« Se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé une catastrophe. »
D. Winnicott
(1989, 160).« Il faut savoir se perdre pour un temps si l’on veut apprendre quelques chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes. »
F. Nietzche
Le gai savoir § 305.
La psychologie politique doit à quelques grands anciens d’avoir posé des réflexions de premier plan. Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie est une de ces œuvres majeures de la littérature occidentale au même titre que l’Eloge de la folie d’Erasme1. Ses enseignements méritent d’autant l’attention dans ce contexte contemporain où nous croyons travailler quotidiennement à notre libération par une succession d’émancipations. Il se pourrait bien qu’elles soient au final les conditions d’un asservissement, sous la forme d’une soumission volontaire aux délices de la servitude. Comment ne pas ici songer à la saisissante synthèse de La Fontaine lorsqu’il s’empare de ce sujet de la liberté et de la servitude consentie dans sa fable du loup et du chien2 ? La préférence pour le confort sacrifie cette liberté exigeante et ascétique du loup, ce dernier s’étonnant de ce collier de la servitude.
Nos sociétés contemporaines ont très vite postulé que nous aspirions à la liberté sans s’assurer qu’il en était effectivement ainsi. Elles ont alors exposé les bienfaits de la quête de cette liberté émancipant l’homme de toutes les servitudes : religieuses, politiques et économiques. Est-il nécessaire de rappeler les discours des révolutionnaires français, des anarchistes ou des marxistes invitant à la libération des chaines et des entraves qui étouffent l’épanouissement de l’humanité3 ? Seulement, ces œuvres de libération ont eu leurs revers par d’autres aliénations, voire des persécutions disciplinaires jugées libératoires par leurs auteurs quelque peu aveuglés par leur fin. C’est pourquoi la psychologie est précieuse. Elle éclaire les débats politiques et philosophiques, à l’instar de ce jeune La Boétie qui fit œuvre de philosophie et de psychologie, expliquant le goût d’une servitude et les enjeux du contr’Un. Que penser alors de la libération ?
1. La psychologie de l’histoire de la libération
L’aspiration à la libération accompagne la perception des obstacles qui limitent l’exercice de la liberté. L’histoire des libérations dans la pensée humaine permettra ici de saisir que l’homme a toujours aspiré à une transformation de sa nature dans l’espoir de se libérer du fardeau des limites de sa condition humaine perçue telle une prison.
La notion de libération existe dès les anciennes spiritualités orientales dont l’hindouisme. Se libérer a d’abord un sens mystique et ontologique. L’homme mesure l’écart entre ses aspirations et les imperfections de sa condition. Travailler à sa libération revient à faire fi de sa condition dans l’attente d’une sortie de cette prison corporelle. La relation à cette finitude physiologique et l’expression d’un idéal débarrassé de ces contraintes conduit à faire l’apologie d’une libération finale. La moksha est assez comparable au nirvana bouddhiste4. Dans ces traditions, certaines actions, connaissances et dévotions favorisent ce détachement. Celles-ci témoignent toutefois de l’ambivalence du terme. En effet, la libération suppose le respect des obligations de sa caste, la méditation ascétique révélant l’illusion du monde et la dévotion le respect inconditionnel des rites. Cette ambivalence existe dans le terme de nirvana qui évoque l’extinction par apaisement où se libérer signifie : abandonner les mirages de la vie terrestre.
Dans l’école pythagoricienne, les philosophes prolongent cette tradition d’une conception négative du corps. Il est un tombeau. Ce rapport négatif à la vie terrestre s’exprime dans l’aventure du coq pythagoricien. Il est ici question d’un dessaisissement dont les anciens relatent les pratiques dans la mise en dehors de soi. Erasme rappelle ce mythe de la transmigration des âmes dans l’école pythagoricienne. Il ironise sur cet homme cherchant en vain à se libérer de lui-même, sans l’expérience et la sagesse du coq : « Le fameux coq de Pythagore, qui après avoir été à lui seul philosophe, homme, femme, roi, particulier, poisson, cheval, grenouille, je crois même éponge, jugea qu’il n’y avait pas d’animal plus calamiteux que l’homme parce que tous se contentent des limites de leur nature, tandis que lui seul, il s’efforce de franchir les bornes de sa condition. » (2013, 155, § 34). L’homme cherche à quitter le territoire de sa propre condition charnelle. Sortir du corps libère en s’éloignant de cette condition aliénante et désespérante, indigne de l’esprit qui rêve d’autres destinées. Toutes ces pensées expriment avec constance le désir d’un autre lieu. Qu’il soit spirituel ou politique, ce changement de lieu est libératoire. A cet égard, la sémantique moderne qualifiera ces aspirations d’utopie, s’inspirant de l’u-topos de More, soit ce sans lieu d’un idéal politique. Cette transgression exige alors de trahir son humanité conditionnée pour faire advenir une humanité libérée de son premier territoire corporel5.
Dans la tradition platonicienne, cette libération utilise la purification où l’homme détourne ses désirs, se libérant de ses mouvements impurs. L’âme s’élève à la condition de s’éloigner du corps par la catharsis. Son élève, Aristote, quoique bien différent sur de nombreuses questions philosophiques, perpétue cette tradition d’une lutte contre les passions. Les instruments ne sont plus la dévotion mais la musique, la poésie et la tragédie. Elles ont la vertu de transporter l’âme hors d’elle-même et de l’apaiser de ses tourments6. La catharsis exprime cette purification philosophique autant que cette purgation du corps à nettoyer.
Ces traditions partagent cette quête libératoire de la prison corporelle, dénotant là une relation duale de l’homme à lui-même. Le corps est détestable dans ses injonctions, ses besoins, ses défaillances, ses imperfections et ses occupations. Il est à purifier afin qu’il rejoigne ses origines. Qu’ils s’agissent du Grand Tout des orientaux, du monde des nombres des pythagoriciens ou des idées platoniciennes, ils ont en commun cette conception d’une chair répréhensible dans ses humeurs.
Cette libération prend un autre relief chez les modernes. Elle est d’abord politique, faisant du combat contre les hétéronomies une fin en soi, au bénéfice d’une autonomie croissante propice à la libre expression des intentions et des désirs humains. La philosophie politique libérale lutte contre l’emprise de l’absolutisme monarchiste. Il est question de protection des droits fondamentaux et de défense des libertés individuelles. Elle promeut la liberté religieuse, la liberté politique, voire la liberté économique, sans oublier celle encore plus essentielle de la liberté d’action individuelle. Il est intéressant de s’attarder à sa genèse. Cette liberté d’action individuelle est d’abord naturelle pour les théologiens de la Renaissance. Ils la lient à la liberté première de la personne humaine. Elle s’affirme ainsi dès l’école de Salamanque où Vitoria théorise le « droit des gens » résultant du droit naturel de la théologie médiévale. Il inspire ses successeurs : les juristes anglais et français du XVIIe siècle7. Et son apologie des libertés se prolonge dans l’Etat de droit proposé par Locke ou dans la distinction des pouvoirs de Montesquieu jusqu’à l’expression tout à la fois très existentielle et très juridique du libéralisme individuel décrit par Maine de Biran8. Celui-ci expose avec précision l’anthropologie libérale. Il dit de l’homme qu’il est possesseur de lui-même, faisant de la propriété de soi un droit sans limite. En effet, affirmer le droit de propriété sur soi revient à appliquer le pouvoir du propriétaire qui se caractérise par l’usus et l’abusus, soit la liberté de se posséder et de se déposséder, donc de s’aliéner pour reprendre le terme juridique. Sa définition ouvre explicitement la voie à l’autodétermination et à l’expérimentation de toutes les libertés d’être selon sa seule volonté, ce que nous examinerons dans les œuvres de Strindberg et Bataille ultérieurement et qui sont au cœur de l’argumentation de la libre construction de soi.
