N°9 / La citoyenneté Juin 2006

Citoyenneté : l’enjeu démocratique

Alexandre Dorna

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La citoyenneté est le droit d’appartenance des individus à une entité politique reconnue: l’Etat-nation. C’est une forme d’organisation juridiquement établie sur la base d’un pouvoir légitime et d’une nation reconnue. Les premiers états occidentaux sont les cités grecques issues d’un long processus historique, juridique, social, politique et culturel.

La Nation-Etat (subtile alchimie de raison et de sentiments) a formulé des demandes politiques et des principes normatifs communs, des valeurs (comportements de grande force symbolique) et des croyances communes, issues des  expériences passées,  jusqu’au point de se transformer en culture collective, voire en communauté de destin pour l’ensemble des ses membres, d’autant plus qu’ils posedent le statut de citoyens.

La transmission de ces éléments affectivo-cognitifs, via les mécanismes de socialisation et les pouvoirs de contrôle (physique et psychologique), permet le maintien de la cohésion nationale et de l’intégration des vagues successives de nouveaux membres.

Certes, la conception moderne de la citoyenneté trouve sa forme matricielle dans l’ancienne cité grecque, car le citoyen est né d’une volonté de rendre l’opinion personnelle en opinion collective, libre et égale pour tous, mais l’acte d’obéissance de chacun est une condition nécessaire, dont l’Etat exerce une autorité qui veuille pour maintenir un équilibre équitable sous le contrôle de tous. C’est le sens originaire de l’idéal de la République et la force du principe démocratique. Et, là se place la différence entre la notion de sujet et celle de citoyen : le premier adhère à une personne qui représente et exerce une autorité irrévocable (tyrannie, monarchie de droit divin ou absolue, dictature), tandis que le second le fait à une institution  à travers un dispositif délibératif et une méthode élective qui permet le choix entre égaux.  Et si bien, le cadre de l’approche républicaine est rationnel, il serait une erreur de séparer la nation républicaine dans son esprit de sa réalité affective. Le droit des nations est un mélange de sentiments et de raisons, ainsi la citoyenneté offre un moyen pour renforcer la synthèse qui rend la cohésion possible et souhaitable.

Dans l’origine de la citoyenneté, nul besoin pour un citoyen d’être expert pour agir politiquement. Certes, la citoyenneté exige un regard multiple et global, et une certaine capacité à se réclame d’un ensemble des connaissances: historiques, juridiques, sociologiques, culturelles, anthropologiques et, bien entendu, psychologiques. C’est là que l’éducation civique est un atout pour insérer la culture à la citoyenneté, et le citoyen dans la connaissance.

C’est justement le point de départ de la psychologie politique qui propose une démarche « totale » pour analyser et comprendre les questions socialement situées et datées. Car, l’ici et le maintenant d’une période ne peut pas exclure les tendances longues qui composent et entremêlent tradition et actualité jusqu’au point de forger une vision à la fois du passé et de l’avenir. D’où le besoin de comprendre tous (ou le plus grand nombre) des éléments qui surdéterminent et voilent la perception sociale des faits et des événements.

C’est là une de raisons de saisir les problèmes politiques comme un choix épistémique globale à partir d’une proposition heuristique préalable. Cela est synthétisé - nolens volens – dans le tableau suivant et discuté en détail dans un ouvrage récent (Dorna 2003).

Rappel de notre schéma heuristique.

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Penser la citoyenneté du point de vue de la psychologie politique, veut dire, aujourd’hui, se poser plusieurs questions qui liant les comportements humains au contexte sociétal ne peuvent que s’interpréter dans les dimensions historiques et culturelles profondes d’une communauté de destin à un moment donné.

A savoir :

  • Le regime politique, ici la démocratie, au sens ancien et moderne du terme.

  • Le poids de l’héritage culturel de la société moderne.

  • Le contenu des idéaux et la pratique des comportements politiques

  • Le fonctionnement des mécanismes de la cohésion sociale.

