N°20 / Les nouvelles idéologies Janvier 2012

La raison technique et l’homme

Jeanine Mudryk-Cros

Résumé

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Compte rendu du texte de Jürgen HABERMAS
« la technique et la science comme « idéologie » Gallimard – Collect. TEL - 1973

L’origine de ce texte réside dans la décision de J. HABERMAS de discuter une thèse d’H. MARCUSE, à l’occasion du 70ème anniversaire de ce dernier. Celle-ci s’énonçait ainsi : « la puissance libératrice de la technologie - l’instrumentalisation des choses – se convertit en obstacle à la libération, elle tourne à l’instrumentalisation de l’homme. ». Le propos ici, n’est pas de reprendre en détail la discussion de cette thèse. Il s’agit plutôt, à partir de cette analyse, de projeter quelques arguments développés dans ce texte sous l’éclairage de notre quotidien, pour nous interroger sur les nouvelles idéologies contemporaines.

Reprenant le concept de rationalité de Max Weber, et après avoir illustré comment les critères de décision rationnelle ont infiltré presque tous les domaines de la société, J. HABERMAS constate le lien entre la rationalisation croissante de la société et l’institutionnalisation du progrès scientifique et technique.

Au nom de la rationalité, une forme de domination politique inavouée prend place laquelle, peu à peu, soustrait l’individu à la réflexion et légitime à terme toute domination se réclamant d’elle. La science et la technique sont, en tant que tels, domination car elles secrètent, de façon consubstantielle, des arguments de la Raison Technique qui justifient la finalité de la domination. Il s’entend bien sûr que la Raison Technique, sitôt évoquée, s’auto-justifie, s’auto-légitime et est tout naturellement portée à dominer.

Ce qui est nouveau, c’est que la domination ne s’encombre plus de répression. Elle trouve des individus, des prosélytes, prêts à entretenir et à développer le système, légitimé de par sa nature scientifique et technique. « Cette répression peut disparaître de la conscience de la population parce que la légitimation de la domination a revêtu la référence, toujours croissante, qui assure aux individus des conditions d’existence toujours plus confortables » précise J. HABERMAS.

La science et la technique légitiment implicitement leur pouvoir car, se proposant de maîtriser la nature, ils se trouvent, de fait, dans la position de maîtriser « l’homme-nature ». « Ce que j’essaie de montrer, c’est que la science, en vertu de sa propre méthode et de ses propres concepts, a projeté un univers au sein duquel la domination sur la nature est restée liée à la domination sur l’homme et qu’elle l’a aidé à se développer, et ce lien menace d’être fatal à cet univers dans son ensemble » note H. MARCUSE.

Il est tentant d’appliquer cette grille de lecture à notre société du 21ème siècle, notamment par rapport à deux domaines. Le premier est représenté par l’informatique, mais plus spécifiquement par le monde « APPLE », référence technologique « absolue » pour de très nombreuses catégories d’individus qui, volontairement, se soumettent au plaisir du tactile et de la tablette tactile. Le second est constitué du monde des neurosciences dont les recherches nombreuses et fertiles et les théories multiples envahissent notre conception et notre vision du monde en leur distillant de péremptoires affirmations. Elles semblent oublier peut-être de nous rappeler le postulat fondamental sur lequel elles s’appuient : appréhender l’individu dans sa globalité, et le définir en quelque sorte par une image de « finitude », ce qui reste pourtant un postulat. Les neurosciences ont-elles découvert le moyen d’aborder l’humain dans ses contours, ses limites visibles et invisibles ? Elles nous suggèrent une approche de l’homme nouveau, sans libre arbitre et intrinsèquement déterminé. Est-ce la société qui crée l’homme ? Est-ce l’homme qui crée la société ? Telles étaient nos questions restées sans réponse. Les neurosciences ne poseraient-elles pas les bases d’une nouvelle idéologie ? Celle de l’homme maîtrisant l’homme nouveau, façonnable et perfectible ? Envisager ainsi l’avenir redonnerait, en apparence, le pouvoir à l’homme, chercheur,  issu d’une société démocratique dans laquelle l’expertise vaut passeport pour le pouvoir presque absolu ! L’appellation de neurosciences est, à ce titre, symbolique d’un pouvoir sans égal puisqu’elle concerne la « substance » de l’individu, le cerveau en particulier. Or, ne sont-elles pas en train de créer l’homme nouveau, prototype conceptuel construit par la science ? L’interrogation légitime que nous pouvons poser est la suivante : le positionnement de ce domaine scientifique semble arriver à point nommé au moment où notre mode de vie actuel donne l’impression d’être inspiré de la robotique ! Le malaise dont souffre l’homme contemporain, qu’il traite d’ailleurs par l’utilisation de benzodiazépines et de lithium trouve-t-il son origine dans ce style de vie plutôt « inhumain » ou bien plutôt en raison d’un « bug » découvert au niveau de son cerveau ?

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