Outre la tradition libérale, celle plus récente du socialisme affirme aussi ce droit à la liberté et à l’émancipation si bien présenté par la philosophe ukrainienne Dunayevskaya, collaboratrice de Trotsky. Elle décrit la liberté tel le pouvoir de s’auto-développer9. Rappelons que la libération chez Marx résulte de l’hominisation croissante par la production, celle-ci produisant l’homme en retour. La liberté s’exerce dans la maîtrise technique et politique et l’homme se transforme par la connaissance qui détermine ses pouvoirs successifs sur lui-même. L’histoire accomplit ce processus d’une transformation continue. A cet égard, les thèses récentes du transhumanisme contemporain prolongent cette représentation d’une nouvelle humanité s’auto-développant par sa production en recourant à la technique afin d’accomplir un projet d’une plus grande puissance émancipatrice10.
Cette histoire de la libération révèle un continuum psychologique saisissant où l’homme se rejette lui-même, n’acceptant pas les injonctions de son corps, poursuivant toujours ce but d’une mise en dehors de soi. S’abriter de son humanité, échapper à sa carnation et rêver d’une autre nature expriment ce refus constant de la condition humaine. Ainsi, la transmigration des âmes des pythagoriciens trouve aujourd’hui une nouvelle traduction dans les promesses de la transhumanité déplaçant la conscience dans quelques substrats informatiques.
Le psychologue pourrait considérer cette constance telle une sorte de haine du corps ou somatophobie11. Elle perdurerait sous les traits de ces représentations sociales : religieuses ou philosophiques. Elles le dénaturent, le fantasment et produisent une séparation propice à une déréliction sordide. Ce mépris millénaire exprimerait quelques tabous dont celui du refus de la vue de son propre corps. Il ne se dévoile pas et serait celui dont on n’a point d’image, hormis celles des représentations dont on l’affuble. Cette césure détournerait l’homme de lui-même. Le corps des autres existerait de même dans une représentation iconographique, agissant telle une norme. L’expérience du corps serait toujours l’apprentissage frustrant d’une réalité limitée dont les imperfections, les souffrances où les plaisirs trop fugaces sont autant de signes d’impuissances, de faiblesses et de limitation. La somatophobie serait une névrose obsessionnelle faisant du corps un étranger à fuir. Et les modernes auraient accentué ce rejet par le dualisme cartésien opposant l’âme au corps où ce dernier est mauvais, corrompu, trompeur dans ses perceptions. Cette philosophie magnifie la tradition orientale et antique en rejetant l’unité psychosomatique de la personne. Cette névrose occulte alors les fonctions organiques dans leur impureté. Cette répulsion induit des rites infinis dans toutes les traditions pour se libérer des souillures du corps.
Constatant les souffrances infligées par de telles conceptions, certains psychologues contemporains s’intéressent aux processus de somatisation qui témoignent d’un dérèglement du corps par des affections psychiques. Cette inversion de l’ordre des causes montre que l’esprit agit sur le corps. Rappelons ici Schultz inventant les premières méthodes de relaxation libérant des contractures et rigidifications résultant des tensions psychiques ; Groddeck père de la psychosomatique proposant des massages et autres soins du corps pour réunir l’esprit et son corps comme dans l’enfance ou encore Lowen inventant la bio-énergie qui renverse l’ancestrale opposition par l’affirmation de l’unité de l’homme12. A ce stade, ces psychologues soulignent cet écart entre ce qu’ils perçoivent, soit l’unité de l’homme, et cette séparation fondée sur une distinction spirituelle ou philosophique du somatique.
2. L’expérience aliénante de la libération
Cette libération spirituelle des traditions orientales s’apparente à une forme d’aliénation de soi en ceci que l’apaisement temporaire s’obtient par des exercices de maîtrise de soi. Prenons l’exemple du yoga. Il vise cette unité, ce repos ou s’arrête les turbulences de la vie par des techniques et des initiations où s’expérimente une émancipation progressive en vue d’un détachement ultime. L’expérience de la libération passe par la discipline. En cela, les pythagoriciens et les platoniciens continuent la tradition puisque les deux écoles promeuvent une éducation à la libération, soit l’acceptation de contraintes pleines de rectitudes dont la promesse est de mettre un terme à ces interactions du corps sur l’esprit. Chez les modernes, l’expérience de la libération met en œuvre une autre forme d’aliénation du corps pour s’émanciper de la condition humaine. Le corps de l’homme devient l’objet d’une série d’expériences jusqu’à la destruction de soi. Deux auteurs illustrent cet abus de propriété instillé dans la définition de Maine de Biran. La confirmation de cette libération aliénante des modernes passe par l’étude des œuvres littéraires de Bataille et Strindberg. D’autres dont Lautréamont ou Artaud ont les mêmes caractéristiques. Avec eux, la haine du corps devient la haine de soi et de la conscience de soi relayées par des exercices libératoires de son humanité ; et dont les rituels constituent une authentique discipline transgressive.
Bataille affiche dans La conjuration sacrée le mythe d’Acéphale : « L'homme a échappé à sa tête comme le condamné à sa prison. Il a trouvé au-delà de lui-même non Dieu qui est la prohibition du crime, mais un être qui ignore la prohibition. Au-delà de ce que je suis, je rencontre un être qui me fait rire parce qu'il est sans tête, qui m'emplit d'angoisse parce qu'il est fait d'innocence et de crime : il tient une arme de fer dans sa main gauche, des flammes semblables à un Sacré-Cœur dans sa main droite. Il réunit dans une même éruption la Naissance et la Mort. Il n'est plus un homme. Il n'est pas non plus un dieu. ». Bataille accompagne le dessin d’Acéphale de ces mots : « Un incendie extatique détruira les patries. Quand le cœur humain deviendra feu et fer [ce que tient Acéphale dans chacune de ses deux mains] L’homme échappera à sa tête comme le condamné à la prison » (1970, I, 676). L’homme est, selon les termes de Bataille, libre de ressembler à tout ce qui n’est pas lui dans l’univers. Il écrit : « Dans l’étincelle de l’extase, les bornes nécessaires sujet-objet doivent être nécessairement consumées, elles doivent être anéanties. » (1973, V, 57). Il fait l’apologie du pur mouvement pour fuir des identités restrictives et répondre à l’aspiration libératoire, voire jubilatoire de se fondre dans la totalité du monde, sans n’être rien de particulier. Cette expérience est une sorte de mise en jeu de soi en espérant atteindre cet en dehors de soi. Bataille invite à une dislocation de soi, à une désubstantialisation au profit d’une sorte de fusion libératrice. C’est l’expérience intérieure qu’il décrit dans La Somme a-théologique. Bataille parle d’une transgression de soi vers la dépossession où la délivrance se manifeste dans Acéphale n’ayant plus de tête mais une flamme libre. La privation de la conscience est la libération. Et cette transgression de soi met en œuvre une discipline qu’on retrouve chez Strindberg.
