N°8 / Violences privées, publiques et sociales Janvier 2006

Représentations et ritualisations de la violence : quelle position scientifique peut-on avoir face aux musiques « extrêmes » ?

Jean-Marie Seca

Résumé

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Les musiques « jeunes » peuvent régulièrement être perçues comme « extrêmes » et, tout particulièrement, ces dix dernières années (émergences hardcore, black metal, skinrock, gabber, drum’n bass). L’usage de ce qualificatif (« extrême ») peut sembler favoriser un langage proche du sensationnel et se situer, par conséquent, aux antipodes des canons de la communication scientifique. Loin de nous cette idée ! Précisons donc tout de suite la terminologie. Quand on parlera de « musiques extrêmes », on désignera : (a) soit l’attitude et le comportement de certains artistes (exhibitionnisme provocateur, violences verbales, automutilations, sexualité polymorphe mise en scène) ; (b) soit le son et la rythmique intenses (la course à la rapidité par l’augmentation des BPM -battements par minute-, la généralisation des sonorités saturées ou bruitistes, effets « psychédéliques » divers) ; (c) soit le contenu des messages divulgués (extrémismes de droite, appels à la révolution, populismes antipoliciers, apologies néoreligieuses comme celles du satanisme, du « dionysisme » et de l’anti-humanisme) ; (d) soit les effets délétères de leurs messages sur certaines personnalités marginales et psychopathologiquement fragiles dont les crimes (très rares) ont été mis en exergue régulièrement (dernièrement les crimes des Bêtes de Satan, amateurs notoires de metal, en Italie du nord ; cf. « Les bêtes de Satan qui sacrifiaient leurs amis », Le Monde.fr du 15 janvier 2005 ; ou « Bestie di Satana, profanata la tomba del padre di "Ozzy" »,La Répubblica.it, du 18 octobre 2004), et dont on sait que l’évaluation en termes d’influence sociale n’est pas facile (cf. Marchand, 2004). Il se trouve que certaines de ces formes musicales, cumulent parfois les quatre caractéristiques précédemment citées. Elles se sont progressivement normalisées tant commercialement que culturellement et sont, par conséquent, entrées dans le paysage visuel et sonore d’aujourd’hui, chez les jeunes teen-agers autant que chez les postadolescents et les plus âgés des auditeurs. Elles sont parmi les tendances les plus expressément intenses que l’on puisse connaître. Elles sont relativement hétérogènes, voire opposées dans leur philosophie politique, expressive ou musicale. Elles sont prisées, pour chacune d’entre elles, par des proportions (des groupuscules) relativement faibles des 15-30. Elles constituent néanmoins un système d’emprise considérable, si on les surajoute les unes aux autres et si l’on considère leur impact latent (phénomène typique des influences minoritaires et des processus de diffusion populaire des modes provocantes). Se référer aux styles extrêmes, renvoie, grosso modo, à six courants qui se divisent eux-mêmes en d’insondables et divers groupuscules et styles : 1. le rap hardcore et le gangsta rap (Cachin, 1996) ; 2. le skin rock d’extrême droite ou d’extrême gauche (Lescop, 2003) ; 3. le rock hardcore (Fournier, 1999) ; 4. le punk londonien de la première heure (plus ancien) (Voisin, 2005 ; O’Hara, 2004) ; 5. la techno hardcore, le gabber et le drum’n bass plus fréquemment ritualisés en free party, ces cinq dernières années en France notamment et ailleurs (Pourtau, 2005) ; 6. les styles « black metal » et « trash ou death metal » (Arnett, 1996 ; Guibert, 2002 ; Mombellet et Walzer, 