La question est-elle incongrue, voire provocante ? Peut-être. Pourtant, les dispositifs de la nouvelle « gouvernance académique » menacent de rendre les connaissances humanistes, dont la littérature est la matrice, inutiles et superflues. Car, nul doute : il existe une volonté techno-gestionnaire pour morceler les savoirs, privilégier les approches techniques et imposer une vision purement utilitariste des rapports de l’homme avec les autres hommes, de la nature physique avec la nature humaine.
Or, l’essentiel reste, croyons-nous, l’idée que l’homme est la mesure de toutes choses. En revanche, choisir le triste savoir de la pensée technologique, dévoyée par une volonté de puissance, est le résultat, de la progressive lobotomisation de l’âme chez l’homme moderne. C’est aussi, l’égarement dans le labyrinthe de la pure abstraction et la fabrication d’une réalité virtuelle pour un homo inhumanus.
Rarement, depuis Aristote, la célèbre formule du zoon politikon n’a été aussi fortement remise en question. La réhabiliter aujourd’hui signifie réaffirmer la nature ouverte, sociale et politique de l’homme. C’est le socle d’une certaine idée optimiste de la civilisation. Dans un univers clos, cette implosion vaut une explosion, d’autant que les effets sont dévastateurs et aussi sidérants dans un cas comme dans l’autre.
Que le dossier sur « littérature et politique » que nous incluons dans ce numéro puise contribuer autant que possible à la pérennité des valeurs altruistes humanistes, sans tomber dans le travers de croire qu’il suffit de croire pour avoir raison et que les autres ont tort. Seul le dialogue se révèle le moyen pour aboutir à une vérité commune, même hésitante, face à la fragmentation de la connaissance et à l’émiettement des idées.
Sachons que la littérature, ces lettrés dont la correspondance et la conversation ont fécondé un imaginaire humaniste, aujourd’hui n’influence plus que marginalement les sociétés modernes et la production du lien politico-culturel. Ce n’est nullement la fin du monde, mais la marginalisation d’une culture sui generis et la disparition de l’esprit dans l’évolution de l’espèce humaine.
Penser donc aux conséquences ultimes des « reformes universitaires » actuellement en cours est déjà une demande de prise de conscience indispensable. Mais n’oublions pas que le syndrome décrit n’est pas isolable du reste des enjeux culturels et politiques. Car les postures des autorités universitaires au moment présent passent par la négation de la culture et de la conception de l’homme comme un tout.
Rappelons que la littérature nous parle encore de la symbolique et de l’esthétique au sens de « création langagière», de la nature de l’être et de l’engagement sociétal de l’humanité.D’où son immense nécessité.
Voilà pourquoi notre revue n'évitera pas les questions polémiques ni les prises de position sur l’humain. C’est là une condition sine qua non pour éviter une lecture univoque du Cosmos.