Strindberg met en scène l’Inconnu dans le chemin de Damas. Il se défigure par une succession d’expériences. L’Inconnu veut devenir à lui-même cet indéterminé libre de toute identité limitative. Sa déterritorialisation, soit l’expérience de transmigrer en d’autres corps est d’abord le signe d’une liberté d’être, puis d’être encore autre chose tout en se défigurant progressivement. L’Inconnu se déconstruit au fil d’identifications toujours partielles et frustrantes dans leurs propres limites, invitant au seul mouvement de transmigrer sans cesse pour ne plus être aucune de ces identités. L’Inconnu s’inflige donc la torture de la disparition de ce qui l’accroche encore à sa condition. D’une entreprise de libération par l’expérience d’être l’autre, l’expérience aliène son auteur qui se terrorise lui-même jusqu’à s’infliger la torture de s’amputer de ses identités successives. Cet enchainement de déformations est l’instrument d’une torture sordide et libératoire pour sortir de ce soi limité. L’utopie advient à la condition qu’aucun contexte ne détermine l’objet ni aucune structure son existence. Plus que d’habiter de nouveaux corps, l’Inconnu de Strindberg se dissout dans ce mouvement, étant toute chose et son contraire sans aucune limitation : « Oui, maintenant je vis, maintenant plus que jamais, et je sens mon moi grandir, s’étendre, se diluer, s’épanouir à l’infini ; je suis partout dans la mer qui est mon sang, dans les rochers qui sont mes os, dans les arbres, dans les fleurs… » (1983, I, 177). L’expérience va d’aliénation en aliénation puisqu’être un autre n’est pas être tous les autres, l’Inconnu visant d’être l’infinité des êtres puis par l’infini de se confondre avec le néant : « J’ai rêvé que j’explosais et me transformais en éther, je n’éprouvais plus rien, étranger à la douleur comme à la joie, j’étais entré dans le repos ; j’avais atteint le parfait équilibre ! Mais maintenant ! Oh, maintenant ! Je souffre comme si j’étais – à moi seul – tout le genre humain. » (1983, II, 278). Cette expérience confine au délire dans lequel l’Inconnu disparaît, pensant être à la fois le genre humain et l’univers entier. En sortant de sa condition et de ses limites, l’Inconnu conquiert ce qu’il croit être sa divinisation : « Ma tête va frapper le ciel et je contemple l’univers avec lequel je me confonds, et je sens en moi la force du Créateur, car le Créateur, c’est moi. (1983, I, n. 3). Le nom même d’Inconnu exprime d’ailleurs cette quête de l’inconditionnalité où l’indétermination devient l’aboutissement de ce chemin vers l’impersonnel, par la réfutation et la dissolution de tout ce qui fait être homme : hic et nunc.
Ces expériences manifestent la destruction de l’homme rendue nécessaire par ce renoncement d’être. Mais où est la liberté ? Subir cette haine de soi dans un mouvement répulsif exprime plutôt le conditionné révolté, à tel point que les expériences de Bataille et Strindberg reproduisent les mêmes procédés dans leur discipline transgressive. Or, ces expériences littéraires servent aujourd’hui de modèle. Comme l’écrit fort justement Deniau : « il n’y a pas de différence essentielle entre un individu qui devient hors de soi dans le déchaînement de la violence pulsionnelle lié à la disparition de son lien avec l’altérité et une foule qui s’en remet à un autre qui nie l’altérité collective. » (2010, 40). C’est pourquoi, ces expériences littéraires sont aussi des icônes qui deviennent désormais un projet économique et politique, lorsqu’une société entreprend d’offrir des alternatives pour être autre que soi dans un marché des identités et des transmigrations diverses : culturelles et sexuelles aujourd’hui, technologiques demain. D’autres s’inspirent d’Acéphale et promeuvent des pratiques de terreur ou de fureur autodestructrices qui en sont des effectuations que nous étudierons dans un autre article. L’expérience est libératoire mais elle est aussi une aliénation destructrice passant nécessairement par le sacrifice de son humanité, soit bien plus que la seule somatophobie d’être un corps limité et inapte à éprouver l’infinité des expériences d’autres êtres ou de la totalité. Des philosophes considèrent tout à l’inverse cette libération tel un projet de destruction de l’homme, celui-ci se condamnant à son obsolescence dès lors qu’il aspire à se dépasser en se violentant. Cette aliénation exprime la haine d’être, l’emportant sur l’expérience d’être. Deux philosophes, Lukacs et Baudrillard, ont témoigné, chacun à leur manière, de cette réification ou de cette consommation de l’homme par lui-même. Avec eux, la quête de la libération devient une promesse politique propice à la domination des populations : les discours sur la libération étant au fond un appel à la totale servitude !
Lukacs est le philosophe de la réification13. Il utilise des expressions telles « la chosification de la vie », « la tendance à la dépersonnalisation », « ce désir de tout réduire à des chiffres » dès 1908. Influencé par Simmel et Marx, il développe ensuite sa théorie de la réification. L’homme se détermine par les productions et les techniques qui le font advenir. Le capitalisme réifie l’homme par les conditions de travail et leurs métriques. L’homme est décomposé dans une opération analytique de toutes les fonctions de son existence. Cette opération l’investit, le surdétermine et le dépossède de lui-même. Cette décomposition logique a pour projet en retour sa marchandisation. Celle-ci objective et mécanise l’humain jusqu’à sa dislocation. Lukacs montre que l’instrumentalisation est à l’œuvre parce que la foi pythagoricienne selon laquelle tout est nombre œuvre à cette déconstruction méthodique de l’humanité en sa seule quantité : « les méthodes des mathématiques et de la géométrie, la méthode de la construction, de la création de l’objet à partir des conditions formelles d’une objectivité en général, puis les méthodes de la physique mathématique, deviennent ainsi le guide et la mesure de la philosophie, de la connaissance du monde comme totalité. » (1974, 143). L’objectivation de l’homme par l’homme inverse ainsi le sens de la rationalité qui devient irrationnelle et aliénante : l’homme de quantité est la négation de l’humain.