Il faut s’interroger parallèlement sur les antécédents de ces questions, de leurs enjeux et leurs conséquences. D’où le besoin d’une mise en perspective des malaise, des insuffisances et de la décomposition de la modernité, autant que de la perte de cohésion nationale, les incohérences des politiques, l’ambiguïté de représentativité et la re-émergence de la problématique populiste et les dangers d’un retour à des formes autoritaires de gouvernement.

Enfin, la question de la citoyenneté, de fil en aiguille, nous force à étudier, à la fois, la crise de sens des citoyens modernes et le sens des crises de la société contemporaine, les impasses de la gouvernance, les incertitudes et les défaillances de la démocratie représentative.

1.- La crise démocratie moderne : l’itinéraire extraordinaire d’une idée devenue banale.

La question psychologie de la démocratie renvoie à la fois à une pensée et à une pratique, lesquelles sont sur déterminées par le contexte politique, les types d’interaction, les rôles et les idéologies qui (de)forment les sociétés.

Résumons : contrairement au psychologisme généralisé, il est moins sur de chercher dans le « dedans » individuel les sources explicatives, la portée et les limites de la citoyenneté. Non plus l’origine des crises démocratiques, actuellement aigues. En revanche, il (nous) semble préférable de regarder le « dehors », c'est-à-dire se pencher sur les structures organisationnelles et les processus de civilisation qui surdéterminent la condition humaine sociétale, et influencent les moments de rupture et/ou les continuités historiques. La crise n’est jamais le résultat d’une causalité unique, mais la consequence des causes multiples, et dans le cas des crises politiques le télescopées par avalanche d’aveuglements, maladresses ou les erreurs coupables des gouvernants.

Certes, il faut convenir d’emblée que la notion de crise est chargée d’ambiguïté : est-elle la fin d’une période, ou la naissance d’un autre ? Mais, généralement, le mot crise est une manière de signaler que “quelque chose ne va pas” selon la formule dépouillée de Morin (1976). Ainsi, penser la crise est tenter de comprendre les convulsions et les vicissitudes d’un processus qui mène à une rupture faite des entremêlés, des continuités et des semi-détournements sur fond de tradition et parfois de trahison. Plus une crise est profonde, plus les noyaux structurants de l'identité collective et individuelle sont touchés. Et, pourtant, la mémoire flanche.

C’est bien le cas à l’heure actuelle l’impression de la crise moderne. L'homme est confronté à un cadre flou et souvent chaotique, dont les repères se transforment si rapidement qu’il est devenu presque impossible d’en saisir le sens avant que d’autres sens n’apparaissent. Très difficile donc de se faire une idée d'ensemble et de trouver un fil conducteur de la réalité dont la crise est le résumé. Encore : c’est le paradoxe de constater que le sens n’est pas le produit de soi même, mais l’amalgame des multiples sens venant d’autres et la synthèse d’une totalité fuyante. Les fondations sociales, politiques, éthiques et scientifiques vacillent jusqu’au point que l’homme moderne éprouve le sentiment d'être dans un dédale incompréhensible où personne ne semble capable de comprendre l'ordre du monde ni de le mettre à la portée de tous. Il y a là, tous les ingrédients réunis pour un retour au sentiment tragique de la vie et à la quête d’une cosmologie presque perdue, mais toujours ressentie au fond de nous mêmes. Car l’attente d’un éclairage nouveau, est lourde en conséquences idéologiques et politiques, sans forcement se rend compte que cela risque de mettre en cause le système politique en lui-même et notre propre perception du sens.     Faut-il rappeler que psychologiquement les états de crise  sont des moments d’une grande inquiétude, diffuse et saccadée, au milieu des événements ordinaires perçus avec angoise et égarement. D’où le sentiment de trouble et de malaise, d’incertitude et de désir de fusion. Rien d’étonnant alors que  la notion de citoyenneté se trouve en errance et en quête de repères verticaux, voire d’autorité hiérarchique.

