N°42 / Langues et politique en Afrique - Janvier 2023

Le temps des illusionnistes 1 - les subversions institutionnelles

Pierre-Antoine Pontoizeau

Résumé

Roger Mucchielli est un auteur un peu oublié dont les travaux de psychologie sociale furent de grande qualité. Je crois que son œuvre majeure : La subversion, apparaît d'une actualité exceptionnelle en ces temps de crise mondiale où des phénomènes de subversion sont assez manifestes à observer. Il faudra sans doute attendre quelques années avant de bien comprendre le jeu des acteurs entre ces laboratoires pharmaceutiques motivés sans doute par quelque cupidité et leur privilège lié aux droits des brevets et des politiques effrayés des risques sanitaires dont on aurait pu les tenir responsables, sans oublier quelques nations qui avaient peut-être tout intérêt à déstabiliser quelques autres comme cela s'est fait de nombreuses fois dans l'histoire. La propagande, voire la subversion n’auraient-elles pas été à l’œuvre ?

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Le temps des illusionnistes 1 - Les subversions institutionnelles

Introduction

Il est un auteur un peu oublié dont les travaux de psychologie sociale furent de grande qualité. Je crois que son œuvre majeure : La subversion [1], apparaît d'une actualité exceptionnelle en ces temps de crise mondiale où des phénomènes de subversion sont assez manifestes à observer. Il faudra sans doute attendre quelques années avant de bien comprendre le jeu des acteurs entre ces laboratoires pharmaceutiques motivés sans doute par quelque cupidité et leur privilège lié aux droits des brevets et des politiques effrayés des risques sanitaires dont on aurait pu les tenir responsables, sans oublier quelques nations qui avaient peut-être tout intérêt à déstabiliser quelques autres comme cela s'est fait de nombreuses fois dans l'histoire. La propagande, voire la subversion n’auraient-elles pas été à l’œuvre ?

Roger Mucchielli naît en 1919. Il fait d’abord des études de philosophie et passe l’agrégation à trente ans. Il est par ailleurs docteur en médecine en 1959, et cet esprit très curieux poursuit par un doctorat de lettre en 1965. Il fonde des centres de psycho-pédagogie, deux revues internationales et dirige une collection de formation permanente en sciences humaines. Il est un pédagogue des techniques de dynamique de groupe et réalise une synthèse inédite des connaissances de son époque sur ces questions de manipulation et de subversion.

En nous référant à Mucchielli, nous poursuivons l’objectif de mieux comprendre ce qui a été vécu par les populations durant la période récente depuis février 2020 avec ses controverses, ses assentiments et ressentiments. Nous tenterons une mise en perspective de la focalisation de Mucchielli sur les seuls groupuscules révolutionnaires à son époque. En effet, cette limitation paraît aujourd’hui désuète. Elle correspondait à sa réalité, mais ces deux dernières années ont été, ce sera notre hypothèse, le théâtre de toutes les subversions, d’où qu’elles viennent. Si cette banalisation de ces pratiques se confirme, elle exige de compléter son travail d’une théorie des institutions subversives. Rappelons la définition : action visant à renverser ou à contester l'ordre établises lois et ses principes.

1. Les affirmations en matière de subversion

Le premier chapitre intitulé : l'élaboration historique des techniques de la subversion, les pamphlets politiques, les propagandes, la guerre psychologique fait une revue généalogique de grands épisodes de l’histoire de la subversion. A signaler deux aspects. Le style est historique et la généalogie a son autorité propre. Mucchielli décrit la subversion entreprise par des chefs politiques et militaires dans le but d’affaiblir puis de dominer des puissances étrangères. La subversion est un instrument de guerre. Sa description de la subversion orchestrée par Philippe de Macédoine [2] est édifiante des ruses déjà bien maîtrisées quelques millénaires avant ceux qui prétendront plus tard inventer la propagande au 20e siècle, comme Lipmann ou Bernays par exemple.

Outre cette généalogie qui témoigne d’un art de la subversion très ancien et d’une ruse au service d’une raison pratique à des fins de domination, Mucchielli en propose la définition [3]. Elle témoigne du caractère viral de la diffusion des idées au sein d’une société pour la faire chanceler sur ses bases. En évoquant les révolutions, après avoir largement décrit le combat des philosophes des Lumières comme une œuvre pratiquant avec malice toutes les formes de subversion, le sociologue décrit les transformations idéologiques des sociétés [4], du fait de subversions initiées par des minorités influentes. Et, qu’elles résultent du travail de religions, de sectes ou de mouvements politiques révolutionnaires, leurs techniques subversives visent le renversement de l’ordre établi.

Dans ce premier chapitre, il n’hésite pas à passer de la subversion à la notion plus belliqueuse de « guerre psychologique ». Sa définition se précise en matière d’objectifs à atteindre :

« Les objectifs de la subversion sont triples. Leur différenciation ne peut être que didactique car, en fait, ils s'appuient et se renforcent mutuellement. Ce sont : - Démoraliser la nation visée et désintégrer les groupes qui la composent. - Discréditer l'autorité, ses défenseurs, ses fonctionnaires, ses notables. - Neutraliser les masses pour empêcher toute intervention spontanée générale en faveur de l'ordre établi. » [5]  

La subversion est ici un instrument de guerre idéologique pour faire céder un Etat. Trois termes précisent la définition : 1.1. La démoralisation, 1.2. Le discrédit et 1.3. La neutralisation.

1.1. La démoralisation

En résumé, Mucchielli dit de la démoralisation qu’elle résulte de plusieurs facteurs : destruction des valeurs, injection du doute, culpabilisation, défiance, division, désintégration, renoncement. Si tout cela paraît raisonnable, cela renvoie en arrière-plan à une moralité qui en serait tout l’inverse. Solide sur ses valeurs, sûr de son fait et de son bon droit, confiant et solidaire au sein du groupe. L’unité familiale, tribale ou nationale reflète alors en plein ce que la subversion s’efforce d’amoindrir de toutes les façons. Pointe déjà en arrière-plan une conception de la société qui ne serait pas victime de la subversion.

A l’inverse de cette démoralisation, le sociologue montre que le « moral des troupes » est une condition de la victoire. Il va même plus loin en fusionnant le moral des populations et celui des armées qui les défendent [6]. Cette partie est très intéressante parce qu’elle développe une supériorité liée à la légitimité et l’unité du combat entre les militaires et les civils qui les soutiennent. L’histoire lui donne-t-elle raison ? Il l’atteste d’ailleurs d’une manière détournée en précisant que la psychologie des foules apparaît dans les enseignements militaires [7].

1.2. Le discrédit

Celui-ci vise la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Il s’agit de rompre le lien de confiance, le contrat moral et politique qui fait l’autorité des chefs ou de l’Etat du fait du respect des institutions, de la respectabilité des acteurs et de l’exercice légitime du maintien de l’ordre si nécessaire [8]. Le sociologue souligne la déconsidération croissante de l’Etat dans l’opinion publique, résultat de la subversion. Il se focalise sur les œuvres de déstabilisation des minorités révolutionnaires qui sapent l’autorité de l’Etat auprès de populations qui sont incitées à se rebeller. C’est toute l’ambiguïté de certains mouvements à l’instar du Black Panther Party, mouvement révolutionnaire de libération afro-américain, mais aussi mouvement d’inspiration marxiste-léniniste, voire maoïste auquel s’opposera le FBI.

Là, le sociologue se contredit un peu, entre la subversion historique des Etats entre eux et celle plus contemporaine de groupuscules, peut-être liés à des Etats. Il néglige alors l’hypothèse, pourtant vérifiée dans l’histoire, que des gouvernants pratiquent la subversion dans le but de faire basculer la société d’un régime démocratique à un régime autoritaire, voire totalitaire ou l’inverse. Sédition et subversion sont envisagées déjà chez Aristote au livre Vde La Politique. Le discrédit résulte bien des manœuvres de minorités qui veulent inciter au soulèvement à force de constater l’incurie des gouvernants : malhonnêtes, fraudeurs, exploitants, incompétents, etc. Or, il observe lui-même que les philosophes des Lumières pratiquèrent habilement la subversion. Il ne cherche pas une explication des pratiques subversives, qu’il décrit pourtant très bien pour les régimes qu’il étudie : nazisme, fascisme bolchévisme. Or, celles-ci traduisent, soit un rapport commun de ces courants de pensée occidentaux à la domination d’autrui sans son consentement : la modernité, soit il s’agit d’une pratique universelle.

1.3. La neutralisation

Elle permet d’isoler l’opinion majoritaire en le privant d’une expression légitime [9]. Le sociologue décrit bien les stratégies d’inhibition, d’apathie, de passivité qui soumettent la majorité, sous la pression d’une minorité agissante. L’indifférence triomphe et l’engagement dans l’action politique se délite par lassitude, dégoût, sentiment d’impuissance. L’idéal démocratique est atteint au cœur par cette fatigue généralisée, cette dépression.

