N°2 / numéro 2 - Octobre 2002

La partie cachée de l'iceberg est aussi un iceberg

Esteve Freixa i Baqué

Résumé

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Si on demandait à n’importe qui de nous décrire ce que l’on peut voir dans le ciel, il nous répondrait probablement, tout comme vous, d’ailleurs : «le soleil, la lune et les étoiles ». En effet, apparemment, ce sont bien là les trois catégories d’objets célestes sur lesquels tout le monde s’accorderait. Pourtant, comme vous le savez, cette catégorisation est complètement erronée. Tout d’abord, le soleil n’est pas une catégorie en soi, car il n’est rien d’autre qu’une étoile (matinale, certes, mais une étoile tout de même) ; ensuite, parmi ce qu’on a appelé « étoiles » il y a, bien sûr, des étoiles, mais aussi des planètes (Vénus, Mars, etc.). Et on pourrait même rappeler que la lune n’est rien d’autre qu’un satellite qui tourne autour d’une planète, les planètes étant en quelque sorte les satellites du soleil, qui est une étoile comme les autres. Étoile et satellite pourraient donc, à la rigueur, suffire si on considérait la lune comme le satellite d’un satellite.

Bref, la simple catégorisation en trois éléments du début masque bien une réalité très différente, non directement accessible aux apparences, et qui demande une conceptualisation de l’univers bien plus élaborée (et adéquate) que celle générée par les simples apparences. On remarquera que le fait de savoir que le soleil est une étoile ne nous empêche pas de le voir comme le voient les personnes qui ne le savent pas ; ce qui a changé n’est pas la perception sensorielle de l’objet, mais sa conceptualisation.

L’exemple précédent constitue une illustration plus ou moins réussie de ce qu’on appelle l’erreur catégorielle, c’est-à-dire, un processus erroné d’attribution d’un élément à une catégorie.

Ce phénomène est courant non seulement dans la vie quotidienne mais également dans les jeunes sciences, à un moment de leur évolution où elles sont encore prisonnières des apparences, des théories du sens commun, et où les conceptualisations plus élaborées n’ont pas encore été générées.

Tel est le cas pour la psychologie, et le concept même de comportement en est un archétype (le concept d’esprit fournissant également un exemple de choix !).

En effet, l’idée que l’on se fait en général du comportement est aussi erronée que celle qui consiste à créer une catégorie spécifique pour le soleil alors qu’il appartient à la catégorie étoiles.

La conception traditionnelle du comportement suppose que celui-ci est constitué par le mouvement visible d’un être vivant ou d’une de ses parties. Ainsi, sauter une haie est un comportement, tout comme appuyer sur un bouton ou conduire une voiture. Mais réaliser un calcul «mental» : [(7 x 8) – 6] ½ = ?, est-il un comportement ? La réponse traditionnelle est, bien sûr, non. Le comportement sera l’annonce du résultat (100), mais pas le processus «mental» qui nous a permis de trouver ce résultat.

Dans cette optique, le comportement est le dernier maillon d’un processus initié, certes, par un stimulus (la question) mais dont l’essentiel se situe au niveau interne à l’organisme, «mental». Si une école psychologique, telle que le béhaviorisme, déclare n’avoir pour objet d’étude que le seul comportement (behavior = comportement), alors il semble se disqualifier de lui-même car, ne s’intéressant qu’au résultat, qu’au dernier maillon de la chaîne, il néglige la partie la plus importante, c’est-à-dire, les processus «mentaux» qui sont supposés être la cause de cette réponse et sans lesquels elle n’aurait jamais été possible. On dit alors du béhaviorisme qu’il constitue une approche basée sur le modèle de la « boîte noire ».

En effet, le béhaviorisme ne s’intéressant, dans cette perspective, qu’aux stimulus et aux réponses (le célèbre  schéma SR), il ne peut que, soit nier l’existence des processus «mentaux» qui se situent entre les deux (ce qui serait un aveu de mauvaise foi, car chacun peut constater aisément qu’avant de donner la réponse il lui a fallu un certain temps pendant lequel il a réalisé ce calcul «mental», temps proportionnel à la difficulté de l’opération), soit les mettre entre parenthèses en affirmant que, puisqu’ils se situent à l’intérieur de l’organisme, puisqu’ils ne constituent pas des phénomènes publics, accessibles à plusieurs observateurs, ils ne peuvent pas être abordés par la méthode expérimentale, c’est-à-dire, ils ne peuvent pas être étudiés scientifiquement. D’où la nécessité de concevoir l’organisme comme une «  boîte noire », opaque, ne laissant rien voir de ce qui se déroule en son intérieur, et de se rabattre sur les seuls phénomènes observables, les stimulus et les réponses.

