N°12 / Discours et propagande Janvier 2008

Argumentation et débats publics

Constantin Salavastru

Résumé

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Argumentation ou raisonner pour l’altérité

Les approches historiques sur l’argumentation ont relevé le fait que les mises en relation les plus commodes sont celles qui se rapportent à la recherche en logique. Peut-être, sont-ils aussi les plus relevants, ne serait-ce que par le simple fait de retrouver au centre de l’analyse de l’argumentation le raisonnement: toute argumentation est une organisation inédite de raisonnements. Il y a sans doute des liaisons étroites avec l’art de l’éloquence (et Platon les a évoquées dans ses dialogues), avec la théorie de la communication (toute argumentation est et sera toujours un acte de communication), et il y a aussi des liaisons avec la psychologie ou avec ses disciplines (toute argumentation n’est qu’une intervention individuelle ou sociale), et des liaisons avec la praxéologie (toute argumentation est en fait une action poursuivant un but – convaincre l’interlocuteur – et elle peut être vue comme telle seulement si elle arrive à atteindre ce but, car sinon elle reste une construction qui pourrait être belle mais qui se trouve sous le signe de la gratuité), il y a des liaisons avec ce qu’on voit se développer aujourd’hui sous le nom de érotétique (toute argumentation est, tacitement ou explicitement, un échange de questions et de réponses sur une thèse qu’il faut prouver), et enfin il y a des liaisons avec la recherche dans la moralité (toute argumentation produit des effets sur l’individu ou le groupe, et ces effets peuvent tomber sous le signe du bien ou sous le signe du mal). Malgré tout ceci, du point de vue structural, c’est-à-dire du point de vue de l’organisation interne d’un acte d’argumentation, les relations les plus significatives seront toujours celles avec la logique: l’argumentation n’est et ne sera jamais qu’une “pratique logique”, une démarche applicative intégrée aux impératifs de la rationalité.

La logique analyse le raisonnement (l’inférence, en terminologie moderne1) en soi, comme expression de la rationalité pure, sous une perspective statique, comme si on le découpait de son milieu, là où il se manifeste pratiquement: la discursivité humaine, si diverse comme forme de manifestation. En se situant dans l’absolu, on peut dire que la logique ne s’intéresse et n’a à s’intéresser au fait que ces formes de relationnement qu’elle étudie sont ou non utilisées dans des situations concrètes, si leur emploi est correct ou si, par contre, il s’écarte des normes de la rationalité, telles que la logique les a établies. Elle est une approche de ce qui devrait être. Si ce qui est n’est pas la même chose que ce qui devrait être, c’est une anomalie et la responsabilité n’en revient pas à la logique!

L’argumentation analyse le côté dynamique et applicatif du raisonnement: on ne peut laisser la réalité humaine en dehors de la possibilité humaine de faire emploi de cet instrument astucieux qu’est le raisonnement, pour lequel la logique trace, dans l’absolu, les conditions de fonctionnement et de correctitude! Des conditions de fonctionnement et de correctitude in concreto c’est l’argumentation qui est responsable: c’est dans l’argumentation que l’on peut voir si tel raisonnement ou autre a été correctement utilisé, du point de vue logique, s’il a été un bon choix par rapport à la thèse qu’il devait soutenir (pour une thèse tenant à la morale, on aura certains types de raisonnements qui sont efficaces, alors que pour une thèse du domaine des sciences, il y en aura d’autres), par rapport à l’auditoire auquel on adresse l’argumentation (des auditoires différents réagissent différemment et c’est en fonction de la nature du raisonnement auquel on fait appel: devant les foules, par exemple, le raisonnement construit sur une analogie aura un maximum d’effet), par rapport à la finalité qu’on a en vue (la finalité fondamentale de l’argumentation est la conviction, mais des effets collatéraux sont possibles et ils sont différents, car le résultat de raisonnements différents). L’argumentation a pour but de placer dans une situation d’efficacité certaines formes de raisonnement qui pourraient contribuer – par le biais de diverses épreuves véhiculées – à faire accepter une proposition pour vraie ou fausse.

On pourrait dire que l’argumentation est la logique en action, la logique employée dans ces situations où l’individu entre en relation avec ses semblables pour les convaincre. C’est certainement là la raison qui fait qu’elle soit associée à une logique du quotidien2, capable d’expliquer et aussi de rendre plus efficaces les relations discursives de l’individu avec le quotidien. Ceci pourrait constituer une base pour que nous acceptions de prendre le risque de proposer une définition de l’argumentation qui fonctionne – du moins à l’intérieur de notre démarche – comme explication théorique d’un concept et aussi comme instrument de travail à employer dans la tentative d’identifier les situations d’argumentation dans le quotidien. L’argumentation est organisation de propositions à l’aide de raisonnements, dans le but de prouver une autre proposition ayant pour dessein de convaincre l’interlocuteur de la vérité ou de la fausseté de celle-ci.

Quelques éclaircissements nous paraissent nécessaires. Pendant une argumentation, on produit des preuves soutenant ou infirmant une thèse. Ce sont des preuves qui prennent la forme concrète du contenu informationnel de certaines propositions décrivant des faits, des situations, des événements, des actions, etc. Il est assez rare que ces preuves soient d’ordre matériel (dans l’argumentation juridique, par exemple, des preuves matérielles peuvent être introduites: l’arme du crime, les tâches de sang sur les vêtements de la victime, etc.). Dans la plupart des cas, les preuves (arguments) sont descriptives et elles sont présentées à l’auditoire par le biais de propositions. Pour qu’une argumentation soit efficace (c’est-à-dire pour qu’elle assure la conviction de l’interlocuteur) il faut que les preuves (les arguments) puissent être corroborées entre elles, c’est-à-dire qu’elles se soutiennent les unes les autres, soit pour soutenir la thèse, soit pour la réfuter. Si les preuves ne peuvent être corroborées (elles ne se soutiennent les unes les autres), il est possible de se retrouver dans la situation où les preuves du même interactant de la relation argumentative s’anéantissent réciproquement (dans le sens que l’une contredit l’autre). Dans un cas pareil, l’argumentation va souffrir au niveau du résultat.