2005) qui sont en vogue depuis une vingtaine d’années en Europe (en Scandinavie et en Allemagne particulièrement) et dans le monde (Moynihan et Soderlind, 1998). Ces six tendances sont relativement confidentielles et minoritaires si on considère leur audience officielle. Pour affirmer un tel point de vue, il suffit de se baser sur la question 53b (« Genres de musiques écoutés le plus souvent ») de l’enquête de 1997 sur les pratiques culturelles des Français : les courants « rock », « rap » et « hard-rock, punk et trash » totalisent 22 % d’audience dont 59 % pour les 15-19 ans, 37 % pour les 20-24 ans et 24 % chez les 25-34 ans. À la question 53c (« Genre de musique préféré - 1 seule réponse possible »), on obtient des chiffres encore plus faibles pour l’ensemble « rock, rap, hard-rock » : 12 % pour l’ensemble des sondés, puis 30, 18 et 12 % pour la suite des classes d’âge précédemment citées. La catégorie musicale « hard-rock, punk et trash », se référant un peu plus aux styles extrêmes dont nous parlons, ne serait écoutée, le plus souvent, que par une infime partie de la population : 4 % de l’ensemble et 16, 9, 4 % des strates générationnelles précédemment évoquées. Seul le rap est auditionné fréquemment par une proportion considérable de 15-19 ans (28 %), durant l’année 1997 (Donnat, 1998, pp. 160-164). Cette audience du rap à cette époque-là (1996-1997) correspond à un summum d’effet de diffusion et de mode pour ce genre musical. Depuis lors, d’autres courants plus proches du rock et des musiques électroniques ont réémergé sur le marché des styles undergroud. Depuis cette époque, il y a eu huit années d’écoulées, pendant lesquelles il y a quelques possibilités pour que les préférences pour l’ensemble des styles « rock, rap, hard-rock, techno » croissent de deux à cinq pour cent : 20 % des sujets interrogés, par la DEP du ministère de la culture, écoutaient le plus souvent du rock en 1988 contre 15 % en 1981 (cf. Donnat et Cogneau, 1989). La proportion augmente cependant régulièrement depuis une trentaine d’années. Le public adepte des courants plus radicaux dont nous parlons dans cet article est donc loin d’être majoritaire statistiquement parlant, tout en proliférant étonnamment et progressivement. Peu d’albums y atteignent les cent mille exemplaires, voire les dix mille. Mais il y a de plus en plus de productions, de disques, de fanzines et de diffusions sur l’internet. Leur impact, si on considère que la nature des influences inconscientes et minoritaires (Moscovici et Mugny, 1986 ; Channouf, 2004), est plus difficile à cerner que dans la procédure standard d’enquête du Ministère de la culture. Il devrait être considéré comme plus important, du fait du fameux effet différé des influences minoritaires. Il s’agit de tendances musicales marquées et aux effets masqués, dont certaines sont de nouveaux réécoutées (le punk semblerait avoir un fort impact actuellement auprès de certains 15-25 ans) et forment des accrétions sensibles au fur et à mesure que le temps passe durant ces cinquante dernières années. Ces six tendances sont historiquement générées et bénéficient du background d’un panthéon d’ancêtres éponymes plus ou moins mythifiés dans des épreuves narrées, écrites et racontées de souffrance ou de mort. Enfin, même si tous les jeunes n’aiment pas ces styles (ce qui est fort probable), il est clair que la proportion de 16 à 20 % d’une classe d’âge adolescente déclarant cette préférence-là n’est pas non plus une quantité négligeable rapportée à l’ensemble statistique de référence (les jeunes).

