N°42 / Langues et politique en Afrique - Janvier 2023

Un linguiste contre les Lumières et la Révolution : Charles Nodier

Gisèle Valency

Résumé

Nous avons un exemple particulièrement éclairant en la personne et l’œuvre de Charles Nodier qui prend systématiquement, sur la question linguistique, le contrepied des révolutionnaires du siècle précédent. Un peu oublié aujourd’hui, Charles Nodier a exercé une sorte de magistère de l’esprit au début du XIXème siècle. Hugo, Dumas, fréquentèrent un cercle d’intellectuels et d’écrivains appelé « le Cénacle », que Nodier recevait à la Bibliothèque de l’Arsenal dont il était le conservateur. Il  ridiculise les réformes linguistiques entreprises par les révolutionnaires français en partie sous leur influence. Nodier défend ardemment les patois que la Révolution française a voulu supprimer.

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Un linguiste contre les Lumières et la Révolution : Charles Nodier

 

Gisèle Valency-Slakta, UCBN, CRISCO

"La patrie, à proprement parler pourrait se circonscrire entre la maison natale et le cimetière de la paroisse. On la mesurerait avec un lange appendu à un suaire"[1].

Pour la plupart des sciences, ce sont en principe les travaux de recherche qui influent sur les choix politiques. C’est le cas (ce devrait l’être idéalement) en médecine, en physique, en biologie … Pour la science qui s’occupe des langues, la linguistique, l’influence s’exerce dans l’autre sens ; c’est le politique (crise linguistique, créolisation ou émergence d’une nouvelle langue ?) qui, par le biais de l’idéologie, détermine parfois les domaines des recherches entreprises, et influe sur les représentations de la langue pourtant a priori politiquement neutre.

Car où commence une langue ? Quels sont selon les enjeux, les critères qui la définissent ? Les patois sont-ils des langues ? C’est un sujet polémique qui a partie liée avec la politique car la langue est à la fois une institution sociale et une pratique individuelle comme l’indiquait Saussure dans sa bipartition langue/parole. La question est plus politique que technique, la langue n’est pas seulement un moyen d’expression c’est une façon d’être dans le monde de le concevoir et le vivre. Quand elles sont de transmission orale, les langues se transforment parfois jusqu’à disparaître sous l’effet de bouleversements politiques. Pendant la Révolution française, l’enjeu linguistique a été très puissant, les pouvoirs constituant, législatif puis conventionnel visant à la disparition des patois pour consolider l’unité nationale dans une langue commune officielle. Politique et linguistique se trouvent réunies dans une problématique où le clivage entre révolutionnaires et partisans de l’Ancien Régime est patent.

Nous avons un exemple particulièrement éclairant en la personne et l’œuvre de Charles Nodier qui prend systématiquement, sur la question linguistique, le contrepied des révolutionnaires du siècle précédent. Un peu oublié aujourd’hui, Charles Nodier a exercé une sorte de magistère de l’esprit au début du XIXème siècle. Hugo, Dumas, fréquentèrent un cercle d’intellectuels et d’écrivains appelé « le Cénacle », que Nodier recevait à la Bibliothèque de l’Arsenal dont il était le conservateur. Il  ridiculise les réformes linguistiques entreprises par les révolutionnaires français en partie sous leur influence. Nodier défend ardemment les patois que la Révolution française a voulu supprimer.

Il me semble plus intéressant de développer cette mise en regard des enjeux politiques et linguistiques révolutionnaires et contre-révolutionnaires en examinant la position d’un réactionnaire comme Charles Nodier plutôt que d’adopter a priori le point de vue qui a dominé.

Très jeune, il a adhéré à la "Société des Amis de la Constitution", à Besançon. Ses positions politiques ont donc été plus complexes qu'il y paraît d'abord.

Sous l'Empire, à vingt-cinq ans, il a conspiré et été emprisonné pour avoir voulu revenir aux principes de 1793. Il n'a, pour sa part reconnu que son regret des Bourbons, après les événements de 1814 qui « rendirent la France au pouvoir légitime qu'elle avait si amèrement et si justement regretté » [2].

Il est considéré d’abord comme un auteur de contes ; mais c’est surtout un théoricien de l’imaginaire de la langue et de la société. Le principe qui guide Nodier pourrait être qualifié de théologique bien qu’il souligne avant tout les liens de la langue et des institutions sociales. Car la communication relève d’un processus complexe ; la langue s’appuie sur des croyances communes. La confiance la plus totale est accordée aux patois, clés de l’étymologie, témoignages du passé et garants du vrai patriotisme que les révolutionnaires ont méconnu. Le dictionnaire est « l’expression complète du monde social » et il projette un dictionnaire étymologique qui viendra rappeler l’origine figurative du langage.

Son discours lexicographique se construit contre la priorité que les linguistes des Lumières, Dumarsais et Beauzée avaient accordée à la grammaire, et débouche sur une contestation ambiguë du progrès, mais Nodier qui apparaît d’abord comme militant dans un mouvement contre les lumières et la Révolution Française, se révèle plus complexe à l’analyse de ses récits, aspect que je n’aborde pas dans cette étude.

Il accorde une place considérable à la voix, au son, mais surtout, ces éléments expriment une philosophie linguistique dont il voit clairement les enjeux politiques.

Archaïques et régressives ses théories sont passionnantes pour le linguiste en ce qu’elles prennent le contre-pied de ce qui fonde la réflexion contemporaine sur le langage.

