N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

Le nationalisme symbolique : les constructeurs de normes de la théorie du genre et ses enjeux politiques

Pierre-Antoine Pontoizeau

Résumé

 Cet article veut montrer que le phénomène d’identification et d’appartenance s’accroît dans ces stratégies de subversion clivantes, ainsi dénommées par Judith Butler. Elles agissent en proposant de nouvelles icônes – les drag queen – stéréotypes propagés à foison comme de nouvelles images pieuses ou militantes à imiter. Du fait de cet enjeu de substitution, ces constructeurs de normes opèrent, selon nous, comme des propagandistes de guerre, à la façon de nationalistes, au sens où leur territoire symbolique se définit par un combat contre un ennemi, l’adversaire à abattre.

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Cet article aborde la théorie du genre aussi dénommée Gender Studies sous deux aspects complémentaires.

Premièrement, celui sociologique des chercheurs et des mouvements qui s’ensuivent avec leurs cercles identitaires, leurs stratégies de propagande de guerre, leurs oukases et leurs exclusions, leurs critères d’appartenance, leurs icônes, leurs sigles, leurs couleurs et drapeaux : en être ou ne pas en être. Nous étayerons cette hypothèse du nationalisme symbolique.

Deuxièmement, l’aspect plus épistémologique de la controverse entre l’identité sexuelle et/ou de genre, où se joue une prescription autoritaire par la subversion agressive d’une représentation par une autre : la nouvelle orthodoxie. Il s’agira de voir comment les chercheurs deviennent des constructeurs de normes, puis des prescripteurs, pour ne pas dire les prêtres de ces normes auxquelles s’identifier, celles-ci se substituant aux précédentes, qui sont dénoncées et décriées, sans coexistence possible.

Cet article veut montrer que le phénomène d’identification et d’appartenance s’accroît dans ces stratégies de subversion clivantes, ainsi dénommées par Judith Butler [1]. Elles agissent en proposant de nouvelles icônes – les drag queen – stéréotypes propagés à foison comme de nouvelles images pieuses ou militantes à imiter. Du fait de cet enjeu de substitution, ces constructeurs de normes opèrent, selon nous, comme des propagandistes de guerre, à la façon de nationalistes, au sens où leur territoire symbolique se définit par un combat contre un ennemi, l’adversaire à abattre.

Pour nous en assurer, nous nous servirons des principes de la propagande de guerre décrit par Anne Morelli[2]. Elle met en évidence un mouvement d’identification qui s’élabore dans l’opposition à un ennemi, la cohésion du groupe identitaire, la fabrication d’un récit légitime, tout à la fois inclusif et exclusif, en dénommant son combat et l’ennemi. Elle décrit une dynamique d’inclusion à son combat par une sacralisation de sa cause qui s’accompagne d’une diabolisation de l’ennemi et de ceux qui pourraient douter de la justesse de son combat : les traitres. Le modèle sectaire n’est pas loin. Nous faisons ici l’hypothèse que les propagandistes de la théorie du genre, Judith Butler au premier chef, mettent en œuvre des modes de fonctionnement identitaires à la manière d’un « nationalisme » [3] symbolique du genre.

Enfin, nous terminerons par la partie occultée de la théorie du genre et des cercles qui en font leur étendard « nationaliste », le genre devenant le substitut à la cause nationale, mais figurant bien comme une cause politique. Or, cette apologie du genre masque ses effets politiques, économiques, voire démographiques et éthiques. Nous nous interrogerons dans cette dernière partie sur les raisons de cette occultation. En effet, ces auteurs éludent le fait de la stérilisation des populations si les transitions de genre se généralisent. Elle induirait une dépopulation potentielle du fait de l’infertilité croissante de ces populations. Elle conduirait à des besoins puis des revendications de procréation assistée et à une dépendance-aliénation à ces nouvelles pratiques de génération artificialisée. Or, tout cela est occulté, pour faire valoir les droits de l’individu uniquement. Or, tout cela produit une économie du genre avec le miracle économique des cliniques spécialisées et des laboratoires. Cela est aussi accompagné d’une perte de la liberté d’engendrement, inédite dans l’histoire de l’humanité, propice à une société totalitaire dans laquelle l’amour humain fécond aurait été éradiqué. Cette promotion d’une économie des imaginaires découle bien de la préférence pour cette dernière [4], clairement revendiquée par Butler.

Or, cette apologie de l’imaginaire fut aussi le fait des nationalismes et de leurs dérivés totalitaires avec leur esthétique, leurs icônes et leurs fantasmes. De ce point de vue, le nationalisme du genre ne fait sans doute pas exception. Enfin, n’oublions pas la vieille maxime kantienne de l’universalisation de son action qui en fait une affaire politique et morale par le passage de l’action personnelle à l’action politique, du simple fait de sa banalisation en norme sociale pour le plus grand nombre. Enfin, pour des raisons de méthode, nous préférons laisser le lecteur vérifier dans nos notes les fondements de nos commentaires, pour faire place à l’exposé de notre raisonnement général, sans perdre de vue de la sorte, le besoin d’être rigoureux.

1. La théorie du genre, propagande de guerre et combat identitaire d’un nationalisme symbolique

Utilisons les principes de la propagande de guerre comme grille de lecture de la théorie du genre dans l’œuvre de Butler, pour valider l’hypothèse selon laquelle les théoriciens, puis les militants de la théorie du genre, agissent en nationalistes guerriers de leur cause identitaire.  

Butler prend d’abord position dans un débat où elle examine les anciennes théories féministes, dont celle de Simone de Beauvoir. En s’y référant, elle se situe dans la lignée du combat féministe. Celui-ci pose ces deux figures combattantes du masculin et du féminin, par une altérité antagoniste entre ce féminin, autre du masculin. Sans aucun jugement sur les intentions de ces combattantes féministes, force est de constater qu’elles construisent une représentation sociale très dialectique où s’opposent les forces de domination patriarcales, dont les femmes doivent s’émanciper, à la façon d’une lutte des sexes au lieu et place d’une lutte des classes[5]. Elle initie un combat plus qu’une recherche. Son vocabulaire ne laisse planer aucun doute à ce sujet.

A cet égard, elle accuse le monde pour justifier une doctrine de la non-violence qu’elle subvertit allègrement de son agressivité politique. Dans La force de la non-violence, elle développe sa thèse : « La non-violence, ce n'est pas la passivité ni le renoncement à l'action. Ce n'est pas le pacifisme naïf ni l'aspiration inconséquente à une forme de pureté morale. Ce serait plutôt une entreprise politique agressive de rupture avec le monde et ses propres impulsions. »[6]. La dialectique accusatoire est à l’œuvre. Le monde masculin est mauvais, injuste jusqu’à user de termes militaires : l’hégémonie. Le contester exige alors une stratégie de subversion, mais la non-violence affirmée est une figure de style, puisque toute la pratique qu’elle encourage consiste à faire la guerre à cet ordre, mais aussi à faire la guerre à ceux qui seront les victimes de sa frénésie d’une nouvelle identité : son nationalisme symbolique, jusqu’à nier les faits et le réel, stratégie totalitaire, comme nous allons le voir.

Elle revendique aussi un héritage nietzschéen, oubliant un peu vite ses propos sur les femmes[7], mais elle fait sienne son aversion pour l’identité et le substantialisme d’origine aristotélicienne. Sa philosophie du mouvement où les choses sont toujours en devenir sans être bien quelque chose, ce caractère héraclitéen de la pensée de Nietzsche lui convient pour subvertir l’identité sexuelle présente dans le féminisme qu’elle critique[8]. Or, cette représentation duale enferme dans le jeu de cette polarité selon Butler. Sa subversion opère alors contre cette symbolique masculine et féminine. Mais, elle fait très vite office de prescription et de codification des usages qui vont transgresser et dépasser les deux sexes. Aussi, en pratiquant une rétroaction du langage sur le réel, le neutre a sa place. D’où la figure iconique du/de la drag-queen. Elle retient encore de Nietzsche son apologie de l’action qui entre en résonance avec sa compréhension du langage comme performatif, c’est-à-dire ce pouvoir de faire et d’advenir conformément aux mots[9].

Butler combat donc le féminisme identitaire dont elle souligne le communautarisme et son substantialisme, les femmes se définissant contre les hommes pour s’émanciper, mais restant liées à une identité sexuelle héritée de l’ère de la domination masculine, sans y voir, selon elle, l’emprise d’une norme culturelle. Il faut donc se libérer de cette représentation sexuée, parce qu’elle est une pure construction sociale.  A ce stade, il y a bien un combat, des ennemis, une noble cause et son questionnement manichéen, entier, dialectique au sens hégelien, sans nuance[10], en vue de son dépassement.

La stratégie de guerre est alors une conséquence explicite et observable dans les agressions et menaces permanentes à l’endroit de ceux qui s’interrogent ou envisagent les réalités sexuelles et sociales autrement. Le texte de Butler est fermé, assertif, crispé, exclusif, sans concession ou incertitudes. L’exemple ne vaut pas démonstration, mais quelques cas parmi des milliers témoignent de cette guerre idéologique menée par ses militants, sans aucun respect des collègues, par harcèlement, dénonciation, procès politique, intimidation et accusation, avec un usage des médias pour contraindre et humilier les ennemis. Est-ce de la non-violence ou plutôt l’instauration d’une guerre psychologique ? Examinons.

1.1. Le cas Kathleen Stock

Il est édifiant de cette propagande de guerre des militants de la théorie du genre : menace de mort, pression psychologique sur les institutions, exclusion des ennemis, violences et harcèlements quotidiens. Nous sommes loin de la promotion de l’inclusion, de la victimisation et de l’empathie revendiquées par ailleurs. Comme chez Morelli, il y des traitres et des ennemis à éliminer.

En application du principe 8 « Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause » et du 10 « Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres. », et sans oublier la diabolisation du principe 3 « L'ennemi a le visage du diable », cette universitaire a été victime d’une campagne de déstabilisation par la signature d’une missive par 600 philosophes, se plaignant de ses écrits irrespectueux des personnes transgenres, l’accusant de transphobie, évoquant une « rhétorique néfaste ». Sous la pression institutionnelle et médiatique, elle démissionne de l’université de Sussex, évoquant les menaces incessantes et le harcèlement, là où elle enseignait la philosophie depuis 2003. En la maintenant à son poste, l’institution devenait complice. Les militants l’accusent alors de « transphobie institutionnelle ». Son sort est scellé.

Son tort, enseigner le fait biologique, son caractère inaliénable, critiquant l’inversion qui voudrait que l’identité soit le résultat d’une volonté, indifféremment des traits physiologiques. Est-il possible d’enseigner la biologie sans la subvertir et la réduire à néant ? Est-il possible d’être en désaccord avec cette hypothèse du genre ? Cette « théorie » est-elle discutable, voire réfutable ? Les militants usent d’une propagande indigne de la sincérité de la recherche scientifique, jusqu’à contester les connaissances biologiques en les subvertissant du terme de « biologisme », pour les accuser de faire l’apologie de la différence sexuelle. En effet, Stock s’est exprimée dans la presse pour dire : « Le sexe n’est pas juste quelque chose dans votre tête, c’est une réalité biologique, avec des implications médicales ou sportives »[11]. Ils lui reprochent cette formule qui lui fait dire « que les lesbiennes n’ont pas de pénis. » En fait, Stock soulève des questions triviales dont l’incarcération de transsexuels ayant des attributs sexuels masculins dans des prisons de femmes, avec des risques pour ces dernières. Elle conteste leur droit d’imposer leur présence, parce qu’ils se décrètent femmes, et que cela s’imposerait aux autres sans leur consentement. Il y a une violence psychique, voire un viol psychique dans cette subversion intolérante qui dénie à l’autre la liberté de son regard sur soi. Elle conteste de même la présence de ces hommes-femmes dans les compétitions féminines où ils/elles fausseront les résultats, provoquant la disparition des femmes des futurs podiums, l’avantage compétitif étant manifeste et prouvé par les biologistes en matière de masse musculaire par exemple. Le sport féminin avec des femmes est alors condamné par la domination patriarcale d’athlètes hybrides : hommes trans, mais au départ hommes.

En réaction, quelques 200 universitaires signent une lettre ouverte pour rappeler les principes de la liberté académique, mise à mal par cette stratégie guerrière de subversion, les politiques subissant eux aussi la propagande de guerre et les menaces, préférant se soumettre en liquidant la liberté universitaire au bénéfice d’une dictature idéologique, dénuée de tout fondement scientifique véritable. Kathleen Stock publie en 2021 Material Girls : Why Reality Matters for Feminism où elle explique le contre-sens des juristes et avec eux du droit, qui opèrent par préférence pour une fiction, en pensant que l’encre fera la vie[12]. Cette revendication de l’identité d’un genre en toute liberté qui n’est au passage que le sexe opposé ou une situation intersexuée, ne saurait pourtant dissoudre la réalité du fait biologique. Et ce n’est pas parce que les sociétés ont mille manières de construire le jeu social des sexes que ces derniers disparaissent sous ce jeu social. Le sexe en est le substrat qui laisse à la culture sa part. La violence politique de Butler commence dans cette liquidation de la liberté du regard de l’autre sur soi, fusse-t-il désapprobateur.   