Telle est, brièvement résumée, la conception que la plupart des gens se fait de l’approche béhavioriste. Et il faut reconnaître, par honnêteté intellectuelle, que certaines formes de béhaviorisme, les béhaviorismes méthodologique et philosophique, directement issus des ou assimilables aux courants opérationalistes (on ne peut aborder un objet d’études que si il a été correctement opérationnalisé, c’est-à-dire, traduit en une série d’opérations publiques et observables) et positivistes logiques ne sont pas très éloignés de cette conception et l’ont souvent, de ce fait, consolidée.

Si tel était le cas, il faudrait reconnaître que la position béhavioriste serait absurde, puisqu’elle reconnaîtrait volontiers que l’important n’est pas tant le comportement (dernier maillon) que les processus qui permettent de l’élaborer ; mais, puisque ceux-ci seraient inaccessibles à un observateur externe, il faudrait se rabattre, sous peine de retomber dans l’introspection (cette même introspection en réaction à laquelle le béhaviorisme s’était constitué), sur le comportement qui, bien que sans grand intérêt, a le mérite d’être public et susceptible éventuellement de nous donner quelques informations sur les processus «mentaux» qui lui ont donné naissance. C’est ainsi, en effet, que les psychologues cognitivistes conçoivent le comportement : peu ou pas intéressant en soi, mais constituant la seule voie d’accès acceptable (ils sont scientifiques, donc ils récusent l’introspection) pour essayer de comprendre les mécanismes de l’appareil (belle métaphore mécaniciste !) psychique, « mental », cognitif.

Mais tout ce qui précède est basé sur l’acceptation, comme allant de soi, de la définition de comportement en tant que mouvement musculaire visible, public, et, de façon complémentaire, du caractère «mental» des processus internes, privés, qui se mettent à l’œuvre en présence du stimulus afin d’élaborer la réponse adéquate. Or, ce que nous allons essayer de mettre en évidence est que cette dichotomie, «mental»-comportement, est incorrecte car issue d’une grossière erreur catégorielle.

Pour cela, nous allons nous appuyer sur la grammaire. En effet, celle-ci nous apprend que les verbes décrivent des actions, c’est-à-dire, des comportements. Nous avions pris tout à l’heure sauter une haie, appuyer sur un bouton ou conduire une voiture comme exemples de comportement, par rapport à calcul «mental», activité qui n’est pas considérée comme tel dans la vision traditionnelle des choses.

Mais calculer est tout autant un verbe que sauter, appuyer ou conduire. Donc, logiquement, s’il s’agit d’un verbe, cela traduit une action, c’est-à-dire, un comportement. Calculer est, par conséquent, un comportement à part entière.

Arrivés à ce point, nous croyons deviner la réaction, sceptique, du lecteur : « il s’agit d’un sophisme, d’un jeu de mots, d’une démonstration purement verbale, déclarative, sans aucun rapport avec la réalité, avec la véracité des choses».

En effet, non nous ne pensons pas nous en tenir à cette démonstration logique basée sur les définitions grammaticales pour étayer notre propos, bien que nous allions emprunter encore un argument à la linguistique, concrètement à l’étymologie. Auparavant, arrêtons-nous sur des aspects plus évidents concernant le calcul, non pas «mental» pour l’instant, mais « normal ».

Comment un enfant qui est en train d’apprendre à compter résout le problème : « combien font 3+2 ?» Il s’aide, tout simplement, des doigts pour « afficher » d’abord trois doigts, puis deux autres, les compter et, finalement, énoncer le résultat : «5».

En effet, les doigts sont les premières « béquilles » que l’on utilise dans l’apprentissage du calcul. Et c’est bien la raison pour laquelle notre système de numérotation et le système décimal, composé de dix éléments de base différents (0, 1, 2…9), ce qu’on appelle : compter en base 10. Pourquoi cette base plutôt que la base 2 (comme les ordinateurs), la 7 ou la 13 ? La réponse est évidente : parce que nous n’avons pas 2, 7, ou 13 doigts, mais 10.

