N°42 / Langues et politique en Afrique - Janvier 2023

Le temps des illusionnistes 2 - les technologies addictives des illusions

Pierre-Antoine Pontoizeau

Résumé

Les subversions institutionnelles mettent en œuvre deux techniques : la substitution du réel et la division de soi tout spécialement. La substitution du réel tient à ces univers parallèles qui deviennent encore plus notre réalité quotidienne quand les grands acteurs des nouvelles technologies nous offrent leurs nouveaux mondes : les métavers ou mondes virtuels, promesse d’enfermement des enchainés de la caverne de Platon dans les fictions du monde des ombres qui seraient leur seule réalité, sans point de comparaison. La psychologie politique doit étudier ces instruments de la virtualisation du monde qui assujettissent par l’oubli du réel. La division intérieure de soi tient à ces procédés qui fragmentent la conscience comme la subversion divise les Etats. Nous étudierons ici leurs effets dystopiques produisant la fracturation de la personne humaine. Et cette division intérieure se fait par l’apologie des dystopies anthropologiques et des pratiques bipolaires et multi-identitaires, incluant l’avènement des avatars. C’est l’oubli de soi. Explorons ces deux dimensions

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Les technologies addictives des illusions

 

Introduction

Nous concluions notre précédent article de ce travail sur le temps des illusionnistes (première partie de cet ensemble) consacré aux subversions institutionnelles [1] en évoquant leurs perspectives : substitution du réel et division de soi tout spécialement.

La substitution du réel tient à ces univers parallèles qui deviennent encore plus notre réalité quotidienne quand les grands acteurs des nouvelles technologies nous offrent leurs nouveaux mondes : les métavers ou mondes virtuels. Le risque n’est pas nul d’un enfermement des enchainés de la caverne de Platon dans les fictions du monde des ombres qui seraient leur seule réalité, sans point de comparaison, sans perspective même de soupçonner l’illusion. La psychologie politique doit étudier aujourd’hui la construction de ces instruments de la virtualisation du monde, car ils auront un impact sur le gouvernement des hommes, possiblement assujettis à ces illusions massives. C’est l’oubli du réel.

La division intérieure de soi tient à ces procédés qui fragmentent la conscience comme la subversion divise les Etats. Nous étudierons ici leurs effets dystopiques produisant la fracturation de la personne humaine. Et cette division intérieure se fait par l’apologie des dystopies anthropologiques et des pratiques bipolaires et multi-identitaires, incluant l’avènement des avatars [2]. C’est l’oubli de soi. Explorons ces deux dimensions.

1. La substitution et l’oubli du réel

Les acteurs des nouvelles technologies ont proposé des outils et des réseaux qui se sont imposés comme des intermédiaires de toutes nos relations humaines. Certes, elles peuvent donner l’impression d’en avoir élargi le champ et ouvert à des libertés inédites frôlant avec le sentiment d’ubiquité. Être là, avec d’autres personnes aux quatre coins du monde. Mais ces mêmes outils et réseaux ont offerts une infinité de mondes parallèles dont ces jeux qui absorbent toute l’attention des utilisateurs. Enfin, la promesse des métavers vise un monde virtuel, un univers d’avatars et d’imaginaires infinies. Vivre avec les ombres de toutes ces fictions qui se défendent d’en être n’aurait-il donc aucun impact sur les personnes et nos société politiques ?  

1.1. Le bilan des addictions ou assuétudes

Ce bilan très documenté est assez peu partagé alors qu’il devrait déjà conduire à de nombreuses décisions politiques majeures pour limiter, voire mettre un terme à la démesure de l’asservissement qui s’ensuit : l’assuétude [3]. Pourquoi ici en passer par la démonstration de l’assuétude ? Parce qu’elle fabrique l’illusion d’appartenir plus à un monde construit dans ces réseaux sociaux et autres jeux qu’à la réalité physique quotidienne. L’addiction est aussi illusoire en ceci qu’elle répond à un désir initial toujours frustré mais dont la seule issue reste de renouveler l’acte addictif [4]. Ces outils et réseaux produisent en effet une dépendance physiologique et psychologique à des pratiques obsessionnelles qui se manifestent par un sentiment de manque auquel succède un désir irrépressible de l’assouvir par la pratique avec une fréquence et une intensité qui affectent la santé physique et psychique de la personne. La dépendance est réelle quand l’usage n’est pas limité par une modération et un contrôle de soi. C’est bien le cas pour beaucoup. Nous sommes dans ces domaines d’investigation de l’addictologie qui s’intéresse à la toxicomanie, l’anorexie, la pathologie du jeu, etc [5].

Concernant les réseaux sociaux, la littérature est déjà très consistante et les conclusions bien établies [6]. Quelques sources sont à partager ici sur lesquelles nous nous appuyons pour constater que les outils numériques et les réseaux sociaux produisent bien de l’addiction, contribuant à asservir la personne humaine à l’objet du téléphone intelligent dans lequel se loge à la fois les réseaux sociaux et des jeux. Le nombre d’utilisateurs a cru très significativement durant la décennie 2010-2020 et le temps passé par chaque utilisateur a nettement augmenté. Il faut noter que la cyberdépendance fait l’objet de travaux depuis le milieu des années 90. Les études qualitatives par entretien attestent d’une vulnérabilité par accoutumance puis par activité réflexe jusqu’à développer cette propension automatique à revenir et revenir encore à l’outil et aux interactions supposées, attendues sur le réseau social. Cette dépendance se traduit en temps passé et en perception d’une suppression d’autres activités englouties par le temps numérique. La dépendance est liée à plusieurs phénomènes contraignants : celui de l’attente d’une réponse, celui d’une réponse à un message reçu. Les deux exigences cumulées produisent une charge mentale où il s’agit d’interagir rapidement, l’accumulation produisant elle-même de nouvelles sollicitations par multiplication des contacts, etc. Le réseau social a un pouvoir absorbant de l’attention, agissant comme un jeu excitant puis emprisonnant ses membres dans l’obligation de répondre, de solliciter avec même une compétition, voire une fierté d’être suivi, présent, consulté, associé dans une communauté sociale virtuelle [7].

Seulement, à la différence des relations sociales ordinaires, ce mécanisme produit une dépendance avec des effets négatifs, jusqu’à observer des symptômes dépressifs. La synthèse de M.P. Fourquet-Courbet et de Didier Courbet est tout à fait intéressante. Force est de constater que l’intensification des sollicitations entre les membres de ces réseaux sociaux a un effet multiplicateur qui fabrique de lui-même un usage graduellement intensif et excessif. Les premiers contacts en fabriquent d’autres qui activent de nouvelles sollicitations et la personne est prise, malgré elle, dans le jeu des réponses et interactions incessantes. Comme l’énoncent très bien ces auteurs, il y a une question d’addiction par un usage excessif et leurs effets. L’expérience simple consistant à demander à mille étudiants d’universités partout dans le monde de se déconnecter pendant une journée entière a été un révélateur. En effet, la majorité n’y est pas parvenu, se déclarant addicts [8].

A cet égard, nous adoptons les critères de l’assuétude-addiction répertoriés par le psychiatre spécialiste des addictologies : Jean-Luc Venisse [9] :  

la définition des critères des addictions :

– impossibilité de résister à impulsion de s’engager dans le comportement ;

– tension croissante avant d’initier le comportement ;

– plaisir ou soulagement au moment de l’action ;

– perte du contrôle sur le comportement ;

Et les critères secondaires souvent présents :

– préoccupation fréquente pour le comportement ou l’activité qui prépare à celui-ci ;

– engagement plus intense ou plus long que prévu dans le comportement ;

– efforts répétés pour réduire ou arrêter ; – temps considérable passé à réaliser le comportement ;

– réduction des activités sociales, professionnelles et familiales du fait du comportement ;

– l’engagement dans ce comportement empêche de remplir des obligations sociales, familiales ou professionnelles ;

– poursuite de la conduite malgré les problèmes engendrés ;

– tolérance marquée ;

– agitation ou irritabilité s’il est impossible de mettre en œuvre le comportement.

Comme le précise le professeur Vénisse : « l’addiction est avant tout la condition selon laquelle un comportement susceptible de donner du plaisir ou soulager des affects pénibles est utilisé d’une manière qui donne lieu à deux symptômes clés : l’échec répété de contrôler ce comportement et sa poursuite malgré ses conséquences négatives. »

De nombreux travaux dont ceux de Wilhelm Hofmann [10] concluent à un désir marqué d’utiliser les médias sans capacité de résistance. Ce désir est fort, même prééminent à d’autres, dont manger, boire par exemple et son contrôle serait très faible. Ce désir non-réfréné, s’explique par l’accessibilité immédiate de l’objet, sa disponibilité instantanée, l’ancrage croissant de sa pratique jusqu’à l’obsession sans oublier le très faible coût d’accès. Pour manger, il faut cuisiner, pour boire, il faut se déplacer, se servir etc. L’objet numérique, lui, est dans la poche.