Nous avons vu que les preuves s’expriment par le biais de propositions. Il en résulte qu’une organisation de ces dernières en fonction des critères d’efficacité de l’argumentation soit nécessaire. On se demande quel serait le mécanisme à employer pour organiser les propositions d’un point de vue argumentatif-fondateur, de façon à faire qu’il y ait entre elles une “coopération positive” (von Wright), c’est-à-dire de façon à faire que chacune d’elles et toutes ensemble soutiennent ou réfutent une thèse. Evidemment, c’est le raisonnement, et si l’argumentation est plus ample on aura un ensemble (une multitude) de raisonnements. Mais qu’est-ce qu’on a en vue par cette organisation des propositions à l’aide des raisonnements? Au moins deux choses: l’une comme moyen, l’autre comme but. Celui qui fait l’argumentation vise à prouver la vérité de la thèse (s’il la soutient) ou sa fausseté (s’il la réfute). Il lui faut faire ceci, à celui qui argumente, non en tant que but (car le but de l’argumentation est d’obtenir la conviction de l’interlocuteur et non de prouver qu’une proposition est vraie ou fausse), mais seulement comme moyen d’atteindre le but: en prouvant que la thèse est ou bien vraie ou bien fausse, il a toutes les chances de convaincre son interlocuteur de la vérité ou de la fausseté de celle-ci. Il se peut que la proposition soit vraie, en fait, mais que l’interlocuteur soit convaincu du contraire, et ceci est un grave inconvénient de l’argumentation. Du moment où la vérité ou la fausseté de la thèse a été prouvée, on a rempli la condition nécessaire (le moyen) pour toucher au but de l’argumentation: la conviction de l’interlocuteur quant au caractère vrai ou faux de la thèse et, par cela, on réussit à soutenir ou à réfuter la thèse3. La définition proposée pour le concept d’argumentation comprendra donc: le contenu de l’argumentation (les arguments ou preuves concrétisé(e) s dans les propositions-preuves), les techniques d’argumentation (l’organisation des propositions à l’aide des raisonnements) et la finalité de l’argumentation (l’organisation des contenus à l’aide des techniques d’argumentation vise la conviction de l’interlocuteur quant au caractère vrai ou faux de la thèse).

Une deuxième observation: l’acte de fondamentation, réalisé par l’organisation des preuves à l’aide des techniques d’argumentation, représente une situation d’argumentation qui est l’expression du “jeu de la rationalité” qui s’instaure entre celui qui fait l’argumentation et celui pour lequel on argumente. Ce “jeu de la rationalité” ne peut être directement perçu. Il est médié par la discursivité: les preuves apportées pour ou contre une thèse se retrouvent moulées dans différentes constructions du langage naturel. On en déduit que la forme de la rationalité produite par une situation d’argumentation est perçue à travers la forme discursive qui la contient. Toute argumentation prend la forme d’un discours et, lorsqu’elle est perçue par l’altérité, elle est perçue seulement sous cette forme extérieure de manifestation: le discours argumentatif.

Il se pose une question: est-ce que la forme de la rationalité de l’argumentation coïncide avec la forme discursive dans laquelle elle trouve son expression? En le meilleur des cas, il y aurait coïncidence des deux formes, c’est-à-dire que la forme linguistique-discursive de l’argumentation exprimerait le plus fidèlement que possible (entièrement, dans le cas idéal) sa forme de rationalité. Dommage, cela ne se passe pas comme ça en réalité! Au récepteur, l’argumentation apparaît comme une suite d’éléments qui n’ont rien à voir avec son trajet rationnel, mais qui tiennent plutôt à sa force persuasive: des jeux de mots, des interrogations rhétoriques, des ambiguïtés glissées intentionnellement, des figures et des procédés rhétoriques. La forme de la rationalité est habillée en un “habit discursif”, lequel, le plus souvent, cache une partie du parcours rationnel de l’argumentation. L’usage des sophismes est possible, en grande partie, grâce aussi au vêtement discursif dont se fait couvrir une argumentation apparente et qui en cache les erreurs. Le fait d’avoir dans toute argumentation, prise in integrum, une coopération entre la forme de la rationalité et la forme discursive sous laquelle celle-ci apparaît est prouvé aussi par l’existence des deux orientations analytiques importantes dans le domaine de la théorie de l’argumentation: l’orientation logique (préoccupée à découper la forme de la rationalité qu’une argumentation assume: arguments, fondements, techniques correctes d’argumentation, critique de l’argumentation) et l’orientation linguistique (préoccupée par la perception de la forme discursive-linguistique de l’argumentation: marques linguistiques, actes de langage employés etc.).

En nous écartant des observations qu’on a faites lors de l’identification du concept d’argumentation par la définition que nous avons proposée, on dira que la proposition fondée s’appelle la thèse de l’argumentation et que les propositions servant à la fonder s’appellent les fondements de l’argumentation. L’amplitude de l’argumentation peut varier d’un seul raisonnement capable de prouver une thèse jusqu’à un embranchement de raisonnements qui ont le même rôle. Dans ce dernier cas, l’argumentation prend la forme du discours argumentatif. Le fragment qui suit est la représentation d’une séquence argumentative prise dans une démarche argumentative plus ample :

“Phédon. – En vérité, la scène dont je fus témoin m’a fait une impression étonnante. L’idée que j’assistais à la mort d’un homme qui était mon ami n’éveillait pas en moi de pitié, car cet homme était visiblement heureux, à en juger par sa contenance et par son langage – tant il avait de tranquillité, de noblesse, en quittant la vie.  Il me donnait le sentiment, à l’heure même où il  partait vers la demeure d’Hadès, qu’il n’y allait point sans une grâce divine ; mieux encore, qu’il devait être heureux, une fois là-bas, comme personne ne l’a jamais été. Aussi n’éprouvais-je nullement la pitié qui eût semblé naturelle chez le témoin d’un événement douloureux“ (Platon, Phédon, 58e – 59a, in : Platon, Œuvres complètes, tome IV, Paris, Société d’Edition «Les Belles Lettres», 1983, p. 3).

Cette séquence réunissant plusieurs raisonnements pour soutenir la thèse de l’auteur (“L’idée que j’assistais à la mort d’un homme qui était mon ami n’éveillait pas en moi de pitié ”):

  • (1) Si les hommes sont heureux, alors ils n’éveillent pas le sentiment de pitié
    Cet homme est heureux
    Donc : Cet homme n’inspire pas le sentiment de pitié

  • (2) Si les hommes sont dominés par la tranquillité et par la noblesse,
    alors ils n’inspirent pas la pitié
    Cet homme est dominé par la tranquillité et par la noblesse
    Donc : Cet homme n’inspire pas le sentiment de pitié

  • (3) Si les hommes partent vers la demeure d’Hadès à l’aide d’une grâce divine,
    alors ils n’inspirent pas la pitié
    Cet homme part à la demeure d’Hadès à l’aide d’une grâce divine
    Donc : Cet homme n’inspire pas le sentiment de pitié

En ordre argumentatif, le texte pourrait être ordonné comme suit:

T (thèse)

R (raisons, preuves)

Cet homme n’inspire pas (parce que)

(1)Cet homme est heureux ;

le sentiment de pitié

(2) Cet homme est dominé par la tranquillité et par la noblesse ;

(3) Cet homme part vers la demeure d’Hadès à l’aide d’une grâce divine.

Ce schéma met en évidence assez clairement la manière dont les propositions s’articulent en raisonnements et la manière dont les raisonnements s’articulent entre eux.