Sa théorie linguistique étant une théorie figurative, ce qui est moins exceptionnel au XIXème siècle qu’aujourd’hui, le texte est centré sur la figure et ses motifs ; car le primat absolu accordé, dans le texte théorique, au lexique sur la grammaire favorise l’émergence de la figure dont le lexique, l'étymologie comme science, et l'onomatopée comme élément fondateur du langage, renforcent le statut.

Virtuelle ou latente, la figure est posée, grâce à l'étymologie, comme origine du langage verbalisé. Ce courant de pensée linguistique (1800-1830) - que Nodier représente ici- a condamné les théories du siècle précédent, voué à la grammaire et à la rhétorique (Dumarsais, Bauzée).

Ses théories linguistiques sont sans doute singulières dans leurs formulations, mais toujours actives si l’on veut bien les examiner dans une perspective large. Car l’étrangeté apparente de ces notions, eu égard aux conceptions contemporaines de la linguistique ne doit pas masquer les aspects actuels du débat (par exemple en praxématique ou dans les théories indexicales).

La linguistique n'est pas pour Nodier science purement technique, les problèmes du langage n'intéressent pas les seuls savants. Au contraire, langage et société (ou civilisation) ont partie liée et de proche en proche, toute l'unité du monde social est prise en charge dans un programme dont le point de départ étonne par sa modernité : il s’agit de dresser « un tableau des influences réciproques des institutions sur le langage et du langage sur les institutions »[3].

A la lecture des titres, où il met en avant l’aspect linguistique, cet intérêt constant pour les rapports entre politique et institutions, y compris celles de la langue, ne saute pas aux yeux, mais il s’impose à la lecture des œuvres. C’est le cas pour ses Notions Élémentaires de Linguistique (dorénavant noté NEL) aussi bien que pour son Examen critique des dictionnaires[4] qui est avant tout un réquisitoire contre les Lumières et le primat que les linguistes de l’époque (Dumarsais, Beauzée) accordaient à la grammaire et à la rhétorique. Si Beauzée, en contributeur de L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, rédige les chapitres consacrés à la grammaire, si Dumarsais s’est attaché très tôt (dès 1730) à la rhétorique, Nodier lui, s’intéresse aux étymologies (retour à l’origine), au lexique qui fait voir le merveilleux chatoiement des patois, à la poésie des sonorités, au caractère oral du langage, folklore, transmission orale des légendes et des contes populaires.

Dumarsais est encore aujourd’hui très étudié comme grammairien et rhétoricien, mais ses travaux linguistiques ne sont pas mis en rapport avec sa réflexion politique, alors qu’ils lui sont subordonnés (Essai sur les préjugés). Même le souci d’ancrer la rhétorique dans la grammaire, de l’écarter du catalogue des figures pour la faire entrer dans le système de la langue, relève, d’une certaine façon, du projet d’éclaircissement démocratique. Au rebours, Nodier note au chapitre « Syntaxe » [5] : « Les grammairiens du XVIIIème siècle s’occupent assez peu en général du vocabulaire français dont ils se bornent à regretter les anomalies. Ils s’appliquent surtout à étudier les rapports des mots entre eux : c’est là le triomphe de l’esprit philosophique ».

Une cohérence, un fil à peine sous-jacent, unissent donc en Nodier le conteur, le linguiste et le penseur de la société.

Mais alors comment ne pas reconnaître aussi le ton polémique du discours tenu par Nodier ? Il suffit de rappeler, en regard, le caractère universaliste de la Révolution Française de 1789, héritière de la philosophie des Lumières, le désir qui animait les révolutionnaires français d'offrir la fraternité aux peuples de France, d'Europe et du monde. Nodier reprend à son compte ce désir d'universalité, mais pour en changer le sens : ce monde nouveau que les uns voulaient faire à l'aide d'instruments ou de principes politiques comme la liberté, l'égalité, la fraternité, Nodier pense que seule une langue bien faite (améliorée, perfectionnée) permettra d’y accéder. Comme il l'écrivait dans Archéologue, "la perfectibilité de la société est en raison de la perfection du langage, instrument essentiel de la civilisation". Le langage n'est pas seulement, et dans un sens assez vague, instrument de communication, mais avant tout instrument (ou "agent" [6]) de civilisation ; communiquer, c'est civiliser.

Plus l'instrument sera efficace et précis, plus la civilisation aura chance de se perfectionner. Si communiquer c'est civiliser, civiliser c'est essayer d'améliorer la communication entre les hommes à condition de reconnaître l’imperfection constitutive du langage et des sociétés.

« Ce que j'ai entrepris … c'est de prouver … que l'alphabet, la grammaire et le dictionnaire sont l'expression complète du monde social » et cela seul justifie qu’on s’occupe de la langue. La science du langage n'est pas l’affaire des seuls linguistes : elle est nécessaire à tous ceux qui s'intéressent à l'homme dans « l'état de société ». Penser séparément langue et société aboutit au pédantisme, et à l'inconséquence.

Mais la langue est constitutivement imparfaite pour des raisons théologiques ; « Il y a un étage de Babel qu’il n’est pas donné aux hommes de construire [7] » S’y ajoutent des raisons historiques : pour Nodier, la langue a perdu au cours des âges sa naïveté originelle en même temps que les peuples peuvent perdre leur imagination et leurs croyances. C’est même ce qui caractérise l’époque contemporaine où l’esprit a remplacé le cœur, la raison, l’imagination.

D’ailleurs "perfectionnement" n’est pas synonyme de "progrès" : « On voudra savoir sans doute pourquoi j'ai écrit sur la linguistique, et ce que je me proposais d'établir dans un ouvrage où se développe à chaque ligne la négation du progrès [8] ».