Il est donc utile, pour mieux harponner ces propos, d’exposer brièvement les phases d’une crise, tout en gardant à l’esprit leur pertinence dans le cas de la démocratie représentative moderne. 

a) Le moment de préparation. C’est une période de latence et d’indécision dans un contexte de conflits antagonistes. Il y a une impression subjective de “coupe pleine” et de “ral bol”, de statu quo oppressant et de malaise existentiel.

b) Le moment de rupture manifeste : c’est soudain un événement, parfois presque anodin qui est le déclencheur des avalanches, dont les causes restent généralement imprécises ; c’est une réaction brutale et fracassant devant une apathie contagieuse qui se transforme en menace et en effervescence collective. C’est l’effet jeu de quilles.

c) Le moment de la recherche d’un nouveau équilibre. Nouvelle vision d’ensemble, nouveau personnel aux commandes, participation des masses, enthousiasme et espoir. Période d’apaisement de la parole et des gestes.

d) Le moment de l’après crise : retour à une nouvelle forme de continuité (routine) et la mise en place d’une nouvelle élite, toute disposée à transformer les mythes en rites d’expiation.

Reprenons le constat rapidement esquissé. Aujourd’hui, la démocratie se trouve au milieu d’une phase prolongée de préparation. Metaphoriquement : au milieu du gué. La democratie moderne n’a pas réalisé ses objectifs d’origine, mais progressivement s’est installée dans un statu-quo dont la gestion se trouve dans les mains d’une oligarchie politique et économique, futile et cynique, mais maligne et intelligente. Bref, c’est une caste professionnelle, capable de gérer la crise avec duplicité et tact, toujours disposée à lâcher de leste et à composer avec l’adversité, afin de gagner du temps dans une fuite en avant ou la rationalité dernière dissimule à peine une certaine mystique plutôt qu’une fatalité, et beaucoup de croyance dans la fortune et la bonne étoile que seul le temps peut révéler.  Laisser le temps au temps est devenu la devise des aventuriers de la modernité.

Or, les contradictions entre l’idéal et la pratique ne cesse de peser sur le fonctionnement du système et le comportement des citoyens. Le sentiment de “coupe pleine” est de plus en plus partagé para les grandes majorités. D’où la tendance des peuples à parier soit sur une fuite en avant soit sur un retour aux sources. C’est un état d’âme qui vacille entre le réalisme et l’utopie, entre le conformisme ou la révolte, en attendant que la marée monte afin surfer sur une lame de fond (prévisible) qui se pointe sur les structures sociales et les gouvernants.

2.- Un regard sur les fondements de la citoyenneté.

La citoyenneté moderne (en France) est un fait politique issue de l’effondrement du régime monarchique et l’émergence charismatique des  institutions républicaines à coup de grandes déclarations, actes héroïques et événements rocambolesques, dont la symbolique est là pour impressionner les acteurs autant que les spectateurs.

Hier le maître mot (avec Rousseau) de citoyenneté avait comme pivot la souveraineté nationale et populaire. Cela a permis à la Nation de se doter d’un régime démocratique et d’un d’Etat Républicain, autant que d’une légende glorieuse et immaculée, malgré les erreurs, les turpitudes et les aberrations d’une génération qui s’est crue inspirée de la grâce des époques héroïques de l’histoire, lorsque les dieux ont soif et l’hubris se déchaîne.

En ce moment là, l’idéologique de la citoyenneté faisait appel aux droits de l’homme et du citoyen. L’homme devenait à nouveau membre à part entière de la cité (l’état-nation). La synthèse si attendue semblait trouver les mots justes dans la devise flamboyante de la République française : liberté, égalité, fraternité.

Voilà pour l’idéal. Or, la pratique (nous) montre une autre chose.