Indépendamment des controverses d’experts très légitimes pour documenter les effets cliniques de ces addictions, un consensus se dégage autour de la réalité d’une addiction comportementale sur internet depuis les travaux de Marc Griffith [11]. L’usage est massif, occupant une part majeure de la journée, remplaçant d’autres activités jusqu’à les éliminer [12]. L’observation est manifeste. L’occupation est envahissante, voire exclusive. Elle est interrompue mais le retour à l’objet est immédiat. C’est un phénomène de prédation du temps. Tout est d’ailleurs prétexte à un retour à l’objet. Sa manipulation est elle-même obsessionnelle [13]. L’addiction porte à la fois sur l’objet matériel et les routines qu’il impose : tenue, toucher-taper, effleurement tactile, mouvement permanent des doigts et agitation manuelle [14]. La notion de nomophobie émerge (no mobile phobia) pour qualifier cette crainte de manquer de son objet. Le fait de ne plus être joignable, le fait de ne plus pouvoir communiquer provoque un stress et une anxiété. Les signes de l’addiction pathologique sont bien là quand des études témoignent aussi de signes quasi-compulsifs liés à l’impossibilité d’échapper à ces actes automatiques de consultation et d’agitation manuelle sur l’objet numérique [15].

La substitution au réel est manifeste du fait de ce temps passé avec l’objet et sur les réseaux qu’il met à disposition. Si nous disons que le réel est fait des relations sensorielles à un environnement naturel et humain présent physiquement autour de la personne, beaucoup s’éloignent d’une telle relation à la variété des objets physiques suscitant des activités mobilisant le corps agissant : sport, travail manuel ou domestique, danses et fêtes, événements sociaux, etc. Le consommateur de ces outils s’isole, même en présence d’autrui comme des milliers de scènes de la vie quotidienne le montrent quand des personnes assises à une même table sont chacune dans leur monde virtualisé sans échange, ou très occasionnellement ou seul dans la rue, sans contact effectif avec leur monde réel. Qui n’a pas observé ces enfants absorbés pendant tout un déjeuner de famille, sans aucune interaction sociale, réagissant mollement ou par agressivité en retour dès qu’ils sont sollicités en dehors de leur activité sur l’objet numérique : jeu tout particulièrement [16] ?

Cet oubli du réel est patent. Il s’explique par une attirance pour ces activités ludiques et très addictives que sont les jeux sans fin. Il s’explique aussi par les relations intermédiées des réseaux sociaux, flatteuses et frustrantes à la fois qui conditionnent la reconnaissance de son existence et son estime de soi à l’aune des réponses et de sa notoriété sur un réseau. Elle s’explique aussi comme l’étudie Daniel Kardefelt-Winther [17]  par une fuite du réel, l’internet étant une échappatoire à une vie quotidienne jugée fade. Le réseau offre de prime abord des stimulations sociales et des jeux plus excitants que les réalités physiques de proximité.

Toutes les études cliniques mettent en évidence que cet oubli du réel crée un déséquilibre. Le premier tient à la dépendance croissante. Les cliniciens sont encore aujourd’hui divisés pour statuer sur le caractère pathologique de cette dépendance. Toutefois, l’étude de l’usage des réseaux sociaux apporte des indications sur cette dépendance et ses effets [18]. Elle fabrique de la frustration, de l’anxiété, de l’humeur négative et des symptômes dépressifs. De nombreuses études corroborent ce phénomène psychologique [19]. Sans même évoquer la nature des réseaux et des sites fréquentés : érotiques et pornographiques, sectaires ou encore réseaux de harcèlement et de dénonciation entre proches, les usagers intensifs des réseaux sociaux s’exposent à leur plus grand isolement réel, à une difficulté accrue d’entretenir une relation réelle [20].   

L’oubli du réel tient aussi à des fabrications de fiction. Les socionautes travestissent leur personne, modifiant leur présentation, fabriquant une image de soi, tant pour les autres que pour satisfaire une aspiration à être autrement. Le réel sert alors de repoussoir à une aspiration à s’imager autrement. Le réseau social devient le lieu d’une déformation de soi, d’une idéalisation fantasmée à partir d’icônes sociales à imiter produisant cette présentation-fabrication imagée de soi. [21] Cette fabrication d’un avatar de soi, lié à un biais de représentation social défavorable a des conséquences psychologiques. Les travaux de Feinstein [22] en particulier confirment ces pathologies de ruminations mentales dévalorisantes et très négatives [23]. L’estime de soi y est altérée.

L’attirance quasi-obsédante pour demeurer sur le réseau social tient aussi à la crainte de ne pas être là, au moment opportun. Le socionaute se persuade de l’intérêt à rester en veille, l’objet connecté étant là, partout, de la poche à l’oreiller, ne quittant plus son usager [24]. Il tient aussi à des besoins complexes à satisfaire dans le quotidien réel : appartenance sociale, reconnaissance sociale [25], vanité personnelle et popularité. Et cette reconnaissance tient à un usage lui-même toxique du réseau puisqu’il s’agit de dénombrer les interactions éphémères, substitut d’échanges affectifs : les like, les tweets et re-tweets, etc. Le réseau se substitue bien à une réalité sociale, fabriquant un autre monde et d’autres relations qui ont une autre réalité. La différence tiendra a minima à l’absence d’échanges kinesthésiques ou olfactifs, à l’inexistence d’une interaction sociale directe tenant à la saisie affective des émotions : regards, mouvements, tremblements, gestuelles, humeurs corporelles, etc. Les réalités au sens de l’incarnation ou de l’incorporation sont bien absentes de cette relation intermédiée par des mots essentiellement et une image cinématographique de l’autre.  

L’oubli du réel est là encore manifeste du simple fait de la substitution. Indépendamment des contenus des réseaux sociaux : jeux, divertissement, réseau social, etc., sa chronophagie entre en concurrence avec toutes sortes d’actions dans le réel quotidien. La substitution au réel agit comme une procrastination, une sorte de passivité, voire de refus de s’exposer à l’action effective, sa réussite, son insuccès et le jugement porté par soi-même ou autrui sur son action. La perte de temps a une conséquence dans une vraie vie qui se réduit à proportion de l’envahissement de ces temps fictionnels, temps consacrés à des activités dénuées d’interactions sociales véritables ou d’interactions matérielles productrices d’un résultat concret : bricolage, jardinage, cuisine, travail domestique, échanges sociaux ritualisés (fêtes, repas, préparation d’événements culturels ou cultuels, etc.). Cette substitution est critique puisqu’on observe une part croissante d’un usage cumulatif à d’autres activités. Les plus jeunes regardent la télévision et jouent sur leur console tout en interagissant à des sollicitations sur leur smartphone. Combien sont mobilisés par leur smartphone en marchant dans la rue ? Le réel est minoré et oublié dans ces pratiques élémentaires. Qu’en est-il maintenant des futurs mondes imaginaires qui veulent aller encore plus loin ?

1.2. Les mondes imaginaires des métavers

Les producteurs de solutions numériques envisagent le métavers. Il s’agit selon leurs promoteurs d’un monde virtuel immersif. La notion évoque avec toute l’ambiguïté du méta, le monde d’après ou le monde au-dessus, comme la métaphysique indique le monde au-dessus de la physique ou le monde d’après la physique. Mais le métavers n’est pas un autre monde. Il s’agit de se substituer au monde réel accessible en permettant des expériences les plus semblables à la réalité en s’affranchissant des contraintes physiques et géographiques. Être dans un autre lieu et s’y mouvoir comme si. Le méta-univers est d’abord un monde virtualisé permettant de mener à bien des actions : achats, dialogue, visite, voyage, travail, etc. Pour cela, une première rupture anthropologique est consommée, celle de la création de son double numérique, l’avatar de soi agissant dans ce méta-univers. L’ambition est que la totalité de nos activités puissent se dérouler dans ce nouveau méta-univers. Pour être complet, ce monde virtualisé serait aussi imaginaire proposant une réalité virtuelle (reconstituée fidèlement) et une réalité dîtes augmentée (construite). Comme le sens privilégié est la vue, le procédé serait d’abord le casque permettant une expérience dîtes à 360 degrés. 

Le méta-univers pose d’emblée quelques questions dans le prolongement des constats déjà fait.

Question 1 : la dépendance et ses conséquences dans la vraie vie physiologique ?

L’immersion prolongée dans une expérience d’enfermement dans un casque a-t-elle fait l’objet d’un travail avec des médecins : ophtalmologistes, psychiatres, neurologues, cogniticiens, mais aussi juristes, moralistes et spécialistes de l’éthique ? A notre connaissance non. Or, ne devrions-nous pas exiger que la commercialisation de ces produits fasse l’objet d’une expérimentation et de tests extrêmement sérieux avant de confronter massivement les populations aux désordres psychologiques et physiologiques potentiels liés à leur utilisation ? En effet, les risques sont nombreux. Après plusieurs heures, enfermé dans ce casque et ses représentations, quel sera l’état physiologique et psychologique de la personne et le retour au réel sera-t-il anodin ? L’usage excessif des solutions actuelles ne produisent-elles pas déjà de l’épuisement mental, une charge cognitive concentrée sur la vue et la voix synthétisée, privant de toutes les ressources sensorielles d’une relation complète à autrui ? Les usagers ne constatent-ils pas eux-mêmes une fatigue, une lassitude, une incapacité à interagir efficacement dans le jeu d’une relation sensorielle complète, ces techniques bridant les échanges, parcellisant les temps de parole, interdisant les discussions croisées et les regroupements, bref, toutes les réalités sociales de la vie d’un groupe en situation de proximité physique ? Le méta-univers ne serait-il pas construit par ses auteurs pour créer cette dépendance déjà dûment observée ? Les propositions multiples, les interactions publicitaires, les suggestions d’entrée dans une nouvelle réalité alors que vous êtes initialement dans une première ne vont-elles pas induire, comme avec les smartphones, une dépendance à la multiplication des suggestions : jeux, réunions, expériences sensorielles, voyages fictionnels, etc. Comment une personne retrouvera-t-elle l’équilibre, la vue d’un espace réel avec le risque d’une inadaptation physiologique croissante à la vie réelle, après des heures et des heures dans la caverne platonicienne du casque [26] ?