Ce pessimisme s'autorise de la Bible et de l'histoire des sociétés. Impossible alors de traiter d'une langue, sans tenir compte d'une religion et d'une civilisation.

Mais quelle est la nature de la menace ? Pourquoi ces tâches sont-elles urgentes ?

Pour Nodier vieillissant, le XVIIème siècle avait manifesté une sorte de perfectionnement, "Les classiques ont perdu pour toujours ce que les romantiques ne trouveront jamais" [9]. Au XVIIIème siècle, la raison triomphante commença à mépriser l’imagination ; les croyances devinrent superstitions, le village, le site de l'obscurantisme, et les patois s'opposaient aux progrès.

1. L’enquête linguistique de la Convention

Cette évolution trouve son achèvement dans la Révolution française, et pour comprendre les positions de Nodier, et leurs implications, il faut rappeler la politique linguistique imposée par les révolutionnaires. Qui suivent la tradition linguistique française, où la langue est envisagée sous son aspect institutionnel et politique, plutôt que comme un ordre de faits naturel soustrait à l'action de la volonté humaine.

Dans sa lutte contre les patois, la Convention, radicalise cette conception politique [10]  Comme Voltaire, et d'une certaine façon Nodier, les révolutionnaires estiment que le français est la langue de la raison. Mais là s'arrêtent les rapprochements. Leur but sera de donner à cette langue le statut de langue nationale, au sens fort, et de la diffuser contre les patois.

Le problème n'était pas simple. La Convention inspirée par l'abbé Grégoire fit faire une enquête linguistique dont il fut chargé ; c’est une figure cohérente et forte de prêtre constitutionnel, appelés aussi « prêtres jureurs » car ils prêtaient serment à la Constitution Civile du Clergé imposée par la Convention.

Dans les réponses aux questions proposées par l'abbé Grégoire, surgissent parfois des formules très proches déjà des jugements que portera Nodier. Témoin celle-ci : «  Le patois rapproche les hommes, les unit, c'est une langue de frères et d'amis ». Mais, dans la même réponse, le rédacteur insiste sur les préjugés, les superstitions qui règlent, malheureusement, le comportement des habitants des campagnes :

"Le peuple a beaucoup de préjugés. Dans sa tête se trouvent toutes les sottises qu'on trouve dans Aristote, dans Pline, dans Elie. La physique lui est totalement inconnue; il ne creuse pas un puits sans faire tourner la baguette; il ne plante pas un chou sans observer la lune; il va encore consulter les devins s'il a été volé..." [11].

Ou bien encore cette réponse qui lie les superstitions au christianisme et aux prêtres:

« Il ne faut pas s'étonner des innombrables superstitions du peuple ; ce sont les rituels et les prêtres qui les ont fait naître et qui les entretiennent et sans les lumières que les philosophes modernes (qu'on a tant et si souvent condamnés et que j'ai sans cesse approuvés) ont répandues sur l'horizon de la religion comme sur celui de l'Etat, bientôt nous fussions retombés dans la profonde ignorance des XIème, XIIème, et XIIIème siècles »[12].

D'une manière générale, surgit de l'ombre une France paysanne qui exprime parfois des croyances souvent opposées à la foi chrétienne : « En général, le paysan est superstitieux et a des préjugés de toute espèce. Il croit aux sorciers, aux diables, aux revenants, aux loups-garous, et à tous les contes qu'on lui fait, pourvu qu'ils soient mêlés de merveilleux, sa religion se borne aux actes extérieurs du culte (...) Il porte dit-on, la superstition dans le Limousin jusqu'à croire qu'il obtiendra de la pluie en baignant dans la rivière la statue du Saint qu'il invoque, et qu'elle cessera s'il couvre cette statue de sable »[13].

C'est pourquoi aussi l'auteur du Discours préliminaire à l'Essai sur les Préjugés insiste : « Au lieu de ses livres de prières insignifiantes, ou de chants gothiques écrits dans une langue qu'ils n'entendent pas, les cultivateurs eux-mêmes se procureront dans Dumarsais un ami, un conseiller de tous les jours (…)  qui leur fasse goûter l'esprit de la liberté, bénir la population, et qui les guérisse de la maladie sacerdotale, la superstition (…) » [14]

Tout un monde d'êtres mystérieux se dresse et, parmi les questions rédigées par la prestigieuse Académie Celtique [15], on relève celles-ci :

« 29 : Révère-t-on des arbres, des fontaines, des lacs, des rivières, des grottes ou des cavernes ? Sous quel nom les révère-t-on ? Quelle est l'espèce de culte qu'on leur rend ?

30 : Quels sont les contes de fées, de génies ? Quels sont les lieux, les monuments consacrés aux fées, ou qui en portent le nom ? Y-a-t-il ces fées à qui l'on donne des noms particuliers ? »[16].

Les contes populaires sont étroitement liés aux croyances et aux dialectes qui véhiculent ce folklore. On est frappé à la lecture des documents par l'extraordinaire diversité des idiomes. Et comme dira Grégoire, au début de son rapport à la Convention Nationale : « Peut-être n'est-il pas inutile d'en faire l'énumération: le bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le provençal, l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le languedocien, le velayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le gascon; ce dernier seul est parlé sur une surface de 60 lieues en tout sens » [17].

Devant cette mosaïque, s'érige la tour de Babel, mais utilisée tout autrement que chez Nodier et qui contraste avec les progrès de la raison. Car ces patois constituent autant d'obstacles à la communication, et c'est le souci de Grégoire: « Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations » [18].

