N°34 / Avenir de la démocratie Janvier 2019

La présence au cœur du soin

Vincent Fouques Duparc

Résumé

VARIA

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SOMMAIRE

Introduction

L’autisme médio-administratif statistique

Concept de satisfaction subjectif du malade

La notion de « présence au cœur du soin »

De l’autisme médico-administratif statistique, au socle d’un système de santé en perdition, à l’analyse d’un concept statistique de satisfaction subjective du malade, pour s’ouvrir à la notion de « La présence au cœur du soin »
« La voix de ce qui est plus grave que le sang des hommes, plus inquiétant que leur présence sur terre : la possibilité infinie de leur destin »
Malraux – L’espoir

Introduction

Dans un premier article (1), il avait été développé le support conceptuel d’une démonstration chronologique visant à prouver que le développement de la techno-médecine avait entrainé une profonde rupture du lien de relation qui avait existé depuis toujours entre le soignant et le soigné. Cet éloignement dans le contact de proximité et la menace dans la qualité de la relation qu’il entraine avait été favorisé par un processus de virtualité grandissante au point qu’il avait été évoqué dans cette publication la notion de « la transparence de l’homme, par la transparence du corps ».

Par le développement des sciences de l’informatique et du numérique venant impacter l’imagerie médicale, la connaissance de la maladie de l’organe est devenu imagée et non plus relationnelle. Il était alors avancé que la puissance mise en action par le renversement de la courbe démographique de la population vieillissante pouvait être une véritable chance pour la médecine moderne de savoir revenir à la gestion d’une pensée complexe sachant prendre en compte, en un même temps et en un même lieu, les dimensions médico-psycho-sociales d’une personne malade, vieillissante et poly pathologique chronique.

Dans un deuxième article (2), il avait été étudié la réalité de la déliquescence de ce lien entre le soignant et le soigné. En citant les échecs successifs des textes d’applications de références qui se sont succédés les uns après les autres au Ministère de la santé, l’article signait ici le constat d’une rare naïveté que celle de vouloir humaniser les pratiques médicales, tant hospitalières qu’extra hospitalières, par injonctions à partir de textes applicatifs. Devant « cette absence » qui envahissait l’espace de soin d’une cynique indifférence, il avait été évoqué l’idée d’approfondir la piste d’un mot-concept qui pourrait se rapprocher de barbare pour un grand nombre d’entre nous.

« La Présence », ne serait-elle pas à savoir retrouver et appliquer au cœur du soin ?

Présentement, l’analyse de l’organisation statistique des pratiques de soins va être ici présentée comme étant un autre risque à savoir désigner, car signalement du choix moral de la primauté du collectif qui s’impose « de facto » à la personne. Qui d’entre nous ici, cher lecteur, est disposé à renoncer sereinement à la spécificité de sa personne au profit d’un collectif à déterminations statistiques ?

Il sera abordé en un deuxième point un éclairage sur l’analyse des bases sur lesquelles reposent actuellement l’évaluation de « la qualité de vie en secteur de la santé ». C’est devant la fragilité subjective de ces méthodes qu’en un troisième temps sera abordé la notion de « Présence aux soins », et ce qu’elle pourrait avoir d’essentiel pour l’avenir de chaque être humain mis en dynamique de soin.

L’auteur souhaite ici faire partager son intuition du fait que la notion de « Présence » travaillée, retrouvée et appliquée au cœur du soin pourrait venir servir de levier de force à une meilleurs qualité subjective des soins, s’opposant frontalement au projet de perte de sens dans lequel la médecine d’aujourd’hui s’enfonce, complice qu’elle est de sa perte.

