héroïne de Rotrou (1635-1636), est ainsi très proche de celui de Lucrèce, puisqu’il présente une autre héroïne violée ; celle-ci n’a d’autre choix pour laver son honneur aux yeux mêmes de son époux que de lui jeter aux pieds la tête de son bourreau avant de se suicider. Le thème de la révolte contre le tyran n’est donc pas convoqué, mais son absence ne ruine nullement le rapprochement des deux sujets, qu’assurent les thèmes communs du viol et de la vengeance. On évoquera de même le sujet de Panthée : prisonnière de Cyrus, elle fait l’objet des désirs coupables d’Araspe à la garde duquel elle est confiée. Mais en l’occurrence, l’honneur de Panthée est sous la protection des qualités morales et monarchiques de Cyrus : le viol que projette Araspe est évité, si bien que le cours de l’intrigue s’oriente ensuite dans une autre direction. On voit donc que le thème de l’illustre épouse violée par un homme qui la tient en son pouvoir n’est ici qu’ébauché : cette esquisse suffit pourtant à réunir le sujet de Panthée à ceux de Crisante et de Lucrèce, ces trois héroïnes s’enrichissant mutuellement des variations qu’elles présentent les unes des – et aux – autres.

Dans ces conditions, définir un thème dramatique revient à dégager l’ensemble des circonstances historiques, éventuellement géographiques, dans tous les cas diégétiques, qui servent de toile de fond au déroulement de l’intrigue commandée par le sujet. On conçoit dès lors qu’un sujet recouvre plusieurs thèmes, par l’intermédiaire desquels il entre en résonance avec plusieurs autres sujets – lesquels entretiennent, entre eux également, des correspondances. Réciproquement, un même thème autorise plusieurs sujetsxvi. Aussi le choix d’un sujet place-t-il toujours le dramaturge dans une perspective thématique plus large, à l’intérieur de laquelle il se confronte nécessairement à ses pairs.

III. Les constellations dramatiques

Dès lors, il apparaît que l’étude des doublons dramatiques ne saurait s’effectuer seule, indépendamment du reste de la production théâtrale. Une fois établies les circonstances de la concurrence affichée, celle que revendique chaque doublon explicite, l’ensemble de ce répertoire concurrentiel s’inscrit au cœur d’une rivalité plus large et diffuse, tapie au sein de constellations de pièces unies non plus par le même sujet et/ou le même titre, mais par leur thème. En définitive, l’intégralité de la production dramatique se range selon un nombre réduit de constellations thématiques ordonnées autour de schèmes mythiques immuables, au premier rang desquels on citera par exemple la figure d’Hippolyte, modèle mythologique et scénique de l’Innocent persécuté.

1. L’Innocent persécuté

Le corpus jumelé rend sensible l’évidente prédilection de l’ensemble de la production théâtrale du XVIIe siècle pour la thématique de l’Innocence persécutée. Dans sa présentation du Bélisaire de Rotrouxvii, Marianne Béthery remarque que « Rotrou renouvelle en les contaminant deux sujets » : celui de « l’innocent persécuté par une amoureuse éconduite » et celui de « l’illustre victime », ce qui l’amène à définir cette pièce comme « une variation sur le mythe de Phèdre » et à l’inscrire dans une constellation dramatique étendue, comprenant l’Hippolyte de Guérin de La Pinelière (1633-1634), L’Innocent malheureux ou La Mort de Crispe de Grenaille (publ. 1639), La Mort de Crispe ou Les Malheurs domestiques du grand Constantin de Tristan (1644-1645) et les deux Bélisaire (Nicolas Desfontaines, 1641 ; Rotrou, 1643) – constellation que l’on peut étendre aux Hippolyte de Segrais (1642-1643), de Gabriel Gilbert (publ. 1646) et de Bidar (publ. 1675), et aux Phèdre et Hippolyte de Racine et de Pradon (1677). On sait par ailleurs que La Calprenède fit représenter un Bélisaire en 1659, avec succès, mais la pièce ne fut jamais imprimée. Un troisième aspect, plus spécifiquement politique, de la pièce de Rotrou – « un souverain contraint d’envoyer à la mort un serviteur fidèle » – permet enfin d’élargir la perspective au Comte d’Essex de La Calprenède (1637, repris en 1678 par les deux pièces homonymes de Thomas Corneille et Claude Boyer). Cette dimension politique semble éloignée du sujet d’Hippolyte ; elle peut pourtant s’en rapprocher quand on sait que le comte d’Essex fut exécuté à la demande d’Elisabeth 1ère, souveraine dont il était le favori et qui se résolut à le condamner après qu’il l’eut mépriséexviii. Plus généralement, le fils exécuté par son père constitue lui aussi un soutien zélé du royaume, tandis que s’envisage fréquemment l’union entre le favori et la fille du souverain. En définitive, il semble donc que tout favori exécuté puisse s’apparenter au fils victime d’un infanticide. Nous ajouterons enfin aux œuvres citées par M. Béthery les deux Soliman de Mairet et Dalibray, qui reprennent à leur compte le sujet de l’infanticide royal, accompli sur ordre d’une belle-mère. Certes, Roxelane n’est pas Phèdre : elle n’est pas éprise de Mustapha, mais le poursuit de sa fureur parce qu’il menace les prérogatives de ses propres enfants. Il reste que Mustapha présente la combinaison des traits de l’innocent persécuté par une odieuse marâtre, de l’illustre victime, et du serviteur fidèle, soutien du royaume.

