En ces temps de conflits, les universités deviennent des champs de bataille et le lieu d’un combat sans pitié où le respect de l’autre, la considération, le sens de l’altérité, la compréhension des identités et leur légitime droit à l’existence et à l’expression semblent sombrer sous le feu des ressentiments, de l’intolérance ou du mépris. Tout cela conduit au quotidien à soupçonner, détester, dénoncer, haïr, censurer, accuser en annonçant des temps plus sombres d’emprisonnement idéologique, de persécution, d’élimination des opposants, car la haine du verbe précède trop souvent la haine en action. La psychologie politique ne nous dispense pas d’une pratique de la psychologie et de la relation à autrui.
Dans ce jeu que nous observons, il n’y a plus d’attention, plus d’écoute, plus d’intelligence ouverte et critique, aucun désir de faire société avec des amis, des voisins et des gens que nous trouvons différents. Alors que depuis plusieurs décennies, la diversité, le droit à la différence et le droit des minorités ont été largement mis en avant, nous assistons à un spectacle politique, académique et médiatique fait d’agressivités, de chantages et de menaces dont les Campus américains ont été les témoins, tant par leurs étudiants clamant leur antisémitisme, que par leurs dirigeants cautionnant le verbe qui précède la violence physique et les pressions politiques intrusives qui s’en sont suivies très récemment par des appels à des démissions tout aussi agressives. Tout cela sent l’intolérance et l’abus d’autorité.
J’aimerai ici redire avec mes collègues du comité de rédaction l’engagement des Cahiers de psychologie politique écrits lors de son 40e numéro pour ses 20 ans, avec l’accord de son fondateur Alexandre Dorna :
« Vingt ans, c’est l’âge adulte et celui d’une trajectoire vers une nouvelle décennie. Le comité de rédaction s’était fixé depuis quelques temps déjà plusieurs objectifs.
Celui d’une revue internationale de fait, avec des contributeurs de toute la francophonie et de nos amis hispaniques en particulier. C’est un enjeu de faire des Cahiers de psychologie politique la revue de référence dans sa matière.
Celui d’une revue ouverte, conformément à la pratique d’Alexandre et de nos échanges. La psychologie politique ne fabrique pas une chapelle politique. Nous devons accueillir et respecter la pluralité des écoles, des points de vue, des approches, pour autant qu’elles contribuent à ce champ de la psychologie politique.
Celui d’une revue accueillante, parce que les doctorants et les jeunes post-doctorants ont des travaux à partager, des recherches inédites à faire connaître. Nous nous sommes efforcés et nous continuerons, de lire et d’accompagner des jeunes dans la rédaction de leurs articles.
Celui, pour terminer, d’une revue critique, en toute loyauté pour son fondateur. Et la critique peut émaner de progressistes comme de conservateurs, elle a toute sa valeur dès lors qu’elle interpelle. Et la psychologie politique constitue en elle-même un enjeu de pouvoir puisqu’elle parle des stratégies du pouvoir. Nous assumons cette liberté critique. »
Alors que nous abordons des questions sensibles comme les identités et les appartenances, nous ne dérogerons pas à la publication de textes opposés, construits, documentés, intelligents, qui font réfléchir. Des universitaires reconnus pour leurs publications importantes aux étudiants chercheurs, doctorants ou post-doctorants, déjà accueillis et reconnus pour leurs qualités dans le monde académique, tous auront ici leur place parce qu’Alexandre ne supportait pas la censure qui n’a jamais pour elle une quelconque légitimité. Lui savait le prix de l’intolérance au Chili.
Nous sommes donc enchantés, une fois de plus, d’accueillir des auteurs contrastés dans leurs points de vue, leurs hypothèses de recherches et sans doute leurs intuitions et croyances initiales. Et, c’est en apprenant à regarder les choses sous de nombreux angles que se construit une complémentarité salutaire, principe cher au physicien Niels Bohr, pour nous-mêmes et nos sociétés ; sauf à désirer l’élimination de l’autre par cette haine meurtrière qu’est la censure, ce premier crime symbolique qui annonce trop souvent les épurations légitimes, les crimes d’Etat et les menaces faîtes aux personnes.
Parce que jamais nous ne serons solidaires du début de la moindre démarche qui installe une limitation de la libre pensée, dès lors qu’elle se construit avec esprit, nous sommes de nouveau heureux d’offrir dans ce numéro quelques perspectives qui interrogent le monde, l’interprètent et le soumettent à la critique. Anne Morelli commente, avec l’actualité du moment, ces dix principes de propagandes de guerre écrit il y a quelques décennies déjà, dont la mécanique implacable se reproduit de guerre en guerre. Indépendamment de ses positions personnelles, elle témoigne d’un processus de psychologie politique et d’une stratégie de propagande que nous pouvons tous observer, et cela montre quelque chose des mécanismes psychologiques qui organise la légitimation de la violence, dont nous sommes les objets et que pour ma part j’applique à la subversion violente menée par les propagandistes de la théorie du genre.
Nous voulions faire un numéro sur les identités contemporaines qui dépassent celles des appartenances historiques, géographiques et ethniques. C’est la raison de quelques articles dont celui de Stéphane François sur l’homosexualité, le néopaganisme et l’extrême droite. C’est la raison de celui que je consacre à la propagande performative et au nationalisme symbolique des études sur le genre, issus de la pensée de Judith Butler, pensée qui pose quelques questions éthiques et politiques et celui de Laurence Moliner sur les ressorts des débats parlementaires sur les questions d’identités sexuelles et de genres. Et dans ces identités, l’article d’Apolline Dupuis nous rappelle la prégnance des identité sociales et de classes avec ses travaux sur les ouvriers du Bengladesh. Merci à notre correspondant et membre du comité de rédaction, Dorgelès Houessou en Côte d’Ivoire pour de belles contributions : celle de Tié Emmanuel Toh Bi, professeur des universités de Bouaké pour son article sur l’identité dans la littérature et ses influences, ici la poésie ivoirienne, celle d’Edgard Maillard Ella pour son travail d’analyse lexicographique sur le genre et la féminité au Gabon et celle d’Yves-Marcel Youant qui prolonge les premières publications sur les langues et le politique où le Nouchi, langage populaire, devient le signe d’une identité culturelle en émergence. Enfin, Fanny Guénéchault pose quelques questions autour du concept d’identité nationale, en résonance avec l’ivoirinie de Tié Emmanuel Toh Bi et Alain Deniau conclut ce numéro par son propos de psychanalyste sur la haine meurtrière qui se noue au cœur des vies humaines.
Merci à ceux qui voudront bien contribuer à nos prochains numéros sur les institutions internationales, la culture de la norme et une réflexion sur les ressorts de l’appétence pour la normativité qui peut se comprendre comme un encadrement des libertés et une limitation des libertés démocratiques et politiques.
Pierre-Antoine Pontoizeau