Le politique peut-il prendre le risque d’un désastre addictif ? La psychologie politique est là pour alerter les politiques en vertu des connaissances actuelles qui invitent à l’application du principe de précaution en exigeant des expérimentations menées en dehors des entreprises productrices de ces solutions, avec un examen expérimental de nombreuses équipes multidisciplinaire afin de garantir les conditions d’utilisation, sauf à désirer l’enfermement, l’aliénation et l’oubli du réel pour le plus grand nombre ; ce qui serait la signature d’un projet politique en lui-même.   

Question 2 : la confusion des actions entre monde réel et imaginaires ?

Le monde virtuel est fait d’interactions entre une virtualité et une réalité. J’achète dans un magasin virtuel et je serai livré dans le monde réel. Certes. Mais qu’en est-il des jeux de tir où des jeunes tuent allègrement des milliers d’avatars, alors que des militaires sont eux aussi connectés à des plates-formes dont la seule différence est qu’elles interagissent avec des drones opérationnels pour tuer effectivement quelque part dans le monde ? Comment s’assurer que des milliers de jeunes ne seront pas malgré eux, ou même discrètement, en abusant de leur consentement, recrutés pour jouer à tuer à l’autre bout du monde dans l’ignorance de la réalité de leurs actes ? Le crime organisé peut lui aussi s’emparer de ces méta-univers. Les faits n’ont pas été contestés concernant un viol dans le méta-univers [27] lors d’expériences menées par les constructeurs des solutions où l’avatar de cette femme a été violé, elle-même étant témoin de ce viol de son avatar avec ses lunettes de réalité augmentée. Cette autre confusion montre qu’un sentiment de liberté sans limite, d’émancipation absolue jusqu’à s’affranchir du respect de l’autre apparaît sans conséquence au prétexte que le viol entre avatars n’est pas un viol effectif. Mais Nina Jane Patel a été victime et exposée visuellement à une scène de viol de son avatar. Qu’en est-il si des enfants sont victimes de viols dans le méta-univers ? Prétexterons-nous qu’il faut même l’encourager ou l’autoriser au nom de la liberté ou de la protection des enfants dans la vraie vie ? Qu’en sera-t-il des enfants exposés à une telle violence dans ce monde-là quand ils seront de nouveau dans le monde réel ? C’est la communauté SumOfUs [28] qui a relayé ces informations. Elle pointe l’irresponsabilité de Méta (société mère de Facebook) créatrice d’un méta-univers sans aucune sécurité pour les membres : meurtre, viol, chantage ; à l’instar du cyberharcèlement que Facebook n’a pas anticipé, ni régulé, laissant des jeunes victimes abandonnées à ces persécutions en ligne ; sans oublier le risque politique de persécution orchestrée par des réseaux contre des personnes.

Les politiques peuvent-il là encore laisser-faire de manière permissive en attendant de constater les ravages psychologiques d’une société où des personnes bien réelles seront des monstres dans des mondes imaginaires assouvissant tous leurs fantasmes en prétextant qu’ils en préservent le monde réel ? Mais leur vie réelle et leurs comportements sociaux en seraient-ils magiquement préservés ? La preuve mériterait d’être apportée car ces dérives existent déjà. Les violences sexuelles existent dans des jeux dont par exemple dans le MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games) World of Warcraft et son auberge Goldshire [29]. Or, la stratégie des éditeurs dont Blizzard est de se dédouaner de toute responsabilité, puisque les avatars sont des adultes réputés consentant, affirmation non-documentée en fait.  

Question 3 : l’émancipation des règles morales et du droit ?

La création d’un méta-univers peut-elle dispenser leurs créateurs de toute la responsabilité de ce qui se passe dans leur monde ? Dans la vraie vie, les organisateurs d’événements dans leurs enceintes sont responsables de ce qui s’y passe. Pourquoi ceux-là seraient dispensés de rendre des comptes des pratiques inhérentes à la mise à disposition de leur solution ? Sauf à considérer que ces mondes n’appartiennent pas à la réalité, sauf à juger que les expériences vécues dans ces mondent n’interfèrent en rien avec la vraie vie, le politique ne peut aucunement se désintéresser d’une émancipation des règles morales et du droit dans ces mondes « parallèles ». Ces univers exposeront à des situations inédites d’interférence confusante entre le méta-univers et ses conséquences dans la vraie vie, avec ces sentiments d’impunité, d’avatars anonymes, d’expérience de toutes les transgressions.

Première situation : l’enfant victime de viols qui se suicident

Des mineurs auront accès à ces méta-univers comme aujourd’hui aux jeux MMORPG et ils en seront les victimes potentielles. Comment tolérer l’exploitation sexuelle des mineurs dans le méta-univers impliquant le suicide réel de certains, perturbés par ces expériences traumatisantes ? 

Deuxième situation : le jeune meurtrier par procuration adhérant à une secte

Des personnes fragiles pourront être recrutées par des sectes ou des groupes terroristes agissant eux aussi dans ces méta-univers conduisant des jeunes à s’inscrire sur des plateformes de jeu de meurtre interfacé à des drones opérationnels. Quid de la responsabilité de ces jeunes meurtriers dès lors que des opérations de police dans le monde réel démontreront des crimes par drones interposés pilotés par des « innocents » instrumentalisés.  

Ces questions démontrent que les politiques sont déjà dans une position permissive et complice très inquiétante, déniant les interactions entre ces mondes virtuels et le monde réel. Voilà pourquoi, les perspectives de la substitution du réel ne peuvent pas être ignorées par une procrastination coupable des acteurs politiques face aux inventeurs de ces univers largement toxiques et subversifs au-delà de leur promotion arguant du seul divertissement. L’oubli du réel tient à la première illusion que ces illusions n’envahissent pas le réel.

2. La division intérieure ou l’oubli de soi

Les choix moraux et éthiques implicites à cette liberté de proposer des mondes alternatifs qui s’affranchissent de toutes les règles de vie en société pose un problème. En effet, le plus important réside à ce stade dans le témoignage de Nina Jane Patel. Elle écrit dans un rapport publié par SumOfUs en mai 2022 [30] : Métavers : un autre cloaque de contenu toxique : « Une partie de mon cerveau était en mode « c’est quoi ce bordel ? », l’autre se disait que ce n’était pas mon vrai corps, et une encore se disait « c’est important pour la recherche ». Ce témoignage justifie un diagnostic sur la généralisation des phénomènes dysphoriques avec l’induction de schizophrénie et de fracturation de l’identité (bi-polarité, etc.) que nous allons développer ensuite. En effet, Nina Jane Patel rend compte d’une tripartition de sa personne au moment des faits. Elle est victime car elle et l’avatar ne font qu’un. Elle se dissocie de l’avatar et se regarde violée tout en ne l’étant pas : dissociation en simultané ? Elle est en même temps la chercheuse qui expérimente et elle adopte aussi une position à ce titre. Elle est victime. Mais inversons la situation. Si le violeur est le chercheur. Celui-ci peut-être attiré par l’expérience, il peut aussi éprouver de la répulsion en le faisant. Il peut de même se dissocier et il peut motiver son « simulacre » de viol au nom d’une recherche sur les réactions des avatars prétextant même d’une utilité scientifique à la meilleure connaissance des réactions des personnes violées. Bref, tout est justifiable et possible en jouant sur la confusion des mondes. Et cette confusion permet la généralisation d’une stratégie d’action sans limite : tuer, torturer, violer, voler, manipuler, organiser des attentats virtuels, etc. Les mondes imaginaires peuvent très vite devenir l’infernal de la libération des fantasmes humains que les méta-univers légitimeront de ne pas réfréner.

Au-delà de ce témoignage, de nombreuses études confirment bien le principe de la construction d’un autre soi sur les réseaux sociaux et ses conséquences [31]. La projection dans le réseau s’accompagne d’une projection d’une image de soi construite pour y jouer un rôle. Et cette fiction n’est pas sans conséquence sur la psychologie de la personne. Ces études confirment le paradoxe du repli sur soi effectif au profit d’une relation intermédiée. L’addiction induit alors de l’anxiété, une négligence des engagements de la vie ordinaire (travail scolaire, activités sportives et sociales, travail domestique). Les travaux de Joël Billieux en particulier soulignent que le degré d’écart entre le soi de la vie quotidienne et celui créé pour le réseau social permet de prédire le degré d’implication dans le réseau social. Le caractère dysphorique de cette construction d’un autre soi accroit la consommation du réseau social et rétroactivement, tendanciellement, la construction de soi devient graduellement dysphorique par addiction au réseau. Il n’y a qu’un très modeste pas pour en induire que la pratique du réseau social favorise, voire fabrique de la dysphorie.

Cette division a plusieurs effets. Le premier d’entre eux consécutifs des anxiétés et tendances dépressives ; c’est le refus de la vraie vie, l’émergence de sentiment morbide. Les travaux de Jean Twenge [32] ont le mérite et la valeur de la continuité. Elle étudie depuis quelques décennies les différences en matière de santé mentale, comparant ainsi des générations. Ses recherches attestent d’une très forte croissance du taux d’adolescents dépressifs, se sentant seuls incluant des tentatives de suicides. Son diagnostic est radical. La dépendance au smartphone et aux réseaux sociaux s’apparente à une addiction aux effets dévastateurs sur la santé mentale.