Ce cas témoigne d’un procédé d’intimidation, de menaces, d’exclusions qui nomment l’ennemi, ce traitre qu’il faut exclure socialement, empêcher d’enseigner même. La théorie du genre aurait donc un statut de vérité infalsifiable et irréfutable, ce qui par définition, en fait une idéologie bien plus qu’un savoir scientifique, soit un dogme objet de croyance et de soumission. L’idéologie se distingue de la science en ceci qu’elle refuse le dialogue rationnel inhérent à des controverses scientifiques où l’on observe des faits, des résultats, des méthodes et des arguments étayés. Elle leur préfère l’attaque ad hominem, preuve irréfutable que le combat porte sur les personnes bien plus que sur les faits, signe de la propagande idéologique par excellence.

1.2. Le cas Nadia El Mabrouk

Elle est professeur à l’université de Montréal, spécialiste de biologie computationnelle, d’origine tunisienne. Elle a pris des positions contre le port du voile dans un pays de tradition communautaire qui ne discerne pas, comme elle, le côté aliénant de ces rites qui ont été, depuis Bourguiba en 1956, abandonnés au nom de l’égalité et de la liberté des femmes en Tunisie. Cela déplaît déjà dans ce syndicat qui est favorable à la liberté du port du voile, y voyant au Québec une liberté, là où elle voit le signe d’une culture de l’asservissement des femmes. Elle a pris des positions contre la théorie du genre et commis le crime, aux yeux de ses détracteurs, de nommer garçon un transsexuel de 14 ans s’identifiant en tant que fille.

L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal est un syndicat qui l’a exclue d’un colloque pour ces motifs, l’accusant de transphobie et contestant sa vue d’une laïcité intransigeante. Nadia El Mabrouk a immédiatement mis en cause le syndicat et inversé le rapport de force. Elle a fait savoir que l’accusation de transphobie nuisait à sa réputation jusqu’à constituer une menace qui lui faisait craindre pour son intégrité physique. Elle parle de lynchage public. Le syndicat a alors convoqué une assemblée extraordinaire, dans la pure tradition des accommodements raisonnables canadiens, pour désamorcer ce conflit risqué, sa présidente tentant de convaincre de l’utilité de sa ré-invitation. Comme le cite le journal Le Devoir du 30 janvier 2019, Nadia El Mabrouk met le syndicat face à ses responsabilités, je cite : « Le fait d’envoyer une lettre à vos sections en mentionnant mon nom et mes supposés propos ajoute une couche à l’atteinte à ma réputation et a pour effet de motiver des propos intimidants de la part de plusieurs personnes. Je suis maintenant l’objet de jugement dans chacune de vos délégations syndicales, et en particulier à l’école de mes enfants. » Elle met en évidence la responsabilité future de la présidente du syndicat, en cas d’agression par exemple.

Qui peut, en ces circonstances, nier que nous sommes dans la propagande de guerre de Morelli ? Tout y est. Agression, diffamation, accusation, exclusion de l’ennemi, censure, dénonciation, intimidation, atteinte à la réputation, harcèlement, au nom de sa juste cause.

1.3. Et quelques autres cas éloquents

Il existe aussi des cas qui confinent à l’absurde, digne de Jarry ou de Ionesco. Ils ont en commun la situation ubuesque et plus encore les manœuvres de harcèlement des militants du genre en particulier. Ces cas permettent de constater le degré de déréalisation de manière pragmatique. Alors que Butler et ses suiveurs noient leurs lecteurs, dans un langage abscons, prétentieux, conceptuel, amphigourique et ratiocinant[13], parlons des victimes et des situations engendrées par la concrétisation de leur discours. Mettons à l’épreuve ces discours subversifs puisqu’ils produisent des situations invraisemblables.

Commençons par celle du docteur Victor Acharian. Il refuse en août 2023 une consultation à un couple dont la personne a ausculter est la.e compagne.on trans d’un homme. Il s’agit d’un homme en transition sexuelle de 26 ans, se plaignant de douleurs à la poitrine. En réaction à un mauvais avis sur Google, le médecin écrit en commentaire, je cite : « Je n’ai aucune compétence pour m’occuper des hommes, même s’ils se sont rasé la barbe et viennent dire à ma secrétaire qu’ils sont devenus femmes. »  Ce gynécologue obstétricien connu sur la place de Pau a depuis été l’objet d’une attaque militante en règle et bien sûr accusé de transphobie.

Ce cas manifeste la limite épistémologique d’un langage performatif revendiqué par Butler, en contradiction des théories d’Austin et Searle[14]. Il manifeste toute l’aporie, voire l’incurie des propositions de Butler[15], quand le médecin ne peut suivre le patient dans son délire performatif, car le médecin soigne un corps et non un langage. Comme le disait les scholastiques, le mot chat ne miaule pas. L’extension de l’application de ce principe performatif n’a d’ailleurs aucune limite chez Butler. Le performatif, en dehors de son champ d’usage devient avec elle mythomanie, mensonge, délire, rêve, et l’autre aurait à se soumettre à ce regard sur soi qui fait injonction du regard que l’autre porte sur soi : terreur et tyrannie à l’évidence. Le docteur Acharian ne se soumet pas à l’injonction et il rappelle l’existence effective du corps, de cette chair vivante qui n’est pas ce que l’on énonce qu’elle serait. La dimension éthique au-delà de la polémique émotionnelle va s’avérer bien réel par la suite.

Butler se fourvoie quant à l’extension des énoncés performatifs qui feraient le réel. En effet, Austin et Searle évoquent des cas précis[16] , là où Butler en étend l’usage dans un enfantillage, où dire que je suis une fusée me ferait être une fusée. Elle oublie que le langage fait interface avec les choses, elle ignore visiblement les enseignements d’Austin et Searle. Sa théorie implicite du langage détourne celle de Searle. Elle la subvertit, en faisant un instrument de déconstruction du réel, mais certainement pas un instrument logique ou d’analyse scientifique. Le cas du docteur Acharian atteste de l’inconsistance théorique des études du genre dans la vie quotidienne avec ses vérités triviales. Sauf à être dans le simulacre, le médecin ne peut faire un examen gynécologique d’un homme, qu’il fût trans, alors qu’il n’est pas physiologiquement doté des organes sexuels féminins, mais au mieux de certaines de leurs apparences externes.

Continuons par cet autre fait divers où l’enchainement des faits est semblable : injonction de se conformer à une affirmation performative, mise en échec d’une institution qui en reste au fait observable, en vertu que fille n’est pas un jugement ou une déclaration comme être coupable ou être marié. C’est un mot qui acte une correspondance avec des réalités observables. L’institution est ensuite accusée de transphobie et le recours au droit acte l’emprise de la prescription fantasmatique du droit sur la vie. Ici, la mairie de Puteaux est mise en cause en mars 2023 par la mère d’un enfant de 12 ans. Celui-ci est engagé dans un processus de transition, trop jeune encore pour les interventions chirurgicales. Il est donc physiologiquement une fille qui souhaite devenir un garçon. Lors d’un voyage de groupe en Italie, la jeune fille a été hébergée avec les autres filles. La mère se plaint et considère que sa fille-fils est traumatisée. Elle veut poursuivre la ville pour transphobie, celle-ci rappelant qu’elle se doit de penser à tous les enfants et qu’elle ne va pas mettre une jeune fille en hébergement avec les garçons. Imaginons que la mairie ait imprudemment mis cette jeune fille avec les garçons et qu’elle ait subi des attouchements, un viol même. Qui serait responsable ? Y aurait viol d’un garçon sur un garçon qui n’en est pas un mais qui se revendique comme tel, sans sodomie ? De quoi parlerions-nous alors devant le juge puisque le réel a été une première fois subverti ? L’incongruité épistémologique tient bien à cette extension totalement illogique de la fonction performative du langage décrite par Austin puis Searle.

Soit Butler n’a rien compris à la philosophie du langage, soit elle en fait intentionnellement un instrument politique dévoyé, pour son combat idéologique. En effet, le juge déclarant coupable ne commet pas un abus de pouvoir ou il ne le fait pas par caprice. Ce moment performatif succède à une enquête judiciaire qui accumule des faits comme un scientifique pour étayer, démontrer, prouver cette culpabilité avec des éléments bien réels, bien vérifiables par tous et qui justifient alors le jugement. De même des déclarations religieuses : baptême, mariage, elles n’ont de réalité performative que si l’assemblée y croit, que si les témoins y croient, que si le corps social partage les conséquences de l’engagement en termes de responsabilités et d’actions futures ordonnées à cette performance, et qui sont connues de tous : vivre en chrétien, rester fidèle, etc. qui seront progressivement les preuves réelles et observables que le langage performatif a été une promesse porteuse d’actions en accord avec le sens de la déclaration. C’est un langage performatif par l’engagement à faire ou ne pas faire certaines choses.

Ces cas mettent en évidence la pratique de la dénonciation de l’ennemi : transphobe, avec une tendance à la psychiatrisation, comme si tout cela témoignait d’un désordre mental. L’accusation de « phobe » est elle-même un signe de propagande de guerre. La subversion opère dans cette disqualification de la personne comme de son propos puisqu’elle agresse la personne pour ne pas répondre aux faits et arguments, qui ne sauraient être, en aucun cas, mis sur un pied d’égalité, à la manière d’une divergence légitime de points de vue, dans une société de libertés. La propagande de guerre s’est bien mise en œuvre, dans ces cas, pour interdire la discussion et obtenir des sanctions bien réelles. Ainsi, la multiplication des cas constituerait une somme édifiante. Or Butler incite à ces études sur le genre et son concept s’étend à de nombreuses disciplines : histoire, anthropologie, sociologie, psychologie, architecture, etc. Il se diffuse, absorbe, comme un nationalisme envahissant conquiert des territoires symboliques pour les asservir à son identité : le genrisme[17].

2. La théorie du genre, idéologie scientifique

Ces cas révèlent une insuffisance théorique. Loin d’être une science du genre, nous sommes en présence d’une idéologie très loin des critères épistémologiques d’une démarche scientifique vers l’énoncé d’une théorie. En effet, une théorie répond à quelques critères. Elle a un caractère explicatif à partir d’une observation méthodique selon des protocoles qui constituent une base de faits expérimentaux. Il y a des concepts avec leur correspondance à des catégories de faits, clairement établie. De même, la théorie permet des prédictions exactes, soit l’anticipation par sa modélisation d’une situation future prédictible du fait de la compréhension et description des enchainements de phénomènes en vertu de lois. Elle est précédée de protocoles, d’expériences avec leurs hypothèses et leurs méthodes pour accréditer, limiter, falsifier et produire des modèles éprouvés. Celles-ci résistent à l’expérience et elles ne trouvent pas de contre-exemple, si ce n’est à pouvoir les ramener sans les nier à la théorie, et ce, sans affecter la théorie : nouveau paramètre par exemple. Or, la « théorie » du genre manipule un concept à vocation subversive pour recouvrir de son réductionnisme toutes les réalités biologiques, sociales et politiques jusqu’à les dissoudre. Cette notion a un caractère dissolvant. Montrons en quoi elle constitue une idéologie scientifique très identitaire, dénuée de toute légitimité scientifique, l’université devenant au passage en Occident, le lieu où ces constructeurs de normes se substituent aux chercheurs désintéressés, sincères et loyaux, procédant par identification à leur nation symbolique à l’exclusion de tous les étrangers : les traitres, les ennemis, les contestataires qui n’ont pas à s’exprimer. Ces constructeurs de normes ont tout d’un nouveau clergé[18]. Ce n’est plus une science, c’est une construction par des « prêtres » qui livrent un combat idéologique, subvertissant l’institution universitaire pour en faire le lieu de l’édification et de la diffusion des nouvelles normes sociales.

Outre cet écart épistémologique, la théorie du genre ou les études sur le genre correspondent en revanche très bien aux trois caractéristiques si bien développées par Hannah Arendt dans Le système totalitaire[19]. La théorie du genre posée par Butler et prolongée par ces milliers d’études sur le genre ont en commun ces trois caractéristiques. Celle de l’extension de leur pouvoir d’explication universelle qui confine au réductionnisme méthodologique. Celle ensuite du déroulé déductif qui n’acquiert jamais aucune légitimité par des démarches expérimentales cherchant la mise à l’épreuve. Celle enfin du concept axiomatique, ici le genre, qui n’est plus jamais mis en cause, car faisant l’objet de leur croyance idéologique, soit un processus de reconnaissance et d’identification à sa cause.