L’argumentation est présente partout: dans une page de journal, dans un débat télévisé, dans la réponse qu’un étudiant donne lors d’un examen, dans le discours de l’homme politique dans le Parlement. N’importe son amplitude ou le domaine où elle se manifeste, l’argumentation est une démarche orientée vers l’autre. Elle a un destinataire qu’elle essaie de convaincre: l’argumentation du journal vise à convaincre les lecteurs du journal, celle du débat télévisé est adressée aux téléspectateurs, l’étudiant argumente pour convaincre le professeur (et aussi peut-être ses collègues), l’homme politique fait pareil pour convaincre ses confrères de la Chambre. Cette caractéristique de l’argumentation – le fait d’être un acte discursif orienté vers l’interlocuteur – exprime aussi la différence entre argumentation et raisonnement; les deux fondent une thèse pour en prouver le caractère vrai ou faux, mais, alors que le raisonnement fonde la thèse pour en prouver le caractère vrai ou faux, l’argumentation fonde la thèse pour montrer à l’interlocuteur qu’elle est vraie ou fausse.

Comment l’argumentation est-elle possible ?

La question, qui fait penser immédiatement aux interrogations kantiennes, n’est pas une formule rhétorique qui s’imposerait par son rapprochement à une autorité de la pensée philosophique, mais un réflexe de la nécessité de fondement critique.  C’est un impératif invoqué par Kant dans sa Critique de la raison pure et que le philosophe a explicité, à l’intention de ceux qui ne l’avaient pas compris dès la première lecture, dans Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourrait se présenter comme science, impératif imposé au XX-ème siècle par Husserl dans La philosophie comme science rigoureuse. Tout comme, pour Kant, la réponse à la question si la connaissance est possible était affirmative sans aucune hésitation, vu les résultats de la pratique cognitive, la possibilité de l’argumentation nous paraît prouvée par les pratiques argumentatives qui nous accompagnent à tout moment4. C’est aussi là que commencent les difficultés: comment l’argumentation est-elle possible?

Prenons pour point de départ une observation élémentaire: l’argumentation est une relation entre deux pôles: celui qui argumente (on va l’appeler, assez mal trouvé, peut-être, le locuteur) et celui pour qui on argumente (appelé l’interlocuteur du premier). L’argumentation du journal est une relation entre l’auteur du texte journalistique et ses lecteurs (avec chacun des possibles lecteurs, l’auteur a une relation spéciale, différente d’avec celle qu’il a avec les autres); l’argumentation du débat télévisé est une double relation: entre les participants au débat, chacun d’eux avec chacun des autres, mais aussi entre chaque participant au débat et les possibles récepteurs de l’émission télévisée (ici, la relation entre les participants au débat est interchangeable: chacun peut se retrouver dans une des situations possibles: il sera soit celui qui argumente, soit celui pour qui on argumente); l’argumentation qui se concrétise dans la réponse que l’étudiant donne à l’examen est une relation entre l’étudiant (en tant que locuteur) et le professeur (en tant qu’interlocuteur, pour lequel on argumente); enfin, l’argumentation de l’homme politique (en tant qu’individu qui argumente) et les membres du Parlement (en tant qu’individus pour lesquels on argumente).

L’individu qui argumente (le locuteur) est l’initiateur de l’acte argumentatif (au moment où il démarre l’argumentation). C’est lui qui propose la thèse de l’argumentation et qui apporte les preuves pour la soutenir (observons que, dans la quasi-majorité des cas, l’initiateur de l’argumentation est celui qui soutient la thèse soumise au débat critique). L’individu pour qui on argumente (l’interlocuteur, le destinataire de l’argumentation) est celui pour lequel la thèse est soit indifférente (l’individu n’est ni pour, ni contre la thèse soumise au débat), soit réfutable (l’individu est contre la thèse). Il n’y a que ces deux situations où l’on ait assez de raisons pour déclancher une intervention argumentative. Si le destinataire de l’argumentation était convaincu de la vérité de la thèse soutenue par le locuteur, alors l’argumentation serait superflue, vu que son but serait atteint ab initio. On peut donc en conclure en disant que l’argumentation est une relation entre un locuteur (celui qui argumente) et un destinataire (celui pour qui on argumente).

La relation d’argumentation entre le locuteur et le destinataire se manifeste en un certain domaine. On peut argumenter à l’intention de quelqu’un une thèse du domaine politique, une autre du domaine économique, ou philosophique, ou religieux etc. Il est difficile de croire qu’il y aurait des participants à une relation dialogique d’argumentation qui soient capables de produire des preuves dans tous les domaines. Sans doute, le domaine met son empreinte sur la structure de l’argumentation. D’abord, le fait que l’argumentation suppose l’emplacement du locuteur et de l’interlocuteur dans un certain domaine implique l’existence d’un minimum de compétence des deux dans le domaine en question. L’argumentation peut se dérouler avec un minimum de compétence, mais l’amplitude, la profondeur et l’ingéniosité d’une telle démarche dépend du niveau de compétence des participants dans le domaine. Plus le niveau de compétence est haut, plus la performance argumentative a des chances d’être accrue. Ce niveau de compétence a été nommé par Bochenski autorité épistémique.

Si l’argumentation est une relation entre un locuteur (celui qui argumente) et un destinataire (celui pour qui on argumente), alors elle peut être analysée à travers le prisme de la logique des relations. Il y a pas mal de points sur l’analyse desquels se fonde la détermination de la spécificité de ce système de logique, mais nous voulons nous arrêter ici sur les propriétés des relations, vu que ces propriétés expliquent la dynamique et l’amplitude d’une relation. Essayons d’expliquer comment ces propriétés fonctionnent lorsqu’on les applique à la relation d’argumentation. On va noter de (A) le pôle représentant le locuteur (celui qui argumente), de (B) le pôle représentant le destinataire (celui pour qui on argumente), de (D) le pôle représentant le domaine (le champ cognitif ou sont placées les preuves et la thèse de l’argumentation) et de (R) la relation d’argumentation (celle de prouver, de fonder).

Première question: est-il possible d’avoir dans la position de B (le destinataire, vu comme différent de A) toujours A? Reprenons la question, de façon plus explicite: est-il possible de voir celui qui argumente convoquer des preuves, apporter des arguments pour se convaincre soi-même quant à la vérité ou à la fausseté d’une thèse? Réponse: oui, mais non pas dans l’absolu, seulement de manière contextuelle. Parfois, en fonction du contexte, celui qui argumente le fait pour se convaincre soi-même. D’habitude, ce genre de  relations  de  fondamentation exprime un dialogue intérieur, une attitude critique vis-à-vis des idées que le locuteur a d’une thèse, une soumission de cette thèse à l’épreuve de sa propre évaluation critique. C’est la raison de voir dans ces cas des argumentations individuelles, personnalisées et c’est aussi pourquoi elles restent inconnues à l’auditoire ou à l’interlocuteur. Le locuteur voudra porter les preuves à la connaissance des autres seulement si elles sont claires et alors l’argumentation devient publique. D’ où ce préjugé assez rependu qu’il n’y a pas d’argumentations de ce type. Mettre sous le signe du doute les affirmations du professeur – sur la base de certains arguments – est, pour l’élève, au premier abord, une argumentation pour soi-même. Parfois il arrive qu’elle reste à ce niveau à jamais, et le professeur n’arrivera jamais à connaître les preuves du doute de son élève si celui-ci ne les considère pas assez fortes pour être convaincu qu’il a raison. Sauf le cas où il arrive à se convaincre soi-même de la force de ses preuves, l’élève ne fera connaître ses arguments à son professeur, et donc ceux-ci n’entreront pas dans le circuit public.