L’autisme médio-administratif statistique

L’autisme est bien devenu une maladie collective qui vient toucher de nos jours jusqu’à l’institution publique, l’administration et l’organisation de la santé. Dans l’introduction de leur livre (3), Anne REVAH-LEVY et Laurence VERNEUIL, toutes deux professeurs de médecine et chefs de services hospitaliers nous disent « Télévision, radio, presse écrite ne manquent pas de mettre en évidence les impasses de notre système de santé. Erreurs de gestion, réductions de lits, plans de retour à l’équilibre intenables, manque de personnel, équipes épuisées, discriminations régionales devant l’offre de soins… L’hôpital est en train de broyer les soignants, y compris les médecins. Ces acteurs de santé n’y arrivent plus, ils subissent des modèles de gestion qui sont par endroits intenables, et la désolation grandit… on nous a imposé une vision entrepreneuriale de l’hôpital, les soins et les patients sont des marchandises…ce qui existe dans les hôpitaux n’est pas de la médecine, c’est de la distribution plus ou moins réussi de traitements qu’on compte pour ce qu’ils rapportent à l’hôpital. »

Confucius disait déjà : « Le piètre médecin soigne la maladie, le bon médecin soigne le malade, le grand médecin soigne la société » (4).

Publié au sein de la collection « Evaluation et statistiques (Masson), Bernard Grenier a publié un ouvrage intitulé « Evaluation de la décision médicale ; Introduction à l’analyse médico-économique » (5).

Il y est fait état d’un conflit entre deux morales :

« Le conflit est manifeste entre deux rationalités : celle qui obéit à une philosophie dite « téléologique » où le résultat mesure la valeur de toute action, et celle de la tradition hippocratique dite « déontologique » qui refuse de dériver la loi morale d’une notion pragmatique du Bien.

La philosophie déontologique est définie dans les termes de l’enseignement de Kant : Agis toujours de telle sorte que tu puisses ériger la maxime de ton action en loi universelle. Agis toujours de telles sortes que tu traites l’humanité dans ta personne aussi bien qu’en la personne d’autrui comme une fin et non pas un moyen. ».

La doctrine liée à la philosophie téléologique est basée sur une doctrine conséquentielle qui, contrairement à la tradition hippocratique, donne accès à la mesure des résultats observables et quantifiables « a postériori ». Notons avec Bernard Grenier que la philosophie déontologique est une morale de la motivation et donc une morale de « l’a priori » qui est, par nature, subjective et inaccessible à l’observation.

On comprend mieux l’attrait d’une morale conséquentialiste au sein de la culture scientifique, économique/financière et pragmatique d’aujourd’hui, sans partage aucun qu’elle se confirme avec d’autres morales car, de principe, laïque et loin des références du transcendant.

L’auteur de cet ouvrage note au passage que cette doctrine morale conséquentialiste « qu’on ne saurait condamner en soi » n’en renverse pas moins la base de la morale médicale traditionnelle qui est de nature philosophique déontologique.

Pour Bernard Grenier, une telle morale pragmatique n’est donc pas condamnable tant que les décisions et les conséquences sont simples. Elle devient beaucoup plus discutable, de son point de vue, quand les conséquences sont inconnues ou incertaines ou surtout quand elles sont concurrentes ou conflictuelles.

Le malheur, aujourd’hui, est bien celui d’en être arrivé finalement à ce point ultime, celui de l’incompréhension, du non-sens et des situations de conflits ouverts.

Anne Fagot-Largeault (6) menant une réflexion sur la qualité de vie, nous dit que :

« Pour le conséquentiel… est éthiquement correcte la conduite d’où résulte le maximum de bien et/ou le minimum de mal. Si des intérêts individuels entrent en conflit avec l’intérêt général, on est en droit de maximiser l’intérêt général ; le bien de la communauté des êtres pensants peut impliquer un minimum de sacrifices individuels. L’utilitarisme reconnait la présence d’un dilemme moral ; il assume la responsabilité de le trancher dans le sens de ce qui est globalement le meilleur ou le moins mauvais. A l’inverse, le moraliste « déontologique » se tient responsable de sa propre attitude, et non des conséquences qu’elle a sur l’état du monde. Le déontologue ne juge pas que le calcul des avantages soit immoral, mais il se refuse à subordonner la loi morale à la notion empirique du bien et du bonheur. La dignité de l’existence d’un sujet moral n’est pas un bien négociable. Le déontologue juge qu’aucun être raisonnable ne peut vouloir sacrifier un malade à un autre. Aucune fin si bonne soit-elle, ne justifie un tel moyen. Le déontologue affiche le principe égalitaire et humaniste du caractère sacré de la vie humaine. »

La morale médicale est donc coincée entre les deux options. Celle de la morale de la quantité mesurable des effets d’une action jugée a posteriori, et celle de la morale de la qualité qui s’impose à chaque être humain pris séparément et a priori.