Comment interpréter ces phénomènes qui demeurent, avant tout, culturels et artistiques (ritualisations, scénographies, enjeux des simulations, nature de la transfiguration provoquée chez l’auditeur, contagion sociale, idéologies prônées) ? Pour ne pas prêter flanc aux critiques bien-pensantes adressées aux pistes de réflexion explorées dans ce petit article, il faut d’abord affirmer que l’essence de ces courants doit être situé dans une perspective d’histoire de l’art et de psychologie esthétique1. On soulignera leur objectif d’effraction mentale et corporelle (ce que j’appelle le langage « fluidique » de ces courants : Seca, 2001) et leur « nouveauté2 » en terme de diffusion d’une certaine conception de la transe. Ces tendances expressives figurent, de plus, une déréliction, voire une conscience diffuse de la « chose publique3 » et des vertiges ressentis face aux changements dans le monde, mis en image par les médias de masse. Quel sens peut-on donner à ces surenchères provocatrices et à ces ostentatoires démonstrations, parfois autodestructrices et souvent cathartiques4 (scarifications publiques, danses « pogo », sons et rythmes très saccadés, hyper-rapides, insinuants, voix gutturales et graves connotant le chaos ou le diable chez les blackmétalleux…) ?

Tout part, toujours et encore, d’une forme pure, innocemment silencieuse, « entropiquement » amorphe exprimant l’imminence de l’événement. Cette attente correspond à la venue d’un plein, d’un bruit harmonieux ou d’une construction alternative, d’une réponse à la dilution dans l’instant. Les musiques, quelles qu’elles soient, partent toujours de ce voisinage avec l’anomie. Elles évoquent l’involution « unaire » (Dufour, 1990, 1993, 1996), c’est-à-dire un questionnement méandreux de soi à soi, millénairement éprouvé, infralangagier, intime et éminemment socialisé par la parole et les arts. On peut en parler comme d’un repli dans une entité qui se dérobe à celui qui la cherche ou qui est entre les mains d’autres esprits ou démons. Les travaux sur la transe et le chamanisme et sur leurs liens avec les procédés esthétiques théâtraux, chorégraphiques ou musicaux indiquent l’existence du même type de régression. Il s’agit, là aussi, d’un mouvement vers un moment antérieur de la psyché ou de l’identité du possédé. Si la violence artistique peut être pensée et si elle peut être insérée dans une problématisation qui a un sens, à la fois social et psychologique, il est impossible de le déconnecter de ces dimensions (Chastagner, 1999 ; Girard, 1972 ; Hell, pp. 175-225). Après avoir énoncé ces idées, est-ce que l’on a résolu le problème de la fonction psychosociale de l’esthétique dans ces musiques-là ? Comme nombre de productions artistiques, elles induisent goûts et dégoûts. Ces entités symboliques ont, de plus, le défaut majeur d’être des composantes fortes des « cultures jeunes et postadolescentes » qui sont l’objet d’une adulation et d’un préjugé positif des chercheurs en sciences humaines. Malgré le principe de laïcité de nos mœurs républicaines, culturelles et éducatives, il est difficile de prendre une position d’observation distante face à ces comportements. Tout d’abord parce que le fait religieux y est central, qu’il soit invoqué, réfuté, dénié, blasphémé ou violenté. Deuxièmement, du fait que ces pratiques sont vraiment regardées avec une sollicitation (politique, éducative, philosophique) trop pressante. Cette attention conduit à l’application d’une attitude participative et sympathique à ces néo-tribus urbaines. Cela ne facilite pas (ou cela favorise très peu), une authentique anthropologie comparée de ces socialités ré-émergentes. Beaucoup de questions d’observation restent en suspens : la consistance des motivations esthétiques, l’analyse des objectifs, leur comparaison structurale, la prise de distance saine avec les dérives potentielles (répétitivité ou redondance expressive, excès politiques droitiers ou néonazismes, apologie des drogues, réduction de l’image de la femme à un objet fétiche, inversions religieuses et sectarismes « satanistes », « celtiques », « viking », « germains », profanations ou appels au chaos et apologie même parodiques du meurtre ou odes à la violence, automutilations publiques ou privées, altération latente de la sensibilité philosophique de masses d’auditeurs…) ou la juste appréciation de leurs aspects plus constructifs de « reliance » et de sociabilité urbaine. L’approche anthropologique implique donc de bien cerner ces divers phénomènes. Il s’agit de savoir les catégoriser sans les stéréotyper, de les comptabiliser, de les comparer, tout en ne les mettant pas au premier plan comme « dégénérés » ou « régressifs », dans un but de condamnation moralisatrice. D’ailleurs, beaucoup de jeunes chercheurs sur les musiques populaires ne se privent pas, dans leurs ouvrages, communications à des colloques ou articles, de rappeler l’image des tristement fameux « entrepreneurs de morale », décrite il y a longtemps par Howard Becker (Becker, 1986). Ces « entrepreneurs de morale » jouent alors un rôle de « repoussoir » : « ce qu’il ne faut pas être en tant que sociologue des musiques actuelles ou populaires !!! ». Sans se transmuer en persécuteur et en un stigmatisant entrepreneur de cette sorte, on peut tenter, quand même, de construire une problématisation qui ne se cantonne pas à l’admiration sympathique et à l’apologie.