Baudrillard est le philosophe de la consommation14. La libération des corps se fait par un investissement nouveau de ces derniers. Loin d’abandonner la haine du corps des anciens, la modernité en fait un objet étranger à transformer, manipuler, commercialiser ou adapter selon les techniques disponibles. La consommation de son corps ou du corps des autres en fait une marchandise dont la sacralité tient à celle du marché lui-même, simulacre des religiosités antérieures. Le marché réduit alors l’homme à des signes et des symboles. Baudrillard décrit cette dialectique de la démystification-resacralisation : « Nous voyons que le corps, aujourd'hui, apparemment triomphant, au lieu de constituer encore une instance vivante et contradictoire, une instance de "démystification", a tout simplement pris le relais de l'âge comme instance mythique, comme dogme et comme schème de salut. Sa "découverte", qui fut longtemps une critique du sacré, vers plus de liberté, de vérité, d'émancipation, bref un combat pour l'homme contre Dieu, se fait aujourd'hui sous le signe de la resacralisation. Le culte du corps n'est plus en contradiction avec celui de l'âme : il lui succède et hérite de sa fonction idéologique. » (1970, 212). Son analyse de ces phénomènes de société renverse le concept de libération. Les pratiques du marché sont des enfermements aliénants commandés aux populations ou chaque groupe déterminé reçoit sa mission d’émancipation dont il ne saurait déroger : « On donne à consommer de la Femme aux femmes, des Jeunes aux jeunes, et, dans cette émancipation formelle et narcissique, on réussit à conjurer leur libération réelle. Ou encore : en assignant les Jeunes à la Révolte ("Jeunes = Révolte") on fait d'une pierre deux coups : on conjure la révolte diffuse dans toute la société en l'affectant à une catégorie particulière, et on neutralise cette catégorie en la circonscrivant dans un rôle particulier : la révolte. Admirable cercle vicieux de l'"émancipation" dirigée, qu'on retrouve pour la femme : en confondant la femme et la libération sexuelle, on les neutralise l'une par l'autre. La femme se "consomme" à travers la libération sexuelle, la libération sexuelle se "consomme" à travers la femme. Ce n'est pas là un jeu de mots. Un des mécanismes fondamentaux de la consommation est cette autonomisation formelle de groupes, de classes, de castes (et de l'individu) à partir de et grâce à l'autonomisation formelle de systèmes de signes et de rôles. » (1970, 216). Baudrillard décrit la subversion de la liberté par la consommation qui dicte à chacun une idéologie consumériste de soi et de l’autre dont les orientations ferment les voies à d’autres conceptions anthropologiques de la destinée humaine. L’émancipation est dirigée ! Ce simple monopole atteste que la consommation aliène la liberté en incitant à des émancipations par une injonction sociétale de se conformer au consumérisme des corps et des êtres.
Pour le psychologue, ces expériences expriment une violence contre soi. Les pulsions violentes où l’homme se dévalue, se maltraite et se détruit s’analysent comme des pathologies résultant d’un psychisme où l’absence de satisfaction des désirs produit une pulsion violente. La haine de soi ou autophobie traduit cette aversion liée à une perte d’estime de soi. La vie psychique de la personne dont celle de ses relations à ses proches l’amène à développer un sentiment d’indignité ou de culpabilité propice à une dépréciation de soi, parfois jusqu’à la dépression. Ce sont alors des relations affectives primordiales et des images de soi produites par le regard, les attitudes et les discours de ses proches qui perturbent son regard sur soi, d’où des troubles émotionnels et un rejet des autres ou de soi dans ce jeu des représentations15. L’autophobie altère les relations. En ce sens elle est une aliénation par isolement croissant, les relations à soi et aux autres devenant impossibles, illisibles et insensées, affectant la perception de soi jusqu’à douter de son existence. Cette autophobie induit une désaffection et un désinvestissement, une sorte de retrait de soi. Devenant spectateur de soi, cette objectivation conduit à désirer une ultime extériorité par désamour et désenchantement. A cet égard, les dépossessions de Bataille ou Strindberg sont des appels à une prise de possession alternative pour habiter d’autres formes d’être en étant pris et habité par une alternative de soi. L’autophobie accroît l’impuissance d’être avec une désespérante aspiration de se voir dépossédé de soi puis possédé par une extériorité, se libérant d’être par soi-même ; soit la violence du dépossédé-possédé.
3. Les délices de la servitude
L’autophobie manifeste ce désir tragique de libération jusqu’à se retourner en une renonciation par une destruction de la conscience d’être. Comme Lukacs ou Baudrillard le montrent, la dialectique œuvre à cette inversion où la liberté se confond avec de plus grandes servitudes. Or, La Boétie était déjà l’observateur attentif de cette ambiguïté humaine où la servitude volontaire est en fait désirable, libérant de quelques fardeaux. La lecture de La Boétie prend donc ici un relief bien particulier. Il s’interroge à propos de cette situation où malgré sa nature libre, selon lui, l’homme désir la servitude : « Comment s’est enracinée si profondément cette opiniâtre volonté de servir qui ferait croire qu’en effet l’amour même de la liberté n’est pas si naturel » ? (1978, 204). L’hypothèse de cette préférence légitime la réflexion de l’auteur : « Comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire ? » (1978, 174-175). Plusieurs arguments sont à retenir.
Premièrement, la chaine des tyrans tient à l’existence d’un intérêt de soutenir le tyran faisant de ces contreparties les sources d’une transaction de sa liberté au profit de la servitude intentionnelle. L’exercice de grandes et petites tyrannies organise une complicité de la tyrannie dont beaucoup tire un profit : « Et qui voudra en suivre la trace verra que non pas six mille, mais cent mille, des millions viennent au tyran par cette filière et forment entre eux une chaîne non interrompue qui remonte jusqu’à lui. […] En somme, par les gains et parts de gains que l’on fait avec les tyrans, on arrive à ce point qu’enfin il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable, que de ceux auxquels la liberté serait utile » (1978, 203).
Deuxièmement, l’habitude au sens des coutumes tient à la permanence des sociétés, de leurs rites et éducations où se transmettent les règles d’obéissance, de soumission, voire de servitude : « L’habitude qui, en toutes choses, exerce un si grand empire sur toutes nos actions, a surtout le pouvoir de nous apprendre à servir : c’est elle qui à la longue […] parvient à nous faire avaler, sans répugnance, l’amer venin de la servitude » (1978, 190). L’habitude rend la servitude imperceptible tant elle se confond à une seconde nature.
Troisièmement, la ruse des tyrans tient à l’exercice du pouvoir jouant du prestige, de l’identification valorisante, des gloires partagées et des loisirs offerts aux populations : jeux, divertissements afin d’« endormir [les] sujets dans la servitude. » (1978, 203).
La Boétie met en évidence que le désir de servir excède celui d’exercer sa liberté. La servitude aux coutumes induit certes une dépendance et l’obéissance à des autorités, mais cette subordination a des contreparties en termes de continuité des usages, d’accoutumance et de pacification des relations. Les obligations sont certes des servitudes mais les servilités qu’elles induisent sont des souffrances acceptables dès lors qu’elles confèrent un confort dans la réciprocité des obligations du tyran d’assurer la tranquillité ou les divertissements. En cela la servitude ne se confond pas avec un esclavage, puisque le tyran ne saurait se maintenir sans distribuer des contreparties à ceux qui acceptent de transiger leur liberté au profit de ces avantages.