Nodier répond dans les Mélanges, publiés trente ans plus tard en rappelant les mesures proposées par Barrère pour la suppression des patois. Mais sa violente ironie s’adresse surtout à ce dernier.

Barrère a une image pour le moins contrastée, surtout si on la compare à celle de Grégoire. Grégoire ne renia jamais, même en pleine Restauration, son serment à la république, quand Barrère sut s’adapter à toutes les évolutions politiques. Il présidait la Convention lors du procès de Louis XVI et grand orateur, c’est lui qui, selon Jaurès, « détruisit le sophisme de l’inviolabilité royale ». Il fut aussi à l’origine de la « Grande Terreur » à laquelle il survécut cependant jusqu’en 1841.

« La Convention, il faut en convenir, OUI, LA CONVENTION ELLE-MEME, avoit son côté ridicule, ses histrions et ses bacchanales » ; c’est Nodier qui parle :

« Pour retrouver dans la Convention la velléité d'une pensée littéraire, et celle-ci bien négative, il faut remonter jusqu'au rapport de Barrère sur la nécessité de révolutionner la langue » Et Nodier continue « Sous une législation qui tenoit l'accent pour suspect, les idiomes étoient nécessairement coupables. Barrère déclara le Provençal modéré, le Savoyard fédéraliste, et le Bas-Breton contre-révolutionnaire (...) il finissoit par proposer la suppression de la langue italienne dans l'île de Corse. Je n'ai pas vu le décret ; mais s'il fut conforme aux conclusions du rapporteur, on dut éprouver quelque embarras pour le mettre à exécution. Ce qu'il y a de certain, c'est que la langue italienne subsiste » [19].

2. Politique linguistique

Pour les conventionnels, il faut commencer par détruire les patois, imposer le français commun pour imposer la raison, les lois et les institutions nouvelles. Et plutôt que des contes qui entretiennent superstitions et préjugés, il faut des journaux, des gazettes pour répandre et le français et les lumières. Ecoutons à nouveau Grégoire :

« De bons journaux sont une mesure d'autant plus efficace que chacun les lit (...)Les journalistes (qui devraient donner plus à la partie morale) exercent une sorte de magistrature d'opinion propre à seconder nos vues, en les reproduisant sous les yeux des lecteurs ; leur zèle à cet égard nous donnera la mesure de leur patriotisme. (...)

Surtout qu'on n’oublie pas d'y mêler de l'historique. Les anecdotes sont le véhicule du principe, et sans cela il échappera. L'importance de cette observation sera sentie par tous ceux qui connaissent le régime des campagnes. Outre l'avantage de fixer les idées dans l'esprit d'un homme peu cultivé, par là, vous mettez en jeu son amour-propre en lui donnant un moyen d'alimenter la conversation ; sinon quelque plat orateur s'en empare, pour répéter tous les contes puérils de la bibliothèque bleue, des commères et du sabat, et l'on ose d'autant moins le contredire, que c'est presque toujours un vieillard qui assure avoir ouï, vu et touché ».

En définitive, la question est politique, personne ne s'y trompe, ni ce rédacteur : « L'importance politique est manifeste comme la religieuse » [20], ni surtout Grégoire : « Une nouvelle grammaire et un nouveau dictionnaire ne paraissent aux hommes vulgaires qu'un objet de littérature. L'homme qui voit à grande distance placera cette mesure dans ses conceptions politiques » [21].

Les lumières éclaireront une France centralisée, forte, modèle de toutes les nations, grâce à sa langue unifiée, capable de communiquer à tous les Droits de l'Homme, et ses principes universels.

3. Nodier

C'est sous cet horizon, que Nodier reprend la question, au XIXème siècle. Il n'est pas hostile à une certaine unification linguistique « Je ne conteste pas que son unité soit un mérite de circonstance, dans une société compacte où l'on rapporte tout à l'unité de centralisation, et que ses noms, à l'orthographe près, ne soient composés par des gens qui savaient un peu de grec » [22].

Mais peu à peu la condamnation s'insinue. A l'encontre de Grégoire, Nodier n'a que mépris pour les gazettes et les journaux, chargés de véhiculer la langue unique, arme aiguisée contre les patois et les croyances. Si la Révolution a tenté d'utiliser les journaux contre les contes, Nodier entreprend d'inverser la démarche : il utilisera les contes contre les gazettes. Le retour - le recours - aux contes redonnera espoir et profondeur à « une société qui tombe », à une « génération vaincue ». Ces journaux ont remplacé les conteurs de village : « Les paysans de nos villages qui lisaient, il y a cent ans, la légende et les contes de fées, et qui y croyaient, lisent maintenant les gazettes et les proclamations, et ils y croient. Ils étaient insensés, ils sont devenus sots : voilà le progrès » [23].

Les français n'ont plus vraiment la liberté de parler. Nodier oppose liberté de la presse et liberté du langage : Vous n'avez acquis, dira-t-il aux enfants du progrès, « …la liberté de la presse, qui ne vous rend si parfaitement heureux, qu'à condition de renoncer à la liberté du langage. Ce jargon quasi-français que la politique vous jette, comme le sphinx thébain ses énigmes, c'est votre langue, entendez-vous. Celui de votre village n'est rien. Les rois et les dieux sont partis: partent les langues à leur tour, car, à votre société, c'est tout ce qui restait du génie de l'homme » [24].

4. Enseignement

Sur toutes les institutions, mais en particulier sur l’enseignement, révolutionnaires et conservateurs s’opposent.