Ce qui ne se dit pas assez est que chacune des constellations néo-tribales urbaines (rap, gabber et variantes techno récentes, rock hard-core, punk, metal, skinrock) est plus ou moins structurée sur le mode de la pratique quasi sectaire alors que ce qui domine la consommation culturelle démocratique est l’éclectisme (Donnat, op. cit). Le modèle de la secte, comme mode de catégorisation de l’emprise et de la sociabilité (par la recherche de l’authenticité) de ces groupes et tendances, est entendu au sens troelstchien (Troeltsch, 1961) ou wébérien. Malgré cette précaution de langage et de théorie, nombre des groupes et musiciens (ainsi que les groupements des supporters qui les entourent de loin ou de près) ont clairement une visée propagandiste mêlée de cynisme. Ils sont cyniques par leurs dénégations, leur rejet des formes classiques de réussite, et propagandistes, par leurs messages et leur désir d’avoir un public. Maints membres de ces divers groupes se présentent assez régulièrement comme étant une chose et son contraire. Quand on réalise des entretiens avec des supporters de ces styles, on explore aussi cette ambivalence : à les entendre, ils sont surtout victimes de préjugés et de stéréotypes. Ils déclarent donc qu’ils ne sont pas adorateurs de Satan. Ils affirment ne pas désirer qu’on profane des églises, des cimetières ou des tombes. Ils ne seraient pas spécialement religieux ou croyants. Ils ne participeraient à aucune orgie ou messe noire. Ils ne partageraient pas l’idéologie apologétique des drogues hallucinogènes et psychotropes. Et ils ne cautionneraient absolument pas les dérives de certains fanatiques ultra-minoritaires ou de certains textes provocateurs qui sont des formes artistiques et rien de plus, affirment-ils. Presque tous les amateurs rencontrés, y compris parmi des étudiants avancés faisant leur mémoire de DEA sur ces courants, sont souvent l’illustration d’un mode de vie de jeune gens relativement rangés, intellectuellement réactifs. Les quelques cas autodestructeurs ou toxicomaniaques questionnés portent surtout la trace d’une biographie perturbée et d’un contexte social de vie déstructurant. Les styles extrêmes, dans ces situations instables, ne font qu’exprimer une profonde rage et une désespérance. Il va sans dire que tous les adeptes de ces styles sont profondément imprégnés par les formes musicales qu’ils gobent et ressassent et que tous ne vivent pas exactement et précisément la « galère » ainsi « musicalisée » et esthétisée. Une position analytique et distante est évidemment perçue comme suspecte et taxée de ringardise. Mais on comprendra qu’elle est plus que jamais nécessaire vu les paradoxes des positions et attitudes rencontrées.