La brillance de l’idéal citoyen de la Grande Révolution s’est étiolé durant le XIX et le XX siècle : l’empire, la restauration, le second empire, la commune. Il a fallut attendre la IIIe République pour retrouver l’élan d’origine et l’esprit laïque pour redonner à la citoyenneté son rang.

A même temps, c’est la période de la présence exacerbée d’un clivage droite-gauche (pâle reflet de l’opposition ancien régime vs République), et l’implantation d’un processus de démocratie représentative qui mène après de nombreuses escarmouches politiques au suffrage universel. Or,  dans ce cadre, avec le temps, la citoyenneté deviendra, lamentablement,  une fade caricature, amorphe et anodine. La République sera perçue comme un bastion conservateur et la démocratie de plus en plus conformiste. Le souffle du changement ne passe guère et l’opinion publique est de moins en moins critique. Quant aux élections, le vécu électoral  précipite une déception politique généralisée, dont la formule « élection piège à c… » est encore parlante. 

Ouvrons une parenthèse. Les résultats du referendum du 29 mai 2005 avec un refus massif au projet de constitution européenne est un exemple criant, par delà des clivages classiques, d’une formidable crise politique. C’est la nature même de la démocratie, en tant que méthode politique et l’interprétation historique de la notion de République qui se révèlent en question.

Reprenons le fil du raisonnement. Il résulte naïf ou cynique de s’interroger, aujourd’hui, à propos de comment la démocratie représentative s’est transformée en oligarchie ou de comment les appareils politiques sont devenus des machines électorales afin de reproduire des structures de pouvoir et des élites gouvernantes de plus en plus déconnectées de la réalité sociale et jalousement accrochées à leurs privilèges. Les analysés devenues classiques de Robert Michels (1911), dont la loi de fer de l’oligarchie est une invariante organisationnelle, illustrent si bien les mécanismes psychosociologiques du pouvoir politique que l’observation de faits actuels ne peuvent que les confirmer. La conclusion est claire : ce sont les minorités technocratiques qui rendent la citoyenneté superflue et pervertissent la politique au sens citoyen du terme, jusqu’au point de précipiter l’effondrement de la culture républicaine démocratique. La politique n’est pas l’affaire de tous les citoyens. Mais, nous avons le devoir de poser la question : l’a jamais été ?

Ajoutons que la victoire (probablement a la “Pyrrhus”) du néo-libéralisme de la fin des années 70 (les Chicago boys, Mme Tchacher et Pinochet à la tête) a provoqué une globalisation de la crise, événement presque inédite, dont l’ambiguïté est révélatrice d’un vide idéologique et de l’absence d’un projet de société. D’autant que même l’idée de changement de société est abandonnée à gauche et toujours refusée à droite, mais remplacée par des promesses médiatisées, dont la logique individualiste et la corruption institutionnelle sont le reflet manifeste. 

Si la société démocratique française perte en dialogue, en débat et en cohésion républicaine, c’est au bénéfice d’une vision communautariste à l’image de celle des Etats Unis. Ainsi, la « neutralisation » de la citoyenneté et de l’opinion publique, la réduction des espaces de délibération, l’impasse de la pensée collective par l’emprise d’une pensée unique, élimine la politique à contenu citoyen. Et, en fait, cela re-active un néo darwinisme social rampant, dont le narcissisme culturel du libéralisme rampant cache une nouvelle forme sournoise de tyrannie : l’emprise de l’image par médias interposés. Totalitarisme tranquille donc. Société des individus égotistes massifiés et manipulés à travers ce qui JL Beauvois (2005) appelle la propagande « glauque » et les techniques psychosociologiques de la publicité, nouvelle version de la soumission librement consentie de la philosophie libérale.

Le résultat est la glaciation affective de la politique, et de l’action des hommes au pouvoir, réduits à la gestion des affaires à court terme. C’est tout un monde des professionnels, dont le métier est devenu sans transcendance ni générosité, mais cynique et opportuniste, sclérosé et égoïste, jusqu’aux limites de la médiocrité et de l’impuissance selon des méthodes froidement rationnelles de coût et de bénéfices financiers.