Il est cependant notable de lire chez Anne Fagot-Largeault « qu’à force de scruter la rationalité des QALY, les théoriciens de l’utilitarisme ont exploré les limites où il devient évident que tout n’est pas commensurable. Il est alors évoqué que ceux qui repoussent le conséquentialisme en théorie, sauf à s’en laver les mains (ce qui arrive), s’arrangent pour qu’en pratique les conséquences de leurs actions ne soient pas trop mauvaises… ».

Dans son chapitre « voies et perspectives de la décision clinique » de son ouvrage très scientifique (5), Bernard Grenier donne cependant le ton de ce combat entre ces deux philosophies, disant « qu’il est important que les médecins se penchent sur ces problèmes en dépit de leur caractère vraisemblablement insoluble, et sur les bases philosophiques qui les sous-tendent. Ces problèmes ne tarderont pas à se poser de façon critique, de façon insistante, aux praticiens, aux gérants de la santé, à l’ensemble de la société »

Le paradoxe dans cet ouvrage où il est dit « que si un médecin se pose la question de savoir si son activité peut être assurée par un robot…il faut qu’il en soit ainsi » est bien qu’il est dit par ailleurs « qu’il est de nécessité vitale pour notre société que la référence déontologique, celle du caractère sacré de la nature humaine et du respect absolu de la vie, reste la référence fondamentale. La civilisation ne peut l’abandonner au risque de l’effondrement de son sens et de sa survie. La référence utilitariste ne devient acceptable que si la première est en priorité, présente et respectée »

C’est donc au cœur même d’un ouvrage faisant « références scientifiques » du monde médical des sciences fondamentales, centré qu’il est sur l’introduction à l’analyse (statistique) médico-administrative de la décision médicale, que l’on trouve la plus belle fulgurance en défense de nos thèses défendues ici même.

L’autisme statistique aurait-il donc une part de géniale intuition ?

Concept de satisfaction subjectif du malade

Dans l’ouvrage collectif « Médecine et sciences humaines, manuel pour les études médicales » sous la direction de Jean-Marc Mouillie, Céline Lefève et Laurent Visier, (7) il est dit que « La caractéristique commune des mesures de santé perçue est de prétendre quantifier l’impact des maladies ou des différentes interventions de santé sur la vie quotidienne des patients du point de vue des intéressés eux-mêmes. Cette perspective est recherchée car de nombreuses études empiriques ont montré que les perceptions des patients déterminent, au moins partiellement, l’utilisation des services et des traitements et l’impact que ceux-ci auront sur leur état de santé. L’idée est que pour mieux soigner le malade, le professionnel de santé d’aujourd’hui ne doit plus seulement le considérer de son point de vue, mais essayer de comprendre le point de vue que le malade a sur lui-même. Mais la véritable nouveauté ne réside pas tant dans l’intérêt que portent les professionnels de la santé à la qualité de vie de leurs patients que dans leur volonté d’user des instruments de mesure qui permettent de quantifier, conformément à des règles, cette qualité de vie en fonction des réponses des patients recueillies dans des questionnaires standardisés. »

La mesure psychométrique de qualité de vie liée à la santé a donc vu le jour. Les instruments et les questionnaires de qualité de vie liés à la santé reposent sur un ensemble de descripteurs dont les combinaisons définissent les différents états entre lesquels chaque sujet est invité à identifier le sien en choisissant une des modalités de réponse proposée. Ces questions sont habituellement regroupées en dimensions dont « on pense » qu’ils sont liés à la qualité de vie. Dans la perspective de l’utilisation des mesures de qualité de vie en santé publique, l’ensemble de ces valeurs peut être assimilé à ce que les économistes appellent « une fonction de choix social ».