On est là dans le périmètre d’action de la propriété nommée la réflexivité de la relation d’argumentation. Des analyses présentées, il résulte que la relation d’argumentation est non réflexive (il arrive parfois que celui qui argumente soit aussi celui pour qui on argumente, et d’autres fois non). Si l’on avait toujours cette situation, alors l’argumentation serait considérée comme réflexive. Mais on constate que, dans la réalité, les choses ne se passent pas comme ça: l’homme politique argumente d’abord pour quelqu’un d’autre, avant d’argumenter pour soi-même dans le but de se convaincre (souvent, cela n’est même pas nécessaire dans l’argumentation du domaine politique: ce n’est pas moral, mais c’est comme ça!); l’avocat argumente d’abord pour la Cour (souvent lui-même il n’est pas convaincu de la vérité de la thèse qu’il soutient). Si l’argumentation était une relation réflexive, ce serait comme si elle ne pouvait sortir de sous l’incidence de celui qui la produit! Enfin, si celui qui argumente ne pouvait jamais le faire pour soi-même (dans le sens d’être aussi le destinataire de l’argumentation), alors l’argumentation pourrait être considérée comme relation irréflexive. Mais nous avons montré qu’on peut parfois argumenter pour soi-même.

En revenant au fait que l’argumentation est une relation non réflexive, on se demande ce que cela peut signifier pour la manifestation concrète d’une intervention argumentative. Eh bien, cela exprime un fait relevant, le fait qu’il y a des argumentations dont la fondamentation est réelle (ces argumentations où celui qui propose l’argumentation est convaincu lui-même, à la base des preuves, de la vérité ou de la fausseté de la thèse), mais qu’il y a aussi des argumentations où la fondamentation est apparente (celles où celui qui propose la thèse n’est lui-même pas convaincu de la vérité ou de la fausseté de la thèse qu’il soutient ou qu’il réfute). Le rapport entre l’argumentation réelle et l’argumentation apparente diffère en fonction du domaine de l’argumentation. L’argumentation dans les sciences, par exemple, est, dans la quasi-majorité des cas, une argumentation réelle: celui qui argumente une thèse scientifique doit être lui-même convaincu de la vérité de celle-ci (il y a, dans le domaine des sciences, des exemples d’imposteurs célèbres, mais ce ne sont que l’exception confirmant la règle). Dans le domaine politique c’est l’argumentation apparente qui aura le plus de poids: prenons pour exemple Goebbels, qui faisait une propagande éhontée quant aux perspectives que les Allemands avaient de gagner la guerre, même alors qu’une partie de leur territoire était occupée par les Alliés; eh bien, Goebbels n’était certainement pas convaincu de ce qu’il soutenait. Ou encore, lorsque la propagande communiste argumentait en faveur de l’idée que la société capitaliste se trouvait au bord du gouffre alors que le socialisme triomphait, les créateurs de cette propagande n’étaient eux non plus convaincus – dans la plupart des cas – de ce qu’ils soutenaient.

Une deuxième question: est-il possible de voir, dans une situation d’argumentation, A (celui qui argumente) prendre la place de B (celui pour qui on argumente) et B prendre la place de A? Pour reprendre, de façon plus explicite: est-il possible que les participants à une relation d’argumentation changent entre eux les fonctions argumentatives, dans le sens que chacun soit, à tour de rôle, dans la position de celui qui argumente et dans la position de celui pour qui on argumente? Parfois il est possible que A pose une thèse, qu’il argumente en faveur de cette thèse et que B analyse ces arguments et constate qu’ils ne sont pas assez forts pour soutenir la thèse. Dans ce cas, B réfute les arguments de A et propose à ce dernier d’autres arguments par le biais desquels il tente de convaincre son interlocuteur de la nécessité de réfuter la thèse. L’argumentation se déploie, dans ce cas, en deux temps: A argumente pour B; B argumente pour A:

A Image1   B;   B   Image2   A

Ce genre de situation peut se présenter dans deux contextes: si B soutient la thèse soutenue par A (cas où B pense que les arguments apportés par A ne suffisent pas et il en apporte d’autres qui lui paraissent plus forts, mais toujours en faveur de la thèse, qu’il considère vraie), et aussi au cas où B réfute la thèse soutenue par A (lorsque B considère insuffisants les arguments apportés par A, et en plus il pense que la thèse ne peut être soutenue et doit être réfutée, raison pour laquelle il présente des arguments en faveur de la réfutation). On est là sous l’empire de la propriété de symétrie de la relation d’argumentation. Au cas où, comme nous l’avons vu, les participants à une relation d’argumentation peuvent interchanger leurs places, mais cela seulement parfois, on dit que l’argumentation est une relation non symétrique. Si l’on avait toujours interchangement de places, la relation d’argumentation serait symétrique. Mais il n’est pas rare de voir que les individus gardent leurs rôles à travers toute une relation d’argumentation: l’argumentation déployée en classe, devant les élèves, les discours des hommes politiques devant les masses. D’autre part, si les rôles ne pouvaient jamais être interchangés, alors l’argumentation serait une relation asymétrique, mais il est facile à observer que cela n’arrive jamais en réalité

Qu’est-ce que le caractère non symétrique de l’argumentation exprime-t-il? Il exprime le fait qu’il y a des argumentations polémiques où les rôles changent incessamment et où chacun des participants apporte des preuves en faveur de ses propres points de vue) et qu’il y a des argumentations oratoires (où le locuteur argumente tandis que le destinataire reçoit l’argumentation sans avoir la possibilité de réagir à travers le déroulement de la situation d’argumentation). Ces deux types d’argumentation sont distribués de façon différente en fonction du domaine où se manifeste l’argumentation. Il nous semble, par exemple, que, dans le discours religieux, l’argumentation oratoire a le dessus par rapport à celle polémique, alors que, dans le discours philosophique ou dans le discours politique, l’argumentation polémique a une présence beaucoup plus prégnante. Evidemment, les distinctions ci-dessus, aussi que tout ce qu’on vient de préciser à propos d’elles ne fonctionnent que dans la mesure où l’on a en vue la tonalité dominante de l’argumentation: ce n’est que du point de vue de la tonalité dominante qu’on peut parler de la distinction entre les argumentations réelles et les argumentations apparentes, ou celle entre les argumentations polémiques et les argumentations oratoires. En dehors de cette précaution, des objections peuvent exister: toute argumentation contient – implicitement ou explicitement – une intention polémique.