Le deuxième effet tient à la dégradation de la vie réelle. Dès lors qu’une personne consacre le plus clair de sa journée à jouer, échanger, consulter sans fin des fils de discussion, ses facultés mentales en sont affectées. Les études des psychologues et des médecins confirment bien cette réalité d’une dégradation très nette des capacités à se concentrer. L’attention, la mémorisation s’effondrent. Et ce n’est pas sans conséquence sur la vie quotidienne. Elle devient difficile à assumer puisqu’elle est de moins en moins maîtrisable. Inattention et oubli exposent à l’échec, à l’inadaptation et très vite au renoncement à faire, à la baisse de l’estime de soi du fait des actions mal menées au coût cognitif élevé. L’image de soi est tendanciellement dévalorisante, renforçant le désir de fuite, l’aspiration à être un autre, ailleurs, à se dissocier de soi pour tenter d’être cet autre dans le réseau qui absorbe le plus de temps et d’investissement émotionnel : le leurre.

Dans les jeux vidéo et en particulier les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games), cette division de soi est connue [33]. Il y est bien question du processus d’individuation, d’une stratégie de fuite dans des illusoires avatars et univers parallèles en réponse à un effondrement narcissique. Parents et enfants fuient l’interaction affective et sociale dont les naturels conflits générationnels lié à la crise d’adolescence. L’enfant se réfugie dans un monde désirable, à l’instar des toxicomanes qui vantent leur préférence pour leur fuite de la réalité. Mais ces jeux entraînent vers une seconde vie, celle de l’avatar dont Elisabeth Rossé dit : « ils cherchent à fuir non seulement une réalité sociale mais aussi leur réalité corporelle qu’ils ont bien souvent du mal à accepter. Ce corps de chair, ils le délaissent, l’oublient, le malmènent parfois au profit du corps de pixel de l’avatar, bien plus obéissant, maîtrisable, source de prestige et de reconnaissance. » [34].

La création de l’avatar a plusieurs conséquences. Celle de vivre par procuration d’autres expériences en se fabriquant progressivement une personnalité distincte de son ordinaire, entretenue par des échanges où chacun se prend au jeu de l’illusion-fiction des attributs des avatars des autres. Celle aussi de confondre les relations non-impliquantes du jeu sur son intégrité physique, tant dans l’ordre de la dispute et du rapport de force émotionnel et physique effectif que dans l’ordre du désir et des rapports affectifs, olfactifs et kinesthésiques mettant en jeu ses sens, ses pulsions et leur expression physiologique et corporelle. Celle enfin de l’impact en retour sur sa vie effective, sans relation, isolée dans sa chambre, sans activité physique engageant l’effort, le rythme cardiaque, la dépense d’énergie, la fatigue, sa relation à son corps, etc [35]. L’oubli de soi produit d’une désincorporation ou dissociation des activités mentales et physiques.

En effet, l’investissement dans l’avatar ne se fait pas sans contrepartie sur la vie réelle qui est mise entre parenthèse pendant ces temps longs d’une autre vie fictionnelle. A cet égard, la preuve de son impact tient aussi dans la difficulté de passer de l’une à l’autre de ces expériences existentielles. Les addicts aux jeux, aux réseaux sociaux et autres contenus éprouvent bien une réelle difficulté à vivre ce sas. Inadaptation, perte de repères spatiaux et temporels, irritabilité, voire irascibilité sont observées.

Dans les cas extrêmes, l’oubli de soi devient même critique : oubli de s’alimenter, oubli de dormir, oubli des activités réelles : écoles, travail, engagements pris dans la vraie vie : rendez-vous, etc [36]. L’oubli de soi a donc des conséquences cliniques dans la vraie vie : épuisement, malnutrition, inaction, etc. C’est la situation de ceux qui sont fascinés par leur activité sur des réseaux addictifs : Facebook par exemple, les jeux MMORPG ou les addicts aux sites pornographiques mais aussi l’objet lui-même qui intermédie : le smartphone. Or, celui-ci devient un prolongement de soi, une sorte de prothèse, un œil, une mémoire, un imaginaire et la perte de l’objet suscite une angoisse excessive avec sa part de perte de soi, de blessure virtuelle même.

Nous en sommes au stade des hypothèses, mais les métavers vont logiquement accroître ces phénomènes d’attirances, de frustrations, de dépendances avec des effets en retour très certainement plus graves encore pour l’intégrité physique et mentale des usagers. Plusieurs études sont à mener, avant d’accepter de commercialiser de telles technologies en toute naïveté. En effet, des heures passées avec un casque auront des effets physiologiques : impact sur la vue, impact sur l’oreille interne, impact sur son activité motrice et sa situation dans l’espace a minima. Elles auront des effets psychologiques et cognitifs aussi : anxiété, dépression, pensée morbide, confusion mentale, dysphorie, etc.

Pourquoi s’inquiéter ? Parce que les études montrent que l’addiction est en fait importante en nombre. Reprenons pour terminer cette partie les chiffres de la thèse de doctorat d’Etienne Couderc de 2012 et ceux d’Hugo Lenglet dans son article déjà cité. Celui-ci rappelle la proportion des publics en risque : « Cependant, il était lié à la durée de connexion à Internet et aux facteurs corrélés à l’usage excessif d’Internet. Ce groupe représentait dans notre étude près d’un tiers des internautes (34,7 %) – chiffre qui était comparable à celui de l’étude de Kim et al. (2006) (63) – et pourrait donc constituer le groupe cible d’une intervention de prévention. » [37]. Or, Etienne Couderc obtient un troisième résultat semblable. A l’auto-évaluation de l’usage toxique, 47% de son public déclarent un usage excessif (p.114). Quant à l’évaluation par le biais du questionnaire FAT, en incluant les réponses supérieures à 30 pour constituer le groupe des usagers excessifs, la proportion est de 35% (p.116). L’équipe coréenne de Kim, Lenglet puis Couderc obtiennent donc une évaluation de l’ordre du tiers de la population. Cela signifie que pour une tranche d’âge d’environ 800.000 personnes en France, ce sont 240.000 personnes en risque. Pour une classe de 30 élèves, nous parlons de 10 élèves comme le perçoivent bien les enseignants. Pour une génération comprenant 5 tranches d’âge nous parlons de 1,2 millions de personnes. C’est donc un défi social et politique bien plus qu’une simple préoccupation individuelle marginale.

3.. Les perspectives psycho-politique de la substitution du réel et de la division de soi

A ce stade, deux attitudes sont possibles. La première consiste à accompagner ce mouvement au nom du progrès technique et de la liberté de l’homme de disposer de lui-même et de construire le monde qu’il souhaite incluant sa mise en danger. Pour se faire, il faut adopter la philosophie affirmant qu’il n’existe pas vraiment de réalité ni de condition anthropologique et biologique limitative du fait humain. La seconde consiste à s’interroger sur le monde donné qui préexiste puisqu’il est l’objet même d’une reconstruction. L’immersion de l’humain dans ces mondes artificiels qui se défendent d’en être se fera à quel prix, et il se fait dans quel but ? Il y a et il y aura un prix à payer. Notons trois enjeux psycho-politique qui s’induisent de la lecture de toutes ces études.

Première perspective : la généralisation des dysphories

L’observation de l’usager addict met en évidence nombre des symptômes de la dysphorie [38]. Le stress permanent développé par la tension nerveuse inhérente aux jeux comme aux angoisses d’attentes d’interaction sur les réseaux sociaux, surtout chez les plus jeunes. La difficulté à faire le moindre effort effectif en dehors de l’attention consacrée à l’objet numérique et ses applications : jeux et réseaux essentiellement. Les sautes d’humeurs et l’instabilité émotionnelle avec une vie en société douloureuse et irritante. Un mal-être général, tout l’inverse de l’euphorie de vivre. Cela se traduit dans des attitudes : tristesse, ennui, frustration, anxiété. Ces symptômes sont de plus en plus présents chez des jeunes qui par ailleurs éprouvent des difficultés à apprendre, à se concentrer, à délibérer même, ne parvenant plus à lire calmement pendant une heure. Faîtes le test. L’addiction numérique les sépare d’une vie ordinaire au profit de ces autres réalités. Et nous l’examinerons avec plus d’attention plus tard, la dysphorie manifeste des troubles bipolaires, dissociatifs d’identité tendant vers la schizophrénie ; dont nous pensons qu’elle résulte de l’usage même de ces objets et réseaux. Une personne dysphorique est en danger, une population met en danger toute une société.

Il est toutefois surprenant que les recherches se concentrent sur les seuls effets observables chez les victimes, au lieu de s’intéresser aux techniques et savoirs mis en œuvre lors de la fabrication de ces applications numériques. Combien de psychologues cogniticiens travaillent pour le compte des firmes de réseaux sociaux ou de création de jeux ? Quelles techniques mettent-ils à disposition et quels tests font-ils et dans quels buts pour accroître le taux d’utilisation de leur produit ? Ces enquêtes-là sont très peu nombreuses alors qu’elles éclaireraient sans discussion possible. Il suffit déjà de consulter les bases de recrutement de ces organisations pour prendre la mesure du caractère intentionnel de ces marchands qui visent l’addiction pour des raisons économiques déjà. La santé humaine n’est pas leur problème.

Pour ce qui est du constat, la dysphorie est aussi renforcée par le résultat des pratiques sur les réseaux sociaux. Celles-ci ne sont pas directement imputables aux fabricants, même s’ils pouvaient en prévoir le risque, donc en assumer la gestion. La pratique du harcèlement y est importante. Certains font le parallèle avec l’alcool [39].  Et la comparaison tient aux conséquences en termes de désorientation, de dépendance mais aussi d’agressivité irraisonnée, de désinhibition conduisant à une interlocution violente.  