Il apparaît ainsi que la figure archétypale de l’Innocent persécuté et ses avatars parcourent l’ensemble de la production du siècle. La récurrence des personnages de Crispe et d’Hippolyte, à intervalles réguliers de cinq ans environ, signale la prédilection que leur accordaient les dramaturges et/ou les comédiens. Manifestement, une programmation théâtrale bien conçue, comme en souhaitaient nécessairement tous les acteurs de la vie théâtrale parisienne, et indépendamment même de tout contexte concurrentiel, se devait de les inclure. L’Innocent persécuté bénéficie de plus de la caution conjointe de l’Histoire et du Mythe, puisque son modèle mythologico-dramatique, Hippolyte, se diffracte en trois rayons distincts : issu de la mythologie, le sujet gagne le terrain de l’histoire romaine (Crispe, Bélisaire), puis celui de l’histoire moderne récente, sinon contemporaine (Mustapha, exécuté en 1553 ; le comte d’Essex, en 1601). En amont se repère encore l’épisode biblique de Joseph calomnié par la femme de Putipharxix. Or, tous sont les victimes d’une femme : en marge de la vindicte de Phèdre à l’égard d’Hippolyte, le destin de Mustapha (Soliman, Dalibray, 1636-1637 ; Mairet, 1637-1638), de Bélisaire ou d’Antiochus de Syrie (Rodogune, Corneille, 1644-1645 ; Gilbert, 1645-1646) varie, d’une pièce jumelée à l’autre, au gré des volontés d’une souveraine.

2. L’Illustre Héroïne

L’ensemble dramatique s’étend de manière plus spectaculaire encore dans le cadre de l’héroïne illustre. Le théâtre classique abonde en exemples de ces femmes passées à la postérité pour leur vertu, ou pour la constance avec laquelle elles affrontèrent la mort. En parallèle, il présente une infinité de Furies, qui poursuivent leur victime jusqu’à en mourir elles-mêmes. La production théâtrale du XVIIe siècle fait la part belle aux unes et aux autres : aux Lucrèce, Panthée, Cléopâtre, Antigone Crisante et autres Mariane, répondent ainsi Phèdre, Fauste ou Médée. Personnages éponymes ou non, illustres par leur vertu ou par leur cruauté, elles constituent toujours le noyau du sujet, alors même que les seuls titres les laissent parfois dans l’ombre. Toutes ces Femmes illustres entrent en émulation les unes avec les autres, s’intégrant par là même à cette mosaïque féminine ; ainsi, les deux Didon rivales de Scudéry (1635-1636) et de Boisrobert (1641-1642 ou 42-43) se voient reliées d’un fil dramatique jamais rompu qui tient à cette « analogie structurelle de situation entre toutes les tragédies mettant en scène des victimes de l’impérialisme romain, notamment fémininesxx ». Et Chr. Delmas de convoquer les figures, contemporaines, déjà anciennes, ou à venir, de Zénobie, Médée, Ariane, Phèdre, Andromaque et Bérénice, toutes illustres abandonnées, auxquelles nous ajouterons celles de Sophonisbe (Mairet, 1634-1635 ; Corneille, 1662-1663), Olympie (Desfontaines, 1644) et Athénaïs (Mairet, 1638-1639 ; l’anonyme Jalousie de Théodose, 1643-1644). Comme on le voit, la constitution de ce « bouquet de représentations essentielles à l’imaginaire de toute une culturexxi » transcende à nouveau la distinction entre Mythe et Histoire pour les inscrire tous deux au cœur de la création dramatique. Par ailleurs, cette importance dévolue aux figures féminines – de même, d’ailleurs, que l’ambivalence qu’elles supportent – est liée d’une part au statut de la femme dans la société contemporaine, de l’autre aux questions spécifiquement dramatiques des bienséances et du rapport conjoint à l’horreur et à l’Histoire, dont découle le choix du genre. De ces deux aspects, sociologique et dramatique, seul le second nous intéresse ici : le revirement final est toujours le fait de la persécutrice – Roxelane (Soliman, Dalibray, 1637), Théodore (Bélisaire, Desfontaines, 1641), Rhodogune (Rhodogune, Gilbert, 1647)xxii. La vie du héros est en définitive subordonnée à l’amour de l’épouse de son père / maître. C’est donc toujours la persécutrice qui sert de pivot à l’infléchissement de l’intrigue : l’enjeu de la rivalité dramatique se décalerait alors du sujet de l’Innocent persécuté à la figure de la Furie repentante.