Troisième question: est-il possible de voir une même relation d’argumentation être transférée de ses deux pôles à un troisième par le moyennement d’un des deux? Soyons explicite: si A se trouve en relation d’argumentation avec B concernant une thèse (T) du domaine (D), et B est en relation d’argumentation avec C sur la même thèse (T) du domaine (D), peut-on en conclure que A est en relation d’argumentation avec C sur la thèse (T) du domaine (D)? Regardons de plus près! Si A argumente pour B la thèse T du domaine D, alors il va apporter des preuves en faveur de la thèse T. Si, ce faisant, il amène B à être convaincu de la vérité de la thèse T, alors cette conviction s’est installée exclusivement sur la base des preuves administrées par A (puisque B n’avait, tout seul, aucune preuve concernant la thèse T). A partir de là, B se retrouve dans la situation de convaincre C quant à la vérité de la thèse T, et il ne saurait y aboutir qu’à l’aide des preuves que A lui avait administrées pour le convaincre de la vérité de la thèse T. Si, à l’aide de ces preuves, C finit par être convaincu par B, alors, en fait, C est convaincu par A, car les preuves que B lui a administrées sont les preuves de A.

On est là dans l’espace de la transitivité de la relation d’argumentation. Si les choses se passaient comme nous venons de les décrire, alors on pourrait en déduire que toujours lorsque A est en relation d’argumentation avec B et que B est en relation d’argumentation avec C on peut affirmer sans aucune crainte que A est en relation d’argumentation avec C. On dit de l’argumentation qu’elle est transitive. Remarquons quand même qu’il y a deux restrictions quant à l’affirmation de la transitivité de la relation d’argumentation: l’identité de la thèse de l’argumentation et l’identité du domaine de l’argumentation. Le transfert de la relation d’argumentation est possible si et seulement si l’argumentation se fait sur la même thèse. Autrement dit, les preuves se transfèrent de A à B et de B à C seulement s’il s’agit de soutenir ou de réfuter la même thèse. Si B argumente pour C sur une autre thèse, il le fait avec des arguments qui n’ont rien affaire avec A et, dans ce cas, ce dernier ne peut entrer en relation d’argumentation avec C. D’autre part, la relation d’argumentation ne se transfère que si le domaine de la thèse est et reste le même pour A et B, les initiateurs des situations d’argumentation. Ça tient au sens commun de pouvoir constater qu’il y a des thèses appartenant à des domaines différents et que, dans chaque domaine, les preuves en faveur de ses thèses sont différentes. Prenons pour exemple la thèse “Le monde est infini”. Elle peut être argumentée en Philosophie, en Science et en Religion, et on aura pour chacun de ces domaines des preuves relativement différentes. Or, si A argumente cette thèse pour B avec des preuves du domaine de la Science, et B argumente cette même thèse pour C avec des arguments du domaine de la Religion, alors il n’y aura plus de transfert de preuves de A à B et donc il n’y aura plus de relation d’argumentation de A à C. Si on n’avait que parfois transfert de preuves, alors l’argumentation serait considérée une relation non transitive, et si ce transfert ne se réaliserait jamais, elle serait une relation intransitive.

Le caractère transitif de l’argumentation exprime le fondement logique de ce que l’on pourrait nommer délégation de l’argumentation (ou argumentation médiée). Le caractère transitif de l’argumentation porte à notre attention une situation inédite, mais très intéressante pour le destin et la finalité de l’acte argumentatif: dans leur quasi-majorité, les argumentations auxquelles nous assistons ou que nous proposons sont des argumentations médiées et il n’y a que très peu d’entre elles qui soient des argumentations directes. Quand le professeur de philosophie argumente le problème de la chose en soi chez Kant, il ne fait que médier pour ses élèves l’argumentation directe proposée par Kant dans sa Critique de la raison pure. On va être en présence d’une argumentation directe (et, donc, en dialogue argumentatif avec Kant) seulement en lisant les passages sur “la chose en soi” dans la Critique de la raison pure. La médiation est possible seulement à cause de la transitivité de la relation d’argumentation et c’est en y prenant appui que l’on peut déléguer la compétence argumentative de Kant au professeur de philosophie, qui devient, par là, autorité épistémique dans le domaine Kant. Réfléchissons-y! Combien de fois nous retrouvons-nous, dans la vie quotidienne, devant des argumentations directes, et combien de fois avons-nous affaire à des argumentations médiées?! Mais, ces dernières comportent aussi un inconvénient: chacune d’elles exprime, en fait, la manière personnelle de chaque délégué de comprendre l’argumentation directe! De là, plein de confusions, d’exagérations. Mais, en dehors de ces délégations de compétence argumentative, l’argumentation est impossible!

Donc, à la question “Comment l’argumentation est-elle possible?”, on peut répondre en prenant pour base l’analyse de la démarche argumentative faite à l’aide de la grille interprétative de la logique des relations, et on dira: l’argumentation est possible en tant qu’argumentation réelle ou argumentation apparente, en tant qu’argumentation polémique ou argumentation oratoire, en tant qu’argumentation directe ou argumentation médiée. Nous pensons que ces instanciations de l’argumentation (réelles et apparentes, polémiques et oratoires, directes et médiées) couvrent certainement la plupart – si c’est pas la totalité – des problèmes les plus importants de la situation d’argumentation que se proposerait d’expliquer une théorie intégratrice de l’argumentation.

La double intention de l’argumentation

Imaginons quelques situations, de celles que l’on rencontre le plus souvent. L’homme politique propose au Parlement un projet législatif. Il monte à la tribune et il apporte des arguments en faveur d’un vote pour ce projet: il présente les motifs qui font qu’une telle loi est nécessaire, les domaines dans lesquels elle pourra être appliquée, les résultats positifs qu’on pourrait obtenir de son application. Il descend de la tribune, confiant, supposant que les autres sont d’accord avec lui. Tout de suite, c’est un représentant de l’opposition qui prend sa place. Parlant du même projet législatif, celui-ci apporte des preuves d’où l’on conclut que le projet en question ne doit pas être accepté: il trouve des erreurs dans la construction de la loi, il met en relief le fait que la loi donnerait lieu à des discriminations au sein de la population, il remarque que l’application de cette loi porterait à la dégradation de certains domaines de la vie sociale.

L’écrivain X, auteur prolifique de romans sur le quotidien, vient de sortir un nouveau titre. Naturellement, il attend les réactions de la critique littéraire, en caressant l’espoir que ça va être en faveur de son livre. Dans une revue littéraire, le critique Y se laisse aller en éloges: le livre présente des personnages typiques, l’action est bien construite, il y a du grand art dans les approches psychologiques, on peut y découvrir avec délices une subtile tension idéatique au-delà des descriptions des évènements, etc. La conclusion: nouvelle parution remarquable et nouveau fondement pour la gloire de X. Dans une autre revue littéraire, le critique Z est moins aimable: il y découvre une inspiration trop étroite et non avouée d’un auteur classique, un style lourd et trop précieux – ce qui rend la lecture difficile –, assez  de lieux communs déjà connus des écrits antérieurs du même auteur. La conclusion: le roman ne dépasse pas la sphère d’une médiocrité précieuse et souvent agaçante, et ceci ne doit pas être passé sous silence.