Une preuve supplémentaire ? Vous avez de la chance ! C’est parce que vous êtes francophones que je pourrais vous la fournir ; avec des hispano-parlants, anglo-saxons, chinois ou arabes, bref, avec tout autre langue que le français, je ne pourrais pas.

Savez-vous avec quelle base comptaient « nos ancêtres les gaulois » ? Non ? Et bien, en base 20. Pourquoi 20 ? Parce qu’en plus des deux mains, nous avons deux pieds ! La base 20 offrait, en fait, le double de possibilités que la base 10. Et bien que le système décimal ait été introduit en France depuis des siècles et des siècles, il nous reste encore quelques traces de cette bonne vieille base 20. Savez-vous que vous êtes pratiquement les seuls au monde à mélanger, sans jamais vous en être aperçus jusqu’à dans quelques instants, quand je vous le ferai remarquer (vous avez déjà deviné, à la consonance de mon nom, que je ne suis pas un « français de souche »), a mélanger, disions nous, la base 10 et la base 20 ? Comment lisez-vous le nombre 50 ? En prononçant « cinquante». Et le nombre 60 ? En prononçant « soixante ». Bien ! Alors pourquoi ne pas lire le nombre 80 en prononçant, comme le voudrait la logique de la base de 10, «octante» ou «huitante» ? D’après vous, pourquoi dîtes-vous «quatre-vingts», qui est l’énoncé d’une opération mathématique (4 x 20) et non son résultat (80) ? Tout simplement parce que vous avez, en cours de route, changé allègrement de base et vous êtes revenus à la base 20 de vos ancêtres. Et oui ! C’est aussi simple que cela. Pour la même raison, vous comprendrez maintenant pourquoi il y a à Paris un hôpital, que vous connaissez peut-être, appelé l’Hôpital des Quinze-Vingts, dédié aux aveugles, et dont beaucoup de personnes se demandent si le nom ne provient pas de l’horaire des visites du public (entre 15 et 20 h) ! Il s’appelle ainsi parce que, à l’origine, il comportait 300 lits, c’est-à-dire, en base 20, 15 x 20. Étonnant, non ? (Sans parler de l’expression « onze-cents » pour dire 1100 !!!).

Tout ceci pour illustrer un phénomène bien connu :en phase d’apprentissage du calcul, on s’aide des éléments externes, à portée de main (si j’ose dire), dénombrables et manipulables à souhait (dans « manipulable» il y a mani, du latin manus-mani : main). Calculer est donc, au départ, un comportement manuel, manifeste, de comptage, avec la main, les doigts (de la main et/ou du pied etc.). Personne ne peut nier qu’une telle activité constitue bel et bien un comportement.

Mais, assez vite, les 10 ou les 20 doigts se sont avérées insuffisants  pour réaliser des calculs nécessitant plus de 10 ou de 20 éléments. On les remplaça donc par des petits objets, toujours aisément manipulables et dénombrables, tels que des osselets, des boules (qui ont donné les célèbres bouliers, encore en service dans la civilisation chinoise, par exemple), des cailloux… et nous y sommes ! Comment disait-on cailloux en latin : calcul (qui est arrivé jusqu’à nos jours dans l’expression : calcul rénal, ou calcul dans la vésicule biliaire). Étymologiquement, calculer vient donc du latin calculare et signifie bien «manipuler des cailloux dans un but de comptage ». Calculer est donc bel et bien un comportement, et plus seulement en vertu d’un simple raisonnement logique : c’est un verbe, donc c’est un comportement.

« Soit », me direz-vous. « Pour ce qui est de calculer de façon externe, visible, publique, manipulative, cela ne pose aucun problème. Il s’agit, sans conteste, d’un comportement. Mais cela ne prouve pas du tout que les processus «mentaux» qui se déroulent dans notre intérieur lorsque nous réalisons cette activité sans l’aide d’aucun élément externe manipulable soient aussi des comportements». Nous allons répondre à cette objection.

Pour cela, il faut encore franchir une étape : lâcher les béquilles. En effet, à force de répéter un comportement, on acquiert une maîtrise de plus en plus prononcée ; le comportement s’automatise et devient de moins en moins dépendant de son support manipulatoire. Le comportement peut alors être intériorisé, être émis sans avoir recours à sa composante motrice.