Deuxième perspective : la disparition de la délibération sociale, pilier de la vie démocratique

Avec une population qui consacre beaucoup de temps à ces activités, sans oublier le futur des méta-univers, ne va-t-on pas vers une désaffection croissante des activités sociales et politiques : réunions, discussion, délibération ? L’examen des fils de discussion de la presse suffit à montrer que très rares sont les interlocutions naturelles que nous aurions dans un authentique dialogue en face à face ou en groupe. La très grande majorité des propos sont déplacés, injurieux, grossiers, agressifs et très peu rebondissent sur les propos précédents pour faire vivre une discussion. Il n’y a pas d’ouverture, de questions, d’appels à la précision, etc. De très nombreux fils de discussion mettent en relief des insultes, des excommunications, des agressions verbales. Le numérique libère une agressivité souvent protégée par la distance effective et l’anonymat. Comme l’énonce très justement Eric Dacheux, le leurre de la communication numérique fait immédiatement émerger une dysphorie implicite à la modalité de cette interlocution si peu naturelle : « La connexion n’est pas un engagement de tous nos sens dans la relation, elle est, au contraire, la possibilité d’entrer en relation sans s’engager physiquement, un ersatz d’interaction, un échange sans danger, mais sans saveur non plus. » [40]. A tel point que même dans une presse dont les lecteurs auraient a priori la réputation d’une certaine éducation, les mêmes pratiques sont observables, incluant l’exclusion, la disqualification et le refus de l’altérité. Sa conclusion montre bien que ces réseaux fabriquent deux illusions, celle d’un débat qui n’en est pas un, celle d’une possibilité d’agir sans éthique personnelle dans la toute-puissance d’une interlocution qui serait impossible dans la vraie vie. Cependant, ils ont un effet en retour sur la psychologie des locuteurs, celle de les persuader de pouvoir excommunier et de ne plus tolérer la différence de point de vue autour d’eux.

Ce mésusage des solutions technologiques est toutefois à nuancer. Nous partageons ici les réserves exprimées entre autres par Patrice Flichy dans son brillant article de 2008 [41]. En dehors des phénomènes addictifs et des oublis du réel et de soi qu’ils induisent, l’usage modéré pour ne pas dire maîtrisé de ces technologies offrent des opportunités démocratiques très observables là encore. Notons les principales. Premièrement, la réalité de communautés d’intérêt constitue des lieux de débats publics dans la lignée des « intérêts communs » [42] évoqués par les fondateurs d’internet. Elles participent de la vie militante et de la production d’actions et de connaissances dans de très nombreux domaines. Deuxièmement, la disponibilité des ressources : données, connaissances que l’utilisateur peut consulter à loisir pour se forger son opinion et s’émanciper de son environnement. Troisièmement, des personnalités se révèlent en dehors des partis politiques par des phénomènes d’émergence et de légitimation d’un leadership inédit.

Toutefois, sans nier cette réalité, les proportions croissantes de populations addicts tempère d’une autre réalité l’enthousiasme de Patrice Flichy à nos yeux. De plus, la virtualisation du débat démocratique remet en cause les rituels démocratiques qui engage la personne humaine et les groupes sociaux comme Patrice Flichy le note lui-même : « La démocratie politique est le résultat d’un gouvernement de la délibération. Les choix politiques ne correspondent pas toujours aux intérêts personnels de l’individu, mais à ceux de la collectivité. L’opinion publique se construit par le débat, l’échange et la délibération. » [43] Or débats, échanges et délibérations sont-ils vraiment de même nature à distance ou dans un lieu visible et partagé ?

Troisième perspective : la captation destructrice de l’attention et le caractère hallucinatoire des métavers

Celle-ci peut faire l’objet d’un débat philosophique, voire épistémologique puisqu’il y est question implicitement de la définition de la réalité d’une part et d’autre part de la normalité en pensant ici à Canguilhem sur la question du pathologique. L’expérience de Solomon Asch est emblématique pour le psychologue de statuer sur une réalité d’expérience commune ou de la tempérer, voire de la contredire, comme le fera Serge Moscovici au titre de la construction des représentations sociales. Dans un article consistant, Stéphane Laurens [44] rappelle très bien cette difficulté. Or, il n’est pas nécessaire d’arbitrer. Les phénomènes sont observables et des faits expérimentaux sont valides pour soi et une communauté animée par la démarche expérimentale scientifique. Ils sont aussi complexes et manipulés lors d’interactions sociales qui font débat, controverses et consensus. Mais, l’expérience vécue impose sa réalité triviale : souffrance, amputation, désir et un rapport physique à des objets dont les interactions à notre réalité corporelle ne souffrent pas d’infinies palabres. Le feu consume ma chair et me tue par exemple. Le phénomène hallucinatoire est exemplaire de ce jugement épistémologique [45].

C’est en vertu de ce réalisme pratique de premier ordre ou pragmatisme, qui n’interdit pas la prise en compte de réalités complexes de deuxième ou troisième ordre, produites au sein d’un groupe social où par des méthodes savantes : modélisation mathématique par exemple, que nous exposons cette troisième perspective. Les addictions observées et leurs effets psychologiques supposent trois phénomènes psychopolitique majeure, parce qu’il est question d’un rapport de domination, d’aliénation et d’impossibilité d’exercer son esprit critique et de consentir librement et dignement avec la possibilité permanente de se retirer de cet assentiment dont nous faisons ici l’hypothèse qu’il sera inhérent au métavers.

La captation de l’attention. Nous sommes dans une société addictogène [46] dont le principal ressort est la captation de l’attention. La télévision devait déjà capter l’attention. Les nouveaux médias captent l’attention. A tel point qu’il s’agit de développer des stratégies addictives pour enfermer l’usager dans une attention passive, aliénante, soumise à des activités illusoires, réflexes, obsédantes aussi. Les études, tant au Japon qu’aux Etats-Unis ou en Europe ont été de près de 10 heures quotidiennes de consommation de média par les adolescents, ce qui laisse une place dérisoire pour leur vraie vie. Or, cette captation de l’attention pose la question des raisons de cette hégémonie culturelle, pour reprendre les mots de Bernard Stiegler [47]. L’attention qui est selon la célèbre définition de William James : « L'attention est la prise de possession par l'esprit, sous une forme claire et vive, d'un objet ou d'une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres. » [48] vise bien une efficacité cognitive au bénéfice de celui qui prête attention. Or, l’addiction numérique procède plus de la servitude et d’une succession d’activités automatiques où se succèdent des pulsions et frustrations dans des pratiques de plus en plus compulsives et dénuées d’attention. Elle produit une destruction de la faculté d’attention, comme l’observent les enseignants, pour une pratique largement stérile, voire aux effets négatifs. La personne est donc enfermée dans ses pratiques addictives qui ne lui permettent plus de soutenir son attention en vue de constituer des connaissances ou des pratiques.

Le caractère hallucinatoire. C’est à nos yeux la conclusion la plus inquiétante pour autant que nous acceptions de dire que dix heures de jeux de tir par exemple relèvent d’une pratique hallucinatoire. Il n’y a pas d’objet effectif, il y a une image résultant d’un traitement informatique qui est une pure illusion. Et cette illusion comme les points attribués au fil du jeu contribuent à produire une hallucination, c’est-à-dire la croyance que cette activité a sa réalité propre. De même, les relations fictives avec des avatars de personnes qui ont transformé leur image personnelle contribue à créer un réseau social hallucinatoire qui n’a aucune réalité effective. Des avatars automatiques peuvent devenir mes amis comme les entreprises utilisent déjà des robots pour interagir dans des propositions et discussions préstructurées, ces robots qui nous font la conversation, ces agents conversationnels dénommé chatbot. Si leur utilité professionnelle est probable, nous pouvons craindre la fabrication de milliers de profils fictifs, si ce n’est déjà le cas, qui entretiennent des relations automatisées avec des personnes réelles, croyant investir dans une relation, certes à distance, mais avec une personne qui a certes un avatar, mais qui a sa réalité physique à laquelle il serait possible d’accéder [49]. Les technologies en place et plus encore les métavers soutenus par des solutions d’intelligence artificielle peuvent faire redouter un monde totalement fictif, donc hallucinatoire, car sans support réel, sans perspective d’une relation à un autre humain. Quant aux jeux et aux métavers de réalités augmentées, ils exposent à une hallucination jusqu’à la perte de contrôle de soi et à une inversion du rapport de force entre l’avatar et la personne humaine [50].     

Pour conclure, la crise des illusions nous semble bien réelle. L’effet Caverne de Platon touche une part importante des populations. En ayant à l’esprit notre travail menée sur l’œuvre de Michel de Certeau et Michel Henry [51], l’analyse phénoménologique contribuera aussi à éclairer cette situation. Il y a simplement mensonge à dire que ces pratiques excessives n’ont pas d’effet. Elles ont le premier effet existentiel de priver chacun de sa vie propre, de son expérience vécue effective dans son milieu social et géographique ; soit la réalité de la condition humaine. Cette privation est une captation, un arrachement du vécu pour une autre expérience illusoire. Avant même d’enquêter sur les effets cliniques de l’usage de ces techniques, la phénoménologie a l’esprit critique de mettre immédiatement en balance ce qui est mis entre parenthèse d’un vécu ordinaire. Les métavers ont bien l’ambition de créer un désir d’imaginaires absorbants. Ils seront des véritables alternatives à la vraie vie, ils détourneront de la vie et des préoccupations sociales et politiques en isolant chacun dans ce monde alternatif comme le sont déjà beaucoup d’addicts aujourd’hui. Leur centre d’intérêt sera déplacé vers ces illusions. Comment ne pas y voir la réalisation de la Caverne platonicienne et ce projet d’enfermement délibéré des populations ? Comment ne pas y voir la dissuasion de vivre pour préférer les ombres encodées et leurs interactions sans objets : les hallucinations technologiques.