Certes le diagnostic de la faillite de la démocratie représentative ne date pas d’aujourd’hui :

  • Tocqueville (1851) dans ses célèbres réflexions sur la démocratie en Amérique conclut sous une tonalité peu optimiste: “ le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres”

  • Baudrillard (1987)  "la démocratie est la ménopause des sociétés occidentales, la grande ménopause du corps social".

Face à ces deux opinions autorisées, les examens de consciente ne suffissent plus. La réponse passe par comprendre non seulement les rapports entre citoyenneté et démocratie, les situer et les dater, mais aussi par examiner :

  • les tensions entre le passé et l’avenir, l'écartement entre l’idéal et le réel.

  • l’épicentre de l’implosion de l’homme social et de l’humanisme libéral.

Une constatation navrante : l’homme politique (et la femme), au sens actif de la polis, ne cesse de se discréditer. La fonction se rétrécit devant les tâches, car les politiques se montrent incapables de créer un espace/temps politique nouveau, pour de relier ce qui est épars et proposer une vision d’ensemble. Bref, ils sont devenus superflus. D’autant plus que ce marché pousse les citoyens à  considérer les politiques comme des « objets jetables ». Véritables objets de consommation faute d’authenticité, de convictions et de courage.  Certes l’emprise  des appareils politique et la transformation de la politique en métier empêchent que les citoyen se débarrassent de la classe politique, cela explique la glaciation de la démocratie et le manque de projets alternatif.

3.- Quelques éléments de repérage empirique de la perception de la citoyenneté en France.

Les citoyens savent intuitivement, à travers la pratique quotidienne, que l’exercice de la citoyenneté est devenu une chose ambiguë pour tout le monde. D’où une série de questions récurrentes, jadis connues, que demandent des nouvelles réponses de la par des citoyens eux mêmes. 

A savoir :

  • La citoyenneté est-elle le signe de la nationalité?

  • Quels sont les devoirs et les droits des citoyens?

  • L’égalité est-elle la même chose que l’équité?

  • Quelle est la position des citoyens concernant l’héritage et l’avenir de la nation?

  • Les démocrates sont solidaires avec les démocrates?

  • Quels sont les clivages actuels de la citoyenneté?

  • Les démocrates en temps de crise sont-ils toujours démocrates?

Ces questions parlent du besoin de s’interroger sur le fond de la problématique de la citoyenneté moderne. En somme : quelles sont, au fond, les clef pour mieux comprendre la citoyenneté ? L’excellente étude de Sophie Duschesne (1997) est une tentative pour éclairer les enjeux et les tensions qui existe de nos jours entre le civisme classique et l’incivisme naissant.

Il faudrait retenir deux de conclusions issues de l’analyse de ses résultats empiriques:

  • d’une part, la présence d’une représentation hétérogène de la citoyenneté, laquelle se caractérise par une opposition entre passivité et activité

  • d’autre part, l’existence d’une fragmentation de la notion citoyenne dont l’identité renvoie au patrimoine et à l’autonomie.

Ainsi, par un raccourci, nous pouvons rendre visibles à la lumière d’un tableau, ces deux axes croisés et de trouver en consequence quatre perceptions possibles de la citoyenneté française.

Les dimensions de la citoyenneté (adapté de Deschaine 1997)

Citoyen actif (+)

Image2

Citoyen passif (-)

      

En somme :

Nous avons, en premier lieu, une perception de la citoyenneté comme un fait patrimonial avec deux faces.

  • Républicaine

  • Nationale

C’est sans doute la perception la plus connue, dont les sources sont l’identité nationale et les devoirs du citoyen envers la patrie.  