Les premiers cherchant un développement uniforme des savoirs dans la population, instrument indispensable, pensent-ils, à ce qui ne s’appelle pas encore une démocratie, les seconds soucieux surtout de donner une éducation en rapport avec l’état (comprendre la situation sociale) de l’enfant enseigné.

« Le plus grand malheur auquel un homme puisse être exposé est de recevoir une éducation qui n'est pas appropriée à son état ou à sa destination sociale (...) la subversion de la société est inévitable ».

« Je persiste à croire que l’instruction utile à de certaines bornes ; qu’elle soit être proportionné aux états, aux besoins, à la position sociale des individus… un homme raisonnable ne désirera jamais un valet-de-chambre comme Rousseau »  [25].

En même temps il redoute que deux systèmes d’enseignement ne débouchent sur une guerre civile : « … on affecte jusqu'ici de maintenir deux éducations nationales en concurrence ; mais je suppose que les chefs de l'instruction, ou ceux qui les dirigent, savent bien que deux éducations ce sont deux peuples ; il y a quelque chose qui brise le cœur, dans ce regard impassible du pouvoir jeté sur une guerre civile en perspective »[26].

Nodier n’a pas de mot assez ironique pour vilipender ces égalitaristes qui ne veulent plus avoir de supérieurs mais continuent à désirer des inférieurs. « Demandez au partisan le plus exagéré de L'EGALITE ce qu'il entendoit en dernière analyse par ce mot mystique dont l'application a coûté tant de sang vainement répandu. Il vous répondra au moins implicitement, que L'EGALITE EST LE DROIT DE DEVENIR CE QU'ON N'ETOIT PAS, D'OUBLIER CE QU'ON ETOIT, ET DE NE RECONNOITRE DE SUPERIEURS NULLE PART. Quant aux inférieurs, les sectateurs de l'égalité n'ont jamais renoncé à en avoir »[27].

5. Théologie de la langue

Il se réfère à une théologie plutôt qu’à une philosophie ; là encore l’opposition avec les Lumières et leur développement révolutionnaire est frontale. Dumarsais avait interpellé l’opinion (comme il pouvait, le texte avait circulé sous le manteau) :

«  Quoi donc ! parce que la théologie est une science imaginaire ou l'ouvrage de l'enthousiasme et de l'imposture s'ensuit-il que la morale, fondée sur la nature de l'homme, ne soit, comme elle, qu'une science idéale ? »[28].  Alors que dans l'Examen critique des Dictionnaires de Nodier, l'article "Théologie" sonne comme un regret : « Théologie - ce mot a une belle acception oubliée par les dictionnaires. Il signifie aussi contemplation en Dieu, comme la théologie physique de Derham (...) Depuis quelque temps, on ne fait plus de théologies ; on fait des philosophies, et ces philosophies sont très bonnes et très exactes … mais il n'y a pas de mal à laisser quelques merveilles aux sciences …»

Le rêve d'une histoire théologique de la parole est tenace: mais cette belle acception a disparu, oubliée. Nodier avoue son hostilité à l'endroit de la philosophie des Lumières : « C'est pour cela que je m'étais imposé d'écrire ce volume entier sans rien relire, et l'offrir aux gens qui veulent apprendre, exempt de l'influence de la grammaire et de la philosophie » [29].

Etonnante pour nous, cette conjonction grammaire / philosophie ne l’était pas pour les contemporains de Nodier. Il faut se souvenir qu’à l'inverse, le plus grand grammairien-philosophe du XVIIIème siècle, Dumarsais, écrivait, en défense de la philosophie : « D'ailleurs nous ne voyons point qu'aucun système philosophique, qu'aucune discussion de morale aient jamais excité des guerres ; jamais la philosophie n'ensanglanta l'univers » [30] et l'opposait systématiquement à la théologie : « Ce n'est donc pas aux partisans de la théologie qu'il appartient de reprocher aux philosophes leurs égarements, leurs contradictions et leurs doutes... » [31]

6. Défense et illustration des patois

C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre le goût de Nodier pour les patois. Ses idées se précisent dans une publication de 1835 : « Comment les patois furent détruits en France ».

Si toutes les langues ne sont pas équivalentes, elles sont toutes affectées de défauts constitutifs. Aucun peuple ne peut donc imposer sa langue. Ce principe s'applique aussi et surtout aux patois parlés dans la France d'avant 1789, et que la Révolution française fait disparaître. Car « il n'appartient pas plus à la civilisation de détruire les langues que de les faire ».

Sur ce point, l'opposition à Voltaire pour qui le français est un modèle de rationalité est évidente : pour Nodier, aucune langue n'est barbare ou toutes le sont. L'article BARBARE [32] dans l'Examen est éclairant ; la phrase d'exemple est extraite du Dictionnaire de Gattel que Nodier garde constamment dans sa ligne de mire: "Barbare –‘Les Iroquois parlent une langue fort barbare’ ». Réponse de Nodier : « Les Iroquois n'ont encore ni académie, ni dictionnaire, mais ils ont des orateurs, des poètes, et une langue qu'on s'accorde à trouver forte et harmonieuse. La nôtre leur paraît fort barbare ».

Les sociétés se composent d'institutions de plus en plus nombreuses si bien que les peuples perdent de plus en plus contact avec leur langue qui tend à devenir avant tout, « l'agent des institutions » [33].

7. Paysan  

Or ce sont les peuples qui ont fait les langues, non les savants alors que le développement de la civilisation les corrompt, multiplie les imperfections : « Le peuple d’une langue qui commence fait la parole. Les savants d’une langue qui finit font de l’argot. » [34].  