3. Les Frères ennemis

La production théâtrale parisienne classique présente enfin une troisième constellation, liée à la présentation sur scène d’un couple de frères rivaux. Là encore, la thématique des frères ennemis appartient aux mythes fondateurs les plus fameux, qu’ils soient bibliques – Abel et Caïn, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères – ou païens – Remus et Romulus, Atrée et Thyeste, Étéocle et Polynice. Ces derniers ont été repris par les dramaturges modernes, d’abord par Garnier (1580), puis par Rotrou (1637-1638), pour un sujet que tous les spectateurs devaient avoir en tête. Par ailleurs, il faut souligner que le sujet thébain élève, pour ainsi dire, la thématique de la fraternité ennemie au carré : on rappellera en effet que les deux fils d’Œdipe perpétuent l’affrontement fraternel originel, fondateur de la ville de Thèbes, que racontent Les Métamorphoses (III, 107-133). Les deux couples de jumeaux, Étéocle et Polynice d’une part, Atrée et Thyeste de l’autre, fondent ainsi toute la perspective de la fraternité tragique, pour un ensemble à nouveau passablement étendu d’une vingtaine de piècesxxiii.

IV. Incidence de la concurrence

Ainsi, qu’il soit explicitement concurrentiel ou non, le répertoire classique se range selon un nombre défini de sujets qui proposent une forme d’actualisation d’un archétype, lui-même transmis par le biais du mythe et/ou ravivé par un épisode historique – Mythe et Histoire constituant conjointement la Fable. Par ailleurs, non content de concilier les deux versants de la Fable, le classement par constellations réunit dans une même veine les auteurs phares de l’époque (Corneille, Rotrou, Mairet, Scudéry puis, une génération plus tard, Racine) et ceux qu’il est convenu de rassembler sous l’étiquette de Minores, tels Beys, Chevreau, Gillet de La Tessonnerie, Guérin de Bouscal ou encore Magnon. Aussi en vient-on à se demander si le traitement réservé au mythe et à sa puissance archétypale n’aurait pas quelque chose à voir avec la discrimination à laquelle la postérité devait soumettre tous ces dramaturges.

1. La transgression tragique

Réfléchissant à la teneur de « l’esprit mythique », Chr. Delmas rappelait la nécessité « de déceler la survivance du principe inspirateur du mythexxiv », tel, pour n’en citer qu’un qui nous concerne au premier chef, le schème de transgression pour les frères ennemis. Or, dans la typologie que nous avons dessinée, cette notion de transgression déborde largement la sphère de la fraternité tragique pour atteindre l’ensemble des constellations évoquées. C’est que la transgression rejoint la définition aristotélicienne du tragique, conçu comme « le passage du bonheur au malheur » par « le surgissement de violences au cœur des alliancesxxv » : à l’instar du fratricide, le thème du favori innocent, mais persécuté, présente toutes les caractéristiques tragiques voulues par le philosophe, puisqu’il ressortit à l’infanticide, littéral – Hippolyte est mis à mort par son père Thésée – ou métaphorique – le souverain se voit contraint de faire exécuter un héros qui, principal soutien de son royaume, s’est acquis un statut princier, soit qu’il prétende épouser la fille du roi, qui la lui refuse (Cléomédon, Alcionée chez Du Ryer, 1633-1634 / 1636-1637 ou 37-38), soit au contraire qu’il décline cette alliance, pourtant ordonnée par le roi, par amour pour une autre (Suréna chez Corneille, 1674-1675). C’est précisément la conformité de ces thèmes dramatiques à la doxa aristotélicienne qui en garantissait le succès. Enfin, on rappellera la parenté de nature qui relie la figure de l’Innocent persécuté avec la Furie, dont la présence médiatise le meurtre : entre le père et le fils se dresse « une reine, qui, suivant l’ordinaire des secondes femmes, [a] tout pouvoir sur [l’esprit] de son vieux marixxvi ».