Aussi, il y a un encrage dans 3 notions : la tradition, la famille et le territoire. Ces éléments structurent à la fois la solidarité intergroupe et les valeurs communes. Le citoyen se trouve ainsi lié aux autres membres du groupe dans le temps et dans l’espace par des sentiments et une histoire commune.

Cela rappelle la formule de Renan (1982) : "La nation possède une âme, un principe spirituel. La nation ne se définie pas en termes objectifs. En revancha, elle s’exprime dans une culture commune et le désir de vivre ensemble".

Pourtant, il y  aura deux variantes dans la réponse au même sentiment : 

a) la variante républicaine : l’histoire de  France est le produit d’un processus de luttes pour conquérir la citoyenneté à la française. La grande referant symbolique commune est la révolution de 89. Les sujets de l’enquête se focalisent sur la rupture du processus historique entre l’ancien régime royaliste et le nouveau régime républicains. Une autre différence est la fidélité à l’idée d’une société politique laïque.

b)la variante nationale : l’histoire de  France est un tout qui réunit les temps anciens et les temps modernes. Les réponses se focalisent donc sur la continuité du processus historique. Et la fidélité à la religion catholique selon la formule connue : la France fille aînée de l’Eglise.

Or, en somme, malgré les différences, c’est la variante patrimoniale qui fait de l’héritage le socle de la solidarité et des liens psychologiques de la nation. Mais, ce patrimoine est culturel. La nation est une culture. 

Par ailleurs, l’observation des donnés montre que nous sommes devant une perception de la citoyenneté comme un acte d’autonomie avec deux faces :

  • démocrate

  • spectatrice

Ici nous sommes sur un axe individuel, dont l’obligation sociale est d’ordre moral et un degré important de consciente collective, d’autant que les perceptions des personnes autonomes expriment une forte volonté d’indépendance sans un grand désir d'appuyer à l’effort collectif.

C’est au coeur de cette variante autonome que s’exprime la « modernité » à travers une psychologie individuelle à forte connotation libérale.

Les sujets de l’enquête revendiquent leur individualité, et leur indépendance et leur manque d’adhésion spontanée aux institutions, sans pour autant vouloir une rupture, probablement une certaine distance. Ainsi, l’affirmation de la citoyenneté est moins dépendante de la nationalité. Il s’agit d’un engagement personnel et d’une acceptation plutôt rationnelle de l’intégration à la collectivité nationale.

La société est perçue comme quelque chose d’externe aux individus. Or, les liens affectifs sont établis dans leur entourage immédiat. Ces liens ne sont pas ni territoriaux ni historiques. Ce qui s’accompagne d’une indifférence à l’ensemble, mais une forte revendication des droits de l’homme sans une connotation politique. Méfiance face aux actions collectives et la participation politique.

En somme : la citoyenneté est perçue plutôt comme un système des équivalences et des échanges. D’où l’acceptation de certains devoirs, des charges, et de la politique. Aussi, ils expriment un refus à l’idée nationaliste et toutes les attitudes de fusion. L’attitude individuelle les mène à séparer l’identité personnelle de tout identité globale.

Pour une interprétation à réfléchir

Cette étude est une description ponctuelle. Toute perception sociale est tiraillée entre le poids de la mémoire individuelle et institutionnelle (culturelle) et l’appréciation des issues possible dans l’avenir.  Lez bilan de l’enquête semble indiquer que :

  • La notion de citoyenneté se trouve fragmenté, éclatée.

  • L’identité nationale est devenue fractale (fracturée). C’est l’image de l’homme psychologiquement divisé, politiquement squatinidé. (Sánchez, 1999).

  • La rationalité n’arrive pas à cadrer les sentiments et les émotions.

  • La verticalité du politique réduit l’horizontalité de la politique. (Sartori 1979)

  • L’impasse se place entre nation et supra nationalité.

  • La déconnexion entre choix de régime et citoyenneté.

  • La dissociation entre les positions républicaines et démocratiques

  • L’affaiblissement des liens de solidarité nationale.