2.1. Le genre, nouvelle identité symbolique-mythologique

Il s’agit d’une identité symbolique en ce sens que rien n’est établi scientifiquement. Butler tente bien de s’attribuer quelques légitimités scientifiques pour s’attaquer à la question des espèces sexuées, mais elle renoncera vite à cette tentative infructueuse pour, plus radicalement, liquider la biologie. Elle écrit :  

« 10 % au moins de la population porte des variations chromosomiques qui n’entrent pas parfaitement dans les catégories de femelles XX et de mâles XY. » (2005, 217-218)

Déjà, la controverse sur la réalité de ce taux a été vive. Butler a été contredite par toutes les données disponibles sur la réalité intersexuelle qui est en France de 1,7%. De plus, son anthropocentrisme est très limitatif. Comment faire du sexe une réalité strictement sociale alors qu’elle est une réalité commune, a minima, aux mammifères ? L’homme est-il ou non un mammifère ? Les animaux auraient-ils des représentations sociales qui feraient qu’ils ont adopté une sexualité de la domination du mâle sur la femelle ? Pourquoi ne pas considérer l’humain selon son simple statut de mammifère pour vérifier si le sexué est en grande partie un fait de nature donné et non une unique fabrication culturelle ? Le singe, le lion, le cerf sont-ils victimes d’une genrisme patriarcal où sont-ils simplement sexués par la nature, avec des comportements sociaux observables chez les babouins, les hyènes, par exemple, où les positions sociales, les mœurs résultent en bonne partie de cette sexualité ? Pour se défaire du biologique, il faudrait démontrer que notre espèce est en dehors de la nature, en dehors de la biologie, afin d’avoir raison du sexe et de le réduire à une construction strictement sociale du jeu des sexes dans la société. Si personne ne peut nier que chaque civilisation a construit des rituels sociaux à partir de la réalité sexuée, cela n’autorise pas un renversement causal dans l’ordre des espèces sexuées auxquelles nous appartenons. Et cette figure-là n’est pas le fruit d’un biologisme patriarcal, mais d’abord une vérité triviale de la vie quotidienne que des sciences, dont la biologie, ont mis en évidence dans certaines de leurs dimensions : génétiques, chimiques, anatomiques. Niant l’identité naturelle, la construction de Butler invente une identité symbolique avec son icône subversive : le.a drag queen.

Cette identité symbolique se fait donc au prix de l’écrasement de la biologie. Il ne suffit pas de procéder par la propagande de guerre en dénonçant le biologiste traitre à la cause. Il faudrait démontrer que l’humanité n’est pas dans l’ordre des mammifères pris dans les réalités organiques de ces espèces et que la culture est le tout, comme si le langage précédait le monde, le recouvrant de son pouvoir magique de faire le réel par proclamation. Je ne crois pas un instant qu’un chercheur sincère puisse un instant nier le caractère sexué de l’espèce, la génétique sexuelle, les productions hormonales, les cycles sexuels, etc.[20] au sein du règne animal des mammifères dont la reproduction est sexuée, avec le mâle reproducteur et la femelle porteuse et nourricière. Le passage au genre est donc une fiction qui s’impose en forgeant une identité symbolique envahissante. Ce monopole accordé aux rites sociaux et aux représentations sociales en fait une mythologie-mythomanie, voire une imposture, à la manière des récits nationaux qui sont aussi des fictions symboliques. Nous basculons dans une pensée magique, par cette foi subversive accordée au langage faiseur du réel, en sacrifiant-mutilant le donné. C’est l’imposture du mythe.

Cette dérive subversive vers l’apologie d’une identité symbolique tient au déni de ces vérités triviales. Rappelons que le terme de mammifère traduit bien l’idée des espèces à mamelles pour subvenir à l’alimentation des nouveau-nés, soit une fonction biologique de la mère, du fait de l’incapacité du nouveau-né de se nourrir. Or, nos « femelles » sont bien des nourricières par destination. La trivialité est de mise ici, parce que les vérités triviales sont celles d’un quotidien qui ne se subvertirait que dans sa destruction. Et les identités symboliques, nationales ou genrées fonctionnent ici de la même manière. Elles inventent leur récit : le récit national[21] ou le récit du genre auquel il s’agit de s’identifier. Et leur construction culturelle s’impose, au risque de passer pour un traitre à la nation ou au genre ! Or, l’apologie du genre et l’organisation identitaire des mouvements qui le promeuvent en agressant et excluant les autres procèdent de la même manière. Il y a d’abord le récit, les signes de reconnaissance, le langage, les rites et les usages et tout ce qui renforce l’unité de ces nationalistes symboliques du genre dans leur combat, par la mise en œuvre des principes de propagande qui agissent autant sur eux que sur leurs victimes.

Revenons un instant sur les deux figures du/de la drag-queen et de la transition de genre dont on fait la promotion, voire l’exhibition jusque dans le monde scolaire ces dernières années, après en avoir multiplié les apparitions dans les médias, surtout aux Etats-Unis. Cette propagande d’une nouvelle normalité a un effet sur les demandes de transition avec le rôle de l’icône[22]. Lui ressembler, créer la norme, la promouvoir, faire changer, dire que le réel est cela. La propagande du nationalisme symbolique recrute et fabrique ses membres. Ainsi, pour s’imposer, la nouvelle identité produit sa mythologie, son imposture historique et intellectuelle. A cet égard, l’œuvre de Butler est une magistrale imposture scientifique qui fabrique son imaginaire et le diffuse. Son raisonnement nationaliste symbolique consiste bien à dire que la culture outrepasse et liquide les réalités physiques. S’impose le mythe de l’identité de genre comme celui de l’identité nationale, avec leurs icônes et leurs drapeaux, les procédés étant les mêmes. On ne promeut plus le bel aryen mais l’iconique transsexuel en poursuivant les mêmes buts de promotion de ce stéréotype, inspirant, à imiter et à copier, à l’exclusion d’autres représentations : orthodoxie du modèle oblige.  

2.2. Le genre, nouveau nationalisme symbolique

Le nationalisme est exclusif puisqu’il se construit tout à la fois sur sa mythologie et sur ce qu’elle exclut. Le mythe distord le réel pour en faire des traits jusqu’à la caricature, attributs exclusifs et excluants. Être absolument ceci pour que tout ce qui ne l’est pas soit exclu de cette pureté raciale, nationale, sociale et maintenant sexuelle. Il faut bien inventer des traits de caractère, des traits physiologiques qui sont les attributs de chacun des membres de la nation : identification oblige. Mais pour construire l’identité symbolique, il faut bien nier le réel dans son infinie variété des êtres pour que ceux-ci se conforment à un modèle. Le réel est subverti et réinventé.

La théorie du genre procède de même avec son déni du réel qui s’accompagne d’une hypothèse mythologique que personne ne peut à ce jour démontrer. Il s’agit du postulat d’une psyché désincarnée et asexuée[23]. L’ignorance enfantine de son sexe, qui reste à démontrer, n’est en aucun cas la preuve de l’asexualité de l’espèce. Pour préférer cette période, il faut refuser le processus créatif de maturation du vivant dans son vieillissement. Pour le défendre, il faut sans aucun doute faire l’apologie d’une inéluctable régression du sexué vers le fantasme de l’asexué, de la procréation d’un être nouveau à la régression vers la reproduction de soi : le clone, présenté d’ailleurs par des scientifiques comme une progrès, alors qu’il s’agit d’un retour à un état de développement du vivant moins à même d’engendrer des êtres vivants complexes, par division cellulaire par exemple.

A cet égard, lorsque Deleuze évoque la déterritorialisation, il s’agit bien de quitter les territoires de la nature pour arracher l’humain à sa condition, en prétextant de la puissance de sa volonté d’advenir selon son désir. Mais dans l’apologie de l’icône du.de la drag queen de Butler, il y a un contenu quasi mythologique qui est à l’œuvre. En effet, la réalité triviale de l’être sexué est une injure à l’individu total qui s’imagine sans limite. Dépendre d’un autre différent et désirable, en reconnaissant qu’il n’est pas soi, c’est bien se confronter à sa limite et à une altérité, à la différence sexuelle avec sa part d’inconnaissable en matière de sensibilité, d’émotion, de vécu physiologique, etc., ramenant chacun à une part seulement de l’expérience humaine. Cette limite est proprement insupportable pour qui prétend à un individu total, autonome, autosuffisant. La sexualité est alors une insulte à sa propre divinisation individuelle, et il est intéressant de noter que Butler reproduit la très ancienne figure mythologique d’une sexualité de la chute. Platon dans le Banquet n’évoque-t-il pas cette humanité entière d’être complet à quatre jambes et quatre bras et doublement sexué que la colère des Dieux coupe en deux pour la diviser : la chute de l’être parfait dans la division sexuée[24] ? Cette coïncidence des opposés crée un territoire symbolique, celui de l’être parfait et total, d’où l’apologie du.de la drag queen. Le.a drag-queen rejoint la figure mythologique de l’être complet, tout à la fois homme et femme, s’adonnant librement aux travestissements, en toute liberté. La figure symbolique est inventée, il faut la promouvoir et la faire adopter, comme l’aryen ou l’ouvrier dans les nationalismes symboliques raciaux ou sociaux du 20e siècle, dépassant les races et les classes dans une figure symbolique à laquelle s’identifier, au prix, chaque fois, du sacrifice de la biologie humaine faisant été du donné.

A ce sujet, comme le décrit Amnesty International[25], il n’y a pas de comparaison possible entre les personnes nées dans un entre-sexe et les désirs de personnes sexuées aspirant à un changement de sexe ou à la conquête d’un statut de personne intersexe. La supercherie de Butler commence d’ailleurs ici. La proportion naturelle des personnes naissant sans un sexe bien attribuable est très faible, comme dans toutes les espèces de mammifères. Comme l’indique à juste titre Amnesty International, la vie de ces jeunes personnes intersexes comme leur « normalisation » vers un des deux sexes est aussi traumatisante, du fait des opérations chirurgicales. Il convient de leur laisser le choix, de vérifier les conditions et d’éviter des traumatismes. Pourquoi cet avertissement d’Amnesty International, étayé des avis de médecins et de psychologues ne serait pas pertinent dans le cas contraire ? Il en est bien de même dans cette trajectoire d’un sexe vers l’autre ou vers l’intersexe. Ils seront eux aussi mutilés, au nom d’une nouvelle norme, celle d’une sujétion au désir d’être ce que l’on veut, menaçant toujours l’intégrité physique de la personne. Dans tous les cas, il y a une agression irréversible des corps.

La subversion de la biologie par une autre science en lui déniant ses savoirs et ses conclusions procède de ces réductionnismes méthodologiques totalitaires : nazisme, communisme ou genrisme qui ont habité des groupes de chercheurs, militants élargissant les conclusions de leurs disciplines dans une extension illégitime et inconsistante sur le plan méthodologique et épistémologique. Ainsi, osé dire comme certain auteurs[26] que la science est marquée par une matrice représentative hétérosexuelle, c’est tout simplement nier le fait expérimental, condition de la scientificité du propos. A cet égard, l’accusation de biologisme revient à faire du discours scientifique, une fiction parmi d’autres[27]. Cela conduit à faire de l’hétérosexualité une simple norme sociale alors qu’elle est avant cela un fait physiologique et biologique que nos auteurs de la théorie du genre nient tout simplement. Ces nationalismes symboliques fabriquent une idéologie scientifique : lutte des races, des classes ou des sexes, à partir d’un concept toujours très mal établi scientifiquement.

Butler, fascinée par le concept de langage performatif répète souvent que le mot fait la chose et non la chose se représente par sa juste correspondance dans les mots. Or, cette position épistémologique plus que linguistique, est tout simplement anti-scientifique et commune à ces mythologies nationalistes. S’il faut des concepts pour décrire des phénomènes, il faut des phénomènes pour les réunir sous des catégories. Or, elle revendique cette posture idéologique au sens propre, là où les idées priment les expériences et l’observation loyale et désintéressée des phénomènes qui n’existent pas pour elle[28]. Enfin, qu’en est-il si cette promotion venait à se généraliser et à subvertir la réalité sexuelle de l’espèce par l’artificialisation de son genre et une promotion des thérapies de conversion[29], dont les termes mêmes dénotent une approche sectaire, voire mystique étonnante, d’un fait chirurgical intrusif et mutilant ? C’est toute la question kantienne de l’universalisation de son action afin d’en éprouver la qualité morale et politique, soit sa cohérence interne et son acceptabilité lors de sa généralisation.