Il existe donc un délice de la servitude parce qu’elle offre des avantages. L’obéissance n’est pas intrinsèquement détestable puisqu’elle s’accompagne d’une reconnaissance et de privilèges communs. A cet égard, bien plus tard, le sociologue Bourdieu exprime un avis très voisin en des termes plus contemporains : « On ne peut donc penser cette forme particulière de domination qu’à condition de dépasser l’alternative de la contrainte (par des forces) et du consentement (à des raisons), de la coercition mécanique et de la soumission volontaire, libre, délibérée, voire calculée. L’effet de la domination symbolique (qu’elle soit d’ethnie, de genre, de culture, de langue, etc.) s’exerce non dans la logique pure des consciences connaissantes, mais à travers les schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui sont constitutifs des habitus et qui fondent, en deçà des décisions de la conscience et des contrôles de la volonté, une relation de connaissance profondément obscure à elle-même » (1998, 43). La soumission à de multiples autorités est un habitus qui s’explique en partie par la dépendance initiale de l’enfant dont le développement psychologique et sociale est conditionné à des relations humaines structurantes de son épanouissement.
A ce sujet, cette dépendance première montre que la liberté de principe n’est pas l’effective liberté initiale. Le psychologue Winnicott explique l’émergence de l’humanité dans son étude des phénomènes transitionnels. Il note que « l'expérience de la frustration rend les objets réels, c'est-à-dire, aussi bien haïs qu'aimés. » (1969, 180). La dimension dialectique de la relation aux objets est inhérente à ces premières expérimentations où les résistances des objets obligent à se satisfaire d’une situation dans toutes les limites de ses circonstances. Les premières transactions opèrent là, faisant découvrir l’insoumission du monde des choses et des êtres, sa résistance et son pouvoir de révéler le fait d’être conditionné. Le philosophe Castoriadis étudiant la haine de soi et la haine de l’autre en explique l’origine où les premières relations à soi et aux autres induisent cette dialectique faîtes d’attirance et de répulsion, de désir et de frustrations : « Il existe deux expressions psychiques de la haine : la haine de l'autre et la haine de soi, celle-ci n'apparaissant pas en général comme telle. Mais il faut comprendre que les deux ont une racine commune, le refus de la monade psychique d'accepter ce qui, pour elle, est, au même titre, étranger : l'individu socialisé dont elle a été forcée de revêtir la forme, les individus sociaux dont elle est obligée d'accepter la coexistence (toujours, profondément, moins réelle que son existence propre pour elle-même - donc aussi, beaucoup plus facilement sacrifiable). »(1999)
La psychologie de La Boétie explicite donc cette négociation de la servitude intentionnelle. A cet égard, les psychologues contemporains distinguent des degrés d’obéissance et parmi eux des pratiques aliénantes faisant d’une obéissance inconditionnelle un moyen d’exercer une tyrannie dans laquelle le tyrannisé se soumettra, jusqu’à justifier son bourreau ou éprouver du plaisir à se savoir dominé. Trois exemples illustrent ce passage de la servitude à l’esclavage. Le masochisme, l’expérience de Milgram et le syndrome de Stockholm16. Le masochisme renverse le rapport à la souffrance et à l’humiliation qui devient désirable. Le sentiment d’infériorité y est entretenu. L’obéissance induit une passivité. Cette même passivité se manifeste dans l’impuissance à la révolte dans les ordres de l’expérience de Milgram. La servitude devient servilité par infériorité à l’expert qui ordonne d’infliger des souffrances croissantes à un innocent, victime d’une expérimentation de la torture. Par sa persuasion, l’assistant obtient une soumission totale mais librement consentie. Enfin, le syndrome de Stockholm fait devenir complice en éprouvant une affection pour son bourreau persuasif. L’obéissance inconditionnelle conduit à l’aliénation.
4. Le politique comme transactions symboliques
La finesse de l’expression de La Boétie : « la servitude volontaire », atteste d’une intention d’obéir afin d’assurer des relations sociales, voire une liberté collective au service d’un bien commun qui apporte à chacun des contreparties, ce que La Boétie reconnaît volontiers. En fait, La Boétie n’est pas du côté du loup de La Fontaine. Sa liberté est certes un modèle d’autonomie, mais le loup perçoit la vie du chien telle une aliénation sans voir cette transaction où le chien accroît la puissance de l’homme par les services qu’il lui rend, l’homme lui garantissant en échange des conditions de vie moins incertaines. Chacune des deux conditions a donc ses autonomies et ses hétéronomies : de la nature pour le loup, de la société humaine pour le chien. L’enseignement de La Fontaine tiendrait moins de la comparaison que de la révélation d’un glissement dans le choix de ses libertés et de ses servitudes. En effet, la libération est dialectique et ce qu’elle vise peut-être perçu telle une émancipation avant d’advenir telle une aliénation. De même, l’obéissance est d’abord une contrainte par la soumission à des règles, mais elle crée les conditions d’une autre liberté et d’une émancipation nouvelle. C’est ici intégrer la règle pour ensuite la maîtriser, la dominer, voire s’en détacher avec art selon les circonstances. Ce qui est réglé libère pour autre chose sauf à choisir de contester la règle pour s’en émanciper, pensant que la liberté s’exerce sur l’objet de la règle. Cette dialectique semble autant tenir du jeu des perceptions que de la dynamique de ces événements où les relations à soi et aux autres changent de sens.
Tentons maintenant une synthèse réunissant les travaux des philosophes politiques et des psychologues et retenons de La Boétie qu’il explique cette transaction symbolique des libertés et des servitudes. Elle serait la manière dont l’homme investit ses relations au monde, aux autres et à lui-même. Pour les réaliser, il s’approprie ce qui lui est extérieur. Il intériorise pour juger, se déterminer et exercer son arbitrage, en ayant délibéré en son for intérieur, sans avoir d’ailleurs la pleine maîtrise de cette délibération, rationnelle pour une part, affective pour une autre, intéressé à quelques négoces aussi, d’où l’intérêt des phénomènes transitionnels de Winnicott. Cette appropriation se fait attention aux choses, écoute des autres et confiance en soi, conduisant à des interactions et des transactions avec les choses et les autres : les « autre-que-soi » ainsi dénommés par Winnicott, où la personne humaine émerge dans cette succession de transactions. L’émergence de son humanité personnelle, sociale et politique serait le résultat de ces appropriations et de ces transactions. Elles seraient la manifestation d’accords sociaux où se reconnaissent des bénéfices à ce jeu des transactions. L’appropriation réciproque renverrait alors à l’appropriement, soit à des relations qui témoignent d’une appropriation, au sens d’une juste correspondance des parties satisfaites de leurs appropriements qui les lient dans une société dont ils sont les appropriés.