Enfin, enquêtons sur l’organisation des inventeurs-illusionnistes, leur usage des techniques les plus avancées résultant des travaux des cognitivistes en particulier. Quelques témoignages, encore trop rares, d’anciens dirigeants et ingénieurs de ces entreprises indiquent bien que ces entreprises savent ce qu’elles font pour susciter la plus grande dépendance, par logique du profit tout d’abord, par projet politique pour quelques-uns [52]. C’est la raison pour laquelle nos sociétés libres ont à interpeler les élus, les institutions scientifiques et médicales, mais aussi les investisseurs qui soutiennent ces projets, au nom de l’éthique de la condition humaine et du respect de la dignité de la personne humaine [53] ; car ces techniques envahissantes et intrusives mettent en jeu l’intégrité physique et mentale des personnes, leur libre consentement et bien évidemment la vie publique qui s’ensuit, alors qu’il convient, comme nous venons de l’exposer de préserver les conditions personnelles, sociales et politiques de l’exercice de la liberté ; fondement absolu d’une société libre. Il nous appartient de sortir du temp des illusionnistes, de la subversion du réel et de la division de soi.

 

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[1] Les cahiers de psychologie politique, n° 42, La subversion institutionnelle

[2] Ces divisions intérieures nous renvoient à la dialectique de la conscience de classe où le bourgeois peur endosser la lutte des classes en s'identifiant à la cause prolétarienne alors qu’il est bourgeois. La multiplication des réseaux sociaux d’appartenance facilite cette archipélisation de la conscience en une myriade d’addictions identitaires, sans oublier les intrusions-effractions des réseaux sociaux sur-sollicitant l’adhésion à de nouveaux groupes par un effet de contamination-saturation. Je remercie ici mon fils Edouard Pontoizeau pour ses lectures avisées dont celle de La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino

[3] Notons le combat de Gaspard Koenig en appelant à la protection des enfants contre ce fléaux aux multiples effets pervers : harcèlement, persécution, addiction, jusqu’à les considérer comme une drogue.

[4] Nous reprenons cette définition minimaliste de l’addiction sans drogue : « Dans un récent article, Harold Kalant (2010), éminent pharmacologue expert du champ des addictions, repose clairement la question de la définition même du problème : il rappelle qu’un groupe d’experts réunis au Canada autour de la question du tabac n’avait conservé que deux éléments indispensables à la définition de l’addiction : le fait de poursuivre une consommation ou une conduite malgré des conséquences négatives, et l’impossibilité de réduire ou de cesser cette conduite, même lorsque le sujet le voulait. » de Marc Valleur in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal, ouvrage collectif coordonné par Jean-Luc Vénisse et Marie Grall-Bronnec, article 1 -  Le concept d’addictions sans drogue : historique, évolution des idées et perspectives,  2012, Paris, Edition Masson Elsevier, p.6

[5] Lire l’excellente ouvrage de Bruno Patino La civilisation du poisson rouge où il décrit la situation : « La société numérique rassemble un peuple de drogués hypnotisés par l’écran. … Nous n’avons pas pris garde au glissement de l’habitude à l’addiction. Trois éléments distincts définissent le phénomène : la tolérance, la compulsion et l’assuétude. La tolérance énonce la nécessité pour l’organisme, d’augmenter les doses de façon régulière pour obtenir le même taux de satisfaction. La compulsion traduit l’impossibilité, pour un individu, de résister à son envie. Et l’assuétude, la servitude, en pensée comme en acte, à cette envie qui finit par prendre toute la place dans l’existence. » (2019 , 24)

[6] Nous pensons tout particulièrement à l’article : Anxiété, dépression et addiction liées à la communication numérique

Quand Internet, smartphone et réseaux sociaux font un malheur de Marie-Pierre Fourquet-Courbet et Didier Courbet, publié dans la Revue Française des sciences de l’information et de la communication dans le n°11 en 2017. Nous recommandons la thèse de doctorat d’Etat de médecine d’Etienne Couderc en psychiatrie : Recherche d’une addiction aux réseaux sociaux et étude du profil d’utilisateur concerné soutenue le 19 octobre 2012. Nous pensons aussi à l’excellent article critique d’Éric Dacheux : La connexion numérique ne favorise pas la délibération, elle menace la démocratie, publié en 2020 dans la revue La société numérique, n° 128 et surtout les actes du congrès international francophone d’addictologie : Prévenir et traiter les addictions sans drogue Un défi sociétal coordonné par Jean-Luc Vénisse et Marie Grall-Bronnec avec une préface de Jean-Luc Vénisse publié chez Elsevier Masson en 2012. Nous recommandons aussi le chapitre 2 : Addiction, définitions et psychopathologie de Stéphane Bioulac et Grégory Michel dans La déppendance aux jeux vidéoa et à l’internet, p. 15-28 publié chez Dunod.

[7] PATINO, Bruno : « L’internet s’est réorganisé en écosystème exigeant en permanence des réponses à des stimuli rapides et superficiels, qui nourrissent les pulsions et les émotions. Un univers de prédation temporel instable qui se fragilise lui-même, car il n’est jamais satisfait. » (2019, 81) 

[8] MOELLER, Susan, POWERS, Elia, ROBERTS, Jessica 2012 : « Le monde débranché » et « 24 heures sans médias »: l’éducation aux médias pour développer la conscience de soi à l’égard des médias, Comunicar 20 (39), octobre 2012, (45-52)

[9] In Prévenir et traiter les addictions sans drogue Un défi sociétal, introduction, p.XVII. Spécialiste de l’addictologie, il est aussi l’auteur de L’anoréxie mentale, 1983, Paris, PUF.

[10] HOFMANN Wilhelm, VOHS Kathleen D., BAUMEISTER Roy F., 2012, What People Desire, Feel Conflicted About, and Try to Resist in Everyday Life, Psychological Science, 23, no 6, 582-588.

[11] GRIFFITHS Marc D., KUSS Daria J., BILLIEUX Joël, PONTES Halley M., 2016, The evolution of Internet addiction : A global perspective, Addictive Behaviors, 53, p.193-195.

[12] Citons le cas emblématique bien connu rappelé par Etienne Couderc dans sa thèse : « En 2010, paraissait dans la revue European Psychiatry, une étude de cas publiée par une équipe grecque : il s’agissait d’une jeune femme de 24 ans, inscrite sur le réseau social Facebook depuis 8 mois. Elle avait déjà plus de 400 amis Facebook et passait plus de 5 heures par jour sur le réseau social. Sa vie quotidienne et son fonctionnement habituel en étaient sévèrement altérés : elle avait cessé la plupart de ses activités, avait perdu son emploi car le quittait souvent pour se rendre au cyber café voisin. Elle passait depuis le plus clair de son temps à son domicile, sur Facebook. Elle alléguait enfin des troubles du sommeil ainsi qu’un fort niveau d’anxiété (Karaiskos et al. 2010). » (p.92)  

[13] Lire notre article La rhétorique des objets, 2019, Argumentum, n°17.1, p.119-137

[14] Les études quantitatives mentionnent jusqu’à 250 ou 300 usages journaliers du smartphone soit une addiction de fait puisque l’usage excède une fois par 5 minutes. Il est utilisé, en cumulé, plusieurs heures par jour. L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques indique dans son baromètre du numérique 2019 que 77 % des Français possèdent un smartphone, que 94 % l’utilisent quotidiennement. Consulter le chapitre 2 – usages numériques, p.93 et suivantes.

[15] Citons quelques études : YILDRIM Caglar, CORREIA Ana-Paula., 2015, Exploring the dimensions of nomophobia : Development and validation of a self-reported questionnaire, Computers in Human Behavior, 49, p.130-137 ; CLAYTON Russell B., LESHNER Glenn, ALMOND Anthony, 2015, The Extended iSelf : The Impact of iPhone Separation on Cognition, Emotion, and Physiology, Journal of Computer-Mediated Communication, 20, no 2, p.119-135 ;  BRAGAZZI Nicola Luigi, DEL PUENTE Giovanni, 2014, A Proposal for Including Nomophobia in the New DSM-V, Psychology Research and Behavior Management, 7, p.155-160.

[16] La description phénoménologique de Jean-Yves Hayez, docteur en psychologie, psychiatrie infanto-juvénile, professeur émérite à la faculté de médecine de l’université catholique de Louvain est très précise : « Le jeune a perdu sa liberté et est incapable d’intégrer sa conduite comme élément raisonnable d’un projet d’ensemble ; il ne sait plus programmer son temps ou, en tout cas, contrôler volontairement une diversité dans sa programmation. Même quand il n’est pas face à un écran, il ne fait qu’y penser ou y rêver. Il désinvestit massivement la vie incarnée : scolarité en chute libre ; isolement en famille ; résistance colérique aux tentatives faites par les parents pour réguler sa conduite ; mensonges et tricheries ; irritation si on le dérange : les copains de toujours sont ignorés s’ils viennent frapper à la porte ; amputations sur l’alimentation, le sommeil, voire les besoins d’excrétion. » article 5 - Adolescents « scotchés » à l’ordinateur : entre simples gourmandises ou compensations et vraies addictions p.32 in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal, ouvrage collectif coordonné par Jean-Luc Vénisse et Marie Grall-Bronnec,

[17] KARDEFELT-WINTHER Daniel, 2014, A conceptual and methodological critique of internet addiction research : Towards a model of compensatory internet use, Computers in Human Behavior, p.351-354

[18] La thèse de doctorat d’Etienne Couderc étudie un échantillon de personnes considérées comme addicts, en particulier à Facebook, du fait de leur réponse à un questionnaire IAT construit par le docteur Kimberly Young en 1998. Il étudie les 23 sujets soit 4,45% de l’échantillon sollicité. L’intérêt tient à la confirmation des études antérieures sur plusieurs points saillants.