3. Les effets politiques d’une généralisation des pratiques transitionnelles

La dimension politique est aujourd’hui bien présente. Déjà, une dizaine d’Etats Américains ont interdit ou visent d’interdire ces opérations : Floride, Wyoming, Dakota du Sud, Idaho, Utah, Texas, Alabama, Tennessee, Arkansas et Missouri[30], constatant ces mutilations des mineurs de leurs organes sexuels. Ces politiques perçoivent les drames humains, les échecs et plus encore les demandes contraires et polémiques qui s’ensuivent, attestant d’un consentement initial non-éclairé. Il y a donc des griefs imputables à la théorie du genre avec ses mutilations et ses victimes. Nous commencerons cette dernière partie par un aperçu des violences et des intérêts immédiats dans le scandale de la clinique Tavistock, emblématique des dérives de l’idéologie du genre, qui ne sont pas sans rappeler les horreurs médicales des hôpitaux du Reich en matière de races et d’expérimentations, toujours au nom de l’avènement d’individus conformes au projet de leur nationalisme symbolique.

3.1. Le cas de la clinique Tavistock

Le service de Développement de l’Identité de Genre pour les enfants a été fermé sur décision du National Health Service (NHS). Cette clinique a reçu de très nombreux enfants, et plus de mille ont reçu des bloqueurs de puberté comme le décrit la journaliste d’investigation Hannah Barnes[31]. Elle fait état de pratiques médicales inhumaines et d’un consentement très contestable d’enfants très jeunes, à peine dans la préadolescence. On y notera même des pratiques sectaires consistant à séparer les enfants de leur milieu familial, cet isolement les mettant sous l’influence directe des médecins, arguant des lois qui prétendent émanciper les enfants de prétendues néfastes influences parentales, pour le bonheur de leurs nouveaux protecteurs, intéressés à leur conseil.  Elle témoigne des souffrances endurées par ces enfants et du caractère économique et mercantile de ces prescriptions, pour conduire le plus grand nombre à une situation quasi-irréversible d’une transition de genre chirurgicale traumatisante, comme le montre l’affaire Chloe Cole en Californie[32]. Hannah Barnes décrit le trouble d’une partie de la communauté médicale, très déstabilisée par ces pratiques interrogeables. Enfin, la journaliste montre comment cette affaire est devenue un scandale de santé publique conduisant à la fermeture de ce service, après l’audit du docteur Hilary Cass[33].

Force est de constater que les théoriciens du genre omettent les conséquences de leur propagande. Elle se concrétise dans ces réalités triviales : des actes médicaux, des faits opératoires, des suites, voire des suicides qui s’ensuivent. Ces jeunes ne sont pas accompagnés, leurs angoisses deviennent un piège fatal que les adultes instrumentalisent pour mener des expériences, commettant l’irréparable sur des jeunes dépressifs, autistes parfois, atteint de dysphorie de genre mais aussi d’anorexie ou d’autres troubles et maladies. Fragiles, ils subissent une pression psychologique, leur environnement parental est culpabilisé, voire menacé du fait de chantage à la survie, avec l’exhibition du risque de suicide. Il est d’ailleurs étonnant de justifier une émasculation de jeune garçon parce qu’il serait consentant et de réprouver l’excision traditionnelle imposée dans des sociétés traditionnelles. Où est la différence quant à la maltraitance des corps et à la défiguration définitive d’une vie biologique ? Le fait est là : amputation des organes sexuels[34], et la situation des personnes nées intersexe est une démonstration à elle seule de cette réalité. Lire attentivement notre note 30.

Concernant les bloqueurs de puberté utilisés pour des enfants dont on fait exprimer une angoisse sur leur désir de devenir ce qu’il ne connaisse pas : un adulte sexué homme ou femme, l’exploitation de leur angoisse fait obtenir un consentement qui n’en est pas un[35]. Et pour bloquer leur puberté, les thérapies sont celles utilisées pour la castration chimique des délinquants sexuels. Il s’agit d’une destruction chimique des futures capacités de reproduction : sensibilité, érotisme, épanouissement et liberté amoureuse jusqu’au désir d’enfantement. Tout cela est définitivement massacré à vie.

Concernant l’accompagnement psychologique, le protocole consiste essentiellement à faire s’exprimer l’enfant âgé de 12 à 13 ans, puis à lui imposer les bloqueurs de puberté, ensuite des traitements hormonaux et enfin des interventions chirurgicales, dîtes de réattribution définitive qui désensibilise le corps, à la manière de l’excision, puisque les organes sexuels naturels sont amputés et des simulacres d’organes génitaux opposés sont mis en place, sans innervation et réalité physiologique environnante. Ne tombons pas dans le sordide, mais la trivialité du réel exige peut-être de rappeler que le désir humain s’accompagne d’une multitude de phénomènes physiologiques aussi ingénieux que complémentaires pour susciter le désir, permettre l’acte sexuel et envisager son aboutissement à court terme dans le plaisir, voire son autre but reproductif. Le mammifère s’accouple aussi pour se reproduire. Trivial mais vrai. Or, tout cela est annihilé.

Concernant le dissensus au sein des personnel, il conduisit à la démission de 35 psychologues entre 2016 et 2019. Ces derniers témoigneront d’une médicalisation dangereuse aux conséquences incertaines, dont ces fameux bloqueurs de puberté aux effets secondaires méconnus. Ils mentionneront ces démarches contraintes et manipulatrices, sous l’emprise de médecins, privant ces enfants du recours à l’autorité de leurs parents, culpabilisés et contestés, refusant l’exposé d’alternatives à cette transition.  Ces diagnostics excessifs pour des enfants troublés, perturbés, en manque d’affection parfois, et surtout pour certains, souffrant de dysphorie de genre, ne légitime en aucun cas cet acharnement chirurgical.

3.2. Le cas Keira Bell

Elle a subi les traitements prévus à Tavistock : bloqueurs de puberté, hormones et opérations chirurgicales. Elle a souffert de cette nouvelle situation et a poursuivi la clinique. Le jugement de la Haute Cour de justice lui a donné raison, estimant que l’adolescent ne peut consentir en raison, en mesurant les conséquences d’une telle décision, dont d’ailleurs l’ensemble des effets ne lui est pas exposé. En septembre 2021, sur appel des avocats de la clinique, la décision fut contredite au motif qu’elle était incompatible avec la jurisprudence en matière de contraception, qui autorise un médecin et un mineur à décider conjointement en la matière. Les médecins sont donc bien en position d’abuser de leur autorité et de leur savoir sur des jeunes influençables, les isolant de leur parent, pour devenir le seuls interlocuteurs compétents et légitimes, alors qu’ils sont juges et parties, puisqu’ils tirent un profit économique de ces transitions. Or Keira Bell a bien indiqué que ce dont elle souffrait le plus, c’était le fait définitif de sa stérilisation, qu’une adolescente pouvait difficilement évaluer face aux désirs de changement d’apparence, aux fantasmes et jeux du travestissement, jusqu’à sacrifier son corps et ses potentialités, peu appréciables par un adolescent. La substitution de l’autorité parentale par un tiers réputé expert est ici problématique, puisque l’expert est intéressé : juge et partie.

Son histoire n’est pas isolée. Elle témoigne d’une emprise intentionnelle d’une nouvelle parentalité médicale qui se substitue aux parents, et qui en revanche fuit toute sorte de responsabilité quant aux actes commis. Dans son cas, la subversion idéologique falsifie les identités sexuelles, mais aussi les faits dont on dénie l’identification et la factualité. Or, tout scientifique qui dénie la souffrance de la chair et la plainte de son patient, est apte à cautionner les expérimentations sur des humains. Là est le scandale de cette idéologie. Sa violence dans l’usage de la propagande de guerre et son déni, largement similaire aux révisionnismes de ceux qui n’ont pas le courage d’affronter leur crime à la face de l’humanité tout entière. Le cas Oli London est de ce point de vue édifiant de la propagande de guerre qui menace ces jeunes, qu’on conduit au camp de leur stérilisation et de leur défiguration charnelle.

3.3. Le cas Oli London

Cet influenceur suivi par environ un million de personnes sur les réseaux sociaux a un parcours très intéressant concernant les identités et transitions. Anglais d’origine, passionné de K.culture : les modes, les chanteurs et les codes promus par la Corée du Sud, il s’identifie à la Corée et aux coréens jusqu’à désirer une transition « raciale » qui n’est pas sans rappeler celle du célèbre chanteur Michael Jackson rêvant de devenir moins noir, plus métisse, voire blanc. Il veut devenir facialement un coréen. Il nomme cela sa transition raciale. Il vit en Corée, apprend le coréen. Il en est de même de son identité sexuelle, aspirant à devenir androgyne, entre deux sexes. Il se dit alors non-binaire, juste au milieu dit-il.

S’en est suivi une guerre entre son apologie de la transition raciale et sexuelle et des militants du genre, l’accusant de racisme en accomplissant une telle transition, causant du tort, selon eux, aux authentiques et pures transitions de genre : pureté du nationalisme symbolique à l’œuvre ici. Un traitre en vertu du principe 10 de Morelli. Le plus intéressant dans son aventure personnelle, qui n’est pas sans conséquence sur sa physiologie, il annonce le 15 octobre 2022 qu’il va détransitionner pour redevenir un homme biologique. Il annonce peu de temps après sa conversion au catholicisme, puis s’exprime sur ce qu’il ressent comme des traumatismes de son enfance et de ses opérations. Il s’exprime sur la vacuité de ses apparences, ayant découvert par sa conversion religieuse, et non thérapeutique, que le plus important est à l’intérieur, selon ses mots.

Son cas permet de mesurer à quel point la théorie du genre agit selon l’ambition de ses initiateurs, constructeurs de normes agressifs, qui veulent imposer leur stéréotype sur le sexe et les manières de vivre sa sexualité, se conduisant en normatifs identitaires, en nationalistes symboliques guerriers, excluant les étrangers de leur monde : les femmes en particulier et les hétérosexuels[36]. Son témoignage met en exergue la pression des médias sociaux sur les jeunes, les manœuvres de propagande et de déstabilisation, dignes des approches sectaires : isolement, déni du réel, manipulation, prise de contrôle, automutilation, rites d’appartenances, comme dans une tribu ou une secte avec ses sacrifices, ses scarifications, etc[37]. Oli London raconte son histoire dans son livre : Gender Madness. Il dénonce ce qui lui apparaît comme une propagande orientée vers la création d’une industrie des transitions de genre qui, selon lui, vise des milliards de chiffre d’affaires.

Il est devenu un adversaire des théoriciens du genre et milite en faveur du droit des enfants et des femmes, dont nous allons développer qu’elles sont les victimes de cette économie des transitions sexuelles. Les pseudo-libérateurs, comme souvent, sont de bons bourreaux, des terroristes, des agresseurs qui s’arrogent le droit d’agir sur des victimes dont ils nieront qu’elles en sont. Là aussi, point commun du nationalisme symbolique avec le nationaliste identitaire. Voilà pourquoi, nous pensons pouvoir conclure ici par le syndrome de Mengele qui est à l’œuvre chez Butler, ses militants et ses médecins. Ici, l’écrit manipule les mots et l’auteur nie que les mots conduisent à des actes et qu’il y aurait des comptes à rendre sur ces actes inspirés des mots. Butler est cet auteur qui omet de décrire les effets de sa littérature, comme si l’emprise des mots sur le monde était une subversion cachée, le réel n’existant pas.

3.4. Le syndrome de Mengele et le retour des mutilations rituelles

En niant les vérités triviales de la vie quotidienne et en les subvertissant d’une prose militante, Butler crée un environnement manipulatoire où l’imaginaire devient la dictature du réel ; fait commun à ceux qui promeuvent indéfiniment l’imaginaire contre une réalité qui s’en distinguerait. Or, l’observation des faits manifestent tous les symptômes constitutifs du syndrome de Mengele qui sont les suivants :

1. L’objectification des corps devenant des objets par déréalisation de sa vie ou de la vie d’autrui. Elle produit une dissociation entre soi et son corps, soi et l’autre et le corps de l’autre : corps objet et fiction.

2. La sacralisation de la volonté ou du désir comme source de l’action, légitimant toute sorte d’action sans aucune autre limite, jusqu’à imposer ou s’imposer des souffrances psychiques ou physiques.

3. La dénégation des faits, des blessures, des souffrances imposés à l’autre ou à soi

4. La désensibilisation des acteurs commettant des violences par une apathie[38] de type sadomasochiste.

Attardons-nous ici sur la dénégation de la biologie et de l’identité donnée. Cette figure de style est la condition même de la violence sur le corps. Butler rend hommage avec insistance à Monique Wittig et donne caution à une violence dans les mots qui fait préambule de la violence effective infligée au corps en lui déniant des limites biologiques[39].  Et cette négation du corps naturel et donné tient à l’absolutisme du langage omnipotent qui prend sa source dans le contractualisme de Butler où la loi fait l’homme et les choses, car la loi instituante est première[40], rien n’étant antérieur à la loi. La loi soumettra des corps à l’injonction de se conformer au dire. La torture est cautionnée, parce que la loi fait l’être qui ne lui préexiste pas, puisqu’il est une pure construction. De même, Butler cite un commentateur de Nietzsche pour soutenir que l’homme n’est qu’une réalité linguistique[41], soit le fruit d’un dire créateur : pensée magique des pouvoirs du langage. Ces figures de rhétorique posent un problème dès lors qu’on s’interroge sur leurs effets dans la vie concrète, les blessures et les mutilations. Sont-ce aussi des mots, que des mots, où parle-t-on d’humains et de réalités dans leur trivialité ? La posture mengelienne de Butler est manifeste, puisqu’elle soutient une posture épistémologique qui déni à l’homme une existence antérieure. Or, cette conception philosophique, tant étudiée et dénoncée par Arendt, est la base des nationalismes totalitaires et de leurs exactions[42].