Ainsi, Nodier remarque que "Paysan" se prend de plus en plus en mauvaise part, et que le mot devient injurieux ; il ajoute : « ... les lexicologues n'ont rien à faire là; mais que penser d'une langue sur laquelle on peut faire une pareille remarque, ou plutôt d'une civilisation qui a amené la langue à ce point ? » [35].

De même, il se demande, à propos d' « Egoïsme », « Egoïste », : « ...comment se fait-il que les anciens n'aient pas eu de mots pour rendre cette idée ?… c'est le résultat des institutions »[36].

8. Les patois "archives" de la langue

Uniformiser les langues n’améliore pas la communication. Il consacre dans ses Notions Elémentaires de Linguistique, un chapitre vibrant à la défense des patois où il révèle son hostilité à la France de 1793 et à la philosophie des Lumières. Au mot d'ordre "Mort aux dialectes", Nodier oppose "Sauvez les patois". Car les patois ne sont pas le signe de Babel comme le pensait l’abbé Grégoire ; ils nous mettent en contact avec les langues primitives : « Le plus grand nombre des étymologies ne s'explique distinctement à l'esprit que par les patois » ; il «  rappelle partout l'étymologie immédiate et souvent on n'y arrive que par lui". Il place donc le linguiste au plus près de la source, car c'est la langue "native, la langue vivante et nue" [37].

Ce « rêveur de mots », que Bachelard a si bien compris, fuit « ce siècle de ruines », retourne au passé par l’étymologie [38] ; si « Aurore aux doigts de rose » évoque pour lui les « ouvriers métriques du règne de Louis XV… le machiniste de l'Opéra  (…) Le simple nom de l'aube, qui est alba, me dit bien autre chose. Je vois, en le prononçant, les rayons de la lumière naissante qui blanchissent le ciel ». (…) Le caprice, figure ingénieuse et pittoresque de la liberté pétulante des chevreaux abandonnés à eux-mêmes, n'a jamais été défini d'une manière plus frappante et plus fine que par son étymologie » [39].

9. Pays/Patrie

Contrairement au français national sans racines réelles, le patois « c'est la langue du père, du pays, de la patrie »[40]. Cette langue que l'on garde de la naissance à la mort on l’appelle « langue maternelle » ; pour Nodier les deux mots, patois/patrie ont la même origine et il feint de s’interroger dans l’article « patois » : « Je ne demande pas si ce mot tire son origine apatria ou apatavinitate… »  « La patrie, à proprement parler, pourrait se circonscrire entre la maison natale et le cimetière de la paroisse. On la mesurerait avec un lange appendu à un suaire »[41].  Recueillir les patois revient aussi à exprimer son patriotisme et à sauver la vraie poésie, la poésie native.

Or, pour les membres de la Législative et de la Convention, l’unité linguistique était partie intégrante de la Révolution, même si l’obtenir était difficile.

Nodier cite Grégoire « 'Cependant, continue le citoyen Grégoire, on peut uniformer le langage d'une grande nation (...) Il est d'autant plus urgent d'uniformer les idiomes, que leur disparité a souvent contrarié les opérations des représentants dans les départemens...'

et continue en le caricaturant assez férocement : « Il est vrai que cette unité d'idiome, qui est une partie intégrante de la révolution, n'est pas extrêmement facile à obtenir, et particulièrement de nos frères du Midi, dont on connoît la ténacité ; mais s'il étoit vrai que la patrie n'exigeât plus d'eux qu'un seul sacrifice, le sacrifice d'une habitude héréditaire et féodale offensante pour l'égalité, celui d'un accent aigu qu'ils attachent illégalement à l'e muet, et qui paroît être un signe de ralliement convenu entre les habitants de ces vastes contrées !... Que dis-je, s'écrie M. Grégoire ! Ah ! ne leur faisons pas l'injure de penser qu'ils repousseront aucune idée utile à la patrie ! Ils ont abjuré et combattu le fédéralisme politique ; ils combattront avec la même énergie le fédéralisme de l'orthographe et de la syntaxe. Ainsi furent déjouées, le 10 prairial an II, l'opposition effrontée à l'è ouvert, et la conspiration plus oblique et plus compliquée de l'accent circonflexe" [42].

On ne peut suivre Paul Bénichou : « On ne voit nulle part qu'il (Nodier) ait regretté la société d'avant 1789; au contraire, tout témoigne, et dans les écrits de toute sa vie, de la forte impression qu'avaient faites en lui les mœurs énergiques de l'époque révolutionnaire et impériale »[43]. Non, « les mœurs énergiques » ont fait impression sur Nodier ; dans ses écrits, il n'a cessé de les condamner comme il condamnait l'échafaud, les jugements expéditifs et les "boucheries sanguinaires".

Dans une civilisation campagnarde, les langues des paysans, les patois sont "l’œuvre d'un peuple adolescent"[44]. C'est la langue issue du site, composée en harmonie avec les mœurs et les tempéraments. Gérard Genette disait très justement: "Chaque idiome condense un folklore ». Les patois sont pauvres en vocables, c’est un privilège; Nodier ajoute: "Ils ne savent ce que c'est que linguistique et lexicologie, et que mille autres barbarismes greffés sur le grec et le latin, dont les pédants ont fait des mots"[45].