Il est dit dans cet ouvrage que « la construction et la validation des échelles de qualité de vie liées à la santé exigent un travail long et difficile qui n’est correctement réalisé que dans un petit nombre de cas ... La phase la plus difficile et la plus longue de l’élaboration sont celles du choix des questions et plus généralement l’établissement de la validité de contenu…

C’est dire à quel point il est recueilli ici l’avis du malade à partir d’une grille préfigurative dont la difficulté a été d’élaborer le bon choix des questions et la validité du contenu.

Cela voudrait dire que ces enquêtes de qualité de vie en santé seraient directives en enquête comme en choix applicatifs et destinées, non pas à écouter le malade, mais bien à quantifier les réponses d’une population donnée.

C’est ainsi que même au cœur d’une démarche visant officiellement à évaluer la qualité de vie subjective d’un malade, on se heurte en réalité une nouvelle fois à des pratiques directives et statistiques dont il est reconnu que les modalités de conceptions sont difficiles et d’application rares.

La notion de « présence au cœur du soin »

Pour celui qui est en formation aujourd’hui, la relation de soin est souvent pensée à partir de la notion de distance. Avant de pouvoir rencontrer le patient et de tisser avec lui une relation, le « bon professionnel » doit en effet savoir garder ses distances et gérer ses émotions ! La relation apparaît de nos jours comme une pratique à risque qui impose de se protéger.

Mais peut-on réellement soigner sans engager une part de soi-même ? Ce qui apaise le malade et contient ses angoisses n’est-ce pas justement la présence ? Etre là, pour accueillir la souffrance morale, accueillir les délires comme les angoisses. Ne serait-ce pas la juste posture d’une présence ? Entre peu et beaucoup, comment savoir doser cette proximité au cœur du soin ? Comment redonner la primauté à la relation interpersonnelle alors que les soignants dans leurs grandes majorités déplorent la perte de sens au sein même de leur engagement ? Le référentiel métier est-il en train de se briser ?

Savons-nous ce qui « fait » rencontre ? Savons-nous jusqu’où aller en tant que soignant ? Savons-nous comment se laisser toucher par l’autre ? Savons-nous comment assurer la singularité du lien ?

Les freins à la relation interpersonnelle ne sont pas uniquement liés à l’institution en place, contrairement à ce que nous voulons démontrer dans la succession de ces articles. Les soignants eux-mêmes ont l’expérience de vivre au cœur du soin des émotions bien souvent complexes et contradictoires. Alors comment affronter cette peur des profondeurs, comment dépasser le dégoût, la colère voire anticiper les processus d’identification des énergies projectives ? Comment oser nommer et reconnaître à la fois ses émotions, ceci sans paraître ni faible ni fragile ? Comment s’ajuster avec sérénité aux émotions des patients comme à celles de son entourage ? Quelle est l’intelligence émotionnelle qui pourrait apparaitre comme facteur de progrès et d’efficience.

Le Docteur Dominique-Michel Courtois nous évoque « Qu’elle semble loin, l’époque où les rapports entre les malades et leurs médecins étaient faits de respect, de confiance, voire même de véritable vénération, plaçant ainsi le médecin au-dessus de toute critique… on allait les voir pour les maux du corps mais aussi pour ceux de l’âme » (4)

Aujourd’hui où tout est mesuré, 23 secondes ( !) c’est en moyenne le temps de parole libre du patient avant que le médecin ne l’interrompe pour diriger l’entretien, nous disent Anne REVAH-LEVY et Laurence VERNEUIL. (3)

Pourtant Margot Phaneuf (7) vient à juste point nous redire que « Les soins infirmiers rassemblent une large somme de connaissances diverses et se fondent sur une relation soignant-soigné particulière qui, selon l’habileté de l’infirmière et sa volonté d’aider le patient, la conduit à l’utilisation thérapeutique de soi.

La relation d’aide en soins infirmiers est, somme toute, la pratique d’une « science avec conscience » (8) selon la pertinence de la pensée complexe d’Edgar Morin.