Dans les faits, les études médicales attestent des immenses souffrances imposées aux personnes se lançant dans une transition sexuelle. Elles sont balayées par ces propagandistes et assez largement occultées dans les médias. Toute information triviale faisant preuve d’empathie, témoignant des souffrances, interrogeant le désir en question et cette distance objectifiante à soi ou à l’autre est négligée. Là est le syndrome de Mengele. Et le personnel de la clinique Tavistock a bien été confronté à cette dissonance cognitive majeure, avec ceux qui ne voyaient rien de mal à leurs expérimentations et ceux qui n’ont plus supporté cette réalité des tortures et des destructions des corps et des vies jusque dans la détresse des enfants. Dans le syndrome de Mengele, il y a évidemment la question de la responsabilité. Or, les médecins de Tavistock n’ont pas eu l’honnêteté intellectuelle d’affronter leurs actes et leurs conséquences. Ils ont usé avec leurs avocats d’un parallèle juridique pour se disculper du fait du droit existant des jeunes à consulter pour obtenir des contraceptifs. Est-ce bien de même nature ? Est-ce bien comparable dans les effets ? Est-ce bien irréversible dans les deux cas ? N’y a-t-il aucune responsabilité ? Le jugement a ici plus tenu au respect d’une cohérence juridique bien fragile, au lieu d’affronter la question posée de l’extorsion du consentement, de l’abus de faiblesse, de l’amputation définitive d’une part de son intégrité physique, d’une stérilisation aliénante à vie comme l’a examiné la Haute Cour. Ces médecins sont bien les fils spirituels de Mengele. Leur défense l’atteste, car elle vise à se dérober, se disculper, sans écouter les victimes, leur plainte étant inaudible.

Conclusions

Notre conclusion tient en quatre enseignements majeurs : a) L’effacement des femmes, b) une idéologie guerrière, c) l’imputabilité des mutilations à cette théorie et ses auteurs, d) la fabrique de la stérilisation de masse

a) L’effacement des femmes

Butler ne supporte aucune alternative. Elle est doctrinaire dans ses exposées. La domination masculine serait un fait avéré et universel et le statut de la femme serait le seul résultat d’une construction sociale tout aussi universelle. La déconstruction qui s’ensuit devient une entreprise de subversion propagandiste et idéologique, une œuvre de constructeurs de normes qui vient remplacer une orthodoxie par une autre. Butler méprise en fait la féminité. En attaquant la figure masculine de la domination patriarcale, elle maquille son agression contre les femmes et use d’une dialectique qui liquide les deux sexes. Butler part ainsi en guerre contre la féminité, prétextant d’une hypothétique construction des femmes par les hommes dominants. Les femmes n’ont-elles pas eu leur part dans la société[43] ? Et la situation actuelle autorisant les trans dans les épreuves sportives féminines démontre l’effacement des femmes. Elles n’existent pas, elles sont un imaginaire. Celle qui s’imagine femme dans une féminité sexuée est alors coupable et elle a tort. La femme n’a pas même la liberté de se déterminer comme femme, comme mère, séductrice, etc. Le nationalisme symbolique fait une victime réelle : la féminité, au nom d’une égalisation des sexes qui conduit à leur dissolution[44].

b) Une idéologie guerrière

Butler installe la stratégie de guerre qui n’a rien à voir avec une démarche expérimentale et scientifique et encore moins la non-violence. Elle est bien présente dans ses textes où elle déclare la guerre aux autres sciences au nom de la domination absolue de ses propres thèses absorbantes. Elle déclare la guerre aux représentations sociales qui lui déplaisent, sans aucune considération pour des civilisations, des religions, faisant table rase de manière impériale. C’est d’ailleurs un trait hautement colonial de la théorie du genre, arme de conquête et de destruction des cultures qui résisteraient à son injonction doctrinaire. La guerre civilisationnelle est bien là, dans la catégorisation des sociétés qui adhèrent à l’injonction et celles qui indignement y résistent jusqu’à devenir le nouvel étendard des démocraties avancées contre les ignorants. L’acceptation de l’altérité est nulle, la théorie du genre agit comme un imperium moral. Non seulement, elle liquide la différence sexuelle, elle liquide aussi les différences civilisationnelles. Butler est une impérialiste du genre et de sa figure iconique : le.a drag-queen, dont les militants organisent l’universelle promotion. La subversion des identités impose son identité négative. Butler, alors qu’elle prétend ouvrir des libertés en émancipant chacun, soutient en fait une destruction de toutes les traditions qui viendraient interroger le bien-fondé de cette émancipation et des contestations des rôles sociaux attribués aux sexes, et qui conviennent à beaucoup.

c) L’imputabilité des mutilations à cette théorie et ses auteurs

Butler se fait le chantre des Mengele qui sévissent pour développer l’économie médicale des transitions de genre. Nous sommes là face à la question de l’imputabilité.  Or en niant le réel, en affirmant le caractère constructif de toutes les représentations sociales, le glissement vers l’irresponsabilité collective et l’impossible imputabilité des actes semble émerger. Butler est pourtant responsable des actions menées par référence à ses combats. Les crimes commis lui sont imputables, parce que sa théorisation est de même nature que la théorie des races, avec le même recours à la subversion violente, largement étayée dans cet article, avec l’instrumentalisation de la médecine comme outils de la transformation de l’humain[45], comme dans les camps de rééducation communistes et les camps d’exterminations nazis. Quand les mots produisent les possibilités de la torture et de la maltraitance systémique des enfants, il y a une imputabilité puis une responsabilité. Les procès en cours et ceux qui ne manqueront pas d’advenir vont sans doute rétablir quelques réalités triviales. Mutiler sexuellement un enfant est un crime, indépendamment des représentations sociales qui voudraient le justifier.

A cet égard, les positions prises dans de nombreux Etats Américains, comme la synthèse de la table ronde de l’Assemblée nationale sur les opérations infligées aux intersexes sont les signes d’un renversement prochain. Il y a bien crimes, tortures, victimes, demandes de retour, malheureusement impossible, à l’état initial, après la mutilation physique. Ces crimes sont commis sous l’influence de médecins, eux-mêmes pris dans la tourmente des injonctions idéologiques. Butler porte l’entière responsabilité de ces crimes et elle ne peut se disculper de la responsabilité de son œuvre de subversion. A chaque fois, certains veulent mener une révolution anthropologique : raciale, sociale et aujourd’hui sexuelle. A chaque fois des crimes de masse sont justifiés : camps de ré-éducation, camps d’extermination, aujourd’hui cliniques de conversion. Ces crimes sont à chaque fois imputables à des auteurs et à leur idéologie. Les peuples sont ainsi martyrisés par des élites qui sans cesse les persécutent au nom de leur désir de sortir l’homme de sa condition limitée et d’une nouvelle pureté : raciale, sociale ou sexuelle. Ces nationalismes symboliques auront été à chaque fois des crimes contre toute l’humanité, et ces promoteurs pratiquent toujours le révisionnisme induit, qui consiste à nier les crimes commis, sans oublier leur culte de la répression des opposants, autre crime.   

d) La fabrique de la stérilisation de masse

La dernière est celle de l’aliénation des humains naturels, les privant de leur sexualité, de leur liberté d’aimer et d’engendrer. Butler soutient en fait une économie de la transition et un capitalisme de prédation qui se nourrit de l’asservissement des patients à des traitements hormonaux à vie qui feront la fortune des laboratoires et de ces cliniques qui se multiplient pour que chacun puisse réaliser son fantasme de devenir autre par la thérapie de conversion ?[46] Butler est ici la complice objective d’une politique d’aliénation de masse qui conduit une population à sa stérilisation progressive.

Alors, refuser de lier l’action individuelle au politique, c’est fuir sa responsabilité politique, refuser d’assumer les conséquences démographiques et économiques de ses discours, c’est travestir sa théorie de ce qu’elle vise au fond. Et restaurer et exposer ces liens, c’est s’affranchir de la manœuvre de subversion pour éclairer l’intelligence de chacun de ce qui est effectivement en jeu. La chose est strictement factuelle.

Notre analyse voulait montrer que la théorie du genre opère avec violence en développant des stratégies de chantages, d’intimidations, de dénonciations qui sont profondément irrespectueuses de l’autre. Ces constructeurs de normes exercent ainsi leur terreur, commettant ou incitant à commettre des crimes en poursuivant les traitres. Voilà pourquoi, nous avons bien là des nationalistes symboliques qui opèrent avec leurs milices, leurs exactions, leurs ennemis. Tout y est semblable. C’est ce que nous souhaitions montrer ici. Quand l’autre est un ennemi, la norme devient un instrument de persécution. Les théoriciens et adeptes du genre ne font pas exception : Identité et appartenance, sans le sens de ses limites et de l’altérité donnée. C’est pourquoi, l’éthique me fait être du côté des victimes que l’on cache, car en exploitant quelques cas de dysphorie de genre, cette publicité engendre le besoin, l’attirance, le doute, surtout chez ces jeunes pour lesquels la puberté et le passage de l’enfance à l’adulte sexué est toujours source de troubles et d’angoisses. C’est un abus de faiblesse, c’est la création d’un besoin et l’enfermement sectaire de jeunes dans une spirale de destruction de soi, jusqu’à s’imposer des mutilations et des souffrances comme conclut très bien ce trans célèbre, Andrea Long Chu : « je veux la souffrance. Changer de sexe n’a pas à me rendre heureux pour que j’en ai envie. »  Quand le désir devient haine de soi, c’est une société de la défiguration et de la haine qui s’annonce. Les fantasmes de l’ère prométhéenne sont encore vivaces.

Mais reste une dernière conclusion qui m’a été suggéré par Jeanine Mudrik-Cros. Le trouble de l’identité exprimé par Butler ne dissout pas la quête d’identité bien au contraire. Le ressentiment vécu contre une société dont les normes identitaires sont jugées blessantes et humiliantes induit une stratégie de déconstruction de l’autre, l’entraînant dans son propre trouble identitaire, comme si ce dernier devenait la nouvelle norme sociale et politique à partager, voire imposer. Mais cette position de constructeurs de normes produit aussi une rupture épistémologique radicale où les faits et la démarche scientifique s’engloutissent. En effet, l’expérience personnelle ne donne pas droit à contester celle particulière de l’expérience scientifique qui vise un savoir commun. Il y a, dans le cas de la confusion des deux, l’émergence d’une stratégie de la sagesse, celle de la quête d’une bonne vie par exemple. Mais dans le cas de Butler, elle fait de son expérience personnelle une doctrine politique et scientifique en vue du renversement d’un monde qu’elle juge, elle, mauvais ; sans s’interroger sur le partage de ce jugement personnel, qu’elle érige, avec ses suiveurs, en dogmatique irréfutable. Elle pratique ainsi un scientisme intolérant, de bout en bout de son œuvre.

Sa théorie du genre est donc bien une agression en retour contre les normes qu’elle prétend dénoncer, prise au piège de sa propre dialectique qui n’échappe pas à ce qu’elle dénonce. C’est la raison de notre titre : le nationalisme symbolique, parce que le sentiment d’exclusion ou d’appartenance à une minorité demeure une part du jeu des conflits identitaires. Il est alors toujours question d’imposer sa conception de la bonne vie, par exigence de l’imitation de soi à la manière d’un sage ou d’un messie. En cela, Butler joue le rôle d’un leader exerçant son influence messianique sur ses suiveurs, constructeurs de normes des universités[47], jusqu’à légitimer leur violence psychique sur autrui au nom d’une politique revisité de son ressentiment personnel, leurs expériences politiques produisant des victimes : personnes sans importance il est vrai et nouvelle minorité dont les troubles d’identité alimenteront une nouvelle controverse. Nous y sommes [48].

 

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[1] Le lecteur sait que le titre de l’œuvre majeure de Judith Butler inclut bien la notion de subversion : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, aux édition La Découverte, publié en 2005. Nous l’invitons à lire notre précédent article : Le temps des illusionnistes 1 - les subversions institutionnelles, dans les cahiers de psychologie politique, n° 42, janvier 2023 qui aborde les aspects politiques de ces subversions.