2. Les techniques subversives en 2020

Procédons ici en deux temps, nous appuyant sur l’étude des trois chocs : émotionnels, sociaux et existentiels avant de reprendre les techniques exposées par Mucchielli et d’examiner les pratiques des acteurs de cette crise : promoteurs et détracteurs des politiques vaccinales en particulier.

2.1. Les principales techniques de subversion

Les écrits de Mucchielli sont postérieurs à de nombreuses expériences et travaux dont ceux de Milgram [10] sur l’abus d’autorité et ceux de Kiesler [11] concernant la théorie de l’engagement et les techniques de passage à l’acte. Elles ont pour résultats qu’une personne accomplit un acte qu’elle n’aurait jamais fait par elle-même et qu’elle aurait même antérieurement désapprouver. Nous allons un peu plus loin dans la définition bien connue de Robert Dahl exposée dans The concept of power en 1957 : « A a pouvoir sur B s’il peut déterminer B de faire une action que ce dernier ne ferait pas sans l’action de A. » [12]

Ces techniques concourent à obtenir d’autrui un acte non-consenti. Elles sont aussi décrites dans les modèles d’ingénierie sociale [13]. Elles ont pour but d’escroquer l’interlocuteur en lui faisant accomplir des actions qui brisent les systèmes de sécurité et de protection qui l’environnent ou celles qui le font résister à l’exécution d’actes réprouvés. A chaque fois, le même procédé s’enclenche.

2.1.1. Le choc émotionnel

Il fait perdre le contrôle de son quotidien et annihile les systèmes de défense : intelligence critique, prise de recul, temps de réflexion, consultation d’un tiers, etc. Ce choc de la peur intervient brutalement dans un quotidien ordinaire par une dramatisation maximale. L’écran internet annonce une poursuite imminente et un risque pénal avec demande de règlement immédiat d’une amende et remise des codes de carte de paiement. Le comptable doit régler rapidement pour le compte de son président à un opérateur étranger.

Mucchielli expose les effets de la panique qu’engendre ce premier choc émotionnel : « Un des objectifs subversifs est en effet la sidération et l’inhibition des masses […] La stratégie fondamentale de la subversion est d’obtenir l’apathie populaire, l’inhibition, la non-intervention, le silence de la grande majorité. » [14] Il fait aussi référence à Baschwitz [15] et à sa panique muette rappelant qu’elle : « caractérise la forme de peur collective engendrée par le terrorisme, lorsque les citoyens n’ont aucune espérance […] La panique muette est sans expression motrice collective. Elle est l’expression collective de la juxtaposition cloisonnée des insécurités individuelles. Cette panique, en effet, isole les personnes. » [16] 

Distinguons le temps de sidération de celui de l’action induite. Le choc émotionnel a été très bien étudié depuis par Mannoni et Bonardi [17] dont les études sur le terrorisme ont montré les comportements sous la menace et les stress extrêmes. La perte de contrôle qui s’ensuit relève bien de l’effet de terreur qui immobilise. Il y a un effet de tétanisation du fait d’une anxiété paralysante. Mannoni et Bonardi montrent bien le poids de la menace psychique ou physique. En évoquant les tréteaux de la Terreur, ils soulignent le caractère théâtral mais au combien subversif de la mise en scène de la violence ou de la menace qui fait courir un risque mortel. La panique muette de Baschwitz exprime bien aussi ce temps de perte des repères. Nous dirions aujourd’hui qu’il y a réinitialisation, du moins inhibition des acquis et temporairement oubli des règles à respecter qui crée les conditions d’une action sinon impossible. L’action sera irréfléchie, paniquée ou induite sous la pression d’un halo de « propagande ».

2.1.2. Le choc social

Il consiste à immédiatement isoler l’interlocuteur de toute autre influence contraire. La médiatisation joue un rôle essentiel. Il s’agit de commander une action au plus vite, sans réflexion, au nom de l’urgence qui ne tolère pas la consultation d’un tiers. L’agent subversif relancera si nécessaire, harcèlera, mais il monopolise l’information, commande la discrétion, exige le passage à l’acte. Quand l’opération agit sur un corps social, la médiatisation procède de la même manière. Isolement, esseulement où s’exerce un monopole médiatique sans faille. Chacun répète à l’autre ce qui est médiatisé augmentant l’effet de propagation et de légitimation.

Ce choc social suppose une complicité, voire une duplicité ou une manipulation des médias eux-mêmes. A cet égard, Mannoni et Bonardi concluent un article brillant consacré à Terrorisme et Mass Médias en des termes graves sur le rôle des médias. Instrumentalisés par les auteurs de la manœuvre de subversion, ils en sont les complices inconscients du fait du sensationnel qu’ils véhiculent et de l’effet d’amplification qu’ils offrent en propageant l’effet du choc émotionnel initial. Ils concluent ainsi :

« En assurant aux attentats un retentissement dont le compte rendu de presse excède le simple procès-verbal de la réalité, les médias exercent ainsi une action psychologique sur l’opinion publique dans le sens d’une désorganisation qui affecte aussi bien les comportements que les jugements, bouleverse le système des valeurs et retentit même sur le lien social. Les médias apparaîtraient ainsi comme des inducteurs du comportement du public et agiraient à terme sur les autorités. Les enjeux paraissent tels qu’il est plus que jamais nécessaire d’approfondir, par des analyses de nature psychosociale en particulier, les composants d’un phénomène dont l’importance s’impose aujourd’hui grâce en particulier aux médias. » [18]

Les médias et les réseaux sociaux servent bien d’amplificateurs sociaux des émotions. L’exposition immédiate à des images et des propos de toute sorte renouvellent la sidération et l’entretiennent. Les simples effets de multiplication et de répétition saturent le champ social. L’un des effets très visibles tient à la monopolisation des conversations induites qui portent sur cette seule actualité omniprésente dans les esprits. Le halo médiatique agit immédiatement en catalyseur de l’action de renoncement et de passivité. Dès Socrate, la distinction entre les orateurs audibles et les métèques se fondent bien sur l’acceptabilité du propos. Le propos inaudible, c’est-à-dire dérangeant fait planer le doute du service d’une puissance étrangère : propos de métèque à la solde de l’ennemi. Le choc social est exclusif.

2.1.3. Le choc existentiel

Il résulte de la dernière étape du passage à l’acte non-consenti où le piège se referme sur la personne subvertie par l’escroquerie économique ou politique. La personne agit par soumission à la situation et aux injonctions subversives, puis, avec un temps de latence, elle reprend ses esprits avec une difficulté à restaurer sa clairvoyance et le courage d’affronter sa vulnérabilité en exposant les faits à ses responsables ou à un tiers. Concernant les effets sociaux de même, le groupe est d’abord soumis, agissant conformément à l’injonction puis progressivement, l’esprit critique resurgit.

Les techniques d’ingénierie sociale décrivent bien ces actes faits dans l’urgence, la précipitation, sous le stress inhibiteur, par injonction et commandement moral auquel il est difficile de se dérober tant la manœuvre joue sur une succession d’émotions et d’actions où la personne n’est plus libre, où elle ne consent pas. Elle est trompée, abusée, violentée et violée psychiquement. Une fois l’acte réalisé, la personne est piégée. Une fois le choc atténué, émerge le temps de la reprise de ses esprits, par la baisse du stress imposé dans la manœuvre de subversion de sa liberté. Le doute s’insinue, la question de la bonne conduite, voire l’interrogation quant à la manipulation pointe. Et là, un second stress advient. Celui de tout taire, celui d’avouer, celui d’un effondrement de l’estime de soi se sentant ridicule, vulnérable, piégé, complice par inadvertance donc possiblement coupable.

Les techniques de l’ingénierie sociale [19] développent bien ce séquencement psychologique. Quelques exemples. L’hameçonnage consiste à envoyer une information trompeuse pour extorquer des informations transmises imprudemment, le plus souvent dans l’urgence : document confidentiel, code de sécurité, code bancaire, etc.  L’appâtage promet à la victime une remise, une récompense pour une action apparemment anodine de transfert de données là aussi dans une urgence des premiers répondants. Le rançonnage où il s’agit de payer pour un virus détecté et dangereux, alors qu’il s’agit d’une supercherie. Ces techniques appliquées à l’escroquerie informatique prolongent et affinent celles connues de la subversion sociale et politique.  Le choc émotionnel produit la perte de contrôle, le choc social induit l’isolement, le choc existentiel provoque la soumission et l’action conforme à l’attente du manipulateur. La subversion opère comme un parasitage.