Il est dit que « Par ce moyen, la soignante assume sa présence auprès de la personne soignée en appliquant ses connaissances à des phénomènes physiques, physiologiques et pathologiques. Mais elle prend en même temps conscience que ce malade dont elle s’occupe est un être humain parfois dépassé par sa souffrance physique, affecté par la tristesse, la peur de son devenir, le découragement devant un diagnostic critique ou, tout simplement, par la lenteur de l’évolution de sa guérison. Par une présence chaleureuse et agissante, par sa main tendue avec empathie, l’infirmière peut faire une différence ; c’est l’alliance du cœur et de la raison pour aider la personne malade. Il faut déplorer cette distance dans la relation soignante-soigné qui nous installe dans la superficialité relationnelle et laisse toute la place aux aspects techniques et organisationnels. Dans l’appréciation du travail infirmier, ces aspects sont certes très importants, mais ils ne sont que l’une des faces d’une même réalité où qualité des soins et qualité relationnelle ne font qu’un. De bons soins physiques soutenus par une organisation fonctionnelle peuvent paraître efficaces, mais s’ils ne sont pas habités par une présence chaleureuse, par une attention à l’autre et une compréhension réelle de ce qu’il vit, ces soins ne sont pas perçus de manière positive par le malade et par sa famille. Dans les soins, qualité relationnelle et qualité professionnelle sont indissociables. Faire naître la confiance peut constituer un processus laborieux avec certains patients, mais elle peut aussi surgir dans la spontanéité du moment, dans la magie de quelques paroles chaleureuses, d’un regard attentionné ou d’un geste bienveillant. Il s’ensuit que le terrain devient alors fertile pour l’éclosion d’une relation encore plus signifiante, c’est l’amorce d’une relation d’aide informelle.

La présence à l’autre, au sens strict du terme, le concept de présence pourrait ne signifier que le fait banal d’être là et peut laisser croire à un état statique. Mais dans le contexte de la relation d’aide, son sens s’élargit à une qualité d’être profonde et subtile symbolisant force et disponibilité de la soignante, des qualités qui se font sécurisantes pour la personne. La capacité de l’infirmière d’être concrètement près d’elle, en même temps que son habileté psychologique à se situer avec elle, dans le partage de son expérience de maladie, en fait toute la richesse. C’est une proximité physique et une disponibilité affective calme et chaleureuse dont il se dégage une attitude tournée vers la personne et toujours en éveil ».

Cette forme d’écoute est si agissante, qu’à elle seule, elle suscite la confiance. Ph. Kaepplin n’écrivait-il pas « qu’écouter quelqu’un, c’est le faire exister. » (9)

« Cela semble si simple et si ordinaire, et pourtant « l’attention véritable », l’expression et la posture d’écoute ne sont pas si faciles à extérioriser. De surcroît, il y a bien des manières d’écouter qui ne sont pas fonctionnelles. L’écoute passive qui demeure superficielle, l’écoute défensive conduisant l’infirmière à se justifier et l’écoute protégée qui la ferme aux propos émotionnellement perturbateurs sont quelques exemples d’écoute dysfonctionnelle susceptible d’altérer nos relations avec le client.

L’empathie, ne serait-elle donc pas la voie royale de la relation d’aide au cœur du soin ?

« L’ouverture à soi, une nécessité de la relation d’aide exige une ouverture à l’autre, mais pour s’ouvrir à l’autre, ne faut-il pas d’abord savoir s’ouvrir à soi, à ce que nous sommes, à ce que sont nos forces ancrées et nos limites invalidantes.

C’est ainsi, et pas vraiment nouveau, qu’une certaine connaissance de soi est essentielle.

Atteindre une véritable utilisation thérapeutique de soi, c’est à ce prix que se crée avec le patient ce lien fort et profond qu’est la relation d’aide. C’est ce travail sur soi, toujours inachevé, que le professionnel de santé doit poursuivre afin d’arriver à une utilisation maximale de ce qu’il est, de ce qu’il possède comme qualité d’ouverture à l’autre. Sa capacité de présence, la manifestation de son acceptation inconditionnelle, de son écoute, la vigueur de sa considération positive et de son empathie, soutenue par l’humour et l’énergie de son espoir, lorsqu’elles sont mises au service du malade, deviennent une thérapie agissante, une force d’attraction vers un effet de mieux-être.