On voit bien ce processus avec l’apprentissage de la lecture. Tout d’abord, on lit à haute voix, en pointant du doigt le texte et en bougeant tous les muscles de l’appareil phonatoire. Puis, on peut se passer du pointage ; on arrive ensuite à lire « pour soi », sans émettre aucun son, mais on distingue encore un léger mouvement des lèvres, jusqu’à ce que tout mouvement disparaisse et que l’on en soit arrivé à la lecture silencieuse de l’adulte, à la lecture qu’on pourrait appeler « mentale ». C’est ce qui arrive avec notre exemple du calcul «mental». Devenus experts dans le calcul, nous pouvons l’effectuer intérieurement, « mentalement ». Mais, calculer, que ce soit manipulativement ou « mentalement », s’exprime toujours par un verbe, donc revêt toujours le statut de comportement. La seule différence entre les deux modalités porte sur leur caractère public versus privé, extérieur versus intérieur.

Il ne s’agit, en somme, que d’un simple problème d’accessibilité de la part d’autrui. Mais une différence d’accessibilité ne suffit pas à justifier une dichotomie aussi tranchée que comportement-processus «mentaux», phénomènes sensées appartenir à deux catégories radicalement différentes au point d’en considérer l’une comme étant la cause de l’autre. Une simple différence d’accessibilité à un phénomène n’a jamais eu le pouvoir de changer ni la nature ni le statut du phénomène en question, qui est tout à fait indépendant du fait que quelqu’un puisse y accéder plus ou moins facilement.

En d’autres termes, la différence d’accessibilité concerne l’observateur, pas le phénomène. Le phénomène est ce qu’il est indépendamment de son accessibilité, qui est une caractéristique dépendante de l’observateur. Un phénomène ne change pas dans son essence du fait des limitations perceptibles de l’observateur. Les infra- et ultra-sons, les infrarouges et les ultraviolets ne sont pas des phénomènes essentiellement différents des sons audibles et des couleurs perceptibles par l’être humain, du fait de leur non-perception par celui-ci. Ils peuvent d’ailleurs être perçus par d’autres espèces, ce qui prouve qu’ils n’ont rien de particulier en soi, c’est-à-dire, que leur inobservabilité humaine n’implique aucune nécessaire différence de statut (ontologique).

Créer des catégories différentes de phénomènes en fonction uniquement de leur accessibilité humaine constitue un acte d’un anthropocentrisme outrageant, hélas trop courant, mais sans aucune justification objective autre que le contentement de notre ego. C’est faire de l’être humain la mesure de toutes les choses, alors que les choses étaient comme cela bien avant notre apparition sur terre, continueront à l’être après notre éventuelle disparition, et se moquent éperdument, à juste titre, de la conception que nous nous en faisons.

Il existe donc des comportements visibles, que nous pouvons appeler manifestes, et des comportements cachés, de que nous pouvons appeler «mentaux». Mais ces deux types sont des comportements à part entière. Ne considérer comme comportement que les premiers, à cause de leur différence d’accessibilité, et créer ainsi une catégorie différente pour les seconds, en ajoutant, qui plus est, une relation causale entre les deux, constitue tout simplement une belle erreur de catégorisation. L’analogie suivante devrait finir de mettre cela en évidence, si jamais ce n’était pas encore tout à fait clair pour ceux qui ont suivi notre argumentation.

Il s’agit de l’analogie avec les icebergs. Un iceberg se définit par le fait qu’une masse de glace, dérivant sur l’océan, présente, en vertu des lois de la physique, une partie visible et une partie cachée (la partie visible et la partie cachée de l’iceberg, comme on dit couramment). Il ne viendrait à l’esprit de personne de considérer que l’objet iceberg se réfère seulement sa partie visible, sa partie cachée appartenant à une autre catégorie de phénomènes ; et encore moins de considérer que la partie cachée constitue « la cause » de la partie visible ! L’iceberg est l’ensemble, la somme de la partie visible et de la partie cachée, et le fait qu’il soit divisé en deux parties par la frontière de la ligne de flottaison n’a pas le pouvoir de générer deux phénomènes différents. De même, le comportement est l’ensemble, la somme de la partie manifeste et de la partie « mentale », et le fait qu’il soit divisé en deux par la frontière de la peau n’a pas le pouvoir de générer deux phénomènes différents.