2.2. Leur concrétisation en 2020

Reprenons maintenant les techniques exposées par le sociologue au chapitre 4 : le discrédit de l’autorité établie, l’attaque ad hominem, l’utilisation des incidents et la pratique du tribunal populaire. Elles permettront d’examiner les pratiques des acteurs durant cette période où les politiques sanitaires sont devenues l’essentiel des politiques publiques. Nous proposons de prendre une réelle distance en matière de jugement trop hâtif sur les intentions. En effet, Mucchielli défend l’ordre démocratique contre les agressions subversives. Mais il en omet la distance raisonnable où la subversion n’est pas l’apanage de quelques « méchants » [20]. Nous souhaitons suspendre ce jugement temporairement pour nous préserver de l’illusion du prétexte de la bonne intention qui suffirait à éluder ou masquer la question de notre propre pratique subversive. Nous invitons chacun à temporairement écarter tout jugement sur l’intention qui prétend légitimer ou masquer sa propre subversion. Cette attitude s’observe par ce procédé accusatoire bien connu, en déniant son usage par soi-même par la focalisation accusatrice que l’autre pratique intensément la subversion ; soit un procédé de dénonciation visant la disqualification de son interlocuteur.

Nous proposons ici d’analyser les événements de cette crise qui commence début 2020 en utilisant ces techniques exposées par Muchielli dans son chapitre 4. Les promoteurs (P) et les détracteurs (D) vont développer symétriquement les mêmes techniques de subversion. Nous décrivons les pratiques et arguments sans aucun jugement sur le bienfondé des positions respectives. Nous nous en tenons à la description des pratiques et des dires.

2.2.1. Le discrédit de l’autorité établie

(P) discrédite l’ensemble des conventions et règles qui régissent la mise sur le marché d’un médicament au profit de la créativité, de l’innovation et de l’assurance des résultats obtenus à très court terme. Ces règles imposaient depuis des décennies : la précaution et la prudence, pour protéger le patient et lui assurer une thérapeutique fiable lui garantissant l’innocuité du soin. Elles sont balayées au nom de l’urgence, du sérieux et de la fiabilité des inventions. L’étude expérimentale des effets dans la durée n’est plus requise. Le cadre légal est balayé.

(P) discrédite aussi le cadre législatif et institutionnel international dont il fait fi comme s’il n’existait pas : les conventions d’Oviedo, Helsinki et le principe de l’inviolabilité du corps humain consacré depuis les crimes nazis. Ils sont oubliés, négligés, mis entre parenthèse, relativisés et interprétés pour inciter les populations à se vacciner.

(D) discrédite en retour les laboratoires et leur historique de condamnations pour de nombreux motifs : publicités mensongères, corruptions dont tout particulièrement Pfizer, factuellement multirécidivistes pour quelques milliards de sanctions aux Etats-Unis [21], ce qui est factuellement fondé. Il y a donc ici à opposer à la présomption d’innocence, le doute raisonnable, ou bris de condition qui oblige à quelques prudences.

(D) discrédite les institutions légales, conseil d’Etat et constitutionnel dans leurs décisions successives au nom des valeurs démocratiques dont la liberté, l’inviolabilité du corps humain et le libre consentement.

De part et d’autre on jette le discrédit sur une partie des règles en vigueur. Par cumul, toutes les autorités politiques, juridiques et médicales sont très largement vilipendées. Le discrédit joue à plein. Il se prolonge par de multiples attaques ad hominem.  

2.2.2. L’attaque ad hominem.

(P) pratique cette attaque sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux. Un florilège de citations est-il nécessaire ? Violence verbale exacerbée, agressivité extrême des participants, hystérisation des interpellations successives, insultes, dénigrement, attaque personnelle, le plus souvent sans aucun autre fondement que la violence, l’exaspération, le truisme, l’assertion ou la pétition de principe. Les débats tournent très vite à l’invective, l’altercation.

(P) attaque d’éminents scientifiques cherchant à les disqualifier, prolongeant ici le travail de discrédit, mais par des attaques personnelles sur l’âge, la sénilité ou par des accusations dispensant de tout dialogue : complotisme auquel il ne faut pas donner suite, conduisant les populations à ne pas même les écouter, répétant ces actes d’accusation ad nauseum. (D) pratique de même en usant d’autres arguments de disqualification, invoquant le plus souvent les conflits d’intérêt et la corruption essentiellement pour mettre en doute la valeur des propos des médecins très présents sur les plateaux de télévision. Là où les premiers attaquent les savants critiques, les seconds exposent systématiquement les intérêts et participations aux activités de recherche financées par les laboratoires.

Des deux côtés, on attaque l’autre pour ne plus avoir à échanger avec lui. Le dialogue devient difficile, la subversion fracture et isole, le débat démocratique devient impossible, seul s’impose un point de vue sans discussion.

2.2.3. L’utilisation des incidents

(P) mettra en avant les décès, puis les cas et hospitalisations des non-vaccinés. Certains décédés seront mis en exergue plutôt que d’autres.

(D) procédera de même en mentionnant la faible surmortalité, les hospitalisations des vaccinés puis les décédés vaccinés dans une symétrie parfaite des arguments et contre-arguments.

Chacun entretient ses vues. Deux lignes de sélection des informations prennent corps dans deux représentations de la crise dont les arguments constituent les deux faces d’une pièce qui ne se voient plus.

De part et d’autre, le triptyque de l’ancrage de sa position initiale, renforcé par une complaisance permanente à l’égard de ses points de vue en relativisant les angles morts, sans oublier la sélection des données pour sans cesse confirmer sa position jouent à plein chez chacun. Cette psychologie de l’enfermement cognitif s’appuie sur ce triptyque : ancrage, complaisance et confirmation.

Pour exemple, symétriquement :

(D) dira qu’après la troisième dose du « vaccin », la personne souffre et contracte la maladie, preuve de son inefficacité, voire de sa dangerosité.

(P) dira qu’après avoir contracté la maladie, sa faible gravité est la preuve de l’efficacité de ce même « vaccin ».  

2.2.4. La pratique du tribunal populaire

(P) la pratique dans de nombreuses émissions des grands médias télévisuels qui ont été de véritables tribunaux populaires avec des systèmes de vote, des stigmatisations assénées de manière collective contre l’opposant minoritaire. Ces émissions ont très souvent mis leurs membres en position de juge, juge des savants, juge des informations, juge des résultats, juge toujours. Des journalistes sont eux-mêmes très engagés, partisans, accusateurs par des questions fermées pratiquant le choix impossible du fait des déséquilibres entre les alternatives.

(D) utilise les réseaux sociaux pour animer des fils de discussion ou des échanges d’enregistrement reproduisant les mêmes procédés de jugements péremptoires contre les médecins et les hommes politiques présents sur les plateaux de télévision.

Le tribunal populaire se caractérise par ce procédé de jugement permanent faisant procès à charge d’une cause et de ses interlocuteurs. Il agit de manière péremptoire, définitive en étiquetant soigneusement les uns ou les autres, s’attaquant plus aux personnes qu’aux faits dont ils se font les témoins.

En synthèse, sur le plan psychologique, on notera que ces quatre techniques favorisent la colère, le ressentiment, l’agressivité, des pulsions de mort même. Le combat est latent, la haine de l’autre affleure dans les propos, voire parfois se libère. La subversion altère le corps social, elle le divise, le fracture et subversion ou contre-subversion concourent en fait à une dégradation de toutes les institutions d’une société. L’écoute, le dialogue, la recherche d’un consensus ou d’un compromis disparaissent au profit d’une opposition frontale et d’une excommunication réciproque. Cela manifeste une incommunication réciproque. Les deux camps qui émergent sont irréconciliables car ils ne veulent plus s’entendre. L’ordre établi de la démocratie est donc mis à mal, profondément subverti. Les Etats y jouent un rôle, comme les institutions internationales, les grandes entreprises et dont les médias.

3. L’enrichissement de la théorie de la subversion


Alors que le sociologue consacre l’essentiel de son livre aux mouvements révolutionnaires qui agissent en Occident dans les années soixante et soixante-dix, sous l’influence des soviétiques, il ne tire aucun enseignement plus politique ou sociologique sur le rôle des Etats dans leurs conflits ou dans le jeu d’institutions internationales et autres acteurs sociaux agissant dans nos sociétés. Il est intéressant de noter la position de Mannoni et Bonardi à ce sujet [22]. Elle explique bien une association de la subversion aux seuls mouvements contestataires et révolutionnaires. Or, l’épisode de la crise mondiale de santé publique oblige tout esprit critique à considérer que la subversion est à l’œuvre de part et d’autre. Les Etats et des institutions internationales pratiquent bien la subversion de l’ordre établi. Pour preuve, la vitesse à laquelle l’ensemble du cadre légal à propos duquel les nations s’étaient accordées pour la mise sur le marché de médicaments sûrs, sécurisés, et éprouvés dans des délais longs d’une dizaine d’année. Il est transgressé au nom de l’urgence sanitaire. Factuellement, le discrédit de ce cadre antérieur est réalisé par les institutions qui les ont promus. L’ordre établi a bien été factuellement subverti par ces institutions, se dispensant d’appliquer leurs règles. C’est pourquoi, il nous faut compléter son approche d’une théorie des institutions subversives.