Voilà des éléments qui doivent nous faire réfléchir en profondeur, à la fois en théorie et en pratique, car l’écart entre l’idéal et le réel est manifeste. La crise de la démocratie n’est pas sans rapport à cette fragilisation de la notion de citoyenneté. (Dorna et Georget 2004)

4.- Les significations de la démocratie ancienne: un bond en arrière.

Pour saisir l’importance du contretemps démocratique (Namer 2002), rien de plus utile que dépasser certains cliqués modernes que la démocratie:

  • L’un, c’est le président des USA, A.  Lincoln, pour qui la democratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. 

  • L’autre, c’est la célèbre et douteuse formule de W. Churchill : la démocratie est le pire de régime en exception de tous les autres. Certains oublient qu’il ajoute cyniquement: c’est fille docile avec laquelle on peut toujours trouver un arrangement. 

La banalisation de la citoyenneté actuelle a défait les liens étroits avec certaines notions et pratiques fortement encrées dans la démocratie des polis grecque, lesquelles permettaient un équilibre et une harmonie.

A savoir:

  • La pratique des contre-pouvoirs et de la participation directe

  • Le poids des opinions individuelles et du débat sur la place publique

  • La présence d’un citoyen : acteur, législateur et soldat.

  • Le statut des élus étant que représentants du peuple sans en faire un métier.

  • La morale liée à la politique

  • La désignation de rôles et fonctions par d’autres procédures que les élections, par exemple : le tirage au sort ou la rotation de postes.

  • L’élection des juges par l’assemblée des citoyens

  • La participation égalitaire de tous les citoyens dans les délibérations et les prises de décisions.

En somme : faut-il rappeler que la démocratie est une méthode décisionnelle dont l’impératif républicain exige le dialogue et la discussion contradictoire, d’autant que la réalité humaine en société est jugée  multiple et relative, jusqu’au point que l’opinion publique (doxa) est capable de former le sens à partir du débat et ainsi forger une vision commune.

Cette vision commune est surdéterminée par une morale du devoir et de la vertu citoyenne. L’infraction aux règles éthiques déclenchée l’honte, mécanisme émotionnel et rationnel qui marque d’une manière personnelle le contrôle social.

Ce sont, par consequence, les citoyens eux-mêmes qui doivent répondre aux questions de fond : qu’est ce qu’il faut être en tant que Nation? Quelles sont les valeurs morales? Quel est le contenu de la justice?

Le dispositif pour y répondre est évidement la délibération collective.

Le but n’est pas la vérité révélée en termes religieux ou scientifiques, mais celle qui naît des accords et des compromis, après un dialogue contradictoire et réfléchi, entre hommes libres et égaux.  Ici la démocratie n’est pas le résultat d’un vote équitable, mais d’un processus de consultation qui vise la compréhension par tous des enjeux et des conséquences. L’accord le meilleur pour tous étant donc le but final, afin de garder la cohésion globale.

La tradition culturelle occidentale montre que pour l'antiquité la question de la cohérence théorique ne se pose pas dans les mêmes termes. L'inintelligibilité du monde n'est pas un échec, mais un drame de l'intelligence. La recherche de la vérité n'est guère vécue comme un impératif unique, puisque la complexité de l'univers n'exige pas une réponse unique. Il suffit, en revanche, d'un certain ordre capable d'articuler les croyances, dans la « joyeuse » acceptation d'un monde merveilleux. Au temps des Grecs anciens, la vérité était une « alêtheia », dont la valeur s'exprimait plus au sens du vraisemblable que du vrai. A l'époque, c'est la logique discursive avec ses adresses et ses polémiques qui servait de critère de vérité.

Le contre sens de la praxis de la démocratie représentative moderne

La démocratie moderne ne cesse pas de marcher à contre sens de la tradition. Plusieurs de ces actes sont à repérer. A savoir : 

Premier contre sens: l’instauration progressive d’une principe oligarchique et élitiste de gouvernement politique, dont la démocratie représentative est un fruit dévalué.