2. Une transgression esquivée

La fortune théâtrale du fratricide est à la mesure de ses possibilités dramatiques, à commencer par la représentation potentielle du duel fraternel. D’emblée, la tragi-comédie de Beys Céline ou Les Frères rivaux (1633-1634 ou 1634-1635) pose alors problème. D’abord, première pièce de cet ensemble, elle aurait aussi bien pu s’intituler…  Céline ou les Sœurs rivales : elle présente en effet deux sœurs éprise du même homme, et deux frères épris de la même jeune fille, avant que deux reconnaissances successives n’assurent le dénouement – les deux frères sont tombés amoureux de leur sœur, les deux princesses, de leur frère. La rivalité, on le voit, est autant fraternelle que sororale, ce qui induit de multiples effets de symétrie. Ensuite, et surtout, cette rivalité manque considérablement d’épaisseur : si les deux frères sont bien rivaux, l’un d’eux l’ignore puisque l’autre décide de lui cacher ses feux ; et par le jeu de symétries qu’a instauré Beys, la rivalité amoureuse des deux sœurs fonctionne avec la même dissimulation, si bien que les deux rivalités sont, dans la majeure partie de la pièce, connues du spectateur, mais ignorées par deux des principaux intéressés. Ni les frères ni les sœurs ne sont donc jamais dans l’affrontement, la rivalité des uns et des autres n’éclatant que le temps d’une scène, à la toute fin de la pièce ; mais les deux confrontations tournent court, interrompues par l’arrivée du roi qui prélude aux deux scènes finales de reconnaissance.

Le sous-titre choisi par Beys ne va donc pas de soi. Simultanément, il résonne avec l’Antigone de Rotrou, créée au moment de la publication de Céline (1637), dont l’intrigue met aux prises les deux frères ennemis mythiques, Étéocle et Polynice. Pour être masquée – le nom seul d’Antigone suffit manifestement à suggérer le combat mortel de ses frères dont son suicide est une conséquence indirecte –, la rivalité des frères thébains reste le sujet de la tragédie de Rotrou, si bien que la pièce se présente comme l’adaptation exemplaire de cette constellation théâtrale. Il semble alors concevable que Beys ait profité de cette contemporanéité lors de l’impression de sa propre pièce ; mieux, il affuble sa pièce d’un sous-titre plus explicite que le titre de Rotrou, soulignant une jonction que le contenu de leurs pièces annule. On peut appliquer le même raisonnement à Chevreau lorsque, deux ou trois ans plus tard, il reprend à son compte le titre de Beys : alors que l’adjectif « Véritable » vient encore resserrer leur appariement, l’intrigue des Véritables Frères rivaux (1639-1640 ou 1640-1641) n’a rien qui rappelle celles de Céline ou d’Antigone.

Ainsi, dans le temps même où Rotrou donne à voir sur scène le duel mortel d’Étéocle et Polynice, la production contemporaine procède à l’annulation de cette transgression. Les Frères rivaux de Beys comme ceux de Chevreau rappellent certes, et pour en profiter, la rivalité légendaire d’Étéocle et Polynice, incluse dans la geste d’Œdipe fondatrice du genre tragique. Mais si le cycle thébain appartient à l’univers historico-mythologique de la Fable, les tragi-comédies de Beys et de Chevreau réduisent finalement le thème des frères ennemis à « un simple intrique d’amour » entre princes, heureusement résolu par plusieurs mariages : comme on le sait, la tragédie exige davantagexxvii.