Une élémentaire prudence nous interdit d’énoncer que la culture rock en tant qu’ensemble philosophique et héritage d’une orientation nihiliste cristallisée dans les contre-cultures, est l’essence de ces musiques (notamment le black metal), ou l’inverse, comme l’affirme Benoît Domergue (Domergue, 2000). Alors, comment comprendre cette dénégation régulière et l’ambivalence face aux dérives diffusées artistiquement, associée à la mécanique de l’inversion (croix, pentacles et autres signes christiques ou monothéistes rejetés mais récurrents) ? Les films d’angoisse ou gore illustrent bien, par leur succès, cette ritualisation paradoxale, chaotique, ancrée dans des légendes et une tradition, de la peur et de la violence (Dupuis, 2005) : diffusion souterraine de ces « cultures » et persistance d’une société civile officielle, se parant de tous les atours de la constance institutionnelle, blasphème antireligieux et adorations d’entité méta religieuses alternatives, mélange vie réelle / vie virtuelle et affirmation du caractère cathartique des jeux de rôles, etc. Ce serait plus simple pour l’anthropologue s’il pouvait se positionner à la façon de l’abbé Benoît Domergue car il y a des milliers de preuve de l’existence du satanisme culturel diffusé par ces divers groupes et de façon croissante depuis une vingtaine d’année (Martinez Galiana, 1998). A propos de ce qu’il désigne comme de l’anticulture, Domergue remarque, avec justesse, dans son livre, qu’il y a deux époques dans ce genre d’idéologie : celle où c’était inconcevable d’en faire la publicité (1960-1970) et durant laquelle on relève l’insertion de divers messages subliminaux dans les textes rock. La seconde période correspondrait aux années 1980-2000 où, pernicieusement et intensément, s’est accru l’affichage explicite de l’appartenance dérisoire, tragi-comique ou revendiquée au « Maître des ténèbres » et d’une véhémence verbale, parfois sexiste, d’autres fois ouvertement morbide. Ce serait donc simple de se situer dans une logique manichéenne en redoublant la méfiance et la suspicion sur ces courants. Cette position ne peut être celle d’un chercheur, quelles que soient ses valeurs ou ses convictions. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces mouvements sont des micro-initiatives qui se fragmentent indéfiniment. Nulle doctrine officielle dans tout cela ! Nulle Lénine du rock ! Aucun « Mein Kampf » de la techno ou du rap ! Mais beaucoup de positions hétérogènes, souvent contradictoires et inassimilables les unes aux autres ! Il est plus approprié de décrire, par le menu, les effets de ces musiques, les objectifs de certains artistes, les déclarations et l’ambivalence contenue dans les productions diffusées. Par exemple, l’état de forte suggestion liée à la mort et aux cimetières, véhiculée par les contenus, spécifiquement metal, peut apparaître, de loin, comme une sorte de folklore grossier. Pour notre part, nous n’y avons jamais prêté attention durant la thèse de doctorat (1982-1987), en n’approfondissant presque pas les styles hard-rock, précurseurs de ce courant majeur des années 2000. Nous nous sommes alors centré surtout sur le punk dont la violence exprimait un sentiment de l’absurde, proche d’une conscience beckettienne ou de mouvement politique situationniste, existentialiste et assez libertaire. Le ritualisme vulgaire des hard-rockers apparaissait plutôt comme une forme de régression quasi infantile. Avec l’évolution des styles et leur inter-influences, les punks, les courants new wave et industriels, électroniques se sont agrégés aux hard-rock pour former le « continent metal »avec ses multiples ramifications mystiques, nihilistes et esthétiques (Walzer, op. cit.). Ce qui est au centre de ces genres qui émergent, depuis le milieu des années 1980, avec un pic durant la période 1990/2000, c’est la revendication explicite de ce nihilisme, son approfondissement, son exploration appliquée. Rien ne dit qu’il s’agit d’une forme branchée et d’un art « en plus », « nouveau ». Il n’est pas évident d’affirmer que, comme tous les nouveaux courants musicaux du passé, il souffre de persécutions et de critiques injustifiées. Mais en même temps, il est impossible au scientifique et à un philosophe de les condamner. Dans ce cas de figure, la position analytique demeure une entreprise périlleuse et délicate, faite de tolérance et de dissection froide. Une chose est sûre : l’émergence des courants musicaux « jeunes » de ces dix dernières années est axée sur la surenchère d’effets spéciaux et de provocations. L’idée de base est d’en faire toujours plus, d’aller encore plus vite, plus loin, plus intensément et plus au fond des mythes qui agitent l’humaine condition. Il ne faut pas croire que ces formes sont tout simplement du « commerce ». Leur emprise sur une partie des générations passées et actuelles n’est ni réductible à une forme nouvelle de loisir, ni analysable comme une simple menace pour le lien social. La complexité même de tels phénomènes expliquent peut-être qu’ils pourront fort probablement continuer à avoir toujours plus de succès.

1  Voir pour une synthèse sur les styles metal : Walzer, 2005 ; Lire, pour une description des formes techno : Mabillon-Bonfils, 2004 ; Cf. pour une présentation du rock hard core, Fournier, 1999 ; Cf. aussi, pour une présentation des contextes de naissance du skin rock : Lescop, 2003 ; sur le hip hop et ses métamorphoses, on peut consulter Guibert et Parent, 2005 ou Mitchell, 2001.

2  Quand on parle de « nouveauté », on désigne un phénomène sur la durée et non un effet de mode. Les formes pop rock sont donc « nouvelles » en comparaison avec les productions musicales d’avant 1930 ou du 19e siècle, par leur insistance à se centrer sur le dionysien et la recherche d’états modifiés de la conscience et du corps.

3  Seca Jean-Marie (sous la direction de), 2005c, Dossier « Musiques et politique », Cahiers de psychologie politique n° 7 (juin), revue en ligne : http://a.dorna.free.fr/CadresIntro.htm.

4  L’argument cathartique est d’ailleurs souvent utilisé pour tenter de démontrer l’innocuité de ces courants, voire, leurs bénéfices secondaires (cf., notamment, Arnett, 1992 et 1996 ; Boivin, 1994 ; Hein, 2002 ; Lacourse, Claes et Villeneuve, 2001 ; Pecqueux, 2004). Les références données ici sont loin d’être exhaustives.

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Walzer Nicolas (sous la direction de), 2005, La religion metal. Première sociologie de la musique metal (numéro spécial), in Sociétés, 2 - numéro 88 (avril-juin).

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