1. La chronophagie et le temps de connexion (p.126, 127). Les addicts passent 191 minutes sur le seul Facebook, les non-addicts 57 minutes, différence très significative. Le nombre de connexion est de 11 pour les premiers et de 5 pour les seconds, là aussi très significatifs

2. Le lien avec la dépression (p.137). Il confirme ce lien avec un écart très important entre 48% de dépressif chez les addicts pour seulement 9% pour les non-addicts.

4. La solitude et la fiction de l’appartenance sociale (p.152,153). Cette combinaison s’explique selon Etienne Couderc par deux raisons. Etant plus sujet à la phobie sociale avec des relations sociales comportant un vécu d’échec, ces personnes ressentent à la fois la solitude et le faible sentiment d’appartenance. Il conclut à l’échec de Facebook dans sa promesse et à l’illusion de la relation d’où l’addiction en ses mots : « dès lors que les sujets atteignent une utilisation de Facebook de type addictive, celle-ci ayant pour conséquence une focalisation de la vie du sujet sur les relations « internet », au détriment de celles « in vivo », les bénéfices potentiels du réseau social semblent annihilés. » p.154

[19] Citons quelques études : SELFHOUT MARTEEN H.W., BRANJE Susan.J.T., DELSING M., TER BOGT Tom F.M., MEEUS Wim H.J., 2009, Different types of Internet use, depression, and social anxiety : The role of perceived friendship quality, Journal of Adolescence, 32, no 4, p.819-833 ; O’KEEFFE Gwenn, CLARKE-PEARSON Kathleen, 2011, The Impact of Social Media on Children, Adolescents, and Families, Pediatrics, 127, no 4, p.800-804 ; SAGIOGLOU Cristina, GREITEMEYER Tobias, 2014, Facebook’s emotional consequences : Why Facebook causes a decrease in mood and why people still use it, Computers in Human Behavior, 35, p.359-363.

[20] Dans sa thèse de doctorat, Etienne Couderc reprend (p.68) les travaux de K.S. Young de 1999 : Cyber Disorders : the mental health concern for the new millennium. Cyberpsychology & behavior, 2(5), p.475–479 où elle classe ces derniers en cinq sous-types d’addictions à internet, en fonction de l’usage principal qui est fait de ce dernier :

1) L’addiction à la cyber-sexualité (usage compulsif de sites internet de cyber-sexe ou de cyber-pornographie)

2) L’addiction aux cyber-relations (surinvestissement des relations en ligne : chats, réseaux sociaux, emails, …)

3) Les compulsions sur internet (jeux, achats ou bourse en ligne)

4) La recherche compulsive d’informations (utilisation compulsive des moteurs de recherches et bases de données afin de rechercher des informations, de nouvelles connaissances sur tel ou tel sujet)

5) L’addiction aux jeux vidéo en ligne

[21] Cette quête renvoie au magistral roman philosophique d’Oscar Wilde : Le portrait de Dorian Gray, produisant cette fracture tragique entre l’image de soi, l’iconôlatrie de soi et la réalité de soi jusqu’au déchirement suicidaire.

[22] FEINSTEIN Brian, HERSHENBERG Rachel, BHATIA Vickie, LATACK Jessica, MEUWLY Nathalie, DAVILA Joanne, 2013, Negative Social Comparison on Facebook and Depressive Symptoms : Rumination as a Mechanism, Psychology of Popular Media Culture, 2, no 3, p.161-170.

[23] Shoshanna Zuboff, professeur émérite à la Harvard Business school, détractrice des réseaux sociaux, rappelle que l’éthique hébraïque interdisant l’idolâtrie, vise bien la lutte contre le narcissisme et le miroir de psyché où l’homme se construit des idoles de lui-même.  

[24] Citons quelques études :

BAKER Zachary G., KRIEGER Heather G, LEROY Angie S., 2016, Fear of Missing out : Relationships with Depression, Mindfulness, and Physical Symptoms, Translational Issues in Psychological Science, 2, no 3, p.275-282 ; PRZYBYLSKI Andrew K., MURAYAMA Kou, DEHAAN Cody R., GLADWELL Valerie, 2013, Motivational, emotional, and behavioral correlates of fear of missing out, Computers in Human Behavior, 29, no 4, p.1841-1848 ; UTZ Sonja, TANIS Martin, VERMEULEN Ivar E., 2011, It Is All About Being Popular : The Effects of Need for Popularity on Social Network Site Use, Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 15, no 1, p.37‑42

[25] Citons quelques études en matière de reconnaissance ou compensation sociale :

ZYWICA Jolene, DANOWSKI James, 2008, The faces of Facebookers : Investigating social enhancement and social compensation hypotheses ; predicting Facebook and offline popularity from sociability and self‐esteem, and mapping the meanings of popularity with semantic networks, Journal of Computer‐Mediated Communication,  14(1), p.1-34 ; MESHI Dar, MORAWETZ Carmen, HEEKEREN Hauke R., 2013, Nucleus Accumbens Response to Gains in Reputation for the Self Relative to Gains for Others Predicts Social Media Use, Frontiers in Human Neuroscience, 7, p.1-11 ; DANG-NGUYEN Godefroy, HUIBAN Emilie, DEPORTE Nicolas, 2015, Usages sur Facebook : Entre reconnaissance et visibilité, Publication Marsouin,Telecom Bretagne, Institut Mines Telecom.

 

 

[26] Il existe quelques travaux sur le sas entre l’activité numérique (jeu, réseaux sociaux, etc.) et la vraie vie. Elles indiquent que les perturbations sont bien réelles et risquées. Lire BOURDON, Marianne, GAUTIER, Jacky, ROCHER, Bruno, BOUJU, Gaëlle, 2012, article 18 - Étude des réactions anxieuses et psychophysiologiques à la déconnexion d’un jeu vidéo en réseau multijoueurs p.142-146 in VENISSE, Jean-Luc, GRALL-BRONNEC, Marie et al., Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal, Paris, Edition Masson Elsevier,

[27] Il s’agit du témoignage de Nina Jane Patel, expérimentatrice (béta-testeuse) sur la plateforme de réalité virtuelle Horizon Worlds, sur le blog Medium. Joe Osborne, porte-parole de Méta, Horizon Venues s’est exprimé en ses termes dans le New York Post : « Nous sommes désolés d'apprendre que cela s'est produit. Nous voulons que tout le monde dans Horizon Venues ait une expérience positive, trouve facilement les outils de sécurité qui peuvent aider dans une situation comme celle-ci – et nous aide à enquêter et à agir. » (https://nypost.com/2022/02/01/mom-opens-up-about-being-virtually-gang-raped-in-metaverse/) 

[28] SumOfUs est une communauté internationale de travailleurs, consommateurs et investisseurs. Elle agit pour que les grandes entreprises rendent des comptes sur leur actions et leur responsabilité en matière de changement climatique, droit du travail, protection de l'environnement, discriminations, droits humains, droits des animaux, corruption.

[29] La taverne de Goldshire est un lieu d'échangisme virtuel avec des milliers de joueurs. Après une première période d’échangisme consentant, le climat est devenu violent : agressions, harcèlement, etc. Goldshire est un espace virtuel mais qui interfère avec le monde réel, les avatars sollicitant des adresses réelles, des photographies, etc. Quid de la limite d’âge ? Quid des pratiques impliquant des mineurs ?

[30] https://www.sumofus.org/images/Metaverse_report_May_2022.pdf

[31] GRIFFITHS Marc D., KUSS Daria J., DEMETROVICS Zsolt, 2014, Social networking addiction : an overview of preliminary findings p.119-141, in ROSENBERG Kenneth P., FEDER Laura C. (sous la dir. de), Behavioral addictions : Criteria, evidence and treatment, New York, Edition Elsevier; BILLIEUX Joël, THORENS Gabriel, KHAZAAL Yasser, ZULLINO Daniele, ACHAB Sophia, VAN DER LINDEN Martial, 2015, Problematic involvement in online games : A cluster analytic approach. Computers in Human Behavior, 43, p.242-250 ; YANG Shu C., TUNG Chieh-Ju, 2007, Comparison of Internet addicts and non-addicts in Taiwanese high school, Computers in Human Behavior, 23, no 1, p.79‑96 ; SELFHOUT Marteen H.W., BRANJE Susan.J.T., DELSING M., TER BOGT Tom F.M., MEEUS Wim H.J., 2009, Different types of Internet use, depression, and social anxiety : The role of perceived friendship quality, Journal of Adolescence, 32, no 4, p.819-833.

[32] Jean Marie Twenge est professeur de psychologie à l’université de San Diego, auteur d’une œuvre démonstrative sur les impacts des nouvelles technologies sur la génération qu’elle dénomme Igen. Lire en particulier : 2010, The Narcissism Epidemic: Living in the Age of Entitlement, New York: Atria Publishing Group et 2018, Comment les écrans rendent nos ados immatures et déprimés, Bruxelles, Editions Mardaga

[33] Lire l’article 16 - Les joueurs problématiques de jeux vidéo : éléments cliniques, d’Elisabeth Rossé - p.127-132 in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal

[34] p.130 in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal.