3.1. La théorie des institutions subversives

Mucchielli aborde peu l’école des relations publiques américaines de Bernays et Lippman et les pratiques de propagandes et de subversions des entreprises capitalistes visant à modifier les comportements des consommateurs en influençant leurs croyances, privilégiant le plaisir personnel, l’individualisme, la société de consommation ou en agissant contre des Etats pour défendre leurs intérêts [23]. Ces auteurs et acteurs sont absents chez Mucchielli, comme si la subversion était l’apanage de quelques agitateurs révolutionnaires. Or, ces institutions subversives agissent au sein des Etats démocratiques et dans l’économie, selon leurs objectifs et intérêts. C’est pourquoi, il faut enrichir le constat de Mucchielli pour compléter sa théorie de la subversion, en assumant l’examen de toutes les subversions observables, d’où qu’elles viennent. J’insiste une dernière fois ici en matière d’avertissement au lecteur. Dissocier l’intention de la pratique subversive est indispensable à une recherche honnête, sauf à estimer que l’intention qui a notre faveur dispense de toute analyse. Ce biais serait un peu gros pour être tenable de bonne foi [24].

3.1.1. Les pratiques subversives d’Etat.

Prenons deux exemples pour attester de leur existence. A) L’activisme américain dans la Russie d’Eltsine. B) La radio Soldatensender Calais de Delmer durant la seconde guerre mondiale.  

A) L’activisme américain dans la Russie d’Eltsine décrit par le sociologue Kara-Murza est très intéressant, car il analyse toute la propagande occidentale dont les intentions sont pour lui l’appropriation des immenses ressources stratégiques russes et le démantèlement des autorités établies qui protègent encore la Russie d’une captation de ses richesses par des puissances étrangères. Ce simple diagnostic, côté occidental est bien évidemment nié au nom d’une libéralisation et d’une démocratisation motivée par des valeurs universelles. Kara-Murza analyse cette période de transition et ses préparatifs au moment où le système soviétique cherche à transiter vers la privatisation d’une économie d’Etat. Déjà, le sociologue interroge ce vocabulaire subversif : la transition, qui définit le mouvement sans dénommer le but de ce transit.  Kara-Murza étudie la période de 1989 à 1991 où des économistes étrangers viennent conseiller les politiques russes au nom de leur expertise en matière de réforme des marchés. Ils vont convaincre de l’intérêt, voire de la nécessité de privatiser au prix d’un chômage de masse. Il nomme cela : la suggestion. Rien ne démontre que privatiser est un bien pour l’économie dans l’absolu, tout montre que cela sera catastrophique pour de nombreux travailleurs. Pourtant la suggestion opère sur les décideurs sans concertation avec les principales victimes en très grand nombre. Et cette transition économique provoque une crise sociale et culturelle profonde. Les populations ont été dépossédées, soumises puis précarisées [25].

Le sociologue développe plusieurs thèmes pour expliquer la subversion occidentale manipulant la société russe à son profit durant cette période. Premièrement, le langage parce qu’il agit sur les représentations du réel et sur l’imaginaire qui peut se substituer, ou tordre ces représentations sous l’influence de manipulateurs [26]. Et influencer l’imaginaire, c’est modifier les comportements et les croyances. Il examine la manipulation par les images, les pensées associatives, les stéréotypes qui modifient la pensée des personnes. Deuxièmement, il étudie dans la tradition de Tchakhotine la subversion émotionnelle par des stratégies de peur : misère, menaces, guerres, terrorisme. Troisièmement, il revient sur l’imagination, les termes d’une pensée magique exposant des idéaux : la performance, la richesse, le bien-être, le mythe occidental. Quatrièmement, il revient sur chaque étape de ce processus de désarmement idéologique, les coups portés par la Perestroïka, la critique du système soviétique allant jusqu’à évoquer cette période comme celle de la « destruction de la pensée logique » rendant les populations fragiles et perméables à des promesses incohérentes. Enfin, cinquièmement, il décrit l’œuvre de destruction des symboles, des valeurs, du noyau moral par une opposition entre une nouvelle mythologie heureuse et celles caricaturale d’une société soviétique négative en tout point. C’est la manipulation des représentations sociales jusqu’à l’anesthésie sociale [27].

Pour l’essentiel, la subversion opère du fait de la passivité naïve des « victimes ». Les discours sont pris au premier degré sans les interroger, sans les critiquer, sans envisager des intentions ou des manœuvres. Or, en Union Soviétique, il s’agit d’un changement radical du système social. Kara-Murza omet de préciser que cela fait deux changements radicaux sur le même siècle : la soviétisation puis la libéralisation. Mais, cette période 1985-1995 est emblématique de cette subversion. Il la nomme, manipulation de la conscience de masse. Son étonnement part du constat de destruction, d’appauvrissement généralisé, de démantèlement des activités. Le rêve transitionnel d’une société marchande efficace a été instiller dans les esprits ; mais à court terme, on assiste au démontage des institutions sociales et économiques. En 1991, 1992, la Russie est proche de la guerre civile. Or, Kara-Murza évoque, à l’instar de Stiglitz d’ailleurs, le rôle des institutions internationales et des consultants internationaux qui diffusent une vulgate influençant et convertissant les élites russes à leurs Credo idéologique. C’est la fabrique d’une communauté épistémique pour reprendre l’expression d’Alain Deneault. Cette subversion des élites leur fait adopter des idées contraires à leurs institutions. En synthèse, il mentionne la division et les clans qui accaparent des idées par intérêts. Il observe les phénomènes de désintégration dont la Perestroïka sera le signe d’un retournement idéologique anti-soviétique. Il décrit une intelligentsia s’éloignant des principes de l’institution et des besoins des populations [28]. Les normes d’un temps n’ont pas résisté à leur corrosion par les subversions et influences occidentales.  

Le sociologue montre enfin que cela promeut d’autres icônes sociales : celle de l’entrepreneur et de l’aventurier [29]. La désintégration des représentations sociales antérieures s’accompagne d’une fabrique de nouvelles images. Le narratif crée une mythologie. La subversion opère quand cette transformation se fait à l’insu des populations par transfert d’idéologies venant ailleurs et au service d’intérêts extérieurs. Le lecteur aura compris, que Kara Murza défend la souveraineté de destin d’une communauté constituée, ce qui le distingue évidemment des représentations occidentales largement partagées où l’individu prime et où la communauté de destin se confond avec des enjeux mondialisés. Avec un tel regard sur la subversion occidentale, il va de soi que Kara Murza nous confronte à cette double vue de la réalité des démocraties et de leur système de valeur. Sont-elles une réalité du pouvoir du peuple par le peuple au service du peuple ou bien une mythologie masquant des dictatures libérales et technocratiques au service de leurs oligarchies, les intérêts de celles-ci pouvant se dissocier grandement de ceux des populations ? Et c’est bien là que le sociologue observe les pratiques occidentales pour y discerner les manipulations de masse au lieu et place des disciplines autoritaires dont le niveau d’ingérence dans la vie personnelle et quotidienne est à ses yeux supérieurs aux régimes totalitaires du 20e siècle jusqu’à faire injonction en matière de mœurs, de modes de vie, de croyances et de non-croyances, etc.

Nous aurions pu étudier le renversement d’Allende par Pinochet, la succession de coup d’Etats en Haïti, mais le cas Russe à l’intérêt d’interpeler les références implicites qui brouillent la compréhension des faits et leurs possibles interprétations, faisant d’une pratique une subversion d’Etat, là où l’habitude en dictera la compréhension : droit d’ingérence, bon droit, universalisme, etc. qui peuvent agir comme autant de filtre à la mise en exergue que la perception de la subversion d’Etat est à chaque fois possible pour une partie des observateurs.

B) La radio Soldatensender Calais de Delmer durant la seconde guerre mondiale. Elle est un exemple parmi de nombreuses opérations semblables où un média est créé de toute pièce par un Etat dans le but de diffuser des messages déstabilisant les populations « ennemies ». Ici, cette station de radio britannique se présentait comme une station de l’armée allemande. Décrite dans son ouvrage Opération radio-noire [30], elle diffusait avec un faux-nez, se faisant passer pour une radio allemande dans le but de démoraliser les troupes allemandes, agissant pour le compte des puissances occidentales. Tchakhotine rappelle les pratiques de propagandes subversives dès la première guerre mondiale [31]. Les Etats sont donc bien les auteurs de subversions contre leurs adversaires ou ennemis. Ces pratiques de médias intrusifs auprès des troupes et des populations de l’ennemi sont très nombreuses.