Les patois ont conservé la liberté d'invention une jubilation que les langues dites « civilisées » ont perdues. « Les savants, les demi-savants, les apprentifs savants, les faux savants qui font majorité dans l'espèce, composeront des mots tant qu'ils voudront … c'est un luxe ruineux et misérable, bien pire que la pauvreté »[46].  Vous dites qu'ils sont pauvres, les patois … Ils sont pauvres sans doute en mots inutiles à la vie physique et morale de l'homme, en superfétations lexiques inventées dans les cercles et dans les académies; mais ils sont plus riches que vous cent fois en onomatopées parlantes, en métaphores ingénieuses, en locutions hardiment figurées… »[47].

Dans les préfaces à ses écrits linguistiques et à ses contes, Nodier revient sans cesse sur cette idée, soulignant toujours l’ancrage campagnard de ses contes : « Ce n'est pas ici une œuvre d'écrivain mais une causerie de la veillée, destinée à ne pas sortir d'un petit cercle de bonnes gens dans lequel j'ai enfermé mon auditoire, mes prétentions littéraires et ma réputation »[48].

10. Lumières et superstitions

Si Nodier insiste sur les délices des conteurs de villages, c'est que ces plaisirs sont menacés dans la même mesure que les patois. La responsable c’est la philosophie du XVIIIème siècle et son projet majeur : favoriser le progrès et détruire les superstitions.

Nodier ne se trompe pas sur l'ennemi. En regard de ses théories, je signale le beau livre de Dumarsais, Essai sur les Préjugés, auquel il semble que Nodier, (qui ne le cite jamais) s'attaque point par point. « La source de nos maux est dans nos préjugés qui viennent (entre autres) du respect superstitieux pour les opinions et les usages reçus. Le remède en est l'instruction »[49]. Dans ses Contes Nodier fait un sort aux oracles et aux prophètes, et il n'est pas indifférent de signaler que Dumarsais[50] "démontrait que les oracles furent toujours l'œuvre des imposteurs  et non pas celle des démons, et qu'ils ont cessé par un effet naturel des lumières et du changement de culte, et non par un miracle de la religion chrétienne" [51].

Il y revient constamment : « Que l'on détruise le temple gothique de la superstition... » [52]

Et si le remède ressemble à celui de Nodier, ses préoccupations sont diamétralement opposées :  « ...Que la plupart des erreurs sont dues aux défauts de notre langage, que presque tous les sophismes sont fondés sur  des équivoques de mots ou d'expressions ; et qu'ainsi, perfectionner la langue c'est hâter le progrès de la raison"[53]. Ou encore : « Ce sont donc visiblement les préjugés des hommes qui les éloignent à chaque pas de la félicité »[54]. Aussi, le rédacteur du « Discours Préliminaire » à l’Essai s’adressant au "Citoyen Desray", éditeur, s'enthousiasme : « (...) et que ne doit-on point attendre du peuple des campagnes, quand Dumarsais sera le précepteur des hameaux ! Les instituteurs, dans les écoles primaires, en liront tous les jours quelques pages à leurs élèves, en forme d'instruction. Au lieu de les exercer à la lecture dans un Nouveau Testament écrit en mauvais gaulois, il leur apprendront à lire, à parler et à raisonner dans Dumarsais »[55]..

Or ce sont précisément les superstitions qui alimentent les contes de la veillée, et cet aspect de Nodier, antiphilosophe, adversaire déclaré de « l’Ecole de Luther et de Voltaire » est fondamental[56]. Il reprend ce mot de « superstition » si méprisé au XVIIIème siècle, et lui rend par l’étymologie, une fraîcheur bien éloignée de cet âge de décadence, de cette "époque sans croyances" qu'est pour lui le XIXème siècle : « Nous appelons encore superstitions, ou science des choses élevées, ces conquêtes secondaires de l'esprit, sur lesquelles la science même de Dieu, s'appuie dans toutes les religions »[57].

Patois, linguistique, poésie, croyances sont ici étroitement liés, si bien que toute tentative pour uniformiser la langue les détruit ensemble. Nodier défendra donc les patois contre l'action de la Révolution Française. Mais il est bien tard, déjà; tout est bon pour convaincre de l'urgence, les contes, surtout « Hâtons-nous d'écouter les délicieuses histoires du peuple, avant qu'il les ait oubliées, avant qu'il en ait rougi, et que sa chaste poésie, honteuse d'être nue, ne soit couverte d'un voile comme Eve exilée du Paradis »[58].

11. Idées politiques et politique linguistique

La langue nouvelle de la raison, du progrès, des techniques et des sciences tue les patois, et enrichit artificiellement la langue nationale. « La poésie est morte en France…. Tout ce qui l'inspirait a disparu avec elle. Les dieux sont partis, et les poètes s'en vont avec les dieux »[59]. La disparition des patois entraîne avec elle la fin d'un monde. La philosophie porte dit-on son flambeau partout, non pour éclairer mais pour brûler. Aux contes issus de la terre et des villages se substituent les contes philosophiques nés de la raison et de la ville. A Perrault succède Voltaire, de Riquet à la Houppe on descend à Candide.

Grâce aux patois s'expriment non seulement les façons de vivre, de sentir, et de penser, mais aussi les croyances essentielles d'une nation, sauver les patois, c'est finalement restaurer la langue et la société dans leur pureté d'avant le XVIIIème siècle et la Révolution. Aussi pour trouver la clé du perfectionnement, il faut s'ouvrir à leurs charmes ; ils sont fidèles aux traditions les plus précieusement françaises, populaires et littéraires ; là se joue le destin d'une société.

La linguistique de Nodier comprend, de manière constitutive, une politique au sens large. Tout comme sa politique de la langue, elle se définit donc contre le Siècle des Lumières, et contre la Révolution qui bouleversa le calendrier pour abattre un ensemble fondamental de croyances.