Il y a de tels exemples dans tous les domaines: en philosophie, en politique, en économie, dans la vie culturelle, en journalisme, etc. Dans chaque cas, les participants à la relation argumentative fondent la même thèse: le projet législatif proposé au vote (le cas de l’homme politique et de son opposant) ou la valeur du roman de l’écrivain X, récemment paru dans les librairies (le cas du critique Y et du critique Z). Ce qui oppose les deux participants (dans chacun des deux cas) c’est la position (l’attitude) par rapport à la thèse: un d’eux apporte des arguments en faveur de la thèse, l’autre apporte des arguments contre la thèse. Le premier occupe la position de soutenancede la thèse, tandis que le deuxième occupe la position de réfutation de la thèse. Ces positions différentes qu’ont les participants à une relation argumentative par rapport à la thèse sont identifiables en d’autres situations aussi: dans les débats télévisées, dans les situations de confrontation des tribunaux entre l’accusation et la défense, dans les procès littéraires mis en scène par des professeurs de littérature comme méthode d’enseignement et dans différentes situations qui peuvent surgir dans les relations internationales.

On pourrait donc en conclure que l’argumentation, en tant que acte de fondamentation d’une thèse à l’aide de raisonnements, comporte deux dimensions: la soutenance et la réfutation. Aristote déjà avait mis en évidence cette double intentionnalité de toute argumentation: “Le but de notre traité est de trouver une méthode qui nous permette d’argumenter sur n’importe quel problème proposé, à partir de propositions probables et qui nous évite de tomber en contradiction lorsqu’on doit protéger une argumentation” (Les Topiques, I,I,100a). Prenons un fragment de Creangă5:

“- Tiens, mon frère, ce qui te revient, et va en faire ce que bon te plaira. Tu as eu deux pains entiers, tu as droit à deux francs. Moi, je vais en garder trois, vu que j’ai eu trois pains entiers. Et ils étaient aussi grands que les tiens, comme tu le sais.

- Comment ça? dit l’autre dédaigneusement: pourquoi deux francs seulement et non pas deux et demie, comme partie égale pour chacun?”

Le premier des pèlerins soutient et argumente une thèse (L’étranger te doit deux francs), tandis que le deuxième réfute la thèse de son interlocuteur et argumente une thèse opposée (“L’étranger me doit deux francs et demie”).

Si un interlocuteur soutient la thèse de l’argumentation et l’autre la réfute, l’argumentation a un caractère polémique. L’intention polémique – caractéristique pour toute argumentation – peut ne pas se manifester concrètement. Supposons qu’un professeur argumente une thèse devant l’élève. Ce dernier ne réfute pas la thèse argumentée. L’intention polémique de l’argumentation ne se manifeste pas concrètement. Si l’élève apporte des arguments contre la thèse, alors le caractère polémique se fait sentir la présence. Si tous les membres du Parlement étaient d’accord avec les arguments apportés par l’homme politique dans le sens de soutenir le projet législatif, alors l’intention polémique ne se matérialiserait pas; si tous les critiques étaient favorables au roman de l’écrivain X, alors toute polémique sur ce sujet serait éteinte; si tous les philosophes étaient d’accord sur les problèmes fondamentaux de leur démarche réflexive, alors l’humanité n’aurait plus eu tous ces siècles et ces millénaires de disputes philosophiques qui durent encore et qui se manifestent de nos jours aussi avec assez d’intensité. Pour la plupart des cas, l’argumentation se manifeste sous forme de confrontation entre des arguments favorables (soutenances) et des arguments défavorables (réfutations). En rapport avec la force de fondation de ces arguments, la thèse sera acceptée ou non. Cette confrontation entre les arguments de la soutenance et les arguments de la réfutation d’une thèse constitue un des cadres les plus favorables pour la découverte et l’institution de la vérité. C’est, en fait, le pari que Socrate a gagné, tel qu’on le découvre dans les dialogues de Platon.

La présence réelle de ces deux dimensions de l’argumentation est la source du caractère polémique de cette démarche discursive. Le caractère polémique déclaré entraîne certaines influences sur la manifestation, la structuration et la finalité de la relation d’argumentation. D’abord, le caractère polémique assure l’autocensure de la démarche argumentative pour chacune des parties engagées dans cette relation dialogique. Avec cette appréhension du fait que l’adversaire guette les éventuelles erreurs d’argumentation de l’autre, l’inconsistance des preuves, une organisation défectueuses de celles-ci, dans le but de réfuter la thèse de l’autre ou les objections à sa thèse, chaque partie impliquée fera beaucoup plus d’attention et sera beaucoup plus circonspecte quant à ses propres arguments et quant à la critique à laquelle ceux-ci sont soumis lorsque l’argumentation est oratoire et donc il n’y a pas à faire face – du moins, pas directement – aux objections de l’auditoire. Cela aussi parce que, dans une argumentation polémique, c’est le principe de la liberté maximale qui agit: chacun des participants à la relation d’argumentation peut critiquer n’importe quel point de vue proposé par l’autre, qu’il soit proposé comme thèse de l’argumentation ou comme preuve appelée à soutenir la thèse. Dans ces conditions, l’attitude critique est beaucoup plus prégnante chez chacune des parties impliquées, ce qui est un grand plus pour ce qui est de la correctitude et l’efficacité de l’argumentation.

En deuxième lieu, le caractère polémique assure la dimension spectaculaire d’une argumentation. En fin de compte, l’argumentation est et le sera toujours une “mise en scène” de la situation discursive où, même si les arguments restent ce qui compte le plus, on ne saurait ignorer la partie “spectacle”. Surtout lorsque les polémiques ont le support des moyes de communication de masse (la télévision, en premier lieu) qui assurent une relation directe entre la situation d’argumentation et un public largement plus nombreux que ce qu’on a d’habitude. Les débats politiques (surtout en temps de campagne électorale) sont sans doute des spectacles, où la “mise en scène” semble avoir le dessus par rapport à la production d’arguments. En pareilles situations, les arguments arrivent souvent à pâlir devant des mises en scène de grandes dimensions, capables de rivaliser avec les spectacles hollywoodiens, et où sont convoqués tous les stars qui pourraient apporter un vote de plus !6. Même si ce n’est pas au même niveau que dans le cas des débats politiques, les polémiques littéraires ont, elles-aussi, une dimension spectacle, et les débats des tribunaux aussi.

Le caractère polémique de l’argumentation lui assure le statut de domaine du conflit, domaine de la lutte discursive entre adversaires. Il est vrai, c’est un conflit d’idées, d’arguments, mais il présente toutes les caractéristiques d’un véritable conflit7. Il ne faut pas oublier que, du point de vue étymologique, le terme “polémique” fait penser à la guerre (gr. polemos)8. Comme dans tout conflit, dans le domaine de l’argumentation polémique les résultats peuvent avoir des effets souvent dévastateurs pour l’individu. A la fin des débats argumentatifs des tribunaux, on peut avoir une des parties condamnées à mort, ou au moins au destin radicalement affecté. Les polémiques politiques peuvent avoir, elles-aussi, des fins dramatiques. Pierre Oléron nous rappelle l’exemple tragique du feu Pierre Bérégovoy, ancien premier ministre français. A leur tour, les polémiques littéraires peuvent changer à jamais la trajectoire d’un écrivain, etc. Dans tous ces cas, on a sans doute les situations indésirables où la parole tue9.