Ces deux exemples montrent bien que la subversion vise l’ordre établi au profit d’un ordre nouveau favorable aux commanditaires de l’action de subversion. Et celle-ci est opérante dès lors que les acteurs en situation ne perçoivent pas l’identité et l’intention réelle des auteurs. Il s’agit d’échapper à toute imputabilité, donc de refuser même l’hypothèse de rendre compte de ces actes et œuvres de subversions qui doivent demeurer dans l’ombre, sans recours, sans plaintes. A chaque fois, l’agent de la subversion est caché au moment des faits. C’est d’ailleurs la condition du succès de son action. Mais l’époque contemporaine a créé des institutions internationales qui agissent peut-être elles aussi de façon subversive entre leurs propos, leurs décisions, leurs motivations et leurs intentions.

3.1.2. Les pratiques subversives d’institutions internationales.

Résumons ici l’analyse de Stiglitz dans La grande désillusion [32]. Spécialiste des marchés avec asymétrie d’information, il étudie le rôle des institutions financières internationales dont le FMI, l’OMC et la Banque Mondiale. Alors que ces organisations ont été construites pour éviter des crises, Stiglitz ne manque pas de montrer leur rôle dans l’émergence et l’aggravation de crises majeures : asiatique qui toucha la Thaïlande, l’Indonésie, la Corée du Sud, la Malaisie et les Philippines., et russe par exemple. Alors qu’elles sont censées servir l’intérêt général, elles utilisent certes cet argument, mais leurs actions répondent à d’autres priorités. Stiglitz expose plusieurs arguments du fait de son expérience personnelle.  

Ces institutions imposent aux Etats plus qu’elles ne dialoguent au nom d’une doctrine, voire d’un corpus idéologique, au lieu d’adapter des mesures à une situation particulière. Il souligne le lien entre le FMI et son principal financeur, le département du Trésor américain qui exerce un droit de véto au sein de l’institution. Les orientations imposées aux Etats sont à chaque fois un déni de démocratie où il s’agit d’atteindre la souveraineté, de privatiser des activités. Les aides et les prêts sont assortis d’obligations qui ne sont pas soumises au débat parlementaire ou démocratique. Il y a donc une ingérence de fait et ces conditionnalités démontrent à chaque fois que l’objectif est « d’accroître la probabilité de remboursement » mais aussi d’agir sur les politiques publiques à l’insu des dirigeants et peuples souverains.  Stiglitz poursuit sa description par ces prises de pouvoirs qui font injonction d’investissements rentables pour des acteurs étrangers (Etats, investisseurs, grandes entreprises) au détriment d’investissements publics prioritaires.

Stiglitz note bien le caractère subversif de ces décisions faisant ingérence au sein des Etats, prétextant d’une mission pour servir des intérêts différents. Il pointe la libéralisation financière et des comptes d’opérations en capital « qui a été le facteur le plus important de la genèse de la crise » [33], mettant les pays asiatiques « à la merci des impulsions rationnelles et irrationnelles de la communauté des investisseurs, de leurs euphories et abattements irraisonnés ». Il note les restructurations aberrantes du système financier, reposant sur la fermeture des banques dont les créances étaient irrécouvrables, « au lieu d’apporter des liquidités pour financer les dépenses nécessaires », ou sur l’exigence de recouvrir vite leur niveau de fond propre, ce qui provoqua une réduction massive des prêts et donc un arrêt de l’économie. C’est par le soutien des technocrates internationaux ou nationaux, aveuglément favorables aux mesures du FMI, voire contraints par le FMI que se fissure et se déstabilise l’édifice social. L’effet domino, quand une économie s’effondre et doit réduire ses importations, ce sont les balances commerciales des pays voisins qui sont atteintes. Le maintien du niveau de liberté de circulation des capitaux qui, en temps de crise, peuvent se retirer brutalement, laissant le pays à l’agonie financièrement. La surévaluation de la monnaie et la libéralisation des capitaux aux dépens de l’économie réelle et de la stabilité économique, le plus souvent en faveur des oligarques. La désarticulation des structures étatiques et retrait de l’État, laissent place à une corruption endémique et au manque de contrôle des privatisations. Le contournement de la démocratie par un soutien à une élite oligarchique n’étant ni élue, ni choisie selon ses résultats. Une politique de privatisation et de libéralisation financière sous contrainte de prêts accordés par le FMI, quitte à perdre de la stabilité politique et sociale. Et pour terminer, une impossibilité de faire jouer l’imputabilité, soit la responsabilité devant les électeurs des décisions et solutions mises en œuvre.

En synthèse, Stiglitz conclut en ces termes : « Il peut y avoir un abîme entre leurs intentions proclamées et les véritables [intentions]. Mais en sciences humaines, on peut toujours essayer de décrire le comportement d’une institution sur la base de ce qu’elle paraît faire. Si l’on examine le FMI comme si son objectif était de servir les intérêts de la communauté financière, on trouve un sens à des actes qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement incohérents. » Car selon Stiglitz, il est clair que : « La libéralisation des marchés financiers n’a peut-être pas contribué à la stabilité économique mondiale, mais elle a bel et bien ouvert d’immenses marchés nouveaux à Wall Street. » [34].

A la façon d’une subversion qui viole le consentement, ces institutions violent l’intégrité des Etats dont elles obtiennent des décisions à leurs désavantages, ce que Chomsky montre aussi à l’instar de Stiglitz [35].

3.1.3. Les pratiques subversives des grandes entreprises.

Prenons là aussi deux exemples : A) Le coup d’Etat de 1954 au Guatemala. B) Les opérations minières canadiennes en Afrique très bien décrites par Deneault [36].

A) Le coup d’Etat de 1954 au Guatemala. Il est aussi manifeste que l’opération radio-noire de Sefton Delmer. Résumons cette affaire bien connue des spécialistes [37]. Le dictateur militaire Jorge Ubico Castaneda est renversé par un soulèvement en 1944. Une première élection démocratique met au pouvoir Juan José Arévalo. Lui succède Jacobo Árbenz Guzmán en 1951 qui sera renversé lors d’un coup d’Etat par Carlos Castillo Armas. Les deux présidents démocratiquement élus entament des réformes sociales et agraires au profit des paysans sans terre. Le parti du travail, proche des communistes est aussi autorisé. L’expropriation de United Fruit Company (UFC) lèse les intérêts de cette firme américaine. La CIA a toutes les raisons politiques et économiques d’intervenir pour préserver les intérêts américains, le directeur de la CIA, Allen Dulles étant lui-même actionnaire d’UFC. L’opération consiste à isoler et discréditer le Guatemala sur la scène internationale puis à financer une armée au service du futur homme fort, C.C. Armas. L’époque est au radio de subversion. Voice of Libération émet début mai 1954 contre les communistes en dénonçant le président en place. Elle propage un sentiment de révolte propice à l’insurrection. Elle prétend émettre de la jungle alors qu’elle est à Miami, selon le même procédé que radio Soldatensender Calais de Delmer. Elle contribue à saborder le moral des partisans d’Arbenz en glorifiant les premiers succès des guerilleros soutenus par la CIA. L’armée guatémaltèque renonce à combattre. Le coup d’Etat réussi. Arbenz démissionne. Le nouveau président devient très vite un nouveau dictateur qui restitue les terres à la compagnie américaine. S’ensuivent plusieurs décennies de guerres civiles. Chomsky commentant cette opération soulignera que les USA élimine un Etat démocratique inspiré des politiques du New Deal au nom de ses intérêts jusqu’à soutenir un régime de guerre civile et de pratiques inhumaines.

B) Les opérations minières canadiennes en Afrique. Si Deneault examine avec précision les mécanismes de corruption mis en œuvre par les minières, celle-ci pratiquent la subversion.  Cela renvoie aux phénomènes de corruption dans des secteurs stratégiques où les enjeux économiques sont considérables : énergie, ressources naturelles, santé ou informatiques. D’abord spécialiste de la philosophie de l’argent chez Georg Simmel, sujet de sa thèse, Son ouvrage Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique est édifiant. Aux termes d’une enquête très rigoureuse, il décrit les pratiques subversives des sociétés minières visant à maquiller les pratiques effectives : pollution majeure, atteinte à la santé publique des autochtones, soutien et corruption des dictatures locales, entretiens de conflits locaux, etc. Dans les ouvrages suivants dont Paradis fiscaux : la filière canadienne publié en 2014 jusqu’à De quoi Total est-elle la somme ? : multinationales et perversion du droit publié en 2017, il montre comment ces entreprises subvertissent l’Etat de droit à leur seul avantage. Elles participent à la déstabilisation de l’organisation des Etats, elles agissent auprès des médias et exercent une censure de ceux qui pourraient exposer les faits. A leur manière, elles ont une activité terroriste : corruption, intimidation, usages de la force, etc.