L’annulation de la transgression mène alors au comble de l’artifice et de la convention gratuite, à l’œuvre dans les composantes tragi-comiques des doublons mixtesxxviii. Outre leur mixité générique (tragédie vs tragi-comédie), les Soliman de Dalibray et de Mairet, les Bélisaire de Desfontaines et de Rotrou, et les Rodogune de Corneille et de Gilbert ont ceci de commun que leurs composantes tragi-comiques se dénouent toutes trois par le revirement de l’héroïne persécutrice du hérosxxix. Face aux tragédies rivales de Corneille, de Mairet et de Rotrou, la Rhodogune de Gilbert, le Soliman de Dalibray et le Bélisaire de Desfontaines proposeraient la version adoucie d’un sujet éminemment tragiquexxx, mais condamné en vertu même de l’horreur qui l’habite : l’infanticide. En ce sens, ces trois pièces adoptent la perspective de d’Aubignac, pour qui le Poète, parce qu’il n’est pas Historien, doit « rétablir dans le sujet tout ce qui ne s’accommodera pas aux règles de son Artxxxi ».

On mesure au passage les questions que soulèvent ces trois doublons mixtes : questions de bienséances – l’horreur de l’infanticide a-t-elle sa place au théâtre ? ; de vraisemblance externe – est-il vraisemblable qu’une mère / qu’un père ordonne l’exécution de son fils ? ; de vraisemblance interne, liée à la question de l’égalité des caractères – est-il vraisemblable qu’un criminel devienne vertueux, qu’une persécutrice s’attendrisse ?

Conscients peut-être que ce dernier aspect les concernait au premier chef, Dalibray, Desfontaines et Gilbert ont pris soin de préparer leur dénouement, i.e. le revirement de leurs héroïnes. Mais si les dénouements de Soliman et de Rhodogune disposent bien d’un vernis de nécessité, qui tient au fait que les revirements de la reine et de Rhodogune découlent, en apparence du moins, d’un événement extérieur, ce n’est pas le cas du Bélisaire de Desfontaines, qui semble ainsi souligner la contingence de son dénouement en en démultipliant la gratuité. Ensuite, si Gilbert et Dalibray imaginent bien deux événements catalyseurs du revirement, ces événements se signalent par leur caractère extrêmement conventionnel. De fait, les deux dramaturges ont recours à deux procédés parmi les plus usuels de la tragi-comédie, la fausse mort et la reconnaissance, dont la fréquence même suffit à jeter sur eux un discrédit que vient ensuite confirmer l’analyse de leur fonctionnement. Si la reconnaissance de Mustapha et la fausse mort de Darie ont bien un rôle à jouer dans l’enchaînement logique des dernières scènes, l’apparence de nécessité dont elles revêtent l’artifice du revirement s’avère elle-même très artificielle : elle reste interne à la convention du genre tragi-comique, dans laquelle se maintiennent le dénouement, sa préparation, et, en amont, l’ensemble de la pièce.

3. Dégradation du mythe

Il en résulte une déperdition considérable de la charge mythique et, partant, archétypale, du sujet choisi : on en vient à ne pouvoir accorder à cette dimension « un rôle autre qu’ornemental », conforme à ce « résidu sclérosé de mythes anciens dégradés dans l’ordre du romanesque et du pastoralxxxii » qu’est devenue la fable antique. À l’instar de la Phèdre de Racine, certes, ces pièces endossent le code contemporain de l’amour héroïco-galant ; mais elles se voient totalement dépourvues de toute métaphore, cet « instrument privilégié propre à […] engager une vision du mondexxxiii ». Et si elles mettent bien en œuvre la « correspondance de l’imaginaire personnel du dramaturge avec les rêveries collectives de son publicxxxiv », que Chr. Delmas compte parmi les critères susceptibles d’élever une œuvre au rang de mythe littéraire, elles limitent simultanément leur puissance mythique à cette correspondance, si bien que le contenu archétypal potentiel du sujet perd non seulement toute épaisseur, mais également toute consistance.

C’est précisément le contexte essentiellement concurrentiel de l’expansion de la production dramatique qui nous semble responsable de cette dégradation. De fait, comme le montrait déjà l’exemple de la Céline de Beys, l’image mythique n’est plus choisie pour elle-même, mais pour les résonances qu’elle fait miroiter dans l’imaginaire du public. Sans même proposer d’enjeu à l’émulation dramatique, le mythe fonctionnerait alors tel un leurre, une forme de publicité mensongère susceptible d’attirer le chaland. Particulièrement goûtés du public, les thèmes de la rivalité fraternelle ou de l’innocence persécutée, par exemple, alimentent la pratique du jumelage dramatique, laquelle, en retour, nourrit ce pan de la production théâtrale. Ce qui, en définitive, s’avère pleinement logique : quelles que soient les circonstances qui déclenchent chaque duel, aucun sujet n’est jamais pris au hasard, a fortiori celui qu’un auteur choisit de traiter en sachant qu’un autre dramaturge s’y est déjà attelé – quand il ne le choisirait précisément pour cette raison. En ce sens, toute situation de rivalité alimente une dynamique plus large, qu’elle manifeste et entretient simultanément. Entre effets de mode et univers culturel commun aux dramaturges et au public, les doublons dramatiques se situent très exactement au carrefour de la vie théâtrale et des courants littéraires du temps.

