L’état du monde en 2015
Voilà une intéressante compilation sur les conflits aux quatre coins du monde. Et un panorama des conflits contemporains avec des analyses claires et intéressantes.
La violence est la chose la mieux partagée, explique B. Badie dans son introduction. Les caprices de Mars s’épanouissent au XXIe siècle. Plusieurs questions se posent sur les nouvelles guerres : la guerre classique et la nature de la guerre ? Des sociétés guerrières ? Comment traiter les nouvelles guerres ? Ce sont les grandes questions qui vont défiler dans cet ouvrage collectif.
Dans un texte de F. Ramel, trois approches guident les analyses : une « nouvelle barbarie » est la première. Elle est portée par Robert Kaplan. C’est le résultat du déchaînement de la haine ethnique, culturelle et religieuse. Laquelle échappe à toute rationalité politique. Une deuxième approche traite de la logique qui anime les belligérants. C’est une lecture des intérêts. La dernière approche est guidée par le fonctionnement de l’Etat et de l’élite au pouvoir.
Les auteurs soulignent que l’ouverture du mur de Berlin, puis la chute de l’Union soviétique en ont terminé avec la gestion bipolaire du monde. Or, il n’y a pas eu la « fin de l’histoire » que Fukuyama pronostiquait.
Dans des grandes parties du monde s’accumulent les déficiences de l’État, lequel n’assure pas la sécurité de la population. L’État est mis en question. Des nouvelles sources de conflit se produisent aussi à la lumière d’une désintégration sociale et politique. En Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique Latine, un processus de délitement se manifeste. Tout cela s’explique, disent les auteurs, par des facteurs exogènes. Ainsi, ici et là, de nouvelles guerres irrégulières font que le système international est plus incertain. Ce qui profite aux interventions de l’extérieur. La politique des grandes puissances développe un changement dans la continuité, dans des vastes zones d’instabilité.
Ni paix ni guerre : mais des conflits sans fin.
Le nouvel interventionnisme militaire s’écarte de la guerre conventionnelle pour prendre la forme d’une police globale.
Les interventions des USA et de ses alliés sont conçues comme des opérations d’ordre avec ou sans l’aval de l’ONU ; cette attitude de police globale mène la guerre contre la drogue, et puis contre le terrorisme à l’échelle globale avec des points locaux.
Plusieurs conséquences sont visibles : une routinisation des conflits armés, l’affaiblissement des frontières de pacification, la militarisation des sociétés, et une « industrie du risque » selon la formule de L. Gayer.
Les conflits sans fin : ni paix ni guerre. Les interventions, avec ou sans aval de l’ONU, sont devenues des opérations d’ordre public et de police internationale. Contrairement aux conflits passés, l’opération d’ordre public se déterritorialise et est incommensurable et désincarnée. L’ennemi n’est plus clairement identifié. Il reste abstrait et omniprésent. L’ordre et le désordre sont des notions relatives. L’ordre politique est indissociable de l’ordre moral. La souveraineté est évanescente. Les justiciers peuvent l’être hors la loi.
Par ailleurs, la question des ressources naturelles conditionne la nature des conflits. Ainsi le climat et ses changements.ont des conséquences sur la sécurité et le contrôle stratégique. C’est le spectre de la crise environnementale qui pèse dans l’appréciation des conflits armés.
Le coût de la guerre provoque des crises budgétaires chez les interventionnistes. Ainsi, on peut parler d’armées de riches et d’armées de pauvres. Le débat porte sur les grands industriels de l’armement et le paradoxe des armées trop sophistiquées au détriment des équipements de base. Les nouvelles guerres sont asymétriques et provoquent une crise stratégique. Il y a une imbrication entre stratégie classique, sociologie du conflit et économie de défense. Par exemple tous les combattants ne parlent pas la même langue, avec toutes ses conséquences.
La vente d’armes est un vecteur dans les relations internationales. Le marché mondial de la défense pourrait atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2018. L’acculturation technique et opérationnelle est associée au transfert d’armement. Ainsi l’accoutumance technologique et le volet culturel sont intégrés.
Toutefois, le chercheur Poltevich signale que la prolifération des armes légères pose des questions, car plus de 600 millions sont en circulation. Phénomène complexe et multiforme qui touche de nombreux pays où la criminalité et la violence s’accroissent de jour en jour.
Dans autre domaine, D. Vidal nos propose un intéressant article sur la puissance exportatrice d’Israël. La France a été déplacé de la quatrième place par Israël.
D’autres articles montrent la diversité tentaculaire des nouvelles guerres : la mue du renseignement, les cyberguerres et les cyberconflits, les brouillages sémantiques, la réussite des drones, la privatisation des guerres (le mercenariat), les milices et la sous-traitance, la piraterie des mers.
Également, les conflits actuels mettent en lumière les questions de droit international et de criminalisation de l’adversaire. Les rôles des organisations humanitaires, les pratiques de médiation, la violence contre les femmes, la gestion militaro-sécuritaire des migrations.
Enfin, ce livre s’interroge sur les théâtres des conflits régionaux : l’Ukraine, le Caucase, le Cachemire, l’Irak, la Syrie.. Un chapitre est consacré à la guerre contre la drogue au Mexique.
Sont traités aussi les référents religieux, en Afrique, l’intervention en Centrafrique, les groupes guerriers au Congo.
Pour finir, des cartes, des graphiques et une abondante bibliographie, laquelle montre que le retour de la guerre est aussi un déclin de la gouvernance mondiale.