La société trouvera son salut dans l’étymologie qui devrait permettre de restaures aussi bien les croyances que les légendes qui en découlent.

L’exemple de Charles Nodier met clairement en évidence aussi bien une représentation de la langue qu’une vision du corps social. Il est curieux de noter qu’une partie au moins de son discours ne serait plus aujourd’hui rejetée comme folklorisante, mais serait admise dans sa dimension anthropologique. Il a fallu attendre les années 60 pour que ces préoccupations retrouvent une dignité avec les développements de l’ethnologie et de l’anthropologie nationales.

NB : L’orthographe des auteurs a été maintenue ; c’est celle que revendiquent Nodier et Dumarsais.

Références :

Auroux, S., dir. 1992, Histoire des Idées Linguistiques, Mardaga, Liège.

Bénichou, P., 1973, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne. José Corti, Paris.

De Certeau.M, Julia D., Revel J., 1975, Une politique de la langue, la Révolution et les patois. Gallimard, Paris.

Dumarsais, C. Essai sur les Préjugés , édition citée, An I de la République.

Meschonnic, H. L'effet nature dans le langage. Le texte accompagne la réédition du Dictionnaire des Onomatopées dans la version de 1828

 

Charles NODIER : 

Archéologue ou système universel et raisonné des langues.1810

Examen Critique des Dictionnaires de la langue française,1828 Delangle, Paris.

Notions élémentaires de linguistique, 1834 Renduel, Paris.

Mélanges de Littérature et de Critique

Miscellanées, in H. Juin, Charles Nodier, 1987, Seghers, Paris.

« De quelques phénomènes du sommeil » in H. Juin, Charles Nodier, Seghers, Paris.

« Du fantastique en Littérature », in H. Juin, Charles Nodier, Seghers, Paris.

 

[1] Miscellanées, p.40 éd. H. Juin.

[2] Préface à l'Examen critique des Dictionnaires, p.11

[3] Archéologue.p.13

[4] Il y commente les définitions proposées par les dictionnaires de la période révolutionnaire et au-delà.

[5] NEL.

[6] Archéologue, p.5.

[7] NEL, p.294.

[8] NEL p.294-295.Je souligne.

[9] Notions, p.73

[10] Le principal effet des mouvements de la période révolutionnaire, qui entendaient "changer la langue" est l'élargissement du lexique figurant dans les dictionnaires

Branca 1982, Guilhaumou 1989. Auroux, dir. Histoire des Idées linguistiques p.378 « La langue, Institution Nationale ».

[11] Une politique de la langue. p.209

[12] Une politique de la langue, p.210

[13] Une politique de la langue, p.225.

[14] « Discours préliminaire » à l'Essai sur les Préjugés, p.42-43.

[15] A laquelle Nodier a appartenu plus tard.

[16] Une politique de la langue, p.268

[17] ibid. p.301

[18] ibid. Je souligne.

[19] Mélanges de Littérature et de Critique, réunis par Alexandre Barginet, tome I, p.66.

[20] Une politique de la langue, p.207

[21] Une politique de la langue, p.315. Je souligne.

[22] Notions, p.212

[23] « De quelques phénomènes du sommeil », in H. Juin, Charles Nodier p.154, Seghers.

[24] Notions, p.258

[25] Mélanges de Littérature et de Critique, Tome I, p.57, p 84

[26] Ibid., Tome I, p 52

[27] Ibid., Tome I, p. 85

[28] Essai... p.325

[29] NEL p.290. Je souligne.

[30] Dumarsais, Essai sur les Préjugés, éd. citée, (An I de la République) p.267. L'Essai avait paru en 1750, dans un recueil intitulé Nouvelles libertés de penser, sous le titre Dissertation du philosophe. Le titre actuel date de 1760.

[31] Essai sur les Préjugés, éd. citée, p.294.

[32] Ibid. p.61

[33] Archéologue p.5

[34] NEL p.219

[35] Examen critique des Dictionnaires p.112

[36] ibid. p.152

[37] NEL, p.247-255.

[38] H. Meschonnic rappelle qu’en grec « étymologie", (etumos-logos) signifie sens-vrai

[39] Miscellanées, in Hubert Juin, Charles Nodier, p. 112, Seghers, Paris.

[40] NEL, p.246.

[41] Miscellanées, p.40 éd. H. Juin.

[42] Mélanges de Littérature et de Critique, réunis par Alexandre Barginet, éd. citée, tome I, p.68. Nodier souligne.

[43] Paul Bénichou, Le sacre de l'écrivain. 1750-1830. Essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France Moderne. José Corti 1973. p.336.

[44] Ibid p.250

[45] Ibid. p. 251/252

[46] Notions, p.218

[47] NEL, p. 252/253

[48] Contes p.649 Nous soulignons.

[49] "Discours préliminaire" à l'Essai sur les Préjugés.

[50] Dans sa réponse à la critique de l’Histoire des Oracles de Fontenelle.

[51] Essai sur les Préjugés, « Discours préliminaire » éd. citée, p.56

[52] Essai sur les Préjugés, p.334

[53] Essai sur les Préjugés, p.56. Nous soulignons.

[54] Essai sur les Préjugés, p.84.

[55] "Discours préliminaire" à l'Essai sur les Préjugés, éd. citée, p.43.

[56] Contes, Ch. Nodier p.798.

[57] "Du fantastique en littérature", dans H. Juin. cité, p.120.

[58] "Légende de sœur Béatrix" p. 784. Je souligne.

[59] NEL, p.258

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