Ces entreprises ont des modes opératoires qui interfèrent avec les affaires publiques et la politique des Etats, s’immisçant dans la vie politique, finançant des groupes subversifs pour obtenir l’ordre politique qui favorisera leurs affaires.

3.1.4. Les pratiques subversives des mass médias.

Pour cette partie, l’analyse de Mannoni et Bonardi retient notre attention car elle montre comment les médias sont les relais d’opération dont ils deviennent les complices, parfois malgré eux. Il est par ailleurs impossible de ne pas retenir l’analyse magistrale de Chomsky.

A) Les médias font malgré eux l’apologie de la subversion et du terrorisme. Mannoni et Bonardi étudient ces autres institutions subversives par nature que sont les médias. Je reprends ici à mon compte la belle définition introductive de Mannoni et Bonardi : « Les journalistes sont censés être les greffiers des événements. […] Le service rendu par cette diffusion est de porter à la connaissance de tous les membres d’une société, d’une nation et parfois du monde entier, ce qu’il en est du fait concerné. Chacun peut ainsi être instruit de ce qui advient ici ou là et des éventuels enjeux que cela peut revêtir pour son existence personnelle, celle de son groupe ou celle de sa nation. » [38]

Derrière cette promesse épistémologique et politique qui suppose le désintérêt et une recherche de neutralité en vue d’une information « objective » pour laisser l’auditeur libre de ses interprétations, il est manifeste que les médias sont des acteurs impliqués et engagés. Au lieu de s’en tenir au fait, de s’attacher d’ailleurs à en dévoiler ce qui seraient inconnus, les médias participent en permanence du biais du jugement moral appliqué immédiatement à la situation pour distraire des faits et maintenir une thèse morale sans aucun esprit critique. Au lieu d’aider le citoyen à se faire son avis par la qualité des faits exposés et des enquêtes réalisées, nombre de médias pratiquent le second biais de la rediffusion sans contrôle des dépêches des institutions de presse internationaux sans aucun esprit critique là encore. Nous pourrions multiplier les scandales illustrant cette pratique : l'affaire des charniers de Timișoara, fausses informations diffusées sur les victimes de la répression du régime communiste de Roumanie dirigé par Nicolae Ceaușescu en décembre 1989, L’affaire des couveuses d’un hôpital au Koweït, scandale du faux témoignage du 14 octobre 1990 présentant les atrocités commises contre des nouveau-nés koweïtiens pour motiver l’entrée en guerre. Une agence de presse américaine était à l’origine du montage. Comment relayer sans enquêter, vérifier, éprouver ou à défaut avertir ?

B) Les médias acteur de la subversion analysés par Chomsky. Outre ses ouvrages, un très brillant article du Monde diplomatique de 2007 synthétise bien sa pensée concernant l’affaissement des sociétés démocratiques menacées par la subversion médiatique au service d’intérêts spécifiques qu’il décrit dans Les Etats manqués. Abus de puissance et déficit démocratique publié en 2007. Cette dernière partie montre que la subversion médiatique est au service de la puissance d’un Etat qui s’arroge un droit d’intervention planétaire, soit le droit de subvertir les souverainetés des Etats au nom d’une ingérence légitime. Dans son article de 2007, Chomsky rappelle successivement que les médias entretiennent des fictions anti-démocratiques. Il prend l’exemple du contentieux iranien :

« Prenons, par exemple, l’éventualité d’une guerre contre l’Iran : 75 % des Américains estiment que les Etats-Unis devraient mettre un terme à leurs menaces militaires et privilégier la recherche d’un accord par voie diplomatique. Des enquêtes conduites par des instituts occidentaux suggèrent que l’opinion publique iranienne et celle des Etats-Unis convergent aussi sur certains aspects de la question nucléaire : l’écrasante majorité de la population des deux pays estime que la zone s’étendant d’Israël à l’Iran devrait être entièrement débarrassée des engins de guerre nucléaires, y compris ceux que détiennent les troupes américaines de la région. Or, pour trouver ce genre d’information dans les médias, il faut chercher longtemps. Quant aux principaux partis politiques des deux pays, aucun ne défend ce point de vue. Si l’Iran et les Etats-Unis étaient d’authentiques démocraties à l’intérieur desquelles la majorité détermine réellement les politiques publiques, le différend actuel sur le nucléaire serait sans doute déjà résolu. Il y a d’autres cas de ce genre. »

Chomsky décrit l’enfermement subtil des société « démocratiques » qui laissent dire mais rectifient, corrigent, hiérarchisent, discréditent, falsifient, désinforment pour ne jamais laisser libre de penser le citoyen sans cesse enfermé dans un univers coercitif de la pensée [39]. Alors qu’il étudie la subversion institutionnelle et le terrorisme d’Etat dans Les Etats manqués, cet article rejoint les constats de Deneault concernant l’œuvre de subversion des grandes entreprises :

« Dans ce monde, il existe des institutions tyranniques, ce sont les grandes entreprises. C’est ce qu’il y a de plus proche des institutions totalitaires. Elles n’ont, pour ainsi dire, aucun compte à rendre au public, à la société ; elles agissent à la manière de prédateurs dont d’autres entreprises seraient les proies. Pour s’en défendre, les populations ne disposent que d’un seul instrument : l’Etat. Or ce n’est pas un bouclier très efficace, car il est, en général, étroitement lié aux prédateurs. A une différence, non négligeable, près : alors que, par exemple, General Electric n’a aucun compte à rendre. »

Il devient manifeste que toutes les institutions pratiquent la subversion dans ce jeu d’illusionnisme où l’évidence du quotidien a disparu d’où cette question que nous souhaitons ici introduire : la crise des illusions.

Conclusions

Les Etats, les institutions internationales, les grandes entreprises dont les médias pratiquent la subversion. Ces subversions institutionnelles sont bien réelles et très nombreuses. Elles dissolvent le réel quotidien qui échappe à toute entente. Mais elles entraînent surtout une dérive totalitaire des représentations où s’interposer fait l’objet d’une dénonciation, voire d’un procès comme en fut victime Deneault [40].  Pour exister, ces institutions doivent construire des fictions à leur mesure. S’insinue l’ère de la soumission sans conscience ni délibération personnelle ou collective. Si Stiglitz dénomme son œuvre La grande désillusion, c’est qu’il y a illusion, mais combien exercent leur esprit critique ? Pour terminer cet article, nous voudrions pointer quelques risques dans cette civilisation de l’illusion, voire de l’illusoire.

Si cet article démontre que la subversion institutionnelle est bien là, il en ressort une crise du réel ou une crise des illusions. Nous souhaitons ici en introduire quelques premiers éléments que nous approfondirons dans un deuxième article consacré à la crise des illusions. L’illusion suppose qu’il y ait une réalité pour que l’on puisse même évoquer la distinction entre des faits et des illusions. S’illusionner, c’est préférer des représentations, des chimères qui ne sont en rien les réalités. En psychologie [41], l’étude de l’illusion s’intéresse à l’attention et aux tromperies du magicien par exemple et à toutes les illusions construites qui détournent l’attention pour faire croire à quelque chose. Mais cette étude s’intéresse aussi à la suggestion mentale qui fabrique des mythes, des icônes et des représentations qui se substituent aux réalités jusqu’à créer un univers alternatif illusoire mais pris comme une réalité par la victime des illusions.  Cette distorsion des perceptions fabrique des artifices pris comme des réalités. L’illusion produit des mirages, des trucages, des habillages. Elle agit dans trois directions qui fracture l’homme dans son rapport à lui-même et à son environnement

Elle agit donc premièrement en substitution. Ces univers parallèles deviennent encore plus notre réalité quotidienne quand les grands acteurs des nouvelles technologies vont nous offrir leurs nouveaux mondes : les métaverses ou mondes virtuels. L’enfermement des enchainés de la caverne de Platon seront là, dans la fiction du monde des ombres qui devient leur seule réalité sans point de comparaison, sans perspective même de soupçonner l’illusion. La psychologie politique doit étudier aujourd’hui la construction de ces instruments de la virtualisation du monde, car elles auront un impact sur le gouvernement des hommes assujettis à des illusions massives. C’est l’oubli du réel.