En quatrième lieu, l’argumentation polémique peut être vue comme le domaine du jeu que l’homme emploie souvent pour entrer en contact avec ses semblables. Jean Largeault le dit explicitement, même si c’est une théorie où la rationalité est quasi-présente:

„Argumenter fut d’abord un jeu. Dans les jeux l’homme s’intéresse aux stratégies gagnantes. Le vrai s’impose à la longue, même dans le monde des actions utilitaires. Lorsque le vrai n’est pas immédiatement présent sous forme d’intuition, on cherche des moyens sûrs qui permettent de l’atteindre par une voie détournée.  On remarqua bientôt que certains modes d’arguments conduisent tantôt à des conclusions vraies, tantôt à des conclusions fausses, et que d’autres, de points de départ vrais, aboutissent toujours à des conclusions vraies“ (Jean Largeault La Logique, PUF,Paris, 1993, p. 3).

L’argumentation est un “jeu de langage”, fait d’après toutes les normes et toutes les exigences du jeu à rôles: elle a les règles du jeu (l’obsession de ceux qui ont étudié l’argumentation a été, entre autres, celle d’en établir les règles), chaque participant doit obéir aux règles du jeu (un reproche fréquemment fait en argumentation vise l’écart par rapport aux objets de l’accord dans le déploiement d’une intervention argumentative), il y a, comme dans tout jeu, vainqueurs et vaincus (le vainqueur est celui qui, par les preuves présentées, arrive à convaincre son adversaire de renoncer à sa propre thèse et de soutenir celle qu’on lui propose par le biais de l’argumentation).

La nature de la thèse dans un débat public

Des conséquences importantes quant à la nature de la proposition pouvant jouer le rôle de thèse dans une argumentation dérivent de la mise en évidence de la double dimension de l’argumentation (en tant que soutenance et en tant que réfutation) aussi que de la mise en relief de l’effet immédiat de cette double dimension, c’est-à-dire le caractère polémique de l’argumentation. Si, dans sa manifestation pratique, l’argumentation engage, d’une part, des arguments soutenant une thèse et, de l’autre, des arguments qui la réfutent, on en déduit que toutes les propositions ne peuvent pas jouer le rôle de thèse dans une argumentation, mais seulement celles qui peuvent être soutenues ou réfutées, c’est-à-dire celles qui peuvent être déclarées vraies et fausses à la fois, sans crainte de se placer en contradiction.

Prenant pour base ce critère – cette qualité d’une proposition de pouvoir être déclarée ou bien vraie, ou bien fausse, mais en gardant la possibilité pour les deux options –, on constate donc qu’il y a des propositions qui ne pourraient jamais remplir la position de thèse d’une argumentation. Pourquoi? Parce qu’elles ne peuvent pas se soumettre à l’accès aléthique égal pour les deux situations (vrai ou faux) et donc ne peuvent pas assurer le cadre adéquat pour les soutenances et les réfutations, comme il se doit dans une argumentation.

Dans la classe des propositions universelles-vraies, on distingue deux catégories. Il y a des propositions qui sont toujours vraies, car porteuses d’une vérité logique (vérité formelle), dans le sens que leur vérité découle des lois de la structuration de la pensée rationnellement-correcte. La proposition :

Tout objet doit être inclus dans une classe d’objets,

est de ces propositions qui sont toujours vraies justement parce que la pensée humaine est tellement structurée qu’elle a tendance à ordonner tout objet dans une classe d’objets. C’est une proposition qu’on ne peut pas réfuter parce que tout le monde la prend tout naturellement pour une proposition vraie. Les exceptions, autant qu’on pourrait les imaginer, seraient le fruit soit du manque de connaissances, soit d’un fonctionnement altéré de la pensée. Prenons aussi la proposition:

Dehors il pleut ou il ne pleut pas.

C’est une proposition toujours vraie (loi logique: le principe du tiers exclu), une proposition qu’on ne peut pas réfuter, vu que, normalement, on la prend pour une proposition vraie. Ecoutons Wittgenstein qui disait que de telles propositions ne disent qu’une chose sur la réalité: rien! Elle ne dit rien sur la réalité car elles disent tout, c’est-à-dire qu’elles couvrent tous les mondes possibles. Or, si elles ne disent rien sur la réalité et que leur vérité est déduite, une fois pour toutes, par un simple calcul de vérité, alors il est évident qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’une argumentation, qui est, par excellence, un domaine de la pratique discursive réelle. En effet, en affirmant que “tout objet doit être inclus dans une classe d’objets” on ne dit rien sur la réalité de l’objet; de même, en disant “dehors il pleut ou il ne pleut pas” cette proposition n’a rien affaire avec la description de la réalité.

D’autres propositions sont considérées toujours vraies, non pas sur la base de critères logico-formels, mais sur la base de critères d’ordre matériel-contextuel. Elles sont porteuses d’une vérité matérielle. La proposition:

Napoléon fut vainqueur à Austerlitz

passe pour une proposition vraie sur des critères tenant aux faits matériels (on a constaté que les troupes de Napoléon ont écrasé les armées de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse; celles-ci se sont retirées, la paix a été demandée par la Russie, l’Autriche et la Prusse, tandis que les conditions de la paix furent décidées par la France; or tout ceci ce sont des signes de vainqueur). Une telle proposition n’est donc pas réfutée en général, car tout le monde la prend pour vraie en vertu des données historiques sur ce qui s’est passé à Austerlitz. Il y a une distinction fondamentale entre la nature du caractère vrai des propositions logiquement vraies et le caractère vrai des propositions matériellement vraies. Les premières sont vraies dans l’absolu, dans la terminologie de la logique moderne, dans tous les mondes possibles; les dernières le sont dans les cadres de référence pour lesquels on a déterminé la vérité des faits, et non pas dans tous les mondes possibles. La proposition “Napoléon fut vainqueur à Austerlitz” est vraie dans les conditions pour lesquelles on a en fait établi sa qualité de vraie: sur la base des documents existants sur la bataille d’Austerlitz (si, par réduction à l’absurde, on découvrait de nouveaux documents d’où il résulterait que Napoléon eût perdu la bataille d’Austerlitz, alors la proposition dont on parle serait considérée fausse), sur la base d’un sens commun du terme “vainqueur”, c’est-à-dire si celui qui anéantit les armées ennemies est considéré vainqueur (il se peut que dans un autre monde possible la règle du jeu soit différente!).

Une deuxième classe de propositions qui ne peuvent remplir le rôle de thèse d’une argumentation est la classe de propositions toujours fausses (les contradictions). Etant toujours fausses, naturellement, elles ne peuvent être soutenues par des interlocuteurs. Dans ce cas, il est impossible de réaliser la dimension de la soutenance. Pour ces propositions encore, on peut distinguer les deux groupes: le groupe des propositions logiquement fausses (leur fausseté découle du trépassement des lois de la pensée correcte) et le groupe des propositions matériellement fausses (leur fausseté découle d’analyses des faits contextuels). La proposition:

Dehors il pleut et il ne pleut pas

est une proposition logiquement fausse, vu qu’elle ignore un principe élémentaire de la pensée correcte (le principe de la non contradiction). La proposition:

Napoléon fut vainqueur à Trafalgar

est une proposition matériellement fausse, vu que sa fausseté est prouvée par le résultat de l’analyse des faits de la réalité. La remarque que nous avons faite sur la différence entre la nature de la vérité des propositions logiquement vraies et les propositions matériellement vraies maintient sa valabilité pour le rapport entre les propositions logiquement fausses et les propositions matériellement fausses.