Dans tous les cas, cette dégradation du mythe, conséquence certes non nécessaire, mais pourtant avérée du marché théâtral parisien classique, pourrait également expliquer le filtrage opéré par la postérité. Face aux Minores, maintenus dans l’oubli en vertu de la teneur romanesque, et purement sentimentale, de leurs ouvrages, Corneille, Molière et Racine – auxquels nous ajouterons Rotrou, Mairet et Scudéry – ont la faculté de conserver à leurs pièces leur souffle mythique, voire, dans le cas de Molière, de donner une forme définitive à une image folklorique (Dom Juan), pour l’élever au rang de mythe, support d’autres œuvres à venir (Don Giovanni de Mozart, par exemple).

4. Des effets de la concurrence artistique

Ainsi rejoignons-nous, au terme de ce parcours nécessairement trop rapide de la production théâtrale classique, la démarche pragmatique de Chr. Delmas, consistant à « scruter la pratique des auteursxxxv », alors même que notre propre enquête se détourne des grandes figures pour braquer l’éclairage sur les auteurs mineurs du répertoire. L’étude anthropologique du mythe se fait alors par défaut, ou en négatif : appliquer le prisme de ces structures archétypales à cet ensemble littéraire revient, dans bien des cas, à en souligner l’absence, sinon au niveau très superficiel du titre, pour une stratégie d’ordre publicitaire : il s’agit bien de parer l’œuvre à venir d’un vernis mythologique, promesse fallacieuse d’inscription dans une tradition dramatique séculaire.

Il importe alors de revenir sur cette concurrence, qui s’impose aux auteurs et aux comédiens comme un impératif professionnel et commercial. Nouvel élément susceptible d’informer la création théâtrale, elle s’ajoute à ceux que constituent les contraintes doctrinales, le prestige des Anciens, l’influence des contemporains. Mieux, elle émerge comme facteur déclenchant de la composition théâtrale, susceptible ensuite d’en orienter la teneur. De fait, la composition dramatique – ou littéraire ou, plus généralement encore, artistique – est essentiellement affaire d’imprégnation : imprégnation du répertoire antique, mais aussi des thèmes contemporains. Plus souterrainement, elle est une manifestation de ce que nous appellerions aujourd’hui l’imaginaire collectif. Imaginaire, et non inconscient collectif, précisément, si l’on veut bien admettre la différence que nous poserions entre ces deux instances : l’imaginaire tiendrait à un ensemble de motifs pleinement conscients. Or, comme nous l’avons vu, la concurrence théâtrale contraint ses participants à un ancrage dans la réalité littéraire, auquel elle ajoutera le bénéfice d’une publicité préalable à toute production, puisque la rivalité instaurée s’affiche, par le biais du titre, avant que l’auteur ne soit jugé sur pièce. Dès lors, elle n’est pas seulement susceptible de provoquer la composition dramatique. De manière encore plus inaugurale, elle semble à même de lancer la carrière dramatique : à l’instar des héros qu’il entend faire revivre sur le théâtre, tout jeune auteur se voit obligé d’affronter ses (con)frères rivaux. Ainsi la rivalité théâtrale reproduit-elle en acte l’une des structures anthropologiques fondamentales qu’elle actualise sur scène.

i  Desfontaines, L’Illustre Comédien ou Le Martyre de Saint Genest, I, 4, v. 211-214.

ii  Delmas Christian, « Du mythe au XVIIe siècle », Revue d’Histoire du Théâtre, 1988-3, repris dans Mythe et Histoire dans le Théâtre classique – Hommage à Christian Delmas, Toulouse, Société de Littératures Classiques, 2002, p. 23.

iii  Ibid.

iv  Ibid.

v  Ibid.

vi  Voir la biographie que lui a consacrée Georges Forestier, Paris, Gallimard, coll. NRF/Biographies, 2006.