[35] Nous partageons la conclusion d’Hugo Lenglet dans son article Addiction à Internet. Étude descriptive et critères d’addiction chez les adolescents : « L’addiction à Internet ou cyberdépendance, trouble permettant de nier la réalité, ou bien de l’éviter en abandonnant celle-ci pour se réincarner dans un avatar aux caractéristiques idéales et fluctuantes, comblant tous ses fantasmes et cela sans effort et sans sortir de chez soi. Ce trouble aux méfaits avérés, dont la prévalence et les caractéristiques restent inconnues, de même que le traitement le mieux adapté, n’est pas encore réellement défini ni classifié. Cependant, son existence est de moins en moins contestée et des questionnaires de dépistage ont pu être développés, rendant possible la réalisation d’un screening des patients chez qui un tel trouble est suspecté. » (p.158-159) in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal.

[36] L’analyse phénoménologique de Jean-Yves Hayez lui fait constater : « Il désinvestit massivement la vie incarnée : scolarité en chute libre ; isolement en famille ; résistance colérique aux tentatives faites par les parents pour réguler sa conduite ; mensonges et tricheries ; irritation si on le dérange : les copains de toujours sont ignorés s’ils viennent frapper à la porte ; amputations sur l’alimentation, le sommeil, voire les besoins d’excrétion. » article 5 - Adolescents « scotchés » à l’ordinateur : entre simples gourmandises ou compensations et vraies addictions p.32 in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal.

[37] LENGLET, Henri, 2012, article 20 - Addiction à Internet Étude descriptive et critères d’addiction chez les adolescents, p.158 in Prévenir et traiter les addictions sans drogue, un défi sociétal.

[38] Dans la thèse de doctorat d’Etienne Couderc, il rappelle concernant la dysphorie que le « Trouble bipolaire Celui-ci, quel qu’en soit le type, est aussi fréquemment retrouvé en association avec l’addiction à internet (Dejoie 2001). En 2000 par exemple, Shapira retrouvait 60 % de troubles bipolaires dans un groupe de vingt sujets présentant une addiction à internet (Shapira et al. 2000). » (p.74)

[39] Nous faisons référence à l’article du spécialiste américain des technologies et des médias, Derek Thompson publié le 17 septembre 2021 dans le journal The Atlantic, intitulé : Les réseaux sociaux sont l'alcool de l'attention. Dans la même veine, Michel Desmurget, neuroscientifique et directeur de recherche à l’INSERM explique dans La fabrique du crétine digital (Editions du Seuil, 2019) : « ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle » Les conséquences sur les comportements sont connues : agressivité, dépression, conduites à risques comme sur les capacités intellectuelles : faible maîtrise du langage, défaut de concentration, déficit de mémorisation, qui menacent l’intégrité mentale et la dignité humaine des jeunes.

[40] In La connexion numérique ne favorise pas la délibération, elle menace la démocratie, paragraphe 10

[41] FLICHY, Patrice, 2008, Internet et le débat démocratique, Réseaux 2008 /4, n°150, p.159-185  

[42] LICKLIDER, Joseph, TAYLOR, Robert, 1990, The Computer as a Communication Device, Science and Technology, avril 1968, réimprimé In Memoriam : J.C.R. Licklider 1915-1990, Digital Systems Research Center, Palo Alto, California

[43] 2008, p.166

[44] LAURENS, Stéphane, BALLOT, Mickael, SAENCO, Anna, 2018, Solomon Asch, critique de la doctrine de la suggestion et des influences arbitraires aliénantes, Les cahiers internationaux de psychologie, n°117-118, p.25-45 : « La perception de l’objet ne s’impose pas directement au sujet, elle est médiatisée par les prises de position d’autrui. C’est là, la base même du regard psychosocial (Moscovici) et la grande opposition avec la thèse individualiste d’une réalité objective que chacun pourrait percevoir et juger en toute indépendance (ex. Festinger) » p.40

[45] Dans son Traité des hallucinations, Henri Ey écrit : « L’hallucination est une « vraie » perception d’une fausse réalité. » p.46. Or, cette définition met en exergue la perception, le vrai, le faux et la réalité supposant que le clinicien a la capacité de juger de cette perception sans objet à percevoir soit comme il le précise : « en dernière analyse, la réalité du phénomène hallucinatoire suppose donc une affirmation de la réalité de l’hallucination (c’est-à-dire la réalité de son perceptum) pour autrui. » p.45. Dans le cas contraire, l’hallucination peut devenir une représentation sociale et une vérité collective. Cet autre phénomène a bien sa réalité sociale mais elle n’est pas du même ordre que la première même si elle la subvertit jusqu’à en faire une illusion collective ; vérité politique ou religieuse pour un temps par exemple. Distinguons bien la validité par correspondance ou adéquation d’une proposition à un fait d’expérience de la validité par consensus d’une proposition partagée. Si l’une absorbe l’autre, nous basculons dans des épistémologies exclusives, l’une réaliste et objectiviste, l’autre conventionnaliste et relativiste. C’est ce que nous nous refusons de faire par esprit de pluralité des perspectives et par respects de l’observation dans lesquels interagit ce qui est ici analysé.

[46] Nous empruntons ce terme à Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien spécialiste des addictions. Il a été président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie de 2006 à 2011 puis de la Fédération addiction de 2011 à 2018. Il est l’auteur avec Alain Morel de : Les conduites addictives, 2008, Paris, Editions Dunod

[47] Nous recommandons la lecture de : 2006, La Télécratie contre la démocratie. Lettre ouverte aux représentants politiques, Paris, Editions Flammarion ; 2008, Prendre soin, de la jeunesse et des générations, Paris, Editions Flammarion et avec Serge Tisseron, 2009, Faut-il interdire les écrans aux enfants ?, Paris, Editions Mordicus .

[48] In 1890, The Principles of Psychology, Vol. 1, Chap. 11, « Attention », p. 403-404, New York, Henry Holt & Cie

[49] Nous faisons référence à des applications existantes commercialisées en millions d’unités dont My Virtual Girlfriend offrant le choix entre mille petites amies numériques qu’on fabrique comme un avatar : mensuration, attitudes avec des échelles avec des activités ; promenade, dîners et un échange par le toucher tactile et quelques reconnaissances. L’autre y est ma fabrication. Une étude des utilisateurs : leurs motivations, leurs usages, les effets seraient fort intéressants à mener. 

[50] Nous recommandons très vivement la lecture du brillant article de Gérard Pommier de 2003 : Le sujet de l’hallucination, dans les Cahiers de psychologie clinique, n°21, p.99-106. Il y écrit : « On voit toute la différence avec le jeu vidéo, dans lequel aucun des procédés de l’inconscient n’est à l’œuvre, où la force pulsionnelle des images reste au second plan, alors que l’intensité se concentre sur la confrontation du sujet à un double qu’il anime plus ou moins victorieusement. Le risque d’anéantissement du sujet ou plutôt de son double fonde l’intérêt de la partie et situe son enjeu. On imagine maintenant comment cette analogie permet de comprendre l’hallucination : cette dernière commence lorsque le double devient autonome, et lorsqu’il se met non seulement à agir seul, mais à prendre le contrôle de celui qui prétendait le diriger. Le double prend les commandes selon tous les artifices de la xénopathie et de l’emprise, qu’elle soit interne ou externe, puisque les organes du corps peuvent être habités et commandés par des diables ou des dieux, et cela jusqu’aux organes phonatoires qui, comme l’ont bien montré Jules Séglas et Henri Ey, sont hallucinatoirement animés en ce point de coudage ou l’hallucination passive va se retourner en délire actif. »  p.101.

[51] Consulter notre article : 2022, Une autre approche des sciences humaines et sociales Michel de Certeau et Michel Henry, Les cahiers de psychologie politique, n°40

[52] L’œuvre de FOGG, professeur à Stanford, participe aux travaux du Persuasive Technology Lab. En matière de captologie ou art de capter l’attention. Il développe des techniques de persuasion dans les interfaces informatiques dont les réseaux sociaux. Il étudie ce qu’il nomme la macrosuasion et la microsuasion, soit les mécanismes de persuasion des jeux vidéos et autres logiciels.

[53] L’expérience de la souris du professeur B.F. Skinner (1904-1990) est emblématique du monde des illusionnistes qui se fabrique pour mieux nous asservir. Ce célèbre psychologue américain réalise une expérience qui manifeste le phénomène addictif.  La Skinner Box lui permit de réaliser de nombreuses études sur l’apprentissage chez les rongeurs en particulier. L’expérience la plus étonnante est la suivante. Elle est résumée avec talent par B. Patino dans son livre : « Parfois, une pression était suivie d'une très grande quantité de bâtonnets, parfois, au contraire, rien ne tombait du tuyau d'approvisionnement. D'autres fois, c'était une toute petite dose. Rien n'était jamais pareil, ni prévisible. La souris aurait pu, par lassitude, se détourner du bouton. Mais c'est l'inverse qui se produisit. Mue par la possibilité d'une récompense, l'animal refusa d'abandonner le mécanisme, quitte à ne plus le comprendre. Il ne cessa d'appuyer dessus, de façon de plus en plus rapprochée, de plus en plus violente, de plus en plus automatique. Même rassasié, il continua. La nourriture était devenue secondaire, la souris était incapable de se détacher du bouton. Son conditionnement avait fait naître sa servitude au mécanisme. »  (2019, 30)

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