Nous tenons à souligner le fait que si, par exemple, la proposition ”Napoléon fut vainqueur à Austerlitz” était soutenue comme thèse de l’argumentation d’un locuteur, et que son interlocuteur réfuterait cette thèse, ce serait comme si ce dernier soutenait la thèse “Napoléon ne fut pas vainqueur à Austerlitz” (vu qu’il n’y a pas de troisième possibilité). Par là, l’argumentation comporterait une contradiction: sont admises comme vraies les propositions “Napoléon fut vainqueur à Austerlitz” et “Napoléon ne fut pas vainqueur à Austerlitz”. Donc, il ne nous reste comme matériel pour la construction des thèses de l’argumentation que ces propositions qui peuvent être tantôt vraies, tantôt fausses. La proposition:

La vertu peut être connue

peut constituer sans problème la thèse d’une argumentation, vu qu’on peut présenter assez d’arguments pour sa soutenance et assez d’arguments pour sa réfutation, sans que notre pensée ressente de contradiction dans l’acte de l’argumentation. En règle générale, peuvent être assumées comme thèses de l’argumentation les propositions pour lesquelles on n’a pas déterminé une fois pour toutes qu’elles soient vraies ou fausses. C’est ce que Aristote appelle prémisses dialectiques.

Quelques conclusions

Il y a aujourd’hui une tendance évidente à actualiser les recherches fondamentales sur la discursivité performative : publicité, slogan, manipulation, persuasion, séduction. L’argumentation est une séquence significative de la performance discursive. Notre essai met en évidence au moins les aspects ci-dessous : (a) l’argumentation est une pratique de la rationalité qui a pour but l’altérité, le public en général ; (b) le cadre le plus fertile de la manifestation de l’argumentation est le débat public ; (c) il y a beaucoup de formes d’argumentation qui se retrouvent dans les débats publics : argumentations réelles ou argumentations apparentes, argumentations polémiques ou argumentations oratoires, argumentations directes ou argumentations médiées ; (d) toute argumentation est une intégralité de deux composantes : la soutenance d’une thèse et la réfutation d’une thèse ; (e) il y a une sélection des énoncés qui peuvent jouer le rôle d’une thèse dans un débat : seuls les énoncés également ouverts à l’interprétation aléthique peuvent remplir cette fonction.

1  Une pertinente analyse sur le rapport entre raisonnement et inférence à : Robert Blanché, Le raisonnement, Paris, PUF, 1973, pp. 11-33.

2  Gilbert Dispaux, La logique et le quotidien : une analyse dialogique des mécanismes de l’argumentation, Les Editions de Minuit, Paris, 1984.

3  Le pouvoir incontestable du mot avec le rôle d’argument a été souvent souligné: „In logic, an argument is a process of giving evidence – a process which, fortunately, is best pursued in a calmer state of mind“ (John Eric Nolt, Informal Logic. Possible Worlds and Imagination, New-York, McGraw-Hill Book Company, 1983, p. 1); „toute parole est tentative d’influence d’autrui“ (Alex Mucchielli, L’art d’influencer. Analyse des techniques de manipulation, Paris, Armand Colin, 2000, p. 7).

4  Nous voulons introduire ici un passage significatif de Cioran qui pourrait nous tempérer un peu en ce qui concerne cette obsession permanente de prouver: „A l’âge où, par inexpérience, on prend goût à la philosophie, je déciderai de faire une thèse comme tout le monde. Quel sujet choisir? J’en voulais un à la fois rebattu et insolite. Lorsque je crus l’avoir trouvé, je me hâtai de le communiquer à mon maître.

Que penseriez-vous d’une Théorie générale des larmes? Je me sens de taille à y travailler.

C’est possible, me dit-il, mais vous aurez fort à faire pour trouver une bibliographie.

Qu’à cela ne tienne. L’Histoire tout entière m’appuiera de son autorité, lui répondis-je d’un ton impertinence et de triomphe.

Mais comme, impatient, il me jetait un regard de dédain, je résolus sur le coup de tuer en moi le disciple“.

(Cioran, Syllogismes de l’amertume, Gallimard, Paris, 1952, p. 46)

5  Ecrivain roumain (1837 – 1889), représentant important de la littérature pour enfants.

6  Etats-Unis paraît être champion en ce sens en ayant à la disposition toutes les ressources: les stars de la musique et du film (Schwarzenegger, Barbra Streissand, etc) qui ont participé à de nombreuses campagnes électorales. Mais ni l’Europe n’est retenue de ce point de vue. Par exemple, pour la campagne de Jacques Chirac du 1988 ont travaillé: le commandant Cousteau, le volcanologue Haroun Tazieff, Pr. Léon Schwarzenberg (pour les problèmes de la société), Anne Sinclair, Patrick Sébastien, Bernard Pivot (pour les problèmes des médias), Philippe Noiret, Jean-Paul Belmondo, Robert Hossein (pour le spectacle) (Cf. Thierry Saussez, Nous sommes ici par la volonté des Médias, Paris, Editions Robert Laffont, 1990, p. 37). Si nous ajoutons que l’on parle aujourd’hui de plus en plus d’une argumentation publicitaire (Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion, Paris, Editions Nathan, 1997) ou des arguments du séducteur (Herman Parret, „Les arguments du séducteur“, in: L’argumentation, Mardaga, Liège, 1991, pp. 195-213), alors c’est clair que le monde du spectacle a pénétré le domaine de l’argumentation!

7  Investigations bien réalisées sur les débats publics dans les sociétés de l’Europe de l’Est à: Thomas Kane, „Public Argument and Civil Society: The Cold War Legacy as a Barrier to Deliberative Politics“, in: Argumentation. An International Journal on Reasoning, 15, Kluwer Academic Publishers, 2001, pp. 107-115;

8  Pierre Oléron, „Sur l’argumentation polémique“, in : Argumentation et rhétorique, II, Hermès, 16, Paris, 1995, CNRS Editions, pp. 15-27.

9  Une distinction intéressante entre les „disputes réelles“ („real disputes“: „A dispute is said to be real when one party believes that a certain statement is true while another party believes the statement is false. Real disputes arise when genuine differences of opinion exist regarding matters of fact“) et „disputes verbales“ („verbal disputes“: „Verbal disputes, on the other hand, occur when one party believes that a certain statement is true while another party believes that another statement is false. Rather than a difference of opinion over a single statement, there is a different view of what is at issue“) renvoie encore à l’agressivité du mot („the word aggression“) qui se trouve notamment dans les relations internationales (S. Morris Engel, „Verbal disputes“, in: With Good Reason. An Introduction to Informal Fallacies, New-York, St.Martin’s Press, 1976, pp. 30-33);

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W. Pareto

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