vii Delmas Chr., art. cit., p. 25.

viii  Ibid., p. 25.

ix  Ibid., p. 26.

x  Ibid., p. 29.

xi  Ibid., p. 29 et 31.

xii  Chappuzeau Samuel, Le Théâtre français, édition de Georges Monval, Paris, Bonnassiés, 1875, p. 117.

xiii  Auxquels nous avons consacré notre thèse de doctorat (dir. G. Forestier, Paris IV-Sorbonne, décembre 2009 ; à paraître chez Champion) : Les pièces rivales des répertoires de l’Hôtel de Bourgogne, du Théâtre du Marais et de l’Illustre Théâtre. Deux décennies de concurrence théâtrale parisienne (1629-1647).

xiv  Les dates données, seules, entre parenthèses indiquent la saison ou l’année de création. Précédées de la mention « publ. », elles indiquent la date de publication. Précisons de plus qu’une saison théâtrale s’étend d’une célébration pascale à la suivante.

xv  Nous reprenons la distinction établie par Jacques Morel (Rotrou dramaturge de l’ambiguïté, Paris, Klincksieck, 2002, p. 176-177).

xvi  Ce que rappelle Georges Forestier à propos de la genèse de Suréna : voir l’Essai de génétique théâtrale, Genève, Droz, 1988, p. 81-82.

xvii  Introduction à son édition de Bélisaire, [in] Rotrou, Théâtre complet, vol. I, Paris, S.T.F.M., 1999, p. 13-14.

xviii  Il faut de plus préciser qu’historiquement, le comte était coupable de conspiration (voir Scherer Jacques, Notice de la pièce, [in] Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, 1986, p. 1304) ; l’adaptation théâtrale du sujet se fait donc au gré d’une distorsion des faits, ce qui confirmerait encore la volonté des dramaturges de s’inscrire dans une thématique dramatique préexistante.

xix  L’association se trouve sous la plume des théoriciens contemporains, notamment de La Mesnardière (La Poétique, Paris, Sommaville, 1639, p. 44-45).

xx  Delmas Christian, Didon à la scène – Scudéry, Didon (1637) ; Boisrobert, La Vraye Didon, ou la Didon chaste (1643), édition de Christian Delmas, Toulouse, Société de Littératures classiques, 1992, p. lxxvii.

xxi  Ibid., p. lxxvii.

xxii  À strictement parler, comme on le verra plus loin, la survie du fils de Rhodogune est indépendante de la grâce de celle-ci. On peut adjoindre à ces avatars doublés de Phèdre l’exemple d’Oxane, l’Amante vindicative de Baro (L’Amante vindicative, publ. 1652) : éconduite par Oronte, fils de Cléante, qu’elle s’apprête à épouser, elle se venge en le calomniant, et en provoquant un combat entre le père et le fils. Alors qu’Oronte doit être exécuté, elle est prise de remords, et se suicide après l’avoir disculpé.

xxiii  On citera ainsi : Céline ou les Frères Rivaux (Beys, 1633-1634 ou 34-35), Antigone (Rotrou, 1637-1638), Les Véritables Frères rivaux (Chevreau, 1639-1640 ou 40-41), Horace (Corneille, 1640-1641), Le Triomphe des cinq Passions (Gillet de La Tessonnerie, 1641-1642), Le Couronnement de Darie (Boisrobert, 1640-1641 ou 41-42), Arminius ou Les Frères ennemis (Scudéry, 1642-1643), Artaxerce (Magnon, 1644-1645), Rodogune (Corneille, 1644-1645), Rhodogune (Gilbert, 1645-1646), Oroondate (Guérin de Bouscal, 1644-1645), Célie ou le Vice-Roi de Naples (Rotrou, 1644-1645), Aricidie ou Le Mariage de Tite (Le Vert, publ. 1646), La Mort des enfants de Brute (anonyme, 1646-1647 ou 47-48), Venceslas (Rotrou, 1647-1648), Cosroès (Rotrou, 1648-1649), Les Jumeaux martyrs (Mme de St Balmon, publ. 1650), Nicomède (Corneille, 1650-1651), La Thébaïde ou les Frères ennemis (Racine, 20 juin 1664), Britannicus (Racine, 13 décembre 1669), Tite et Bérénice (Palais-Royal, 21 nov. 1670), Bajazet (Racine, 5 janv. 1672), Mithridate (Racine, 18 décembre 1672).