Deuxième contre sens: l’annulation dans la pratique (parlementarisme, exécutif fort) du principe égalitaire de la délibération collective.

Troisième contre sens : le discours politique actuel n’est autre chose que  la superposition des paroles, sans écoute ni dialogue, car le but est d’arriver à des prises de décisions démocratique afin d’écarter les oppositions et les minorités du débat.

Quatrième contre sens: réduire l’instruction morale citoyenne (éducation civique) aux actes électoraux est le moyen pervers de mettre la démocratie dans les mains des puissants machines et des démagogues à travers les medias et les appareils politiques.

Cinquième contre sens: la tendance à faire de la démocratie un fétiche et de la République un rempart pour la professionnalisation de la politique.

Sixième contre sens: réduire la citoyenneté à l’expression d’une opinion electorale, sans rendre aux citoyens la capacité de participer, d’opiner, de juger et de décider.

Septième contre sens: faire de la raison (seule autorité reconnue par les républicains) une servante docile livrée aux jeux du pouvoir.

Huitième contresens : faire du poste d’élu ou représentant du peuple, à la fois un métier et une carrière professionnelle.

Neuvième contresens : faire de la classe dirigeante une caste soumise à des critères d’initiation et des règles de coaptation

Dixième contresens : réduire la portée du message républicain ancien qui fait de la nation une médiation entre le citoyen et l’humanité: le cosmopolitisme.

5.- Dernière réflexion : Le dialogue interrompu

Si l’axiome de la citoyenneté est la responsabilité de tous et de chacun, alors cela impose le dépassement de l’intérêt privé et la promotion du bien commun. Et si la démocratie est tributaire du citoyen, alors la participation collective et le dialogue sont indispensables.

Car, seul le dialogue est le socle de la citoyenneté et d’une démocratie “forte” selon la formule de Barber (1997). C’est le dialogue de la parole et le discours, mais de l’écoute et de l’engagement en rupture avec la langue de bois. C’est là d’une certaine manière et en passant que se cristallise la crise du politique actuel. Ainsi, le dialogue doit se débarrasser et dépasser le purement cognitif et apprendre l’affectif. La sur-rationalisation est une des causes de l’éloignement des relais communicatifs entre le peuple et les élites. En bref, le dialogue dont il est question ici n’est pas un dialogue sur le monde, mais un dialogue des mondes: la volonté d’agir ne passe pas en termes d’action future, mais en paroles capables de saisir le concret de l’avenir.

Enfin, disons que le dialogue politique citoyen est une interaction modulable et adaptable, raisonnable, utile pour fixer des accords et établir des compromis, mais aussi chargée d’écoute affective pour faire avancer la chose commune. En revanche, le discours sous la forme technicienne actuelle s’est réduit à une communication unilatérale dont la logique ne laisse pas de place à la sympathie des sentiments. Rien d’étonnant: le discours politique est devenu par technique interposée une machine à convaincre rationnellement avec les preuves logiques d’une  rhétorique froide. Un discours fort n’est pas celui qui s’imposent techniquement par un marketing ou un décor d’enfer, un cadrage de l’image savamment calculée, ou une sono criante, mais tout simplement celui qui est capable d’attirer l’adhésion d’une majorité à un moment donné. Certes, la question est : que faire d’une démocratie des medias et d’un politiquement correct qui annule la citoyenneté réelle. La rejeter ? La condamner ? La transgresser ?  En tout cas, il s’agit de la dépasser et de la transformer.

Barber B. (1997) : La démocratie forte. Paris. DDB. 

Baudrillard J. (1987) : Cool memories. Paris. Galilee.

JL Beauvois (2005) : Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Grenoble. PUG.

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Touraine A. (1992) : Critique de la modernité. Paris, Fayard.

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Citoyenneté, émotions sociales et évolutions pénales

Manuel Tostain

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