[2] Anne Morelli, professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles, auteur de : Principes élémentaires de propagande de guerre, publié en 2001 chez Aden à Bruxelles, expose et développe dix principes : « 1. Nous ne voulons pas la guerre. 2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre. 3. L'ennemi a le visage du diable. 4. C'est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers. 5. L'ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c'est involontairement. 6. L'ennemi utilise des armes non autorisées. 7. Nous subissons très peu de pertes ; les pertes de l'ennemi sont énormes. 8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause. 9. Notre cause a un caractère sacré. 10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres. ». Le lecteur se reportera utilement à son entretien dans ce même numéro 44 des Cahiers de psychologie politique

[3] Nous développerons progressivement ce recours à la notion de nationalisme comme figure traduisant l’attache de chacun à une nation au sens de l’appartenance à une identité revendiquée comme son territoire symbolique avec ses rites, ses mœurs, ses adeptes et tout ce qui lui est étranger. Il nous vient du propos de Gilles Deleuze usant du terme de « déterritorialisation » de l’homme : « Le mouvement de la trahison a été défini par le double détournement : l’homme détourne son visage de Dieu, qui ne détourne pas moins son visage de l’homme. C’est dans ce double détournement, dans l’écart des visages, que se trace la ligne de fuite, c’est-à-dire la déterritorialisation de l’homme. » (1977, 52) in Dialogues avec Claire Parnet, publiés aux éditions Flammarion. L’homme sans territoire fabrique ses terres symboliques, ses nouvelles appartenances, d’où notre proposition de les dénommer nationalismes symboliques, dont celui de la théorie du genre.

[4] Butler insiste beaucoup sur l’imaginaire jusqu’à cette troublante acception d’un imaginaire qui peut conduire à une déréalisation-déresponsabilisation de toute barbarie commise sur son corps ou celui de l’autre, puisque les mots précèdent les choses qui ne sont que des mots. Le piège de ce nominalisme méritera quelques commentaires dans notre dernière partie : « L’imagination est ce qui nous permet de nous imaginer, et d’imaginer les autres, autrement. L’imagination est ce qui établit le possible sans excès du réel ; elle fait signe vers un ailleurs, et lorsqu’elle est incarnée, elle ramène l’ailleurs à la maison. » (2004, 216-217). Mais à quel prix en termes de mutilation du corps ?

[5] Dans son introduction de 1999, Butler avoue son militantisme d’une part et d’autre part la dimension très personnelle de ce travail, ce qui lui ôte une bonne partie de sa qualité scientifique, car sa déconstruction du genre répond à un besoin personnel avant toute chose. Le biais d’analyse est immense, sauf à dire que les sciences humaines sont l’expression de ses militantismes et ressentiments personnels : « Même si je pense que faire reconnaître son statut de minorité sexuelle est une tâche difficile dans le cadre légal, politique et linguistique des discours dominants, je continue à penser que cette reconnaissance est une nécessité vitale. » (2005, 49) et : « … mon fracassant coming out à l’âge de seize ans ; et par la suite, des pertes d’emploi, d’amantes … … Tout cela m’a fait connaître la condamnation, dure et marquante, mais fort heureusement, cela ne m’a pas empêchée de rechercher le plaisir et la reconnaissance de ma vie sexuelle. Pas facile, de rendre visible cette violence, parce que le genre était précisément la chose la plus normale du monde et, en même temps, la mieux « tenue » par la violence. »   (2005, 42) On n’imagine ni un physicien, ni un mathématicien ou un chimiste tenir de tels propos qui avouent son intention de biaiser un travail pour satisfaire des choix personnels.

[6] La force de la non-violence, 4e page de couverture édifiante quant à cette vision d’une non-violence agressive, par substitution d’une violence psychique à une violence physique, motivée par cette dénonciation de la société ennemi, qui commettrait ses violences contre une victime en révolte, ayant alors toute liberté d’exercer des violences psychiques, voire physiques au nom de sa cause légitime.

[7] Nietzsche est très dur et méprisant pour les femmes. Quelques articles rappellent bien ses positions, dont Nietzsche est misogyne de Patrick Wotling dans Nietzsche (2009, 71-75), Editions le Cavalier Bleu :

« L’accusation de mépris à l’égard des femmes a été portée très tôt, du vivant même de Nietzsche. Elle a été alimentée par une série d’aphorismes, par exemple les paragraphes 232 à 239 de Par-delà bien et mal, mais nulle déclaration n’a pesé si lourd, à coup sûr, que la formule d’Ainsi parlait Zarathoustra, fréquemment traitée comme une profession de foi du philosophe : « Tu vas voir des femmes ? N’oublie pas ton fouet ! » (« Des petites vieilles et des petites jeunes ».) »

Ou bien l’article d’Ernest Joós in Laval théologique et philosophique, Volume 41, numéro 3, (p.305-315) octobre 1985 à l’occasion du 50e anniversaire de la Faculté de philosophie : Nietzsche et les femmes et quelques extraits d’Ainsi parlait Zarathoustra, première partie intitulée La vieille et la jeune femme :

« Tout dans la femme est énigme, et tout dans la femme a une solution : elle s'appelle grossesse. » ou bien : « L'homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme comme le jouet le plus dangereux. Il faut que l'homme soit éduqué pour la guerre et la femme pour le rétablissement (Erholung) du guerrier : tout le reste est sottise. » ou encore : « Que l'homme craigne la femme quand elle hait, car l'homme au fond de son âme est simplement méchant, la femme, elle, au fond de l'âme est mauvaise ». Butler ne s’interroge pas sur le culte du surhomme ou la masculinité dominatrice qui sont bien présents chez Nietzsche. Elle exclut même que la préférence pour le mouvement contre l’identité soit celle d’une symbolique masculine : le mouvement, contre une féminine : le repos, avec un principe masculin cosmique, impulsif, énergique et un féminin attentionné, émotionnel que l’on retrouve aussi dans le Yin : en attente, réceptif, souple et le Yang : expression, action et force. Nous y reviendrons en constatant la subversion-destruction des féminités dans la théorie du genre, car Nietzche opère dans l’ombre de la pensée de Butler, peut-être à son insu : contre le féminin.

[8] Butler a une culture hégélienne qui la prédispose à cette préférence de l’idéalisme allemand pour le mouvement et dont Nietzche sera l’emblématique représentant, destructeur des métaphysiques de l’être et de l’identité comme principe de raison. Butler écrit : « Si le genre est quelque chose que l’on devient – mais une chose qui ne peut jamais être – alors le genre est lui-même une sorte de devenir ou d’activité. » (2005, 36). L’identité consiste à advenir sans attache ni territoire, toujours en transit.

[9] Butler est acquise, jusqu’à en abuser, à la théorie du langage performatif d’Austin et Searle. Elle écrit : « Existe-t-il, après tout, un « genre » qui préexiste à sa codification, ou est-ce, au contraire, en étant soumis à une codification que le sujet genré émerge au sein et par l’entremise de cette modalité d’assujettissement ? L’assujettissement n’est-il pas un processus par lequel les codifications produisent, justement, le genre. » (Conférence à l’université de Nanterre, 25 mai 2004) Elle étend la notion de performatif à la totalité des figures de langage. Dans son introduction de 1990, elle est assertive à ce sujet, loin de poser une hypothèse à étayer, c’est bien son axiome, sa position initiale, soit un jugement a priori : « Faire une « généalogie » implique plutôt de chercher à comprendre les enjeux politiques qu’il y a à désigner ces catégories de l’identité comme si elles étaient leurs propres origine et cause alors qu’elles sont en fait les effets d’institutions, de pratiques, de discours provenant de lieux multiples et diffus. » (2005, 53)

[10] Dans l’introduction de 1990, sa manière de questionner antagonise deux thèses : « Être du sexe féminin est-il un « fait naturel » ou une performance culturelle ? Ou la « naturalité » est-elle produite sur mode performatif par des actes de parole qui suivent eux-mêmes des contraintes discursives pour produire le corps dans et par les catégories de sexe ? » (2005, 53). Assertion selon laquelle le langage fait tout. De même, elle introduit la notion de pouvoir à côté du désir et d’un rapport de force permanent entre homme et femme : « le phallogocentrisme et l’hétérosexualité obligatoire » (2005, 53) qui par ses mots visent bien la disqualification de cette représentation, ou : « le pouvoir semblait s’exercer en produisant précisément le cadre de pensée binaire sur le genre. » (2005, 52) Assertion selon laquelle le désir et la sexualité sont strictement pouvoir de domination. Son rapport à ces questions est celui d’un combat personnel, qu’elle expose elle-même, au nom de sa représentation de la société et de ses difficultés personnelles, cherchant à imputer les causes de ses souffrances au monde uniquement, dans la plus pure tradition rousseauiste, vivant dans le postulat de la vérité indéfectible de ses choix individuels et de l’exclusion des représentations qui l’embarrassent. La société est méchante et mauvaise.

[11] Le Monde, 3 décembre 2021, « Certaines de mes conférences ont dû être protégées par des agents de sécurité » in les universités britanniques confrontées à la bataille du genre, article de Cécile Ducourtieux

[12] Nous renvoyons à notre article : Une autre approche des sciences humaines et sociales : Michel de Certeau et Michel Henry publié dans les Cahiers de psychologie politique, n° 40, janvier 2022 où celui-ci explique fort bien la fiction du droit et des sociétés bureaucratiques qui croient soumettre le réel à la puissance de l’encre des textes. En particulier les paragraphes : 1.2. L’erreur du décentrage épistémique d’une raison scripturaire et 1.3. L’emprise de la représentation technocratique sur la vie dont : « Les sciences participent pour lui d’un élan progressiste et moderne qui engendre un nouveau monde fabriqué par l’écriture exerçant son pouvoir sur les choses et les êtres. Ce sera la force contraignante du droit et des normes d’imposer des usages, des comportements, des règles de fabrication, des modes de vie en procédant par prescription autant que par proscription : « La révolution même, cette idée « moderne » représente le projet scripturaire au niveau d'une société entière qui a l'ambition de se constituer en page blanche par rapport au passé, de s'écrire elle-même (c'est-à-dire de se produire comme système propre) et de refaire l'histoire sur le modèle de ce qu'elle fabrique (ce sera « le progrès ») ». (1990, 201) Pour ces raisons, Michel de Certeau interpelle les fondements d’une pratique scientifique dont il révèle les origines. Loin d’une objectivité scientifique, loin d’une autorité liée à la neutralité axiologique, l’historien dévoile toutes les spécificités d’une pratique particulière qui se présente comme La science de l’homme, alors qu’elle est plutôt une posture philosophique et politique. »

[13] Il faut lire le très brillant article de Marie de Gandt, Troubles du genre : lecture critique de Judith Butler qui explicite très bien ce jargon, ses figures et ses limites.

[14] John Searle, philosophe du langage, distingue les fonctions du langage dont il dit : « Ils appartient au but illocutoire de certaines illocutions de rendre les mots (plus exactement leur contenu propositionnel) conformes au monde, tandis que d’autres ont pour but illocutoire de rendre le monde conforme aux mots. » in Sens et expressions, 1982, p.41, Paris, Editions de Minuit. Il fait suite aux travaux de John Langshaw Austin, philosophe analytique qui développe sa théorie des actes du langage et la description d’une partie des énoncés, dit performatifs, car l’énoncé est l’acte, dans certains cas, dont les promesses. Ces énoncés ne sont ni vrais, ni faux. L’énonciation est alors action. Une promesse ne décrit rien, elle signe un engagement. Butler a défiguré la théorie d’Austin et Searle et outrepassé leur définition des énonciations performatives, sans faire la preuve théorique de la pertinence de cet élargissement.  

[15] Je cite Butler : « Si le genre est institué par des actes marqués par une discontinuité interne, alors l’apparence de la substance constitue exactement en ceci : une identité construite, un acte performatif que le grand public, y compris les acteurs et actrices elles/eux-mêmes, vient à croire et à reprendre sur le mode de la croyance. » (25 mai 2004, Conférence à l’université de Nanterre)

[16] Rappelons que Searle présente le performatif comme un énoncé qui est en lui-même une réalité du type du jugement où « je vous déclare coupable » ou du maire ou du prêtre « je vous déclare mari et femme en vertu de… » Elles affectent l’identité de l’interlocuteur, mais à la notable différence de la théorie du genre, le langage performatif porte sur des réalités symboliques, des concepts moraux et sociaux : culpabilité, union ici. Butler va beaucoup plus loin en décrétant que tout est performatif, ce qui dissout le réel, là où Austin et Searle n’ont jamais adopté une telle position dans leur théorie du langage. Les scholastiques jouaient de cet excès en inventant des histoires comme le mot souris ne mange pas de fromage ou le mot encre ne tâche pas, pour bien distinguer le mot de la chose nommée qui n’est pas assujettie au pouvoir du mot qui fait simplement correspondance à une réalité, alors que dans le propos performatif, le langage signifie un engagement, une promesse. La différence tient au fait que le performatif est un jugement porteur d’un nouveau statut symbolique et de signes futurs contingents qui le confirmeront.