La Boétie montre que la volonté de servitude tient à ce travail d’appropriement par concession réciproque dans ces transactions symboliques. Et ce commerce de la liberté enjoint de passer de l’expression de la satisfaction de ses désirs narcissiques à la reconnaissance de l’existence d’autrui dont la même satisfaction de ces désirs passe par le sacrifice ou le don de soi en des pratiques sociales concertées dans un commerce plus global qui fait vivre en société avec ses bénéfices propres. Or, cette articulation a valu quelques débats dont la conviction que la liberté sociale offre de plus grande liberté quand bien même elle sacrifie certaines des aspirations individuelles. Que certains y voient l’insoutenable émergence de servitudes sociales auxquelles ils ne veulent se soumettre est un fait de société, ceux-là ne voulant pas de concession en privilégiant leur seule satisfaction narcissique. Que d’autres y voient à l’inverse la concession raisonnable, voire l’évidence d’une contrepartie sociale où chacun participe d’une vie collective plus satisfaisante qu’une vie solitaire, est tout aussi manifeste. Ainsi, la servitude exposée par La Boétie révèle une soumission désirée, une compréhension de l’impossibilité d’être uniquement par soi-même, sans être approprié par d’autres, où l’existence sociale fixe des règles en dispensant d’avoir à les instituer ou les discuter. Cette tranquillité permet alors de se consacrer à autre chose qui pourrait être plus essentiel.
Nombreux seraient ceux qui aspirent à l’équilibre d’une servitude volontaire, donc réfléchie. Est-elle pour autant aliénante ou fixe-t-elle les règles d’un quotidien pour se consacrer à d’autres expressions de sa liberté ? La Boétie explique peut-être la grande sagesse de se soumettre pour se libérer en veillant à éviter l’avènement de l’Un par le Contre’Un ; autre titre de son œuvre. Etre en commun serait une servitude raisonnable mais ne serait pas faire Un, ni perdre sa liberté intérieure de délibérer ou de dialoguer sur la pluralité des possibles qui s’offrent dans le quotidien des affaires de la vie. La transaction symbolique permettrait à des populations de jouir d’avantages en contrepartie de quelques embarras du pouvoir. Et la conscience de certaines servitudes acceptées ne dit pas qu’elles ne fassent pas l’objet d’un assentiment réfléchi. Là aussi, l’appropriation des transactions relève d’un exercice de persuasion pour que chacun perçoive la valeur symbolique du modèle politique dans lequel ces transactions s’organisent. Chaque société passe l’incessante épreuve de la preuve symbolique à travers la reconnaissance de l’opinion. Et Hume, avant l’ère des médias, l’avait déjà clairement perçu : « Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui contemplent les choses humaines d'un œil philosophique, que de voir la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit, et l'humble soumission avec laquelle les hommes sacrifient leurs sentiments et leurs penchants à ceux de leurs chefs. Quelle est la cause de cette merveille ? Ce n'est pas la force ; les sujets sont toujours les plus forts. Ce ne peut donc être que l'opinion. C'est sur l'opinion que tout gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire aussi bien que le plus populaire et le plus libre. » (1972, 70)
Mais si l’œuvre de La Boétie s’intitule aussi le Contre’Un, il faut y voir l’avertissement que tout régime procédant par imposition de ses seuls points de vue devient une menace pour les libertés ? Là, la psychologie devient plus sociale et politique lorsqu’elle souligne que les institutions de la société cherchent à forger une image prescriptive de soi, de l’autre et des relations qui les lient. Si la société prescrit par des injonctions mimétiques, la totale servitude est là, sous les habits trompeurs de l’apologie des émancipations marchandes si bien évoquées par Lukacs et Baudrillard. Fort est de constater que la société contemporaine construit un monde d’icônes qui agissent telles de nouvelles servitudes dont le tyran est aussi la victime : somatophobe et autophobe. Ceci mérite un ultime développement quand la transaction se fait prescription.
5. Les composantes psychologiques d’une société a-humaine
La servitude est volontaire pour autant qu’elle soit négociable et réversible. C’est le sens même de la transaction symbolique. Or, les pathologies des nouvelles servitudes : somatophobie et autophobie, témoignent d’un asservissement des populations par l’usage des icônes qui dictent des conformités irréversibles ou des transformations radicales, de plus en plus à l’œuvre dans les sociétés contemporaines. L’icône exerce ce pouvoir hétéronome de prescription.
La somatophobie englobe trois types de pathologies : l’anorexie, la boulimie et l’iconophobie. L’anorexie mentale induit une maltraitance parfois mortifère du corps dont l’une des sources est la conformité à des canons et une relation déficiente à soi et aux autres. La boulimie est un autre trouble du comportement alimentaire dont une des conséquences les plus visibles est l’obésité extrême aliénante et elle aussi mortifère. Elle résulte d’un mode de vie très largement prescrit. L’iconophobie manifeste un rejet de son image et sa mise en conformité à des modèles par une succession d’opérations chirurgicales. Elle témoigne d’un refus de sa condition et de cette pression des icônes afin de remodeler ce corps-objet pour le conformer au prescrit. Or, ces trois pathologies sont en très fortes croissances dans nos sociétés.
L’autophobie englobe deux pathologies majeures : le suicide et la transformation de soi17. Leur croissance est tout aussi observable dans nos sociétés par l’exhibition d’icônes qui prescrivent ces comportements.
Ces cinq facteurs ont en commun d’exprimer la haine de soi par l’apologie de la transformation violente faîtes de maltraitances, de mutilations, de tortures et de persécutions, voire d’opérations engendrant des dépendances permanentes. Ils sont contraires à l’œuvre de civilisation dont Deniau dit avec justesse que « chaque homme doit s’efforcer de symboliser la pulsion de destruction, pour devenir un sujet. Dans cet effort, l’humain se construit une figure de l’altérité qui lui est nécessaire pour se penser. Il devient dès lors solidaire de l’autre, comme autrui, en qui il reconnaît un mouvement psychique identique et comme autre, alter ego, il devient de ce fait solidaire puisque cet autre lui est nécessaire pour penser, parler et même se penser. L’acte inverse laisse libre cours à la pulsion : détruire ou se détruire. » (2010, 39). Pourtant, la dialectique opère. En effet, ces facteurs ne sont pas perçus ainsi. Dès lors qu’ils sont le résultat du désir et de la volonté de leurs auteurs sur eux-mêmes, leur critique devient inconvenante, voire insoutenable ou même illégale. A-t-on un droit à l’anorexie, à l’obésité, au suicide, à sa transformation ?