L’utilisation thérapeutique de soi est possible, ce ne sont pas de vains mots. Elle nous propose le défi généreux et admirable de croître au plan personnel et d’utiliser nos connaissances de la personne, les habiletés et les stratégies acquises en relation d’aide conjuguées à nos capacités personnelles.

Il nous faut cependant chercher à les développer.

Pour bon nombre de professionnels de santé, une relation soignante-soigné intense correspond à un désir profond d’accomplissement personnel et de réalisation d’objectifs intangibles susceptibles de donner sens à leur travail contraignant, fréquemment trop superficiel et mécanique. Bon nombre ont encore le souci de s’investir de manière différente auprès des malades, mais sont souvent arrêtés par les exigences du quotidien et par le tourbillon de la routine. Comment réduire cette distance qui s’instaure ?

Comment briser la banalité des habitudes de chaque jour ?

La relation d’aide devrait être, pour tous les soignants, un outil du quotidien, adaptable à diverses situations, bien enraciné dans les mentalités et sous-entendu également dans les routines de soins.

Dans une thèse de doctorat de psychologie soutenue en avril 2018 à l’Université du Québec (Montréal) intitulée « L’expérience de la présence chez les infirmières en soins palliatifs : Une analyse phénoménologique interprétative », Christine Goyette (10) nous confirme que « les résultats de cette étude phénoménologique font ressortir la valeur de l'expérience de la présence dans les soins infirmiers de tous horizons ». Cette thèse montre la pertinence clinique de savoir sensibiliser et former les soignants à la valeur éthique « de la présence ». S'il est vrai que la présence peut « s'incarner dans un souffle, dans un chant, dans une caresse », il est aussi vrai que le chemin vers l'intériorité ouvre vers un espace de rencontre infiniment plus large puisqu'il permet la réconciliation avec le soi et le temps, ce qui, nous l'avons vu, constitue de prime abord un défi pour les soignants tout autant que pour ceux qui les forment.

Et s’il fallait se tourner vers la pratique cadrée et enseignée « du soin palliatif » pour avancer plus sûrement sur notre démarche d’exploration du juste soin entre le soignant et le soigné ?

Et s’il fallait anticiper ici que c’est par « le modèle de la pratique du soin palliatif » qu’il sera nécessaire de passer pour repenser notre pratique du soin actuellement en dérive ?

En effet, comme le suggère cette thèse, l’expérience de la présence peut être une source de sens et permettre aux professionnels du soin de toucher de nouveau à la beauté de l'acte de soigner.

En ce sens, une relation bien ancrée en soi et dans un « ici et maintenant » expérimenté peut révéler toute la richesse du monde-de-la-vie, celui qui inclut tout autant celle de mourir.

(1) Vincent Fouques Duparc, « L’homme rendu transparent par la techno-médecine ou la mort programmée de la médecine », Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 29, Juillet 2016. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3335

(2) Vincent Fouques Duparc, « De « l’absence » à « la présence » au soin : un levier de grande efficacité à savoir retrouver », Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 33, Juillet 2018. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3690

(3) Anne Revah-Levy, Laurence Verneuil, Docteur, écoutez. Pour soigner, il faut écouter. Albin Michel.

(4) Dr Dominique-Michel Courtois. Maître Philippe Courtois, Le livre noir de la médecine. Albin Michel.

(5) Bernard Grenier. Evaluation de la décision médicale. Introduction à l’analyse médico-économique. Masson.

(6) Fagot-Largeault A – Réflexion sur la qualité de vie – in R. Launois et F. Regnier – Décision thérapeutique et qualité de la vie – Paris. John Libbey Eurotext : 83-100

(7) Margo Phaneuf Relation d’aide et utilisation thérapeutique de soi, des outils pour les soins infirmiers. Infiressources.

(8) Edgar Morin, Science avec conscience, Fayard.

(9) Philippe Kaepplin. Mieux écouter pour mieux communiquer, Paris, SF Editeur.

(10) Christine Goyette. Thèse de doctorat de psychologie. L’expérience de la présence chez les infirmières en soins palliatifs : une analyse phénoménologique interprétative. Université du Québec (Montréal).

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