[17] Butler légitime ces études dans toutes les disciplines pour créer ce faisceaux d’analyses culturelles qui accréditent sa thèse : « Au lieu de considérer l’identité de genre comme une identification originale servant de cause déterminante, on pourrait la redéfinir comme une histoire personnelle/culturelle de signification reçues, prises dans un ensemble de pratiques imitatives qui renvoient indirectement à d’autres imitations et qui, ensemble, construisent l’illusion d’un soi genré originel et intérieur ou encore qui parodient le mécanisme de sa construction. » (2005, 262). Le genrisme en devient quasiment un biais de perception et de lecture imposé à une multitude d’étudiant-chercheurs qui n’exercent plus aucun esprit critique quant à cette notion utilisée telle une clé de lecture unique et permanente, soit un instrument de déformation et d’analyse monopolistique.

[18] J’adhère à cette description sociologique de Nadia El Mabrouk dans son article Idéologie queer, la nouvelle religion du 9 mai 2018 publié dans Presse + : « Ce sont maintenant des églises. Où l’on ne forme pas des libres-penseurs, mais des fidèles et des disciples, qui croient les yeux fermés ». Il suffit de lire quelques thèses universitaires, les fameuses études du genre, pour constater l’absence de recherches, l’absence de protocole et d’expériences, mais une littérature de type scholastique-nominaliste chargée de ces biais idéologiques, sans esprit critique ou capacité à démontrer. Truismes, tautologies, raisonnements circulaires sont permanents. Et jamais, le concept n’est mis à l’épreuve de sa falsification.

[19] Arendt expose : « trois éléments spécifiquement totalitaires qui sont propres à toute pensée idéologique. Premièrement, dans leur prétention à tout expliquer, les idéologies ont tendance à ne pas rendre compte de ce qui est, de ce qui naît, de ce qui meurt. … En deuxième lieu, dans ce pouvoir de tout expliquer, la pensée idéologique s’affranchit de toute expérience, dont elle ne peut rien apprendre de nouveau … En troisième lieu, puisque les idéologies n’ont pas le pouvoir de transformer la réalité, elles accomplissent cette émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience au moyen de certaines méthodes de démonstration. Le penser idéologique ordonne les faits en une procédure absolument logique qui part d’une prémisse tenue pour axiome et en déduit tout le reste. » (1972, 219-220)

[20] Le cycle d’œstrus est commun aux mammifères et il a une influence physiologique sur le comportement du mammifère, incluant l’humain, concernant la recherche de l’autre sexe et de la relation sexuelle ou à l’inverse une période d’indifférence ou de rejet. Le biologisme n’existe pas, les faits scientifiques sont étayés. Le lecteur peut se reporter aux travaux de Steven W. Gangestad et Randy Thornhill qui rompent avec la représentation sociale bourgeoise et victorienne, donc non-scientifique, d’une femme a-sexuée et sans effets de son cycle sur ses comportements. Je cite : « Les recherches menées au cours des quinze dernières années ont remis en question bon nombre des conclusions traditionnelles que les chercheurs ont formulées sur la sexualité féminine humaine. Bien que la sagesse conventionnelle affirme que l’oestrus des femmes a été perdu au cours de l’évolution, Randy Thornhill et Steven W. Gangestad affirment qu’il est présent, bien que caché. Les femmes, proposent-ils, présentent donc deux sexualités chacune du cycle ovulatoire du mœstrus et une sexualité en dehors de la phase œstrale, sexualité étendue qui possèdent des fonctions distinctes. En synthétisant la recherche en évolution comportementale et en biologie comparée, les auteurs fournissent un nouveau cadre théorique pour comprendre l’évolution de la sexualité. » Consulter aussi, par exemple, les travaux de Pauline Maki, professeur de psychiatrie, psychologie et obstétrique-gynécologie à l’UIC : « Elle a dirigé un programme de recherche financé par les NIH axé sur le rôle des hormones stéroïdes sexuelles sur la cognition, l’humeur, la fonction cérébrale (neuroimagerie) et la réceptivité au stress chez les femmes. Les capacités cognitives, l’humeur et la réponse au stress des femmes peuvent être affectées par les changements dans les hormones sexuelles, comme les œstrogènes, y compris les changements qui se produisent pendant la transition ménopausique, pendant la grossesse et tout au long du cycle menstruel. » (Université de l’Illinois de Chicago) Butler poursuit l’œuvre idéologique de déféminisation de la femme, entreprise dans les sociétés bourgeoises du 19e siècle, pour masquer la biologie féminine, jusqu’à occulter la grossesse.

[21] Le bandérisme ukrainien fabrique un récit nationaliste pour forger une identité par exclusion des minorités et opposition aux cousins slaves et orthodoxes Russes, jusqu’à engager et concrétiser une propagande de guerre. Il reproduit les traits évoqués par Morelli, comme en son temps Bismarck fabrique la nation Allemande à partir du patchwork des principautés, des villes et des duchés aux langues et religions variées et aux populations disparates. Et il faudra là aussi une propagande de guerre contre un ennemi déclaré, pour forger l’unité-identité contre lui. Le modèle est connu. La nouvelle identité nationale s’invente largement dans ce constructivisme guerrier. Il en est de même des nationalismes symboliques de luttes des classes ou des genres.

[22] D’une situation sans clinique spécialisée et sans demande, nous sommes en présence maintenant aux Etats-Unis d’un réseau constitué de cliniques estimé entre 50 et 100, réalisant des milliers d’opérations par an. Un business est né par la création d’un besoin et de son marché, là où rien n’existait antérieurement. La présentation de la collection Female Erasure exprime très bien cette situation et ses effets de distorsion sur la recherche et le débat public : « Female Erasure est une collection dynamique de voix diverses qui s’élèvent contre la politique de l’identité de genre, exposant les origines et les effets néfastes de l’idéologie transgenre sur la vie des femmes et des enfants aujourd’hui comme une continuation de l’effacement et du silence féminins. Cette anthologie arrive à un moment où la politique d’identité de genre et les profits d’une industrie émergente du transgendérisme médical pour les enfants, les adolescents et les adultes entravent notre capacité à avoir des discussions significatives sur le sexe, le genre, l’évolution des lois… ». Lire notre article : Le primat de la croyance dans le leadership personnel ou groupal source du conformisme social in les Cahiers de psychologie politique, n° 43, juillet 2023, en particulier la partie : 2. Ce que nous disent les recherches en sociologie consacrée aux normes, stéréotypes, influences et conformismes sociaux.

[23] Butler renverse le fait sexuel et la reproduction sexuée des mammifères en postulant, sans jamais pouvoir le démontrer, que la psyché n’a pas de sexe : « Les prédispositions ne sont pas des faits sexuels primaires de la psyché, mais les effets secondaires produits par une loi imposée par la culture et par les actes complices et transformateurs de l’idéal du moi. » (2005, 156) Elle reprend la position de Foucault qui « invite à penser un état d’indétermination identitaire antérieur au sexe qui serait l’idéal du bonheur » comme le décrit Marie de Gandt dans son article Trouble du genre : lecture critique de Judith Butler. Ce renversement consume le réel jusqu’à une inversion dialectique totale qui fait dire à Butler que le sexe est une illusion du soi genré, quand l’imaginaire subvertit le réel jusqu’à devenir son substitut : « Au lieu de considérer l’identité de genre comme une identification originale servant de cause déterminante, on pourrait la redéfinir comme une histoire personnelle/culturelle de la significations reçues, prises dans un ensemble de pratiques imitatives qui renvoient indirectement à d’autres imitations et qui, ensemble, construisent l’illusion d’un soi genré originel et intérieur ou encore qui parodient le mécanisme de cette construction. » (2005, 262)

[24] Lire Du contrat sexuel de Cédric Lagandré publie en 2019 aux PUF, en particulier les chapitres : 1. L’individu a-sexué, ou l’androgynie mythique et 4. L’anticulturalisme libéral : liquider le sexuel. Je cite :

« La différence sexuelle, celle qui motive une sexualité, n’est plus indexée sur la différence biologique des sexes, elle se promène et traverse l’humain de part en part. Mais sa persistance est inconfortable pour l’ère moderne, contrariée dans son effort pour naturaliser la fiction libérale de l’individu total, autrement dit pour remonter à un état antérieur aux artifices culturels arbitraires, état supposé « vrai » et seul raisonnable : la logique qui nous gouverne ne serait-elle pas de libérer l’homme de sa condition sexuée, de la non-coïncidence native de l’individu à lui-même, et de l’asymétrie qu’elle introduit dans le rapport à l’autre. » (2019, 1)

[25] Amnesty International rappelle quelques faits, je cite : « Selon les spécialistes, environ 1,7 % de la population naît avec des caractéristiques intersexes, ce qui est comparable au nombre d’enfants qui naissent avec des cheveux roux. » et : « Un rapport d’Amnesty International a mis en évidence les raisons pour lesquelles il s’agit d’une violation des droits humains. Ces interventions sont fréquemment réalisées sur des enfants trop jeunes pour participer véritablement à la prise de décisions concernant leur propre corps, et leurs parents, bien souvent, ne sont pas correctement informés des risques encourus. » et pour terminer, ce qui contredit totalement la gestion forcée des enfants atteint de dysphorie de genre qu’on précipite dans les blocages de puberté et qu’on incite au changement de sexe : « Le mot « transgenre » – ou trans – est un terme générique qui désigne les personnes dont l’identité de genre est différente du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Le mot « intersexe » se rapporte à des caractéristiques sexuelles physiques et non à un sentiment interne d’identité. » (Journée de la visibilité intersexe - cinq idées fausses à dissiper (amnesty.org))

[26] Nous pensons aux analyses idéologiques d’Anne Fausto-Sterling : Myths of Gender : Biological Theories about Women and Men paru en 1985 à New York chez Basic Books ou Evelyn Fox Keller : Reflections on Gender and Science paru en 1985 à New Haven aux Yale University Press. Ces études discréditent la sociologie, car elles font l’impasse sur les faits expérimentaux pour les subvertir d’une lecture accusatrice et militante qui postule d’une domination masculine dans l’exercice de la science. Celle-ci conduirait à une représentation erronée de la nature. L’idéologie se substitue à l’examen des faits initiaux. Le discursif l’emporte sur ce qu’il représente, il devient lui-même l’objet d’une science des représentations en y projetant des biais cognitifs, militants jamais démontrés, mais bien postulés. Ce sont des pensées auto-justificatrices, de gigantesques boucles aux raisonnements circulaires, soit des truismes et des tautologies.

[27] C’est la position de Nicole-Claude Mathieu par exemple qui écrit que la différence sexuelle : « renvoie les sexes à des en-soi séparés » et qu’elle : « évite de concevoir les sexes comme construits dans et par des rapports sociaux, et notamment des rapports de pouvoir. » (2000, 118-119)

[28] Dans la dernière partie sur les Actes corporels subversifs, Butler adopte une position hors de la science expérimentale, où tout est représentation, tout est fiction, tout est narratif : « Si les attributs et les actes du genre, les différentes manières dont un corps montre ou produit sa signification culturelle sont performatifs, alors il n’y a pas d’identité préexistante à l’aune de laquelle jauger un acte ou un attribut ; tout acte du genre ne serait ni vrai ni faux, réel ou déformé, et le présupposé selon lequel il y aurait une vraie identité de genre se révélerait être une fiction régulatrice. » (2005, 266). Si tout est langage, il n’y a plus de réel et tout est imagination. La domination est alors aussi une fiction. Sa révolte une fiction. Si le réel se dérobe, ses sentiments et sa personne sont des fictions. Parler ou se taire sont des fictions. Son propos est alors aporétique, car il veut dire quelque chose là où il n’y a plus rien à dire, car l’expérience de la domination est aussi une fiction. Il faut bien qu’il y ait un enjeu et une préférence pour ouvrir son débat et feindre la virtualité du genre pour le manipuler. L’imposture intellectuelle est là. Chez Austin et Searle, la possibilité même d’un énoncé performatif suppose bien l’épreuve de cette performance dans la concrétisation observable des promesses par exemple.