Ainsi, l’ensemble des soi-disant fonctions « mentales », des soi-disant processus cognitifs1, loin d’être les causes du comportement, sont des comportements à part entière, comportements qui, avant d’avoir été intériorisés, «mentalisés», étaient bel et bien des comportements moteurs, manifestes. En d’autres termes, les processus «mentaux» ne font pas partie de l’explication, mais de ce qui doit être expliqué. Et c’est là que la vision traditionnelle, aussi bien du sens commun que des psychologues cognitivistes, se révèle incorrecte. En effet, en arrêtant la chaîne explicative du comportement au maillon du «mental» on a l’impression d’avoir fourni une explication, alors que le problème n’a fait que reculer d’un cran. Dire que l’écolier a pu répondre correctement à la question posée parce qu’il a effectué un calcul «mental» correct ne nous avance guère, car reste a expliquer pourquoi il a réalisé un calcul «mental» correct. L’explication cognitive, en coupant court, par un semblant de réponse satisfaisante, à la recherche de l’explication, arrête la chaîne causale à un maillon intermédiaire (intervenant, mais intermédiaire) et empêche la poursuite de l’établissement de la cause première, celle qui nous intéresse réellement.

Cela ressemble fort au raisonnement des enfants qui, à la question : « d’où viennent les poulets ? » répondent : « du supermarché », et qui, lorsqu’ils vous voient vous plaindre que vous n’avez pas assez d’argent pour vivre, vous proposent d’aller tout simplement en chercher aux distributeurs automatiques de votre banque. Ils ignorent que les poulets (fort heureusement !) ne sont pas produits par les supermarchés et que l’argent (hélas !) n’atterrit pas dans la banque si vous ne l’avez pas gagné par votre travail. Le supermarché et la banque sont des variables intermédiaires, pas des variables indépendantes (causes).

Arrêter l’explication du comportement manifeste à l’action du comportement caché équivaut à expliquer la partie visible de l’iceberg par sa partie submergée, en oubliant que les deux doivent être expliquées en termes de température, densité, etc. qui sont les véritables causes du phénomène que nous appelons iceberg. Dire que la lampe s’allume parce que l’on a manipulé l’interrupteur n’est pas faux, mais très incomplet, parce que cela ne nous explique pas pourquoi en manipulant l’interrupteur la lampe s’est allumée. L’explication complète (et, donc, correcte) renvoie à la notion d’électricité, de conduction, de flux interrompu ou non d’électrons, etc. Et c’est bien en cela que le courant béhavioriste s’oppose à l’école cognitiviste : dans son refus d’accorder un rôle primordial à l’échelon intermédiaire, interne, «mental», non pas parce que caché et donc inaccessible (boîte noire), mais parce qu’il ne constitue qu’un comportement comme le comportement manifeste qu’il est censé expliquer et que, à ce titre, il ne fait pas partie de l’explication mais bel et bien de ce qui doit être expliqué. Loin de se contenter donc de ces pseudo-explications de mi-parcours, entachées, qui plus est, d’erreurs catégorielles, le béhaviorisme se retourne vers  l’environnement, source ultime (ou première, tout dépend de comment on considère les choses) des comportements, aussi bien cachés que publics, selon une relation d’interaction qui n’a rien à voir avec le malheureusement célèbre schéma (unidirectionnel, mécaniste et réductionniste) stimulusréponse duquel les détracteurs du béhaviorisme ont toujours voulu enfermer, pour mieux le critiquer, le béhaviorisme. Mais cela serait une toute autre histoire…

1  Y compris penser, considéré comme étant le contraire d’agir, dérive étymologiquement d’un comportement : peser (évaluer ; tout comme idée, prototype du concept abstrait, «mental», qui dérive du grec «idea» (voir), plus explicite dans le mot latin « videre » (voir ; ou encore, qui dit mieux, théorie, considéré comme l’abstraction totale, puisque désignant une succession ordonnée d’éléments abstraits, provient du grec « théoria : procession ordonnée d’individus envoyés à une célébration religieuse ou oracle, où l’on retrouve l’aspect de succession d’éléments organisés, et qui s’emploie encore de nos jours, dans ce sens premier, dans une phrase, certes un peu désuète, comme : « une théorie de cardinaux s’avançait lentement vers le Pape… »

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Odile Camus

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