xxiv Art. cit., p. 25.

xxv Aristote, Poétique, respectivement Chap. xiii, 52 b 12 et Chap. xiv, 53 b 14, trad. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1980, p. 78-79 et 81.

xxvi Corneille, Nicomède, Au Lecteur, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, 1984, p. 640.

xxvii  « Lorsqu’on met sur la scène un simple intrique d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d’Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance ; et veut donner à craindre des malheurs plus grands, que la perte d’une maîtresse. » (Corneille, Discours de l’utilité…, éd. cit., vol. III, p. 124).

xxviii  Voir Baby Hélène, La tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001.

xxix Dans le Soliman de Dalibray, la reconnaissance de Mustapha conforte chez la reine une pitié que ses remords avaient déjà commencé d’éveiller. Dans le Bélisaire de Desfontaines Théodore tente elle-même d’assassiner le héros, mais son geste est arrêté, et le respect que fait valoir Bélisaire achève de la faire revenir à des sentiments plus doux. Enfin, la Rhodogune de Gilbert abandonne toute velléité de vengeance en recouvrant un fils qu’elle a momentanément cru mort.

xxx  Rappelons à cet égard que les trois sujets concernés, pour ressortir à l’Histoire, sont redevables du même traitement que leur modèle primordial : Hippolyte pour Bélisaire et Soliman, Médée pour Rhodogune, rivale de cette Cléopâtre de Syrie que Corneille définit comme « cette seconde Médée » (Rodogune, Avertissement de l’édition originale, éd. cit., II, p. 197).

xxxi D’Aubignac, La Pratique du théâtre, édition d’Hélène Baby, Paris, Champion, 2001, p. 113. Publiée en 1657, La Pratique ne peut avoir influencé la composition des six pièces concernées, pas plus d’ailleurs que les Discours de Corneille, imprimés en 1660. Quant à La Poétique de La Mesnardière, publiée en 1639, elle n’était pas parue au moment de la création des deux Soliman. Cela étant, ces trois œuvres théoriques majeures sont l’aboutissement de réflexions qui agitent le milieu théâtral parisien dès la décennie 1630, et que Corneille publie déjà dans les préfaces originales de ses pièces (on songe par exemple à celle de Cinna, ou de Rodogune). Au reste, elles sont révélatrices de la relation ambivalente que le siècle classique entretient avec la Fable, et des réserves formulées par les théoriciens classiques à l’égard de l’imagination mythique qu’évoquait Chr. Delmas (voir le début du présent article).

xxxii Delmas Christian, art. cit., p. 23.

xxxiii  Ibid., p. 25.

xxxiv  Ibid., p. 27.

xxxv  Ibid., p. 23.

Mythe et Histoire dans le Théâtre classique – Hommage à Christian Delmas, Toulouse, Société de Littératures Classiques, 2002.

Aristote, Poétique, trad. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1980.

D’Aubignac, La Pratique du théâtre, édition d’Hélène Baby, Paris, Champion, 2001.

BlondetSandrine, Les pièces rivales des répertoires de l’Hôtel de Bourgogne, du Théâtre du Marais et de l’Illustre Théâtre. Deux décennies de concurrence théâtrale parisienne (1629-1647), Paris IV-Sorbonne, décembre 2009 (à paraître chez Champion).

Chappuzeau Samuel, Le Théâtre français, édition de Georges Monval, Paris, Bonnassiés, 1875.

Corneille Pierre, Trois Discours sur le poème dramatique, Paris, Courbé, 1660, [in] O. C., Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. III, 1987 ; édition de Marc Escola et Bénédicte Louvat, Paris, Flammarion, 1999.

Delmas Christian
- « Du mythe au XVIIe siècle », Revue d’Histoire du Théâtre, 1988-3, repris dans Mythe et Histoire…, p. 23.31.

- Didon à la scène – Scudery, Didon (1637) ; Boisrobert, La Vraye Didon, ou la Didon chaste (1643), édition de Christian Delmas, Toulouse, Société de Littératures classiques, 1992.

Durand Gilbert, Les Structure anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992.

Forestier Georges,
- Esthétique de l’identité dans le théâtre français, Genève, Droz, 1988.

- Racine, Paris, Gallimard, coll. NRF/ Biographies, 2006.

La Mesnardière, La Poétique, Paris, Sommaville, 1639.

Morel Jacques, Rotrou dramaturge de l’ambiguïté, Paris, Klincksieck, 2002.

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