Seulement, cet argument des sociétés contemporaines inspiré de Maine de Biran suffit-il à dédouaner et déqualifier ces actes ? La seule autonomie de la décision au nom du droit à la construction-déconstruction de soi est-elle la preuve suffisante de la liberté et de l’émancipation ? Il suffit de considérer chacun de ces actes comme le résultat d’une action d’un tiers pour, tout à l’inverse, s’en scandaliser et comprendre qu’ils sont des actes de torture, des meurtres et des mises en esclavage. L’anorexique s’affame mais que dire d’une personne affamée par un tiers ? L’iconophobe s’inflige des souffrances mais que dire de celui qui impose à l’autre des opérations chirurgicales « esthétiques » ? Le suicidé se tue et que disons-nous du meurtrier ? Et le transidentitaire s’inflige des amputations physiologiques majeures dont la castration ou la greffe irréversible alors que nos sociétés ont sévèrement condamnées par le passé les pratiques anciennes de l’émasculation des vaincus devenant eunuques ou plus récemment les castras18 ? Si l’auteur et la victime sont le même, l’acte n’est pas jugé de même que si l’auteur et la victime sont deux personnes ! Troublant. En fait, ces facteurs ont en commun de mettre en œuvre une expropriation brutale de soi par un abus de propriété soutenu par la pensée politique et juridique contemporaine qui dédouane chacun de sa haine de lui-même, au seul motif que l’intention étant de soi, elle ne saurait constituer une aliénation ou une servitude. Le droit se ferait le complice du comble de l’asservissement. Il suffirait de susciter et de diriger ces émancipations par quelques injonctions mimétiques pour que l’asservissement n’en soi pas ! Je laisse in fine le lecteur méditer et juger de la portée d’un tel raisonnement qui accepte de renverser la perception des actes humains au seul motif de leurs auteurs.
Voilà pourquoi, il serait utile de suivre l’évolution de ces pathologies et leurs effets dans quelques sociétés dont tout particulièrement les Etats-Unis où elles sont très présentes et en forte croissance au regard des études disponibles qui mesurent l’impact du prescrit des icônes sur les nouvelles pratiques somatophobes et autophobes. Indépendamment des dimensions personnelles qui demeurent, les évolutions en nombre révèlent des faits sociaux et politiques. Nous faisons modestement l’hypothèse, qu’il conviendra de vérifier au cours des années à venir, que leur croissance simultanée exprime un mal-être destructeur de la condition humaine. Et quelques signes semblent annoncer une société dominée par la violence d’une quête incessante de la concrétisation de l’imaginaire19.
Au terme de cet article, notre proposition se résume ainsi. La somatophobie et l’autophobie sont les symptômes éminents d’un désir négatif : de la haine de l’autre ou de soi-même, encouragées et stimulées par des icônes, image de soi, image des mœurs. La réification totale décrite par Lukacs et la marchandisation par Baudrillard montrent que l’instrumentalisation de l’humain est la manifestation d’un asservissement d’un nouveau type. In fine, cette servilité se caractérise par le déplacement de la créativité. Elle s’exerce maintenant sur l’homme lui-même, objet de son auto-développement. Or, l’inconditionné n’est rien de moins que la prise de pouvoir absolue d’une suggestion hétéronome. La dialectique confond instantanément construction et déconstruction puisque ces haines altèrent l’humain jusqu’à l’achever dans la mort. Winnicott l’avait perçu en indiquant qu’il s’agit même selon lui d’une maladie où l’homme déteste la vie : « Il s'agit avant tout d'un mode créatif de perception qui donne à l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue ; ce qui s'oppose à un tel mode de perception, c'est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s'ajuster et s'adapter. La soumission entraîne chez l'individu un sentiment de futilité, associé à l'idée que rien n'a d'importance. Ce peut être même un réel supplice pour certains êtres que d'avoir fait l'expérience d'une vie créative juste assez pour s'apercevoir que, la plupart du temps, ils vivent de manière non créative, comme s'ils étaient pris dans la créativité de quelqu'un d'autre ou dans celle d'une machine. Cette seconde manière de vivre dans le monde doit être tenue pour une maladie, au sens psychiatrique du terme. » (1975, 91).
Pour terminer, l’humaniste sait que la tentation de l’inconditionnalité est le signe même d’une société a-humaine déjà pointée par le sage Erasme. L’engagement humaniste passe par cette responsabilité de la promotion de la conscience et de l’exercice de la libre pensée, soit cette confession intime de l’expérience de soi qui caractérise une société humaine. La Boétie avait raison d’inviter à une transaction symbolique dans les limites du Contr’Un. Quand de nombreux tyrans intéressés œuvrent à la destruction de la condition humaine au profit de ce marché infini de la construction-déconstruction de soi, il faut se réjouir d’être et honorer son incarnation dans une nature et plus encore aimer sa finitude.
1 Cette œuvre publiée en 1574 expose les raisons de la domination non par la violence ou l’autorité mais par la soumission, la résignation, le renoncement, la superstition ou la cupidité et la recherche des honneurs. L’analyse des ressorts psychologiques et sociaux de La Boétie constitue une œuvre de psychologie politique d’une grande richesse s’intéressant autant au leadership du tyran qu’à l’’organisation des servitudes et dépendances de petits tyrans tyrannisés avec l’appui du jeu des intérêts et des puissances symboliques suggérant l’obéissance.
2 La cinquième fable du livre I se termine par ses vers : « Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé. « Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? Rien ? - Peu de chose. - Mais encore ? - Le collier dont je suis attaché. De ce que vous voyez est peut-être la cause. - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas. Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ? - Il importe si bien, que de tous vos repas. Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. » Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore. »
3 Une définition rappelle cette constance de l’apologie de la libération-émancipation socialiste :
« Le socialisme a besoin de la pensée vraiment libre, libre de tous les préjugés religieux et capitalistes, pour soulever les nations qui travaillent contre les oligarchies qui les exploitent et qui vivent en parasites. Il a besoin des hommes qui pensent librement sur tous les problèmes de la vie. Car le socialisme, c'est l'émancipation intégrale de l'homme. » (Compère-Morel, 1912).
4 Ce mot sanskrit exprime l’ultime délivrance qui met un terme au cycle des réincarnations. Elle se réalise par la mort après l’accomplissement des différents buts védiques au cours des renaissances que sont : devoir, profit, plaisir à mettre en parallèle des périodes de l’existence : étudiant, chef de famille et ermite. Le bouddhisme exprime cette même délivrance qui est l'arrêt de toute douleur. Le cycle des réincarnations est une épreuve infernale dont le nirvana est la libération.
5 Deleuze explique cet éloignement de soi : « Le mouvement de la trahison a été défini par le double détournement : l’homme détourne son visage de Dieu, qui ne détourne pas moins son visage de l’homme. C’est dans ce double détournement, dans l’écart des visages, que se trace la ligne de fuite, c’est-à-dire la déterritorialisation de l’homme. » (1977, 52).
6 Aristote écrit dans le Politique : « Nous voyons que quand ces gens ont eu recours aux mélodies qui jettent l’âme hors d’elle-même, ils recouvrent leur calme comme s’ils avaient subi un traitement médical, une catharsis.» (1342 a 9-11). Platon utilise l’expression de cette médecine de l’âme dans le Théétète(149 a - 151 d) où la philosophie agit telle une médecine en vue de la guérison de l’âme acquérant la pureté. Que les moyens divergent entre les deux philosophies n’enlève rien à leur position commune d’un apaisement résultant d’une opération cathartique.