Elle agit deuxièmement par division. Ces procédés divisent la conscience contre elle-même car la subversion divise les Etats comme elle divise les personnes. Nous étudierons donc la prochaine fois l’effet d’amplification paranoïaque des mensonges subversifs et celui d’insinuation schizophrénique de ces substitutions de plus en plus dystopiques produisant la fracturation de la personne humaine. La subversion institutionnelle vise une domination entre Etats, mais plus encore une domination des populations. Ce sera notre deuxième partie de l’étude des subversions institutionnelles. C’est l’oubli de soi.

C’est le thème de notre deuxième article de cet ensemble : le temps des illusionnistes : les technologies addictives des illusions
 

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TCHAKOTINE, Serge, Le viol des foules par la propagande politique, 1952, Paris, Editions Gallimard

 

 

 

 

[1] MUCCHIELLI, Roger, La subversion, 1971, Paris, éditions Bordas et pour nos références, 1976, éditions clc

[2] « Philippe de Macédoine, le père d'Alexandre le Grand, mérite de rester dans l'Histoire pour la qualité de sa tactique psychologique au service de son ambition de conquête de la Grèce antique. Son premier geste fut de soudoyer discrètement des groupes politiques qui, en Grèce, étaient par principe contre la guerre ; les « pacifistes » athéniens, groupés autour de Eubule, proclamaient que le temps des aventures était passé et que la Cité devait se consacrer aux seules œuvres de paix. Ces honnêtes intentions faisaient l'affaire de Philippe, et ses agents « noyautèrent » le parti des pacifistes. Par ailleurs, le roi de Macédoine entreprit de renforcer et d'accélérer cette action en organisant la démoralisation du peuple athénien : rumeurs, campagnes de calomnies contre les chefs qui voulaient résister à l'influence macédonienne, corruption des petits chefs, pénétration de tous les partis politiques par ses agents, complétèrent la propagande des pacifistes subventionnés, et submergèrent l'opinion publique. » (p.12)

[3] « La subversion n'est ni une agitation, ni même une propagande politique proprement dite, elle n'est pas un complot armé ni un effort de mobilisation des masses ; elle est une technique d'affaiblissement du pouvoir et de démoralisation des citoyens ; cette technique est fondée sur la connaissance des lois de la psychologie et de la psychosociologie, parce qu'elle vise autant l'opinion publique que le pouvoir et les forces armées dont il dispose. Elle est action sur l'opinion par des moyens subtils et convergents que nous décrirons. La subversion est donc plus insidieuse que séditieuse. » (p.9)

[4] « La propagande de recrutement et d'expansion se double tout naturellement d'une propagande d'endoctrinement ou d'intégration pour « mettre au moule » (selon la belle expression moderne de Mao Tsé-toung) les groupes conquis, unifier les opinions, créer une parfaite conformité d'attitudes et d'action. Intuitivement et empiriquement presque tous les procédés modernes ont été mis en œuvre dès que les détenteurs du pouvoir voulurent façonner les esprits dans une uniformisation idéologique : c'est ainsi que la chasse aux opposants et la récompense des « bons esprits » ont fait partie des plus anciennes traditions de l'autorité politique, de même que la censure des informations non officielles associée à la large diffusion des informations et des « explications » conforme» à l'idéologie régnante. » (p.21)

[5] (1976, 69)

[6] « Une armée porteuse de l'espérance et de l'enthousiasme populaires aura un moral au plus haut degré. Ce moral sera au plus bas si elle est entourée de la méfiance, du mépris et de la déconsidération publique. - La guerre doit être totale, c'est-à-dire que la propagande, l'action sur les populations, la contagion idéologique, y jouent leur rôle. Les armes psychologiques sont supérieures à l'armement militaire. » (p.27)

[7] « L'introduction de l'action psychologique comme appoint dans la guerre traditionnelle commença avant la Première Guerre mondiale par l'inauguration, à l'École de guerre de Paris, d'un cours sur la psychologie des foules, d'après l'œuvre de Gustave Le Bon. » (p.27)

[8] « La subversion, en déconsidérant le pouvoir aux yeux de l’opinion publique, c’est-à-dire de la masse des citoyens, veut aboutir à une baisse de l’autorité morale de l’Etat. Cette baisse d’autorité est à son tour utilisée comme preuve de l’incapacité des gouvernants et comme incitation à la désobéissance civique. Un filet ténu et serré d’irrespect et de méfiance généralisés paralyse en même temps le pouvoir central et l’opinion publique. »  (p.72)

[9] « On a beaucoup parlé, et on parle toujours, de « la majorité silencieuse », c'est-à-dire de la très grande majorité des citoyens de chacun des pays « travaillés » par la subversion, et l'on s'étonne de sa passivité. Elle est l'espoir mythique des gouvernements soumis aux attaques subversives. Or la majorité silencieuse est une création de la subversion. Un des objectifs subversifs est en effet la sidération et l'inhibition des masses. Si le lecteur a suivi jusqu'ici les conceptions des révolutionnaires volontaristes, il ne peut pas ne pas déduire la « logique » de la neutralisation de l'immense majorité des citoyens par la subversion. » (p.72)

[10] Le lecteur peut se reporter à notre article critique des Cahiers de psychologie politique, n°38 : L'expérience scientifique comme instrument de propagande et de manipulation : les expériences de Milgram.

[11] Nous nous référons aux travaux de Charles Kiesler et à sa théorie de l’engagement qu’il développe dans : The Psychology of Commitment, 1971, New York, Academic Press.

[12] Robert Dahl, professeur de science politique à l’université de Yale dans les années soixante, promoteur du concept de polyarchie. Il a étudié les conditions de l’exercice démocratique de pouvoir dans les institutions locales et fédérales américaines. (p.202)

[13] Le lecteur se reportera aux premiers travaux significatifs en la matière dans l’œuvre de Vincent de Gaulejac, Michel Bonetti et Jean Fraisse, L'ingénierie sociale, 1995, Paris, Editions Syros

[14] (1976, 72, 73)

[15] Kurt Baschwitz (1886-1968), journaliste, professeur, il enseigne à l’université d’Amsterdam. Il est un spécialiste de la psychologie des foules et des techniques de communication de masse. Il est à l’origine du concept de « panique muette » reprise par Mucchielli.

[16] (1976, 76)

[17] Lire Le terrorisme, une arme psychologique, publié chez Ovadia en 2011

[18]  MANNONI, Pierre, et BONARDI, Christine, Terrorisme et Mass Médias, 2003, Topique, n°83, p.72.

[19]  MITNICK, Kevin, L’art de la supercherie, 2002, New Jersey, Editions Wiley. Célèbre pirate informatique, il décrit les techniques d’ingénierie sociale et de piratage où la dimension psychologique est toujours très présente.

[20] Il faut relire Tchakhotine et les débats qui s’ensuivirent sur l’éthique de l’action subversive, de nombreux démocrates considérant qu’il est incohérent d’adopter les techniques de ses ennemis, sans parjurer ses valeurs, devenant semblables à ceux contre lesquels on prétend combattre.

[21] Ce sont des faits juridiques qui démontrent dans la durée une propension à la cupidité au détriment des risques sanitaires et des règles de lutte contre la corruption, le laboratoire pratiquant désinformation, expérimentation illicite, fraudes, etc ; non pas accidentellement mais de manière systématique :

1. 2004, promotion et vente illégales du Neurontin, Pfizer paie 430 millions de dollars d'amendes civiles et pénales (Communiqué Département de la Justice US, 13 mai 2004),

2. 2007, le scandale du Genotropin où les filiales de Pfizer, Pharmacia & Upjohn Company, Inc., et Pharmacia & Upjohn Company, LLC paient 34,7 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites pour commercialisation hors AMM (communiqué de Pfizer, 2 avr. 2007),

3. 2009, le scandale du Bextra où Pfizer paie 2,3 milliards de dollars pour éteindre les poursuites civiles et pénales pour commercialisation illégale de quatre médicaments - Bextra, Geodon, Zyvox et Lyrica (« Le ministère de la Justice annonce le plus important règlement de fraude en matière de soins de santé dans son Histoire », communiqué Département de la Justice US, 2 sept. 2009),

4. 2009, essai clinique sauvage de l’antibiotique Troyan sur des enfants à l’occasion d’une épidémie de méningite au Nigéria où Pfizer paie75 millions de dollars au gouvernement nigérian,en règlement des poursuites criminelles et civiles du fait de décès et handicaps. (« Tests illégaux au Nigéria », Pogo, 2009) 

5. 2013, la filiale de Pfizer, Wyeth Pharmaceuticals, paie plus de 490 millions de dollars à plusieurs États américains pour éteindre les poursuites restantes pour commercialisation illégale hors AMM de Rapamune, un médicament utilisé pour empêcher le rejet des greffes de rein. (Wyeth Pharmaceuticals accepte de payer 490,9 millions de dollars pour la commercialisation du médicament sur ordonnance Rapamune pour des utilisations non approuvées », communiqué Département de la Justice US, 30 juill. 2013), Le Rapamune fera l’objet de condamnation à répétition dont en 2014, 35 millions de dollars à 41 États américains et au district de Columbia pour la promotion des utilisations hors AMM de son médicament du Rapamune (« Règlement de 35 millions de dollars avec Pfizer Inc. », communiqué Département de la Justice US, 6 août 2014).