[29] Le terme de « thérapie de conversion » est très troublant dès lors qu’on s’intéresse aux émasculations rituelles par exemple : les excisions, les circoncisions, les émasculations ont une dimension psychologique et religieuse. Je cite la brillante étude : Les mutilations sexuelles à travers les âges publiée dans La revue médicale de Bruxelles – Histoire de la médecine en 2012 : « Dépassant le cadre des spécialités médicales et des catégories nosologiques, la mutilation couvre l’ensemble du champ médical. De même, en marge de la psychopathologie, dans le domaine limite des perversions sexuelles et religieuses, la mutilation est tout à la fois présente dans les extases cliniques et mystiques. Les modèles explicatifs de l’automutilation (“ éviration ”) qui s’inscrivent dans une perspective neurobiologique font appel à des mécanismes neurohormonaux d’autoconservation. Les conceptions psychanalytiques de l’automutilation considèrent ce phénomène multiforme comme l’expression de la dramatisation des processus de lutte contre l’anéantissement, prenant racine dans la dépression initiale et réactivés dans la situation œdipienne. Processus dominés par les notions de narcissisme et de masochisme primaire, les gestes autovulnérants s’intègrent dans la dialectique de la castration. Il s’agit pour certains d’entre eux, à l’instar de bon nombre de mutilations sociales, de gestes propitiatoires. Elle est, à l’inverse, déstructurante, littéralement mutilante, lorsqu’elle s’inscrit dans une action non conforme à l’idéologie dominante, ou lorsqu’elle s’affirme comme un défi : considérée comme illicite lorsqu’elle s’oppose à la logique sociale, l’automutilation revêt un caractère glorieux lorsqu’elle s’accomplit au nom de cette même logique sociale. » (2012, 560-561). La pression des militants s’expliquerait aussi par l’urgence de ce basculement de la logique sociale, pour ne pas rester dans le défi et la mutilation déstructurante et traumatisante. La protection, voire la sacralisation de la transition devient alors un impératif psychique justifiant l’urgence de l’inversion des représentations sociales dominantes.

 

 

 

 

[30] Au Dakota, la loi HB 1080 interdit « la prescription et l’administration de médicaments bloquant la puberté chez les patients de moins de 18 ans, ainsi que les hormones sexuelles et les opérations chirurgicales liées à la transition de genre. » Dans l’Idaho, la loi vise à protéger les mineurs. En Floride, les enseignements sur l’identité de genre et les orientations sexuelles sont interdits dans les écoles primaires. Dans l’Utah, la loi interdit ces interventions ainsi que les modifications des certificats de naissance. Dans le Wyoming, un projet de loi vise à rendre illégales les mutilations infantiles. L’Alabama, l’Arkansas, le Tennessee vont aussi vers l’interdiction des transitions des mineurs. Le Missouri envisage une loi pour révoquer les médecins menant de telles opérations sur des mineurs.

[31] Hannah Barnes, Time to think : The Inside Story of the Collapse of the Tavistock’s Gender Service for Children, 2023, Swift Press. Il faut lire le rapport d’audit du docteur Hilary Cass

[32] L’affaire Chloe Cole en Californie atteste de ces situations. Elle poursuit l’hôpital et les médecins au motif qu’elle a subi un traitement médical expérimental et irréversible, cette hormonothérapie transgenre a été suivie d’une mutilation des organes sexuels causant des dommages permanents en considérant que cette seule perspective lui a été proposée, sans avertissement sur les conséquences ; ce qu’elle regrette maintenant. Elle fait aussi état de la pression exercée sur ses parents par les médecins, cherchant à les culpabiliser en exhibant un fort risque de suicide de l’enfant qu’elle était.

[33] Son audit sera la cause de la fermeture du service incriminé. Elle est pédiatre et ancien président du Collège royal de pédiatrie et de santé infantile. On notera que le personnel craignait les représailles, le docteur Cass soulignant que : « le personnel de soins primaires et secondaires nous a dit qu’il se sentait sous pression pour adopter une approche affirmative inconditionnelle et que cela allait à l’encontre du processus standard d’évaluation clinique et de diagnostic qu’il a été formé pour entreprendre dans toutes les autres rencontres cliniques. ». La dimension médicale de la transition est niée par idéologie, dans la pure doctrine de Butler, et les précautions cliniques n’ont pas d’importance, dont l’usage de bloqueur de puberté non-éprouvé par exemple.

[34] Il est étonnant qu’on puisse établir que faire subir une normalisation sexuelle des personnes intersexuées est illicite et tragique sans faire le lien avec la nouvelle orthodoxie d’une normalité des transitions qui conduit aux mêmes interventions chirurgicales. Une table ronde organisée le 22 janvier 2019 à l’Assemblée nationale sur Les mutilations subies par les personnes intersexuées à leur naissance, précise que 13.000 personnes environ naissent ainsi en France soit 1,7% des naissances sur une année. Les médecins confirment l’absence de problème de santé pendant l’enfance et toute les difficultés éthiques de mener des opérations chirurgicales dès l’enfance. Deux extraits démontrent que les transitions de genre procèdent aujourd’hui des mêmes dérives : l’emprise du milieu médicale et le traumatisme des opérations chirurgicales :

Extrait 1 : « Les personnes concernées peuvent très rarement exprimer un consentement libre et éclairé pour ces opérations, largement décidées par les parents sous l’influence du personnel médical. Elles mènent pourtant à de très nombreuses complications de santé manifestes : ablations d’organes sains, cicatrices marquées, infection des voies urinaires, insensibilité sexuelle, etc. »

Extrait 2 : « Les opérations chirurgicales de personnes intersexuées se sont multipliées depuis 1945, du fait des progrès médicaux et de la volonté d’inclure toute la population dans le cadre « homme-femme ». S’en est suivi le développement d’une série de pratiques non-cruciales et « pathologisantes » : récession clitoridienne, vaginoplastie, prescription hormonale. »

Et de conclure :

« Il faut un rappel du caractère illicite de ces actes médicaux non consentis ainsi que s’assurer que ces actes ne sont pas commis sur le territoire national. »

[35] Le lecteur se reportera utilement si nécessaire à notre article : Des théories du consentement à la question de la conscience, publié dans le n°37 des Cahiers de psychologie politique en juillet 2020

[36] Butler parle bien de restriction et induit de cela une disparition de ces obligations au profit d’une « plénitude originaire » restaurée. Une nouvelle norme balaie bien la précédente, qui n’a plus de légitimité : « Toute tentative de localiser et de décrire la sexualité « avant la loi » comme une bisexualité constitutionnelle ou un polymorphisme idéal et spontané doit supposer que la loi précède la sexualité. En tant que restriction à une plénitude originaire, la loi prohibe une série de possibilités sexuelles pré-punitives et en autorise d’autres. » (2005, 171) Butler mentionne bien ici une vision mythologique d’un âge présexuel : historique et personnel à la fois.

[37] En effet, l’automutilation des Scoptes (Skoptzy) atteste d’une croyance en son émancipation ou sa libération spirituelle. Cette secte prétendant que les apôtres s’étaient châtrés pour se purifier, ils pratiquaient l’émasculation totale des garçons et l’ablation des seins des filles. Les Russes luttèrent contre cette secte dont les membres se réfugièrent en Roumanie à la fin du 19e siècle. Les motivations changent, mais le fait de la mutilation rituelle pour une transformation salvatrice demeure, et ce, pour se libérer à chaque fois de souffrances réelles ou supposées, du spirituel au narcissique aujourd’hui.

[38] Lire notre article consacré au principe d’apathie : La perversion du principe d’apathie, Les cahiers de psychologie politique, n° 35, juillet 2019

[39] C’est une distanciation déréalisatrice du fait d’un acte de la volonté, mais Wittig va jusqu’à énoncer des termes : « désintégration » ou « fictions médicales », mots très forts, qui signent un rapport violent au corps donné, mais nié : « la construction de certaines fictions médicales pour qu’elles ne donnent qu’une seule définition du sexe. Les écrits théoriques et littéraires de Monique Wittig nous proposent une « désintégration » des corps culturellement constitués, suggérant, par-là, que la morphologie elle-même est la conséquence d’un schème conceptuel hégémonique. »  (2005, 55) Ces auteurs pratiquent l’euphémisation des phénomènes.

[40] Butler reprend la tradition contractualiste du primat de la loi qui institue, fait advenir et où l’homme n’est que ce que la loi décidera qu’il soit : « s’interroger sur les femmes comme sujet du féminisme fait surgir la possibilité qu’il n’y ait pas de sujet qui précède la loi dans l’attente de se faire représenter dans ou par la loi. » (2005, 62) En ignorant les conséquences de cette allégeance, Butler se fait la complice du totalitarisme contemporain où l’humain est une fiction sans nature sur laquelle s’exerce des règles qui le font advenir selon le projet politique. Cette dialectique négative de la non-identité fixe toutefois le terme d’une identité virtuelle qui s’impose à tous, ceux qui revendiqueraient d’être d’une nature n’ont pas leur place. Là encore la violence est immense, puisqu’elle rabaisse au rang de mythe, ceux qui voudraient être d’une nature : « On pourrait voir dans le fameux postulat qui affirme l’intégrité ontologique du sujet avant la loi la trace contemporaine de l’hypothèse de l’état de nature, ce mythe fondateur… » (2005, 62)

[41] Butler cite Michel Haar, spécialiste de Nietzsche : « Le sujet, le soi, l’individu sont autant de concepts fallacieux, puisqu’ils transforment en substances des unités fictives qui, au départ, n’ont qu’une réalité linguistique. » (2005, 90), ce qui donne droit de le gommer, de l’effacer, mais dans les faits que signifie ces effacements, si ce n’est des mutilations ou des exterminations effectives ?

[42] Butler va bien jusqu’à nier l’existence de la personne humaine, comme si celle-ci était la limite à une liberté d’action, émancipée de devoir rendre des comptes à des personnes dont on nie en fait l’existence. Quelques révolutionnaires avaient la même doctrine : « Si l’identité est affirmée à travers un processus de signification, si elle est toujours déjà signifiée et qu’elle continue à signifier en circulant dans différents discours enchevêtrés, alors on n’arrivera pas à régler la question de la capacité d’agit en recourant à un « je » préexistant à la signification. » (2005, 269). A force de rester dans les limbes de la discursivité, Butler prend le risque de rendre tout possible, sans entrave, dans le monde réel qui subsiste malgré ses dires.

[43] Butler occulte, par exemple, l’histoire de la femme au Moyen-âge qui avait son pouvoir, son rôle, ses responsabilités, bien loin de sa vision d’une société bourgeoise issue de l’avènement de la modernité qui n’avait pas les femmes en grande estime, sauf à en faire les objets de leurs jouissances. Il suffit de lire Diderot, les libertins, Sade ou Masoch pour voir comment les hommes des Lumières voyaient les femmes, Nietzsche compris. Mais est-ce une raison pour en faire une généralité impériale en faisant fi des sociétés matriarcales ou des sociétés européennes en d’autres temps de leur longue histoire ? Mais Butler vise bien sa révolution anthropologique pour se libérer du sexe reproducteur avec le culte individualiste de l’autodétermination de soi, sans aucun exposé politique des effets de ces pratiques.

[44] Dominique Desmûriers mène une analyse sans concession dans son article : Non, l’idéologie du genre ne poursuit pas l’œuvre des lumières, elle en est l’éteignoir publié dans la revue Humanisme en concluant : « La contradiction insoluble de l’idéologie du Genre – que l’on pourrait qualifier de « genrisme » –, qui consiste à diviser radicalement l’humanité tout en prônant la déconstruction de cette bipartition, ne se résoudrait elle donc que dans sa propre annihilation puisqu’à la fin il n’y aurait ni sexe ni genre ? » (2015, 67) De même, Nadia El Mabrouk écrit dans son article Idéologie queer, la nouvelle religion du 9 mai 2018 publié dans Presse + : « L’idéologie queer est une orientation politique dont l’objectif est de nier la binarité des sexes. » L’effacement du féminin est là.

[45] Le signe de ce nationalisme agressif et totalitaire de la théorie du genre se retrouve bien dans cette volonté dont Arendt dit : « La politique totalitaire veut transformer l’espèce humaine. » (1972, 206) Il vise toujours une révolution anthropologique.

[46] La multiplication des cas de regret sont ignominieusement discrédités et minorés, ou quand les victimes des mutilations sexuelles s’expriment et que le corps médical intéressé au modèle se défend, à l’instar de Mengele insensible à l’idée même qu’il ait pu faire souffrir. La médecine occidentale est malade de son fantasme de toute puissance et de ses sources de revenu futur. Il faudra l’étudier dans un prochain article : Le cas Max Robinson qui a publié son autobiographie : Detransition: Beyond Before and After en 2021 chez Spinifex. Le cas Cari Stella auteur de vidéos nombreuses publiées par YouTube dont celle sur son vœu de détransition : Why I detransitioned and what I want medical providers to know, etc. Ils sont édifiants.

[47] Le lecteur se reportera à notre récent article : La construction du monde par la projection de soi : critique de la théorie du leadership de Lewin, Cahiers de psychologie politique, n°43 – juillet 2023

[48] Nous recommandons vivement au lecteur l’ouvrage récemment paru au Cherche midi de Dany-Robert Dufour : Le phénomène trans, le regard d’un philosophe.

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