7 Francisco de Vitoria (1492-1546), théologien dominicain, privilégie la nature et la raison comme origine de la liberté, plus que la foi. Il infléchit le subtil équilibre de la pensée thomiste qu’il contribue toutefois à diffuser en Espagne, Thomas d’Aquin étant le maître dominicain de l’époque. Apologue de ce seul droit naturel issu de la raison humaine, il traite en homme de raison la question des droits des amérindiens lors des premières conquêtes en soutenant Las Casas qui dénonçait les pratiques des colons pour dire que ces hommes avaient les mêmes droits que les conquistadors. Dès ce XVIe siècle, il pose les principes de la libération moderne : libertés religieuse et politique, s’émancipant des obligations spirituelles de la société médiévale.
8 Maine de Biran (1766-1824), philosophe et précurseur de la psychologie par ses exposés sur l’introspection, définit ici cette libre propriété de soi : « La notion d'âme correspondante au sentiment du moi et à ses modes ou attributs de conscience doit être universelle, nécessaire et commune pour tous les hommes (...) On dit très bien d'un homme qu'il se possède lui-même, qu'il est compos sui (...) Le sujet actif qui dispose de ces facultés ou qui les met en mouvement... doit être considéré comme ayant la propriété de tout ce dont il dispose, de tout ce sur quoi il agit. C'est ainsi qu'il est vrai de dire que le moi a la propriété du corps qu'il meut en masse, et spécialement de toutes les parties sur lesquelles se déploie immédiatement l'activité ou l'effort volontaire. C'est sur le sentiment de cette liberté d'agir qui tend à se développer tout entière et sur celui qui fait naître l'opposition à la libre activité, que repose l'idée du droit et de la justice (...) Chaque homme regarde la propriété de sa personne comme un droit, c'est-à-dire comme une possession que ses semblables sont dans l'obligation de respecter en lui ; c'est... qu'il juge en sentant que le même droit de propriété qu'il exerce sur le terme d'application immédiate de son activité comme sur ces produits, appartient également au moi pareil au sien. » (1954, 23-26).
9 Dunayevskaya (1910-1987), philosophe trotskyste, développe la thèse de l’auto-développement dans Marxisme et liberté qu’on retrouve ultérieurement en psychologie. D’ailleurs, ces deux termes de libération et d’émancipation sont indissociables dans le vocabulaire révolutionnaire russe comme le montre le nom du premier groupe marxiste fondé en 1892 par Plekhanov, Axelrod, Zassoulitch et Deutsch : Libération du travail ou groupe pour l'Émancipation du travail.
10 Le transhumanisme se définit comme un mouvement scientifique prônant l'usage des techniques dans le but d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains et symbolisé par un H+. En France, il faut signaler l’ouvrage d’Alexandre, La guerre des intelligences où l’auteur écrit : « Avec le transhumanisme, un nouveau paradigme religieux émerge : ce n’est plus le renoncement de l’athée qui se voit seul dans l’Univers, c’est désormais l’affirmation fière de ce que l’homme peut tout faire, y compris créer du vivant et se recréer lui-même. » (2017, 269). Il développe ses propos dans un récent article du Figaro : « Pour rivaliser avec l’intelligence artificielle, il n’y aura demain qu’une seule solution, la montée en puissance radicale de notre cerveau … … en agissant soit en amont de la naissance, soit directement sur la machine cognitive qu’est le cerveau lui-même. L’école deviendra transhumaniste et trouvera normal de modifier le cerveau des élèves. » (2017, 29/11, 12).
11 Nous empruntons ce terme très évocateur à Descamps dans son ouvrage Ce corps haï et adoré.
12 La méthode de Schultz conduit à une déconnexion de l’organisme du fait d’exercices physiologiques. Plus qu’une technique de relaxation, cette thérapeutique assure une maîtrise du corps par une concentration psychique sur les fonctions végétatives. Celle de Groddeck attribue aux maladies une origine psychique à l’instar des investigations de Ferenczi faisant la psychanalyse des maladies organiques. Celle de Lowen promeut le grounding pour établir le lien avec l’énergie centrale. Il écrit :« La bioénergie repose sur cette proposition simple: chacun est son corps. Nul n’existe en dehors du corps vivant où il passe son existence... Si vous êtes votre corps et que votre corps est vous, il exprime alors ce que vous êtes, c’est votre manière d’être au monde. Plus votre corps est vivant, plus vous êtes dans le monde. » (1979, 45).
13 Lukacs (1885-1971), philosophe et sociologue marxiste, publie en 1923 Histoire et conscience de classe dans lequel il développe la théorie de la réification ou fétichisme de la marchandise dans une partie intitulée : la réification et la conscience du prolétariat (p.109-256).
14 Baudrillard (1929-2007), philosophe analyste de la société contemporaine, publie entre autre Le système des objets en 1968, puis La société de consommation en 1970, Simulacres et simulations en 1981 ou encore Les stratégies fatales en 1983. Théoricien de la postmodernité et de l’économie des signes, il perpétue l’exercice d’une philosophie critique du politique et du capitalisme.
15 Le pédiatre et psychanalyste Winnicott étudie les phénomènes transitionnels où le bébé établit des relations avec des « autre-que-soi » sources de satisfaction. Quelques textes témoignent des enjeux de cette période dans le développement de l’enfant dès ces premiers mois : Processus de maturation chez l’enfant, développement affectif et environnement et Le destin de l'objet transitionnel.
16 Le psychologue américain Milgram évalue le degré d’obéissance à une autorité faisant agir en dépit d’une attention à l’autre et des souffrances qu’il endure dans l’expérience. Il s’agit d’infliger des décharges électriques à chaque erreur commise par un élève devant mémoriser et restituer des listes de mots. Les personnes mises en situation du « professeur » ayant à mener l’expérience furent pour plus de 60% capables d’infliger des électrochocs de 450 volts à leurs élèves passant de l’obéissance à l’accomplissement d’acte de torture.
17 La transformation de soi a été longtemps classée comme pathologie mentale par l’OMS. Sa déclassification en France a été obtenue au nom du droit à la construction de soi faisant injonction au corps médical de renoncer à sa qualification de maladie. La controverse sémantique a conduit de la définition initiale du trouble de l’identité de genre à l’actuelle expression de dysphorie de genre. Le pouvoir du juge a prescrit le dire du médecin.
18 Les discours sur le droit à la transidentité obèrent la pratique médicale et l’expérience concrète des conséquences des actes de transidentification. Ceux-ci infligent des blessures intimes et plus encore une dépendance totale à des injections hormonales à vie, soit une situation de dépendance médicale donc de perte définitive de son autonomie biologique. Cette forme d’aliénation n’est pas soulignée.
19 Eberstadt a publié Men without work : America’s Invisible Crisis où il décrit la détresse de la société nord-américaine. Factuellement, notons que pour la deuxième année, l’espérance du vie recule aux USA selon les Centres de contrôle de prévention des maladies avec une part significative de mortalités précoces liées à des processus de destruction de soi par consommation des drogues et overdoses de médicaments opiacés, soit une situation de recul inédite après 55 ans d’accroissement de l’espérance de vie depuis 1960.
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