6. 2014, Pfizer paie 325 millions de dollars pour régler des réclamations sur le volet civil de l’affaire du Neurontin. (« Pfizer paiera 325 $ millions pour le Neurontin », Reuters, 3 avr. 2022) puis 190 millions de dollars pour régler un recours collectif portant sur différentes fraudes aux droits des consommateurs et violations les lois antitrust le laboratoire ayant intentionnellement retardé la production des génériques de son médicament contre l'épilepsie Neurontin (Recours collectif Neurontin. Pfizer règle 190 millions de dollars », aboutlawsuits.org, 22 avr. 2014)

7. 2015, Pfizer paie 400 millions de dollars réglant un recours collectif l’accusant d'avoir induit les investisseurs en erreur concernant ses pratiques de marketing hors AMM, entre 2006 et 2009, faisant de fausses déclarations aux actionnaires concernant la commercialisation hors AMM de ses produits, Bextra, Geodon, Zyvox  (« Pfizer paiera 400 millions de dollars pour éviter un recours collectif des investisseurs », Reuter, 27 janv. 2015)

8. 2016, scandale du Protonix où Wyeth et Pfizer Inc. paient 784,6 millions de dollars pour déclaration au gouvernement de prix faux et frauduleux sur deux de ses inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), Protonix Oral et Protonix. IV. (Wyeth et Pfizer conviennent de payer 784,6 millions de dollars pour résoudre le procès alléguant que Wyeth a sous-payé les remboursements de médicaments à Medicaid », communiqué Département de la Justice US, 27 avr. 2016)

[22] Dans son article Terrorisme et Mass Médias, avec Christine Bonardi, ils précisent dès leur introduction : « nous écartons volontairement de notre propos le cas du terrorisme étatique (d’en haut), les moyens de communication de masse étant muselés par une très forte censure, l’association par renforcement mutuel décrite ici n’existe pas. » (p.55)

[23] Rappelons qu’Edward Bernays crée une entreprise de propagande renommée de relations publiques dont les fait d’armes sont par exemple la promotion de la consommation de cigarette par les femmes ou le renversement du gouvernement démocratiquement élu du Guatemala à la demande d’une compagnie bananière. Le lecteur se reportera à l’article très documenté d’Etienne Dasso : Aux origines du coup d’État de 1954 au Guatemala : le rôle de la United Fruit Company dans la préparation du soulèvement contre Jacobo Arbenz publié dans la revue L’ordinaire des Amériques, n°210 en 2008 intitulé Le catholicisme en Amérique latine. Symptômes de crise et perspectives de reconquête, p.175-192

[24] Il faut avoir à l’esprit l’œuvre remarquable du philosophe et sociologue russe Sergei Kara-Murza : Manipulation of Consciousness publiée en 2004, où il interroge les manipulations occidentales vantant les mérites de la société libérales et la démocratie, sans aucun sens critique pendant toute la période de la crise soviétique jusque dans les années quatre-vingt-dix. La perception de la subversion tient à un cadre de référence, ses représentations sociales et croyances collectives. Pour un occidental, l’œuvre de Sergei Kara-Murza exige une remise en cause de la pertinence, voire de l’universalité souvent implicitement revendiquée de ses positions philosophico-politiques et de leurs dimensions psychologiques ; soit le cadre des actions légitimes de l’occidental. Or, Kara-Murza donne une lecture des actes politiques et diplomatiques occidentaux qui en font des agressions subversives de la société russe. Sommes-nous capables de prendre une distance critique en faisant l’effort d’interroger et de se révéler à soi-même ce que les logiciens nomme les références non-spécifiées ou le non-dit pour le psychologue : le caché, l’occulté, le masqué, l’implicite ? Sinon, nous discréditerons le sociologue dans une surdité subversive.

[25] Le lecteur peut consulter les travaux de Natalia Roudakova, 2017, Losing Pravda Cambridge University Press sur la marchandisation des médias renonçant à leur mission d’information au profit d’une entreprise de déstabilisation de la société soviétique.

[26] Pour Kara-Murza, la langue manipule le réel et l’imaginaire et ce dernier détermine les comportements en modifiant les images auxquelles chacun se réfère. Le magicien distrait, concentre l’attention sur un leurre et agit pour persuader d’une perception qui est une illusion. La subversion exécute des tours de magie. 

[27] Cette violence symbolique a fait l’objet de travaux dont ceux de la Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch qui explique que l’anéantissement de l’Homo sovieticus n’a pas laissé place à l’Homo oeconomicus, mais à un vacuum idéologique complet laissant place aux marchands d’illusion.

[28] Selon Kara-Murza, les enquêtes d’opinion montrent qu’en 1989, les travailleurs ne sont pas favorables à un changement économique et social. La perspective du chômage est rejetée. En 1991, d’autres enquêtes montrent que 29% acceptent la voie capitaliste et progressivement, l’idée que le chômage soit là est acceptée.

[29] Il fait référence aux travaux de son collègue L.G. Ionin auteur de Métamorphoses russes, transformation culturelle et changements sociaux, publié en 1999 et d’une description des nouvelles figures dans un article publié dans la revue SOTSIS, n°4, en 1995 intitulé Identification et mise en scène.

[30] DELMER, Sefton, Opération radio-noire, 1963, Editions Stock

[31] Lire les pages 327 et 328 dans Le viol des foules par la propagande politique et en particulier : « Cette propagande se servait surtout de tracts qui étaient jetés en millions d’exemplaires au-dessus des tranchées allemandes par des avions alliés […] Hindenburg constate mélancoliquement dans son autobiographie : « cette propagande a intensifié au plus haut degré la démoralisation de la force allemande. »

[32] Cet ouvrage est écrit deux ans après son départ de la Banque Mondiale et moins d’un an après avoir reçu le Prix en hommage à Nobel d’économie pour ses travaux sur les marchés avec asymétrie d'information. STIGLITZ, Joseph, La grande désillusion, 2003, Editions Poche

[33] Le lecteur se reportera successivement aux pages 167, 169-171, 187, 192, 195-198, 223, 231-234, 238-241 et 255. Je remercie Edouard Pontoizeau pour ses notes de synthèses utiles à cet article.

[34] (2003, 330)

[35] Dans Les Etats manqués, Chomsky soutient la même thèse que Stiglitz en étudiant le Nicaragua : « La démocratie qui a émergé du naufrage … … a été infiniment plus disposée à suivre les directives du FMI et de la Banque mondiale que ses voisins. On en voit les résultats, par exemple, dans le secteur de l’énergie, où la privatisation exigée par les institutions financières internationales est en corrélation forte avec le désastre pour la population. Le Nicaragua ayant été le plus obéissant, son désastre est le pire » (2007, 214)

[36] Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique, 2008, Montréal, Editions Ecosociété, en collaboration avec Delphine Abadie et William Sacher 

[37] Le lecteur peut consulter : DASSO, Étienne, Aux origines du coup d’État de 1954 au Guatemala : le rôle de la United Fruit Company dans la préparation du soulèvement contre Jacobo Arbenz, L'Ordinaire des Amériques [En ligne], 210 | 2008, mis en ligne le 01 novembre 2015, http://journals.openedition.org/orda/2667 ou BLUM, William, Les Guerres scélérates : les interventions de l'armée américaine et de la CIA depuis 1945, 2004, Lyon, Éditions Parangon

[38] (2003, 55)

[39] « Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La « ligne » n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On procède, en quelque sorte, au « lavage de cerveaux en liberté ». Et même les débats « passionnés » dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires. » in Le Monde diplomatique, 2007, août, p.1,8 et 9

[40] Son livre Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique publié en 2008 fit l’objet de poursuites en diffamation intentées par les deux sociétés minières les plus citées. Par un accord, le livre fut retiré de la circulation suscitant l’émoi au Québec d’une censure exercée sous l’influence des grandes entreprises. Cette affaire fera évoluer la législation pour protéger la liberté d’expression et prévenir de l’utilisation abusive et dissuasive, au regard des investissements juridiques inaccessible à un simple particulier. On peut là aussi parler de subversion de l’Etat de droit par l’inégalité des moyens mobiliser par les firmes face au simple citoyen, cette disproportion subvertissant totalement l’esprit même de la loi.

[41] Le lecteur se reportera à l’œuvre majeure d’Ernst Gombrich : L'art et l'illusion, psychologie de la représentation, paru en 1960 chez Gallimard

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