N°42 / Langues et politique en Afrique - Janvier 2023

Editorial

Pierre-Antoine Pontoizeau

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EDITORIAL

 

Ce deuxième numéro consacré aux langues et politique fait escale en Afrique essentiellement. Il doit beaucoup à notre correspondant en Côte d’Ivoire et membre du comité de rédaction, Dorgelès Houessou. Je tiens ici à le remercier pour son travail de coordination auprès de ses collègues Africains pour leur remarquables investigations collectives sur certains aspects des langues et du politique en Afrique.

Là où beaucoup voient dans les langues des objets figés, François-Joseph Azoh et Kouakou Daniel Yao, respectivement psychosociologue à l’université Felix Houphouët-Boigny d’Abidjan  et criminologue enseignant à l’université Jean Lorougnon de Daloa nous rappellent que les langues sont en vie, qu’elles véhiculent des croyances et sont la marque d’un héritage comme d’une volonté politique, au travers des représentations sociales qu’elle produisent où dont elles sont le signe. Sy Daniel Traoré et Youssouf Ouédraogo de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso s’intéressent à l’influence migratoire et à ses influences sur la pratique d’une langue initialement commune : le français, entre Burkina Faso et Côte d’Ivoire.  Dorgelès Houessou de l’université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d’Ivoire étudie ces appropriations littéraires et populaires d’une langue et les émergences de pratique inédites, jusqu’à produire des parlers-parlés nouveaux qui feront demain de nouvelles langues, comme autant de manière de vivre un commun. Son collègue de Bouaké, Kouassi Kpangui étudie ces phénomènes de métissage par des emprunts multiples à des langues locales et étrangères qui renouvellent et fabriquent des nouvelles représentations. Mais ces évolutions linguistiques sont aussi les manifestations d’évolutions politiques, sociales et démographiques. Moulo Elysée Kouassi s’attarde plus aux enjeux philosophiques et sociologiques de ce Nouchi. Cette créativité populaire interpelle les normalisateurs des langues qui aspirent à une fixité, prélude d’une langue morte. Lui montre que l’évolution de la langue contribue à la construction d’un être-collectif. Jean-Claude Dodo montre bien comment ce parlé, né dans des milieux marginaux est devenu la langue de tous, présente maintenant dans la publicité et le langage ordinaire, soutenu par une jeunesse qui y voit une expression de sa culture et de son identité. Merci à eux.

Alain Deniau fait un petit détour par l’Ukraine, mais pour très vite évoquer la question de la langue en des termes plus psychanalytiques, en s’inspirant de Freud et de Lacan pour nous dire comment la langue fait nation, civilisation, mais comment elle est une partie de soi, une part d’âme dont la mise en danger est une atteinte à soi, et il nous rappelle le suicide de Stephan Zweig.

Gisèle Valency illustre du cas de Nodier, cette tension entre langues et politique, entre linguistique et science politique : la langue nationale et ses patois, enjeu de la Révolution française.

Et comme la langue est bien sûr éminemment partie de nous et partie du politique, le destin de la francophonie donne lieu à une analyse historique sans concession de notre ami historien et politologue Jean-Paul Nassaux.

Enfin, parce que la psychologie politique est faîtes aussi d’une relation distante à l’actualité, Pierre-Antoine Pontoizeau nous propose une étude approfondie d’une époque d’illusionniste en deux articles, l’un consacré aux subversions institutionnelles en repartant de l’œuvre de Roger Mucchielli consacré à la subversion, l’autre consacré à la fabrique contemporaine des illusions au travers d’une synthèse des études consacrées aux technologies addictives et aux dérives illusionnistes dont elles menacent les populations d’abord, puis les édifices politiques et juridiques de nos sociétés démocratiques.

Nos deux prochains numéros seront consacrés à l’identité et à l’appartenance, le premier sous un angle politique, civilisationnel, psychologique et sociologique. Le second voudrait aborder cette question des identités et des appartenances sous l’angle plus révolutionnaire des nouveaux mondes et des hommes nouveaux promis par les idéologies et les utopies modernes et contemporaines : transhumanisme et théorie du genre compris, qui semblent répéter des formes de projection de soi dans des univers fantasmatiques, au nom de la promesse d’une transformation sans limite de soi et du monde, dont Erasme nous parlait déjà en évoquant l’homme malheureux de sa condition, son rêve des transmutations et transmigrations des âmes en rappelant l’histoire du coq de Pythagore. Pourtant, les dernières tentatives en la matière ont été des tragédies historiques et humaines qui inspirent quelque prudence, avant de céder à la tyrannie des transitions, des transformations et de leurs fantasmes. Le débat sera pleinement ouvert en ces temps de prêt à penser et d’invectives autoritaires.

Pierre-Antoine Pontoizeau

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